lundi 2 août 2010

A TOUTE VOLEE

Ayant hier inventé pour Alter, qui déteste jouer, un jeu pas très malin je l'avoue, je lui demandais "Qu'est-ce qu'il n'y a pas sur cette île ?". La question était, je le reconnais, fort stupide, mais que voulez-vous, on ne peut pas refaire le monde, parler musique ou philosophie sans cesse ! Je voulais lui faire dire qu'on n'y voyait aucun parasol, l'utilité d'un tel instrument étant hors de propos ici. Toujours est-il qu'Alter, nettement plus sérieux que moi, vous l'avez déjà constaté, a commencé son énumération par "Il n'y a pas déglise romane". Je vous rappelle que nous habitons peu ou prou la Saintonge et que l'église romane, pour nous, c'est comme les cyprès dans le Midi ou la Seine à Paris. Normal !
Tout cela pour vous dire que, ayant décidé de consacrer mon billet à notre découverte de l'île, je me suis trouvée confrontée à un problème de taille : comment fait-on du tourisme quand il n'y a pas la moindre pierre XIIème à l'horizon ? Rien de plus facile, on "contemple" l'église Saint Pol Aurélien du bourg de Lampol... Construite dans les années 1860, elle offre une série de vitraux qui ont le mérite d'être fort assortis, sans doute tous sortis du même atelier, et qui nous a valu une querelle de (faux) experts, du genre :
- Ils datent des années 50, qu'en penses-tu ?
- Ah non, plus anciens, les années 20 plutôt... en tout cas dans le style...
- Oui, c'est exactement ce que je voulais dire, mais le temps que le style arrive ici, il a bien fallu une génération ?
J'ai eu beau parcourir avec ardeur le blog d'Ondine Morin, la jeune et jolie guide ouessantine qui a vu son auto-entreprise récompensée par le jury régional de Défi Jeunes, je n'ai pas trouvé leur date exacte. Il semble cependant qu'ils soient de 1935, ce qui, au passage, vous prouve combien Alter et moi nous nous complétons ! L'exact milieu entre nos 2 dates ! Dans le genre, si vous y pensez sérieusement, le financement d'une telle série de verres colorés a forcément représenté pour les paroissiens une mobilisation énorme, et pour une population pas forcément très riche, des sacrifices importants. On signale déjà cette ferveur à propos de la construction de l'édifice lui-même :
"Dans un grand élan de foi, les habitants apportèrent au chantier toutes les pierres qu'ils pouvaient trouver, faisant disparaître dans les murs de l'église nombre de pierres ayant servi à célébrer jadis des rites païens…" (Ouessant, l'île sentinelle. Françoise Péron, éd. Le Chasse-Marée / Armen citée ici).
Pas facile de s'enthousiasmer pour cette batisse néogothique, froide et conventionnelle, et quand on lève le nez vers le clocher, ça s'aggrave. Mais là encore, l'anecdote y pourvoit ! Cet affreux clocher à deux galeries ornées de petits pinacles saugrenus a été offert par la couronne britannique (vous m'en direz tant), financé par une souscription volontaire pour remercier la population locale pour le rôle qu'elle a joué lors du naufrage du Drummond Castel en 1896. Si vous avez 10 minutes et que les fouilles sous-marines vous passionnent, vous pouvez revivre l'histoire de cette tragédie sur le site du centre de plongée d'Audierne. Si vous préférez la lecture, c'est l'ouvrage d'Henri Queffelec, les Îles de la Méséricorde, qui retrace cette épopée.
Je pensais naïvement que les anglais étaient reconnaissants aux ouessantins d'avoir sauvé des naufragés. Que nenni. Lors de ce terrible événement, seul 3 personnes survécurent, ce ne sont donc pas des sauvetages que venait récompenser l'offrande de ce clocher, mais la sollicitude avec laquelle les gens de l'île avaient traité les noyés. Repêchés, nettoyés, lavés, arrangés au mieux, les corps de naufragés furent ensuite cousus dans des voiles de navire, dans des draps, toute étoffe servant de linceul improvisé. L'île ne disposant pas d'assez de bois, seuls un corps d'enfant et trois corps de femmes purent bénéficier d'un cerceuil. Pourvus de crucifix, de cierges et autres chapelets, les corps furent exposés, on organisa une veillée mortuaire, dans la plus stricte tradition religieuse. Pourtant tous étaient épuisés par la journée passée à recueillir ces dépouilles. Il fallait aussi creuser des fosses, à défaut de tombes. Ce n'était pas par manque de respect, ni par ségréationisme religieux (les anglais étant réputés protestants) mais tout simplement parce que le cimetière était déjà plein à cause d'une épidémie de choléra qui avait sévi dans l'île 3 ans auparavant, tuant 44 personnes. Levée des corps, saluée par les "entonneurs", ces marins à la voix solide qui accompagnaient les prières de leurs chants, bénédiction, cortège des noyés sur des civières portées par des marins, mais aussi par des femmes, la cérémonie fut longue et d'une intensité d'autant plus forte que pour tous ces gens, le naufrage était la crainte permanente, la terreur suprême. L'ampleur de la catastrophe les touchaient particulièrement. C'est leur humanité, leur sollicitude et les égards dont ils firent preuve à l'endroit des malheureuses victimes qui leur valu la reconnaissance des familles éprouvée et l'offrande de ce clocher qui domine fièrement le bourg de Lampol. Clocher qui, du coup, semble beaucoup moins laid !!



Clocher dont les tintements nous ont accompagnés dans notre promenade au sud de la baie, vers Porz Goret et Feuteun Velen. Car l'église est desservie par des "prêtres bénévoles" : j'avoue que l'expression m'a laissée pantoise, j'imagine qu'on veut dire qu'ils sont volontaires pour venir dire la messe dominicale à tour de rôle. Il est fini le temps où l'île avait son propre prêtre, tous enterrés dans un enclos derrière l'abside. Souvent ils mouraient jeunes et les tombes qui leur sont consacrées consittuent une émouvante visite à ces hommes venus finir leurs jours au service des îliens.

Une bien jolie balade qui offre des vues superbes, vers les phares et ces roches terribles qui pontuent la côte. Au loin, la pointe de Pern, hérissée de rochers ciselés par l'érosion maritime. Des phares, balises de survie pour les marins de l'île et d'ailleurs, dont celui de la Jument, celui du Créac'h que l'on voit de partout, et celui de Nidivic, qu'il fallut 24 ans pour construire. Il est ponctué de ses deux pylones qui y apportaient dans les années 30 l'énergie électrique nécessaire à son fonctionnement. Ces câbles aériens servaient aussi de téléphérique permettant aux hommes et au matériel de rejoindre le phare.


Partout des tapis de bruyères rases, drues à rendre jaloux un pépiniériste, tant elles forment des coussins colorés d'une rare élégance. Par ci par là, des trous dans la tourbière, aux endroits où l'on a prélevé des mottes destinées à cuire l'agneau local pour les touristes patients. En effet, il faut commander la spécialité locale la veille pour déguster cette recette particulière à l'île, l'agneau cuit dans les mottes. Les arbres étant quasi inexistants sur l'île, les Ouessantins utilisaient comme combustible les ajoncs et les mottes découpées sur les pelouses littorales. On élevait ici une race ovine spécifique, le mouton d’Ouessant, caractérisé par sa toison épaisse imperméable à l’eau, ses cornes enroulées comme celles du mouflon, et sa petite taille. Chaque famille possédait une ou deux bêtes qui vivaient parquées dans une parcelle close (afin de protéger les cultures). De septembre à février, les troupeaux évoluaient en liberté – chaque bête était marquée à l'oreille par des entailles. Lorsque les moutons blancs, plus gros, sont introduits progressivement, la race ouessantine décline inexorablement jusqu’à aujourd’hui pour devenir un animal d’ornement : il reste àpeine une dizaine de couples réintroduits par des particuliers sur l’île…
Fort heureusement, la disparition de la race n’a pas entraîné celle de la recette ancestrale qui lui était associée : le ragoût d’agneau d’Ouessant dans les mottes – même s’il s’agit d’agneau importé. Comme tous les ragoûts, c’est un plat pauvre, confectionné à partir des bas morceaux (poitrine, épaule, collier) et des légumes disponibles dans le potager. Au bois, on a substitué des « mottes » extraites des pelouses littorales, prélevées à l’aide d’un instrument spécial, la « mar », une sorte de bêche. Une tradition qui fait aujourd’hui polémique, car il faut longtemps pour que le tissu herbeux se reconstitue.

Au retour, une halte au Ti A Dreuz s'imposait d'autant plus que le crachin s'intensifiait. La "Maison de Travers" fut le premier hôtel de l'île à l'enseigne obligée d'Hôtel des voyageurs. Peintres et écrivains y séjournèrent, laissant dans leurs oeuvres des descriptions précises des lieux. C'est maintenant une crêperie dont les galettes sont délicieuses, craquantes et parfumées à point. La Joséphine, qui figure sur ma photo, a tiré son nom d'un autre bateau naufragé... mais je vois que vous froncez les sourcils, assez de catastrophe pour aujourd'hui !!

10 commentaires:

  1. Je suis restée sans voix devant les tapis de bruyères rases et drues, avec leurs couleurs denses et lumineuses à la fois.
    Une photo d'une rare beauté...
    Bonne soirée !
    Norma

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  2. J'ai trouvé l'histoire du clocher très émouvante. Merci de nous l'avoir racontée de manière si touchante.
    Anne

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  3. Toujours passionnant de te lire.

    Bon séjour.

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  4. Je n'ai pas pu retourner en Bretagne depuis l'automne dernier et les bruyères de la Cornouaille me manquent...bientôt les agapanthes seront en plein épanouissement dans les jardins.
    Kenavo
    (Josette)

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  5. Bonjour, Michelaise.
    Quand on veut, on peut.
    Quand on cherche on trouve.
    Mais pas forcément ce que l'on cherche.
    Et c'est quelquefois surprenant.
    Merci beaucup pour Ouessant.
    Et pour ce partage
    Je t'embrasse.

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  6. Que d'histoires pour un clocher si simple en apparence !
    J'aime aussi beaucoup les bruyères !

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  7. Tout cela me rappelle la semaine passée en Irlande avec un de mes fils.
    Mêmes paysages,même atmosphère,pas de parasols non plus

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  8. Merci à tous de votre enthousiasme, qui, je l'espère et je le sens, va plus à la Bretagne qu'à ces lignes finalement bien banales... ravie d'avoir réveillé chez vous des souvenirs, des envies de crachin, une nostalgie de brume et d'Océan !!!

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  9. Le lien vers le site de la jeune guide ne semble pas opérationnel... Heureusement que tu as repris le flambeau pour nous guider ! Que de beautés...

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  10. J'ai trouvé son site. Je me laisserais bien tenter par "l'animation tempête" !

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