CACHEZ CE SEIN !!

Découvert lorsque nous parcourions le Massif Central, trop désargentés pour nous offrir des vacances plus lointaines, le Gaperon d'Auvergne est resté un fromage appécié à la maison. Originaire de la plaine de la Limagne et plus particulièrement de la région de Billom (Puy-de-Dôme), il est assaisonné d'un ail rose, aux qualités gustatives remarquables. Parsemé de grains de poivre qui en relèvent le goût et décorent joliment la pâte, ce fromage est réservé aux connaisseurs. On peut l'aimer vieilli mais j'avoue le préférer moëlleux, souple et tendre sous le doigt.

Sous le doigt ? Que dis-je ?? C'est lové au creux de la paume que mon fromager ce matin le brandissait, en riant à gorge déployée.

- Quelle taille voulez-vous ?

- Pourquoi ?? il y a plusieurs tailles ? Ah oui, je n'avais pas vu les petits...

- Ceux-là, ce sont des bonnets A. Celui que je tiens, c'est un C !

Polie, je n'ose le contredire, mais un quidam, non moins hilare, le reprend :

- Mais non, c'est du B...

- Un grand B alors... croyez-moi, je m'y connais, j'ai du C à la maison, et cela donne à peu près cela.

Et de tâter expertement mon fromage, qui promettait d'être de plus en plus tendre !
...

- Je suis plutôt de l'avis de monsieur, c'est plutôt du B.

Devant la moue dubitative du fromager en pleine exploration tactile, je n'ai osé lui proposer de vérifier mon assertion, mais j'étais sûre de moi, le B, je connais ! Alter, consulté, a confirmé !!!

Pourtant la légende prétend que la forme du Gaperon s'inspire du Puy de Dôme. A l’origine, il était fabriqué par les fermier de Maringues et de ses environs. C'est encore dans cette ville que se tient chaque lundi un marché aux fromages où le petit dôme blanc tient une place de choix. Lorsqu'on fabrique le beurre, il reste le babeurre, appelé gaspe (ou gape) en Limagne, que l’on peut transformer en fromage. Pour lui donner un peu de goût, les paysans ont eu l’idée d'y ajouter du sel, du poivre et surtout de l’ail. Son affinage se faisait à l’air libre, accroché à l’intérieur d’un torchon noué, à la poutre maîtresse de la cuisine près de la cheminée.

La croûte est ferme et légèrement fleurie, la texture est souple et plutôt grasse, quant à la saveur, soutenue, elle enchante la papille. S'il vous en reste un peu, réduit à l'état de "rogaton" peu appétissant, vous pouvez l'émietter dans une écrasée de pommes de terres, avec un peu de lait pour adoucir l'ensemble : cela donnera un arôme savoureux à vos patates !

Finalement, cette petite boule blanche aux saveurs épicées et aux parfums appuyés reste très exotique : aurions-nous à l'époque parcouru le Japon et découvert les sushis, dégusté le mezze au Liban, déniché les taztziki en Grèce... nous serions aujourd'hui dépassés par la diffusion tous azimuts de ces mets devenus banals. Tandis qu'un Gaperon fait encore son effet sur un plateau de fromage. Et les dames, qui en sont friandes, s'en coupent une large tranche en intimant à monsieur l'ordre d'en faire autant, au risque que la nuit soit pour eux plutôt inconfortable !! C'est un fromage qui se mange à deux !! Et c'est ainsi qu'Oxy et Aloïs ont honoré, sans s'être consultées, mon fromage odoriférant !! Un petit verre de Côtes d'Auvergne, ou à défaut un Saint Emilion, rendront la dégustation encore plus attrayante.