samedi 17 mars 2012

LE CONCOURS BENIAMINO GIGLI


Au couvent franciscain des saints Apôtres, l'effervescence est à son comble : des jeunes asiatiques, et autres nationalités, entrent, sortent, font les 100 pas. La raison de cette agitation nous est révélée par une modeste affiche annonçant, dans les lieux, les épreuves d'un concours de chant. Nous étions allés à Paris, exprès pour assister au concours Crespin, pourquoi ne pas aller écouter celui-là ? D'autant que la demie-finale et la finale auront lieu juste à côté de chez nous, au conservatoire Sainte Cécile. Les franciscains n'étant manifestement pas au fait de la suite des événements, nous décidons d'aller nous renseigner au conservatoire : là, étonnement, surprise, coup de fil dans les bureaux, personne n'est vraiment au courant. Chi sa ? Nous réussissons pourtant à obtenir une heure probable pour la demie-finale, et au jour dit, nous sommes à pied d’œuvre.
Arrivés juste à l'heure, nous tentons un œil curieux dans la salle de spectacle : déserte. Alentour, personne qui semble informé. On traine, on va faire une course, on revient, et devant la porte on croit sentir qu'il va se passer quelque chose. Installation dans la vaste salle, le jury trimballe des tables, cherche des chaises, des jeunes arrivent, s'inquiètent de l'endroit à se changer, pas de loge, ils s'installent au fond de la salle et se débrouillent tant bien que mal. Combien sont-ils ? personne ne le sait ! Quand cela commence-t-il ? Pas plus d'information, mais bon, personne ne s'affole, il suffit d'être patient.


Enfin, après pas mal d'hésitations, de bavardages, de salamalecs, de "maestro" par-ci, "maestro" par là, d'appels laborieux car avec tous ces noms asiatiques,  nos italiens sont totalement perdus, on commence. La première candidate est franchement nulle, on se demande comment elle a pu arriver sur cette scène. Mais ensuite les choses s'arrangent, même si l'on n'entend guère de voix remarquable. C'est là qu'on voit que le concours Crespin était d'une qualité incomparable. Ils sont 24 à passer cette après-midi là, et ne seront plus que 12 le soir quand nous reviendrons pour la finale.


Le soir, la salle est pleine, on se congratule, on se fait des courbettes, les discours s'enchainent. Mais l'ambiance reste toujours bon enfant. On apprend que le président du jury est Beniamino Gigli Junior, le petit fils (ou arrière petit fils ?) du célèbre ténor italien auquel est dédié le concours, né à Recanati en 1890 et dont on parle encore des sanglots dans la voix tant il a fait une carrière retentissante. Il me semble comprendre qu'ayant obtenu une bourse au début du siècle, il fut élève au conservatoire Sainte Cécile dans les années 1910. On remercie les mécènes, les généreux donateurs qui ont doté le concours, et on écoute les candidats. L'atmosphère est assez agitée : plus le chanteur est nul, plus les élèves du conservatoire bavardent et chuchotent, et crient "bravo" ou "brava" à la fin, en riant comme des fous.
Heureusement, dans l'ensemble, le niveau est correct mais sans excès. Les asiatiques, comme toujours dans les concours de chant, sont nombreux et remarquables. Il doit exister en Corée une école de chant d'une qualité impeccable : ils chantent bien, prononcent parfaitement toutes les langues (l'italien des coréens est nettement plus compréhensible que celui des italiens qui négligent manifestement le travail du phrasé) et jouent leur rôle avec à propos. Mais les autres sont tout justes moyens, quand ce n'est pas lamentable.


Les douze impétrants ont chanté leur partition, le jury doit délibérer. On nous offre pour attendre d'écouter des chanteurs "hors concours", dont l'une déclenche chez nos potaches en folie une vague de hourra toniturante ! Il faut dire qu'elle est vraiment catastrophique.
Puis on écoute l'arrière-arrière (??) petite-fille de Beniamino, sans doute la petite fille de Beniamino Junior, qui nous interprète au piano un petit air de sa composition que tout le monde acclame avec attendrissement. Les résultats vont être proclamés. Il ne semble pas y avoir photo, un ténor coréen particulièrement vaillant devrait être l'élu, accompagné d'au moins un ou deux autres de ses compatriotes. Il sera difficile de nommer une jeune fille dans le trio des vainqueurs, mais une russe a été assez vaillante et pourrait être remarquée.
Et là, c'est la stupéfaction : le 3ème prix est attribué à un jeune ténor italien particulièrement mauvais, dont on se demandait bien pourquoi il était encore en finale. Je le voyais parader durant les délibérations en me disant "toi, mon pauvre ami, tu vas être bien déçu". Il le fut, mais de n'avoir QUE la troisième place.
Au second rang figure tout de même un coréen, un excellent baryton qui nous a beaucoup plu et qui, de fait semblait mériter ce deuxième prix. Quant au premier, il est accordé, en se rengorgeant que les italiens soient si bons, à une jeune fille en provenance des Abruzzes qui fut, certes, la seule italienne à fournir une prestation correcte, mais qui n'était certainement pas la meilleure des femmes, et encore moins la meilleure de tous. Bref, tout le monde est ravi, l'Italie reste le domaine incontesté du bel canto et nous partons morts de rire devant une telle partialité, un tel manque de goût et un verdict aussi "démodé". Les coréens doivent être déçus et à bon droit, ils étaient nettement au-dessus du lot, mais au royaume de Rossini et de Verdi, ils n'avaient pas leurs chances. J'avoue n'avoir trouvé aucune information ni de compte rendu sur ces élections douteuses, mais Siu dénichera peut-être un article sur le sujet. C'était le 3 mars dernier !

4 commentaires:

  1. Désolée Michelaise mais sauf l'avis de concours je n'ai rien trouvé du tout, ni sur le concours ni sur ses résultats si douteux, auxquels s'ajoutent encore une fois, à mon plus grand regret, ce manque de respect et cette désorganisation, négligence ou comme tu veux l'appeler qui dans notre pays sont encore bien trop souvent à l'ordre du jour.
    Quant à Beniamino Gigli Junior il s'agit en effet du petit-fils du célèbre ténor, je viens de découvrir qu'il est médecin pédiatre et j'avoue que de son "Associazione Lirico Musicale Culturale Beniamino Gigli jr" qui organise ce concours je n'en avais jamais entendu parler avant.

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  2. Cela nous a bien amusés cette désorganisation : personne ne savait rien, et même 5 minutes avant tout était à inventer !!! au moins, cela n'était pas trop "prout prout" !! Merci d'acoir cherché cela me rassure car je n'ai rien trouvé non plus !!! mais, Bon Sens et Déraison, le seul blog qui fait vraiment l'actualité, dans ce qu'elle a de plus important et de plus rare, a fait un billet sur le sujet !! Et comme ce que je dis n'est pas très gentil, j'espère que je ne vais pas me faire incendier par quelqu'organisateur francophone et mécontent !!!

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  3. Michel de Lyon18 mars 2012 à 13:47

    Les plus à plaindre sont les participants à ce genre de concours. Déjà, dans les grands concours internationaux reconnus il n’est pas rare que ce ne soit pas l’artiste favori du public qui soit le grand gagnant. Alors, dans le cadre d’une association organisant un concours qui se veut international et hélas inconnu des instances d’enseignement chez nous cela fait planer un doute sur l’organisation, pour ne pas diffamer en disant plus. L’économie italienne étant en partie grise (comme le devient hélas l’économie grecque) on peut imaginer qu’exploiter une renommée lointaine et reconnue puisse être vue comme rentable… Ensuite : la gagnante ou le gagnant n’est pas le souci majeur des organisateurs. On a bien vu, sous nos cieux, des choses aussi étonnantes voire aussi étranges (pour peu qu’on ait des amis membres de ce type de jury). Il est vrai que cela fait au moins une expérience scénique publique pour les jeunes artistes qui se prêtent à ces entreprises. Surtout qu’ils n’hésitent pas à aller vers les vrais grands concours internationaux. C’est le seul moyen qu’ils ont de se confronter à leurs pairs et qu’ils peuvent prendre leur vraie mesure.
    Bon dimanche.
    Michel de Lyon

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  4. Nous avons parlé avec une jeune concurrente qui venait des Pouilles et qui disait qu'elle ne comprenait rien à l'organisation !!!
    Bon, nous étions tout de même à l'académie Sainte Cécile de Rome, et nous aurions aimé ne pas avoir ces vilains doutes !!! Entre le concours de quatuors à Reggio Emilia qui n'a pas donné le premier prix au motif, il faut l'entendre pour le croire, que les concurrents étaient trop bons pour les départager, et Sainte Cécile qui couronne un ténor calamiteux, quelle gabegie !! Car si nous n'étions pas vraiment d'accord avec le jury Crespin, au moins ils ont récompensé de bons chanteurs... idem pour le concours de quatuors de Bordeaux !!
    Certes, cela fait une expérience scénique mais fort brève et fort peu sérieuse !!! vous avez raison, Michel, il existe, heureusement de VRAIS concours internationaux !! Enfin, à Rome, on s'est bien amusés mais on est ressortis un peu écoeurés pour ces jeunes coréens qui avaient une technique, un talent et un sérieux qu'il était injuste de voir bafouer ...

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