mardi 4 juin 2013

HERMIONE



Quand elle sombra, le 20 septembre 1793, par la faute d'un pilote incompétent qui lui fit accrocher les hauts-fonds du plateau du Four, au large du Croisic, l'Hermione n'avait que 14 ans et une brillante carrière ! Construite dans l'arsenal de Rochefort en moins d'un an, elle fut mise à la mer le 28 avril 1779 et s'est distinguée en commençant sa carrière par la capture de plusieurs corsaires anglais et de nombreux navires marchands. Mais son principal titre de gloire est d'avoir embarqué, le 10 mars 1780 le marquis de La Fayette vers les états Unis, lors de son deuxième et décisif voyage vers le Nouveau Monde. La frégate, désormais aguerrie, participa à cette occasion à de nombreux combats : en mai 1780, son gréement fut rudement touché lors d'une bataille contre l'Iris, mais ce sont pourtant les français qui obligèrent les anglais à rompre. Le 16 mars 1781, elle participe à une bataille qui coince les anglais dans la baie de Chasepeake, lors d'un blocus maritime empêchant ces derniers de recevoir des secours. Le 4 mai de la même année, l'Hermione se transforme en salon diplomatique et reçoit à son bord une délégation du Congrès Américain. Elle joue enfin un rôle non négligeable dans la victoire de Louisbourg, au Canada, puisqu'elle tire 509 coups de canons ! La scène est rendue avec un grand réalisme par Auguste Louis de Rossel de Cercy, dans une toile de 1788 réalisée pour Louis XVI.



Ce peintre et officier de marine avait reçu en 1786 du roi commande de 18 tableaux retraçant les principales victoires de la Marine française lors de la guerre d'indépendance d'Amérique. Ces toiles étaient à vertu pédagogique puisqu'elles étaient destinées aux murs des salles d'instruction des élèves de la Marine à Brest, à Rochefort et à Toulon. C'était pour le peintre une commande d'importance puisque chaque scène devait, outre l'original, être copiée deux fois : un exemplaire étant destiné à l'officier de marine français vainqueur du combat représenté (délicate attention royale !) et l'autre destinée au ministre de la Marine. En 4 ans, et malgré les agitations politiques diverses, le peintre a réussi à réaliser 16 toiles et 33 copies. Tant et si bien qu'en 1790, le Parlement classa cette série comme "monument national... sans pour autant payer l'artiste, en tout cas pas assez à son goût. Ce n'est qu'en 1802 qu'il obtint enfin gain de cause. Ce témoignage important des combats livrés sur mer pour l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique est en grande partie conservé au musée national de la Marine. 




Le musée de Rochefort possède une copie destinée au Maréchal de Castries, secrétaire d'Etat à la Marine, du combat de Louisbourg et c'est d'autant plus passionnant qu'il s'agit là du seul "portrait" qu'on possède de l'Hermione, en action, noyée dans un épais nuage de poudre et participant aux côté de l'Astrée à un affrontement décisif.




Les deux frégates, commandées par La Pérouse, sont encore en train de combattre vaillamment cinq bâtiments anglais, et déjà le navire anglais a amené son pavillon et se rend en chaloupe, ornée d'un drapeau blanc, auprès de La Pérouse. La peinture, réalisée à la gloire de la marine française, immortalise cette reddition, tout en décrivant le combat qui vient d'opposer les deux armées.




Le lieutenant de frégate auxiliaire Mullon, présent à bord de l'Hermione le jour du combat, a laissé une représentation détaillée du déroulement des opérations : et l'on voit que Rossel de Cercy a, dans sa toile, habilement mêlé la deuxième étape, quand la bataille fait rage, et la fin glorieuse de la prise du Jack par les français. 

En février 1782, l'Hermione rentre à Rochefort pour repartir bien vite aux Indes, en renfort de l'escadre de Pierre André de Suffren, dans le conflit qui oppose de nouveau la France et les Anglais pour le contrôle du golfe du Bengale. La paix étant signée en 1783, l'Hermione retourne à Rochefort en avril 1784. Dès lors, elle aura pour mission d'escorter des navires marchands, en particulier vers l'Inde. Pourtant, en 1793, en pleine guerre de Vendée, elle reprendra du service contre l'Angleterre, de nouveau opposée à la France révolutionnaire, après l'exécution du roi. Elle capture un corsaire, et basée dans l'embouchure de la Loire, elle appuie les troupes républicaines contre les vendéens. C'est au cours d'une de ces sorties qu'elle connaitra un sort funeste et sombra sans rémission, sans qu'il y ait toutefois mort d'hommes à déplorer*. Par contre, la frégate, bien que retrouvée et fouillée en 2005, fut définitivement perdue et, considérablement abîmée, n'a livré que fort peu de souvenirs.




C'est en 1997 qu'une équipe de passionnés a décidé de se lancer dans la folle aventure de reconstruire l'Hermione et de lui faire faire le voyage de La Fayette... personne ne donnait cher de leur projet en ces années-là. Nous avons ainsi vu, au fil des ans, le bateau prendre forme, et maintenant, se préparer pour la grande traversée, suivant le chemin parcouru par La Fayette pour rejoindre les insurgés américains en lutte pour leur indépendance. Nous amenions nos amis visiter le chantier : au début, la quille et les couples. Puis un jour tout était fermé, le bordage était terminé, on parlait sérieusement de calfater. Plus tard on vit apparaître le pont, le tableau arrière, des couleurs, le gréement s'affinait et on dévoila la figure de proue en 2011. Mis à l'eau en juillet 2012, il est maintenant en phase de pose des mâts et on peut le visiter "pour de vrai", en attendant qu'il prenne la mer, si tout va bien, en 2015.


On ne possédait aucun plan du bateau et il fallut se livrer à une étrange opération pour reconstituer ce navire mythique. En effet les anglais avaient capturé le 15 février 1783 une frégate identique à l'Hermione, la Concorde et, avant de l'incorporer à la Royal Navy, avaient fait des relevés qu'on pourrait assimiler à de l'espionnage industriel ! Ils voulaient s'inspirer des techniques de construction de l'arsenal de Rochefort pour mieux armer leurs bateaux. Ce sont ces plans, rachetés à nos anciens ennemis à prix d'or, qui ont permis de reconstituer la frégate qui les combattit vaillamment.


Ces navires de guerre légers et rapides, étaient trop faiblement armés pour participer aux combats en ligne où s'affrontaient de puissant vaisseaux à deux et trois ponts. Ils avaient un rôle primordial d’assistance, d'accompagnement et d'information. Voyez sur la toile de Rossel de Cercy l'épais nuage de fumée qui enveloppait les batailles : impossible pour les acteurs de voir les messages du navire amiral. C'étaient les frégates qui faisaient office de transmetteurs d'ordres. Rochefort en mit à l'eau une centaine entre 1748 et 1798.


On attend avec impatience, et beaucoup d'admiration pour l'entreprise qui semblait folle et qui va se réaliser, le départ de l'Hermione : les premiers membres d'équipage ont été nommés : le commandant sera Yann Cariou, un breton, ancien de la Marine nationale qui a commandé l'Etoile, la Belle Poule et le Belem. Il a déjà choisi son bosco : Ludwig Fernando Perrez, qui est déjà sur le chantier et participe activement à la fabrication du gréement. 80 membres d'équipage seront peu à peu recrutés et feront naviguer la frégate en trois équipes. Autant dire que c'est un chantier vivant que nous avons visité l'autre jour, et que j'espère, vous aurez envie de voir avant qu'il ne parte pour les îles Canaries, sa première escale vers l'Amérique !

En visitant, vous contribuez à la construction du navire. Merci 
60% du budget sont assurés par les entrées et les visites, avouez qu'on se sent utile et fier de participer...
Mais je vous conseille la visite guidée de l'intérieur du navire : pensez à réserver, il n'y a que 18 places par visite !!


NOTE :
* Témoignage du capitaine : "Aujourd'hui vingt septembre mille sept cent quatre vingt treize l'an 2ème de la République française une et indivisible, la frégate l'Hermione commandée par le citoyen Martin Capitaine de Vau est appareillée de Mindin dans la rivière de Nantes pour se rendre à Brest avec un convoi d'après l'ordre qu'il en avait reçu du Ministre. Le 7 dudit mois, le vent étant au NE petit frais, le pilote de la rivière quitta la frégate lorsqu'il fût en dehors de la roche le Charpentier. Il la remis entre les mains du citoyen Guillaume Guillemin pilote côtier de la frégate et provenant du bâtiment le Phénix qui avait relevé l'Hermione à la station de Mindin. Le vent était du NE variable au N.N-E., nous étions au plus près tribord, amures sous le petit hunier et le perroquet de fougue pour entretenir un convoi de 12 bâtiments que je devais mettre devant Brest. A 6 heures du soir on fit un relèvement. Le pilote côtier y assista et ce fut lui même qui donna le nom des pointes qu'on ne connaissait pas. A 6 h.1/4 un grand bâtiment du convoi qui se trouvait derrière la frégate vira de bord. Je demandais au pilote pourquoi ce bâtiment virait et s'il y avait du danger à craindre sous le vent. il me répondit que non. Dix bâtiments du convoi étaient de l'avant de la frégate. Lorsqu'on cria brisants sous le vent le pilote assurait que ce n'était pas des brisants mais la force du courant qui faisait cet effet...... A 8 heures du matin la mer se trouvant au 2/3 basse la frégate a donné de la bande dans un instant avec une vitesse incroyable et dans ce mouvement rapide et s'est crevé totalement le coté de tribord. J'ai continué à faire travailler à sauver tous les effets de conséquence qui se trouvaient possible et de les faire transporter à bord du chasse marée ou nous avons été prévenus que si les vents passaient à l'ouest avec force il serait possible dans la position ou se trouvait la frégate qu'il périrait beaucoup de monde. A la basse mer la frégate nous a paru totalement crevée. L'équipage s'est décidé avoir de l'abandonner et a passé sur les chasse-marées qu'on nous avoient envoyé du Croisic. J'ai abandonné le bâtiment à 10 heures du matin le dernier avec le maître d'équipage qui a donné trois coups de sifflet pour s'assurer qu'il ne restait plus personne à bord. Je n'ai que le meilleur témoignage à rendre de l'Etat Major et des principaux maîtres et de tout l'équipage qui se sont tous portés avec le plus grand zèle la plus grande activité à exécuter les ordres que j'ai donnés jusqu'au moment où nous avons abandonné la frégate.





On ne peut attribuer qu'à l'ignorance du pilote côtier la perte de la frégate qui parait infaillible. Malgré tout ce que j'ai pu lui dire il m'a donné toutes les raisons qu'il s’était trompé et qu'il ne se croyait pas aussi près du Four. Je l'ai amené à terre avec moi et l'ai remis entre les mains du juge de paix, avec une dénonciation par écrit par laquelle je demande que ce pilote soit interrogé publiquement devant tout mon équipage et le public du Croisic, afin qu'il soit constaté juridiquement que c'est par sa faute seulement que la frégate a été mise à la côte. En foi de quoi, nous avons clos et arrêté le procès verbal signé du nom de l'Etat-major et de ceux de l'équipage qui savaient écrire."




6 commentaires:

  1. Michel de Lyon5 juin 2013 à 09:18

    Vous rallumez un intérêt qui me poussait épisodiquement à consulter le site consacré à la reconstruction de ce bateau. Je ne me rappelais pas qu'il puisse être mis à l'eau aussi tôt. Je n'ai vraiment pas le pied marin, mais je vous envie de pouvoir un jour, je l'espère, mettre vos pieds sur ce magnifique navire et nous raconter ce que vous aurez vu. Un grand merci à ces fous qui ont osé concevoir un tel projet, faire travailler tous les artisans concernés, et nous faire rêver à ce qui, pour moi, n'était qu'une connaissance livresque avec les excellents romans d'Alexander Kent (Captain Bolitho). Je vous pique la dernière photo pour me faire un fond d'écran. Après nos journées plus que maussades et la réapparition du soleil, elle va très bien avec mes envies d'évasions vers les îles.
    Merci Michelaise.

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    1. AH mais c'est fait Michel, nous l'avons visité et dans les profondeurs !! j'ai mis assez peu de photos de l'intérieur car finalement c'est assez spartiate et pas trop photogénique : même la cabine du commandant est modeste ! incroyable d'ailleurs : tout est démontable, le parquet, les cloisons, les meubles (il n'y a presque rien d'ailleurs) s'enlève en cas de combat pour laisser la place aux canons ... Les heureux élus qui vont faire le voyage de 2015 n'auront pas un grand confort, même si, dans les soutes, à la place des canons, on mettra des frigos et un groupe électrogène pour faire fonctionner l'électronique indispensable à la sécurité du voyage, ils dormiront eux aussi dans des hamacs !!
      Piquez, piquez donc je suis enchantée que l'Hermione ensoleille votre écran. Quant à l'entreprise de reconstruction, que nous avons suivie dès ses débuts, Dieu sait qu'elle paraissait folle : on était persuadés que jamais le bateau ne serait mis à l'eau, et encore moins susceptible de naviguer. Le sérieux de l'opération et la constance des membres de cette association a réalisé des miracles, c'est chouette !
      Il faudra venir la voir notre Hermione !! c'est pas si loin Lyon maintenant qu'on a une autoroute entre l'est et l'ouest ! on voit plein de 69 ici, chose rare autrefois ...

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  2. L'an dernier, accompagnant ma cadette à un concours, je me trouvais à Rochefort, ravie à l'idée de visiter ce fabuleux chantier...Las, c'était un jour de fermeture exceptionnelle du chantier !!! tu imagines ma déception... c'est vraiment un extraordinaire projet, Dieu sait si ce mot est galvaudé mais là il est bien à sa place... je me suis rabattue sur le musée des cordages, passionnant aussi...
    merci pour ce billet qui comble un peu cette déception!

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    1. Tu sais le cas de Rochefort est étonnant : il y a trente ans c'était une ville morne, qui ronronnait et dans laquelle aucun touriste n'aurait eu l'idée d'aller ... maintenant c'est hyper touristique : l'Hermione bien sûr, la corderie, mais aussi le musée de la Marine, l’hôpital de la Marine (depuis peu) le conservatoire du Bégonia, le musée Hèbre de Saint Clément (superbe) et bien sûr, la maison de Pierre Loti (en travaux actuellement)... pleine de ressources passionnantes. Une autre fois Catherine !

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  3. Michelaise tu nous embarques ! Bravo !
    Bises.

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    1. Il faut venir la visiter avant qu'elle ne vogue vers l'Amérique... ce n'est pas si loin de chez toi !

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