Comment résister à l'actualité ? On fête aujourd'hui la Saint Nicolas et vous pourrez d'autant moins passer à côté que cet évêque, ardent défenseur de l’orthodoxie catholique, a rapidement fait fortune comme "père Noël" christianisé. Toujours accompagné du Père Fouettard, il s'est fait une spécialité d'apporter des cadeaux aux enfants sages et, même si la tradition n'est pas très courante sous nos climats, nous la connaissons tous. Certains d'entre vous savent sans doute que j'ai forcément une attirance particulière pour ce saint dont je me suis demandé longtemps s'il était Nicolas de Myre ou de Bari ! En fait ces deux Nicolas sont un seul et même homme.
Sa vie documentée est assez classique pour l'époque : il est né à Patare en Lycie vers 270 de parents chrétiens : son
père, Euphémius, était un homme riche, pieux et charitable ; sa mère,
Anne, était la sœur de Nicolas l’Ancien, évêque de Myre.
Ses parents étant morts lors d'une épidémie de peste, il se retrouva jeune à la
tête d'un riche héritage, et décida de consacrer sa fortune à de bonnes œuvres. Il semble que ce fut son oncle qui l’ordonna prêtre, et il devint supérieur du monastère de Sainte-Sion, près de Myre. Quand Nicolas l'Ancien (son oncle donc) mourut, les évêques de la province le choisirent pour lui succéder. Il semble avéré qu'il fut le guide doctrinal de son peuple,
son défenseur dans les périls des persécutions, sage administrateur des
biens de la communauté chrétienne et organisateur zélé d'œuvres charitables.
Jeté en prison durant les dernières années de la persécution de Dioclétien, il
fut délivré à l'avènement de Constantin et revint à Myre. L'idolâtrie était
encore vivace : Nicolas la combattit, renversant le temple de Diane qui
était le centre de la réaction païenne dans la ville de Myre ; en un temps
de famine, il s'attacha à procurer les vivres nécessaires à son peuple.
Enfin, au cours de son épiscopat, il combattit les erreurs
d'Arius, et fut l'un des 318 évêques qui condamnèrent l'arianisme au premier
concile de Nicée. Il mourut vers 325 et fut canonisé assez rapidement. Vers 1087, comme la ville de Myre était
au pouvoir des Turcs, des marchands de Bari décidèrent d'enlever ses reliques et les apportèrent dans leur ville où une église magnifique
fut construite en l'honneur de saint Nicolas. D'où son double nom !!
Voilà pour les faits historiques ou du moins ce qu'on a pu en reconstituer. Mais ce qui est passionnant c'est sa légende ! Car c'est elle qui donne matière à iconographie et qui a inspiré les peintres, les enlumineurs et tous ceux qui ont aimé le représenter au cours des siècles. Fra Angelico fut de ceux-là et la Pinacothèque Vaticane a prêté à l'exposition Jacquemard André une de deux prédelles qui appartenaient au polyptyque aujourd'hui démembré, réalisé pour l'église san Domenico de Perugia. Le sujet principal de l'ensemble était une sacrée conversation et la prédelle illustrait la vie de Saint Nicolas. Sur le petit panneau présenté à l'exposition figurent des épisodes du début de la vie du saint.
D'abord sa naissance, située dans un édifice ouvert côté spectateur, de manière à voir l'intérieur de la chambre de la parturiente .Cette scène illustre un des épisodes que la légende attribue à l'enfance du saint :
on dit
que le jour de sa naissance il se tint debout dans le bain que lui donna sa nourrice. On ajoute même, mais cela n'est pas représenté ici, que Nicolas manifestait dès l’enfance une tendance innée à la pratique du
jeûne : les imagiers médiévaux aimaient à reproduire le nourrisson
repoussant d’un geste décidé le sein maternel.
L'enfant
fut ensuite pieux et appliqué et on raconte que, devenu grand il
évitait les divertissements et préférait fréquenter les églises. Au
centre du panneau, le saint adolescent, debout au milieu d'une foule de
badauds attentifs dont certains sont assis sur un tapis d'herbe
fleuries, écoute le prêche d'un évêque dont on imagine qu'il s'agit
de son oncle, Nicolas l'Ancien. A gauche de celui-ci on aperçoit une silhouette vue de dos qui s'engouffre dans une église. Comme on distingue nettement qu'elle est surmontée d'une auréole : on peut légitimement penser qu'il s'agit de Nicolas entrant dans le bâtiment pour prier.
Sur le parvis, le jeune homme est attentif et concentré, son profil se découpe en médaille sur son auréole, et à ses pieds le tapis de verdure décline avec délicatesse des œillets, des myosotis et toute une verdure colorée, comme le peintre aimait à en représenter.
Le dernier épisode représenté sur ce tout petit panneau (35 cm par 62) illustre un épisode connu de la légende du saint.
Un homme veuf de son voisinage ayant trois filles nubiles et, par suite
de revers de fortune, ne pouvant leur assurer une honnête situation, résolut de
les prostituer. Nicolas jetta alors des bourses pleines d'argent dans leurs bas
qu'elles avaient mis à sécher sur la cheminée et grâce à ce don, le père put
assurer le mariage de ses trois filles.
La porte est ouverte sur la chambre où reposent les trois infortunées jeunes filles. Leur père, accablé par le chagrin, repose que un siège bas, tandis que ses trois filles dorment, virginales et inconscientes du sort qui les attend, alignées sous une courtepointe rouge. Le lit est posé sur une estrade semblable à celle qui figure de l'autre côté, sous le lit de la mère de Nicolas, toutes deux ornées d'un délicat motif floral en éventail. Aucun autre décor dans ces pièces, dépourvues de tapis ou de coussins.
Pendant ce temps, à l'extérieur, le saint glisse avec discrétion par le volet entrouvert de la chambre la bourse remplie de pièces d'or, qui va sauver les enfants du sort ignominieux qui les guette. L'épisode est sans doute à l'origine de toutes les légendes qui attribuent au saint le sauvetage de trois écoliers découpés par un méchant boucher, qui le mit dans un saloir ! Il vaut aussi à Nicolas d'être le patron des clercs, des filles à marier et des enfants, mais aussi celui des juristes, des bateliers, des pêcheurs au filet, des débardeurs, des
commerçants de blé et de vin, des pharmaciens, des épiciers et des drapiers.
La splendeur du coloris, la lumière qui caresse les figures et le paysage, les descriptions réalistes précises mais enveloppées de mystère font tout le charme de ce panneau où les mêmes personnages apparaissent à plusieurs reprises. Les récits des différents épisodes se succèdent sans solution de continuité, dans un cadre spatial unique.
Des lignes convergentes avec plusieurs points de fuite, qui peuvent paraître à première vue maladroites, construisent le tableau selon des
obliques très appuyées. Les principales (en rouge sur la reproduction) se regroupent sur la silhouette énigmatique qui pénètre dans l'église. Le souci du détail, linges aux fenêtres négligemment posé sur une tringle de bois, blanc côté naissance, rouge côté don aux jeunes filles, auvent aux tuiles régulières, volets cloutés, frise à l'antique le long de la terrasse ou à la base de la coupole, anime ces scènes d'un réalisme plein de verve et invitent à la contemplation.
OH, la la Michelaise, si j'avais eu une prof d'histoire de l'art comme toi! ( Arts appliqués) jamais je n'aurais "séché" mes cours!!!!!!!!!
RépondreSupprimerpassionnant ce billet!
ps - Maguy Marin au TNB ce we à Bdx!
Merci Monica, je suis tellement contente de faire partager mes coups de coeur, et comme tout le monde n'a pas forcément l'habitude de "lire" les peintures, j'essaie de les rendre accessibles à tous. Maguy Marin , je suis allée voir sur le site de TNBA, Salves, mais je crois qu'Alter m'a prévu une petite virée en Médoc ... j'ai cru comprendre ....
RépondreSupprimerJe te suis avec passion.
RépondreSupprimerAh ! Oui Michelaise, tu es le professeur dont nous rêvons toutes pour nos enfants, petits enfants.
Et avec quels détails de documentation, nous te remercions.
Un petit tour dans le Médoc, quelle chance...
Dominique de "à sauts et à gambades" m'a conduite jusqu'ici. Merci pour ces détails passionnants que j'ai survolés pour l'instant mais je reviendrai en prenant mon temps.
RépondreSupprimerJ'ai vu cette expo ce week end et ce fut un plaisir, j'ai fait un petit billet ce matin pointant ici tant vos chroniques sont superbes
RépondreSupprimerUn professeur d'histoire de l'art comme j'aurais voulu en avoir un
J'ai emprunté l'image de l'armoire aux exvotos et elle pointe ici, c'est un plaisir pour moi de faire connaitre votre blog que je trouve extra et toujours passionnant
Merci pour toutes ces explications! Quel beau billet
RépondreSupprimerMerci Dominique, c'est efficace tes liens, la preuve Miriam (coucou !!) et mango (bienvenue)... j'avoue personnellement aimer visiter ainsi, dans les coins et recoins et découvrir ce qu'il y a vraiment sur ces peintures : un truc m'interpèle à chaque fois (pardon pour le interpèle, un peu trop tendance !!!) : le peintre a passé des jours, des semaines, des mois à réaliser son oeuvre, et nous, nous passerions devant juste deux minutes !!! nous lui devons une attention soutenue, c'est bien le moins pas vrai ?
RépondreSupprimerQuel billet passionnant! Comme j'aimerais trouver moi même ces détails qui donnent de la saveur à l'observation!
RépondreSupprimerMerci miriam, mais je suis certaine que la prochaine fois vous les chercherez ces détails et tant pis pour ceux qui vous pousseront car ils trouveront que vous regardez de trop près ou trop longtemps !!!
RépondreSupprimerCe matin nous étions devant le musée à 9h30...et à ma grande surprise on nous a laissé rentrer...des salles vides et c'était bien agréable pour observer les détails des plus petits tableaux.
RépondreSupprimerMerci pour tes billets passionnants.
Allons bo, je croyais que JA n'ouvrait qu'à 10h... en tout cas quelle chance d'avoir pu visiter au calme, c'est un plus énorme, d'abord pour détailler les peintures mais aussi parce que Fra Angelico incite à la méditation pas à la foire d'empoigne ! le succès appartient aux lève-tôt !! Bravo Evelyne
RépondreSupprimerPar ta faute je viens de programmer un voyage à Paris du 7 au 10 janvier avec réservation pour L'Angélico belle piqure de rappel après San Marco à Florence.
RépondreSupprimerOh Robert, je suis trop contente, ici le trop n'est pas d'usage contemporain mais dans son acception traditionnelle, trop !!! Je suis certaine qu'après San Marco et si près de San Marco, vous verrez cette expo, et d'autres (!!) avec plaisir. De plus une escapade à Paris c'est toujours du bonheur pas vrai, surtout dans une période calme. Quelques articles encore avant votre départ sur les autres expos, promis j'en ai fini avec Angelico, à toi la parole maintenant !
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