lundi 1 juillet 2013

DE NITTIS A PADOVA

La nervosité de la femme, son élégance "racée", la puissance du chien, l'ambiance de la foule des nourrices et autres promeneurs en fond de scène font de La femme au chien une des toiles marquantes de De Nittis.

L'exposition du Petit Palais, une vraie découverte en décembre 2010, s'intitulait "De Nittis, la modernité élégante". Celle de Padoue, plus sobrement, ne reprenait que le nom de l'artiste, plus connu en Italie, mais sous-titrait, en français "Plus parisien que tous les parisiens".
Et pourtant, plus imbibé de culture italienne, y a pas !! J'ai déjà parlé de son profil de héros romantique : né à Barletta en 1846, il grandit dans les Pouilles dans un milieu assez à l'aise mais son père est un opposant politique qui ne cache pas ses opinions et se retrouve emprisonné pour idées subversives. Sa mère en meurt de douleur en 1849 et son père lui-même se suicide en 1856. Les enfants sont confiés au grand-père, architecte, et en 1860 tout ce petit monde part à Naples pour y faire de bonnes études. Et voilà que Guiseppe, le petit dernier, décide de devenir peintre. Sa famille s'y oppose mais il est têtu : il rentre à l'Institut des Beaux-Arts dont il se fait virer rapidement : il a trop de caractère et les méthodes enseignées lui pèsent vite. Il se lie d'amitié avec un florentin Adriano Cecioni, un macchiaolo avec lequel il fonde l'école de Resina, leur principal credo étant leur volonté de peindre en plein air. (1) Ils se sépareront bientôt à cause du très mauvais caractère de Cecioni, et De Nittis part à Paris. Il y va une première fois en 1867 pour un simple séjour et aime tellement la ville qu'il revient s'y installer définitivement l'année suivante. Et là, il est pleinement heureux.

Le portrait de Léontine Gravelle, intitulé "Hiver" est éblouissant de tendresse et de sensibilité. L'ambiance douce et feutrée de cet intérieur très féminin, ivoire et rosé, contraste avec l'extérieur glacé, piqué de neige et de cristaux de glace. 

Il fait un vrai mariage d'amour avec Léontine Grivelle, dite Titine, et une carrière fulgurante lancée par la Maison Goupil qui lui signe un contrat très avantageux en 1872. Contrat qui lui permet de vivre avec aisance mais qu’il rompra en 1874 car il se sent trop contraint par les exigences de son commanditaire.
Les marchands et les collectionneurs s'arrachent ses œuvres, il expose régulièrement et avec succès, et un séjour à Londres lui permet d'établir des relations durables (et fructueuses) avec un banquier, Kaye Knowles, qui va devenir son principal mécène (2).


Amis de Manet, Degas et Caillebotte, il participe à la première exposition des Impressionnistes mais certains d'entre eux, jaloux de son succès, provoquent son éviction du groupe. Généreux et sans rancune, il achète quatre toiles à Monet et deux études à Berthe Morisot.
Mais la ville le fatigue et il rêve d'aller s'installer à la campagne, il achète une maison à Saint Germain en Laye(3). C'est malheureusement là qu'il meurt prématurément en 1884, frappé par une embolie cérébrale : il n'a que 38 ans.


Son oeuvre, lumineuse, inventive, ses portraits, d'une beauté à couper le souffle et d'une grande acuité psychologique, ses paysages magnifiques, ses vues urbaines rendant admirablement l'ambiance parisienne, son aptitude spontanée à saisir l'ambiance des lieux qu'il décrit (qu'on en juge par cette extraordinaire route verglacée), tout cela en fait un peintre d'une exceptionnelle qualité et qui mérite largement l'hommage des deux expositions visitées. Il est juste que la France, à travers l'exposition parisienne du Petit Palais lui ait enfin rendu hommage, lui qui l'aimait tellement : "J'aime la France avec passion, et de façon désintéressée, plus que tout français." Même s'il admet avoir préféré le sens de l'hospitalité des londoniens, il reconnait volontiers que c'est la France qui l'a, en premier, encouragé et qui a fait sa fortune.

N'est-elle pas craquante cette charmante petite parisienne, juchée sur une chaise pour mieux suivre les "Courses à Auteuil", son jeune et fringant époux, monocle, haut-de-forme, canne et moustache virile, suivant les chevaux avec une attention distinguée.

Mais, au-delà de ce talent virtuose, ce qui m'a le plus frappé chez De Nittis, c'est son inlassable gentillesse, sa bonne humeur légendaire et sa générosité jamais prise en défaut. Même quand il aura rompu avec Goupil, rupture très "civile" au demeurant, il restera en contact avec son ancien vendeur et n'aura de cesse de lui recommander nombres de peintres amis, moins chanceux que lui, afin que la Maison d'Edition les prenne sous son aile et leur achète leurs œuvres, voire les mensualise, pour leur permettre de vivre sans souci financier.

Les convives sont ici peu nombreux, juste Titine et leur fils pour un "Déjeuner au jardin", d'autant plus émouvant qu'il a été peint en 1883-84, peu de temps avant la mort du peintre. Dans cette scène dominicale, emplie d'une sérénité rêvée (les fameux oiseaux blancs désirés par le peintre sont là, sous l'ombre accueillante) on lit toute la quiétude d'une fin de repas, partagé avec ceux que l'on aime. De Nittis a voulu saisir cet instant, et, peignant son épouse et son fils, il a laissé au premier plan sa place désertée, son assiette vide, sa tasse abandonnée et sa serviette négligemment posée sur le bord de la table. Sans avoir qu'il faisait oeuvre prémonitoire : quelques mois à peine après cette peinture, il quittait sa famille pour toujours.

La maison de Peppino et de Titine était un vrai refuge d'amis. Très appréciés pour leur hospitalité jamais prise en défaut, ils organisaient des "samedis de l'amitié", fréquentés par un aréopage de célébrités,Heredia, Daudet, Degas, Manet (que De Nittis préférait à tous les autres), Desboutin, Caillebotte, Zola, Dumas fils, les frères Goncourt. Et comble de talents, De Nittis adorait faire la cuisine et l'arrivée dans la salle à manger d'énormes plats de pâtes concoctés par ses soins, ravissaient ses invités et sont restés légendaires parmi ses amis.


Nous avons retrouvé à Padoue nombre d’œuvres déjà admirées à Paris, et d'autres encore inédites pour nous, toutes nous confortant dans l'idée que De Nittis est vraiment un des plus grands peintres de la fin du XIXème siècle. Et, comme le montre ce pastel de la fin de sa vie, résolument moderne !


Désolée : le Portrait de la fille de Jack La Bolina, par Corcos, et non par De Nittis, n'est disponible qu'en assez mauvaise reproduction Scala, mais on y voit bien en quoi le peintre a pu, sans complexe, signer De Nittis 

Une section amusante terminait l'exposition de Padoue, consacrée à un certain Vittorio Corcos, plagiaire "officiel" de De Nittis : un italien qui, doué d'un excellent coup de pinceau, a réalisé peu après la mort du peinte quelques faux De Nittis qui passèrent longtemps pour vrais ! La demande était si forte !! Jusqu'à ce qu'on les analyse et qu'on les lui rende, mais il faut avouer que le style du maître, du moins du De Nittis mondain, y est ! Trois toiles, Femme au chien et Heure tranquille, en provenance d'une collection privée (les pauvres ! voir "son" De Nittis devenir un Corcos, quelle déception !!) et La fille de Jack La Bolina de la Galerie d'Art moderne du Palais Pitti à Florence, ont ainsi retrouvé, à l'occasion de cette exposition, leur véritable auteur.  


-----------
NOTES

(1) Souvenirs du peintre  : “A volte, felice, restavo sotto gli improvvisi acquazzoni. Perché, credetemi, l’atmosfera io la conosco bene; e l’ho dipinta tante volte. Conosco tutti i colori, tutti i segreti dell’aria e del cielo nella loro intima natura. Oh, il cielo! La natura, io le sono così vicino! L’amo! Quante gioie mi ha dato! Mi ha insegnato tutto: amore e generosità. Mi ha svelato la verità che si cela nel mito… Anteo che riprendeva vigore ogni volta che toccava la Terra, la grande Terra! E con loro il cielo che io mi raffiguro i paesi ove sono vissuto: Napoli, Parigi, Londra. Li ho amati tutti. Amo la vita, amo la natura. Amo tutto ciò che ho dipinto.”.
Parfois, heureux, je restais même sous les averses. Parce que, croyez-moi, l'atmosphère, je la connaissais bien, je l'avais peinte tant de fois. Je connaissais toutes les couleurs, tous les secrets de l'air et du ciel dans leur nature la plus intime. Oh le ciel ! La nature, j'en suis si proche ! Je l'aime ! Qu'elle me donne de joies ! Elle m'a tout appris, amour et générosité. Elle m'a révélé la vérité qui se cache derrière le mythe... Antée qui reprenait vie chaque fois qu'il touchait la Terre, la grande Terre (sa mère !). Et avec elle, le ciel qui pour moi représente les pays dans lesquels j'ai vécu : Naples, Paris, Londres. Je les ai tous aimés. J'aime la vie, j'aime la nature. J'aime tout ce que j'ai peint"

(2) Souvenirs du peintre : “Dipinsi per lui dieci quadri senza tenere conto di quelli che egli stesso aveva acquistato altrove e feci anche il suo ritratto e quello di Mrs. K. Mi promise che avrebbe lasciato tutto per testamento alla National Gallery e ciò mi farebbe veramente piacere. In casa sua vi era un’intera sala dedicata ai miei quadri. Al piano superiore in un grande salone, aveva raccolto tutte le mie opere che aveva acquistato un po’ dovunque. - Questa è la mia preziosa galleria – soleva dirmi.”.
J'ai peint pour lui dix cadres, en plus de ceux dont il avait fait l'acquisition par ailleurs, et j'ai également fait son portrait et celui de Mrs K. Il m'a promis qu'il laisserait toute sa collection par testament à la National Gallery, et cela me ferait vraiment plaisir. Dans sa maison, il y avait une pièce entière dédiée à mes peintures. A l'étage supérieur, dans un grand salon, il avait rassemblé toutes mes œuvres qu'il avait achetées un peu partout ! "Voici ma précieuse galerie" me disait-il.

(3) Peu de temps avant sa mort, il écrit encore : “molti bei progetti per l’avvenire! Prima di tutto ce ne andremo da Parigi, dove la vita mi soffoca: Parigi distrugge tutti. E se poi, un bel giorno, mi dovessi ritrovare simile agli altri, immeschinito dalla ambizione, dalla stanchezza o dalla collera? Anche io non sono che un uomo! […] ho già trentotto anni ed è tempo che cominci a ragionare. Saranno dei giorni magnifici e avremo tanti fiori, di ogni specie. Un vero paradiso. Alleveremo una quantità di animali bianchi, trampolieri rosa e ibis. È un vecchio sogno!”.
J'ai encore de nombreux beaux projets pour l'avenir. Avant tout, nous quitterons Paris où la vie me suffoque : Paris détruit tout. Et si, un beau jour, je devais me retrouver semblable aux autres, rendu mesquin par l'ambition, la fatigue ou la colère ? Après tout, je ne suis qu'un homme ! [...] J'ai déjà 38 ans, et il est temps de me mettre à raisonner. Nous aurons (hors de Paris) des journées magnifiques, nous vivrons au milieu de quantités de fleurs de toutes espèces, un vrai paradis. Nous élèverons des animaux blancs, des flamants roses, des ibis. C'est un vieux rêve.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...