Suite de Angelico, une exposition hommage (1)
Au début du XIIIème siècle alors qu’une première renaissance culturelle s'épanouit dans un contexte relativement
propice – ni guerre durable ni grande épidémie - une piété particulière voit le
jour, portée par le rêve d'un retour à l'idéal évangélique de pauvreté et de
diffusion de la Parole. Deux hommes, nés presque en même temps, l'un en Espagne,
l'autre en Italie, vont incarner, chacun à sa manière, cette tendance nouvelle.
Doués d'un prestige immense de leur vivant, rapidement sanctifiés par
l'autorité papale, Dominique et François sont à l'origine de nouveaux ordres
non monastiques, ouverts sur le monde laïque et leur temps, et voués à un essor
extraordinaire : les ordres mendiants. Malheureusement, assez vite l’esprit initial de ces
ordres va se trouver perturbé par des querelles et des dissensions, voire des
jalousies.
Fra Angelico, dominicain de stricte
observance, désirait manifestement un retour à la pureté et à l’idéal de
premiers temps. On trouve souvent dans ses peintures les deux saints
fondateurs, supposés d’ailleurs s’être rencontrés. L'éventuelle rencontre de François et de Dominique qui
est affirmée dans certaines sources primitives est sujette à caution, même si
elle n’est pas, a priori, invraisemblable.
Il est en effet possible que tous deux se soient trouvés à Rome, en 1215, lors de la clôture du IV° Concile de Latran. Thomas de Celano, qui n'en avait pas parlé dans la "vita prima" (en 1228), développe un récit assez circonstancié, dans la "vita secunda" (en 1247), où il raconte que les deux saints se sont retrouvés chez le cardinal Hugolin qui les aurait convoqués pour leur demander que des frères puissent devenir évêques, ce que tous deux auraient refusé, dans des discours rivalisant d'humilité ! Mais cette Vita secunda, est beaucoup moins fiable que la première : François et Dominique ont déjà été canonisés et font l'objet d'un culte fervent ; les deux Ordres sont en permanence en émulation, parfois en rivalité, et les frères lettrés, comme Thomas voudraient bien que les Frères mineurs soient en bonne intelligence avec les Prêcheurs qui réussissent si bien dans la prédication et les études. De même les Fioretti font assister Dominique au Chapitre des Nattes, (1219 ou 1220) mais on sait qu’il s’agit d’un récit "édifiant" et peu fiable quant aux faits historiques, plutôt destiné à transmettre la spiritualité et la poésie franciscaines.
Il est en effet possible que tous deux se soient trouvés à Rome, en 1215, lors de la clôture du IV° Concile de Latran. Thomas de Celano, qui n'en avait pas parlé dans la "vita prima" (en 1228), développe un récit assez circonstancié, dans la "vita secunda" (en 1247), où il raconte que les deux saints se sont retrouvés chez le cardinal Hugolin qui les aurait convoqués pour leur demander que des frères puissent devenir évêques, ce que tous deux auraient refusé, dans des discours rivalisant d'humilité ! Mais cette Vita secunda, est beaucoup moins fiable que la première : François et Dominique ont déjà été canonisés et font l'objet d'un culte fervent ; les deux Ordres sont en permanence en émulation, parfois en rivalité, et les frères lettrés, comme Thomas voudraient bien que les Frères mineurs soient en bonne intelligence avec les Prêcheurs qui réussissent si bien dans la prédication et les études. De même les Fioretti font assister Dominique au Chapitre des Nattes, (1219 ou 1220) mais on sait qu’il s’agit d’un récit "édifiant" et peu fiable quant aux faits historiques, plutôt destiné à transmettre la spiritualité et la poésie franciscaines.
Peu importe finalement que les deux
saints se soient on non rencontrés, en les représentant côte à côte, Fra
Angelico participe à ce vaste désir de bonne entente et de rappel de partage
des mêmes valeurs spirituelles, nostalgie des convictions des premières années
de ces ordres mendiants.
Le tableau porte traditionnellement pour titre "le couronnement de la Vierge" mais en fait, le panneau représente l'instant où son Fils, tendant la main vers Marie, orne d'un joyau la couronne qu'elle a déjà reçue. Tout une sémillante assemblée de saints et de martyrs assiste à l'événement, tandis qu'autour du Christ et de Marie une armée d'anges joue de la musique, danse, bref impulse à l'épisode un caractère festif que même nous, mécréants insensibles, sommes capables de ressentir ! On imagine l'effet que pouvait faire sur nos ancêtres ces rondes de créatures délicates et célestes brandissant trompettes et luths sur un fond rutilant d'or !
La solennité abstraite de la scène, sa luminosité diffuse, son précieux chromatisme, la rigueur de sa construction spatiale, tout en fait une œuvre d'une grande préciosité. Les saints quant à eux, assistent au prodige l'air sage et compassé, parfois reconnaissables à leur attributs, au moins en ce qui concerne ceux des premiers plans. La prééminence est accordée à Saint Jérôme, en robe rouge et stylet à la main, prêt à écrire la Vulgate.
Installé en bonne place, le visage tourné vers le spectateur, reconnaissable à son habit noir et blanc, saint Dominique tient dans sa dextre un lys, symbole de chasteté et dans la main gauche un livre rouge qui rappelle qu'il est fondateur d'un ordre prêcheur. Il suffit de chercher un peu et, derrière lui, l'air angélique et modestement retiré derrière deux évêques, on reconnait Saint François à sa robe de bure. Bien sûr Fra Angelico a placé Dominique de Guzman en bien meilleure position !!
Dans le Jugement dernier qui orne un des volets de l'armoire aux ex-voto d'argent que j'ai déjà étudié dans le premier billet, une assemblée de saints assiste, agenouillée, à la vision triomphante du Christ lors du jugement dernier. On remarque ici encore le fondateur d'ordre dominicain. Il est au premier plan, accueilli à renfort d'embrassades par un élégant ange en robe bleue. Mais j'ai eu beau chercher, impossible de voir un franciscain dans le groupe des élus et dans cette petite scène Fra Angelico s'est contenté de "faire utile" !
Dans ce petit détail de la Thébaïde, on voit, comme je l'avais déjà souligné, deux frère s'embrassant : l'un est en robe brune l'autre en robe blanche. Derrière ce dernier, un frère agenouillé qui lave les pieds d'un vieillard, porte un habit qui semble presque dominicain. Certes il ne s'agit pas là de saint François et de saint Dominique, la Thébaïde décrivant des scènes du 1er et du 2ème siècle de notre ère, les saints fondateurs étant quant à eux du 13ème siècle. Mais l'esprit de cette fraternité entre communautés religieuses, différentes et pourtant si proches dans l'esprit, transparait dans ce petit épisode bien dans le goût de Fra Angelico.
Une dernière toile dans cette exposition racontait la volonté qui fut celle du peintre de surmonter les rivalités qui, dans les années précédentes, avaient pu opposer, voire se faire affronter les deux communautés. On n'y voit pas le saint fondateur de l'Ordre mais un autre dominicain célèbre, auquel l'iconographie italienne a rendu très souvent un vibrant hommage : Saint Pierre Martyre. Peu connu en France, Pietro Rosini est né en 1205 aux alentours de Vérone dans une famille cathare, ce qui lui vaut aussi le nom de Pietro da Verona. Entré dans les ordres alors que Dominique de Guzman était encore vivant, il devint moine, puis prieur et surtout un ardent défenseur de la foi, ce qui en fit un prêcheur anti-cathare redoutable. Il s'attira ainsi de nombreux ennemis et Sson action suscita beaucoup de haine. Le 6 avril 1252, le samedi de Pâques, il fut attaqué sur la route de Côme à Milan,
blessé à coup de serpe et poignardé par un certain Pietro da Balsamo
dit Carino (qui plus tard eut des remords de cet acte, entra à son tour
chez les Dominicains, et mourut en odeur de sainteté). Son "martyre" donne lieu à de nombreuses représentations sanglantes dans lesquelles le saint domnicain porte comme un trophée une épée fichée dans son crâne.
Dans le panneau de Zagreb, Fra Angelico, soucieux de confronter deux épisodes douloureux des ordres mendiants concurrents, propose dans un même paysage deux scènes séparées par une simple rivière (ou une fissure ?) sur laquelle une planche cassée établit symboliquement un pont fragile et provisoire. A gauche est représenté le fondateur de l'ordre franciscain au moment où il reçoit les stigmates sur la montagne de La Verne, sommairement représentée par une masse grise et géométrique. François reçoit les plaies du Christ lui-même, qui lui apparait tel un séraphin (ange équipé de trois paires d'ailes, foskifo !!). Sur la partie gauche du tableau, Saint Pierre Martyre est frappé à mort par un soldat qui brandit une dague. L'ensemble est posé sur un paysage d'une profondeur inédite pour l'artiste, dans lequel le regard se projette, sans doute pour échapper à la violence de la scène du premier plan. Car Angélico n'est pas très à l'aise dans la représentation du sang et des blessures.
Dans chaque épisode un troisième personnage est intégré à la scène, bien que se tenant en retrait. Il s'agit de témoins dont la présence est primordiale puisqu'ils pourront ensuite rapporter ce qu'ils ont vu et attester de la véracité de ces épisodes.
La composition, basée sur de puissantes diagonales, insiste sur la parallélisme entre les deux scènes :
les blessures sont reçues selon des parallèles parfaites entre les deux scènes (traits rouges) pendant que les "bourreaux", qui se répondent par deux taches rouges en écho, portent leur trait selon deux autres parallèles croisant les premières (traits bleus). Les témoins quant à eux scandent la scène par deux contrepoints verticaux, posés sur la gauche de chaque scène (trait vert).
C'et le travail du peintre sur les bleus qui me laisse le plus admirative...
RépondreSupprimerTrès bon dimanche à toi, bises.
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerJ'admire toujours tes billets et leur richesse culturelle. Tu le sais bien.
Je ne puis dire que cela.
J'apprends beaucoup.
Mais je prends sans rien te donner, je le sais.
Bon dimanche.
Quelle étude encore une fois ! Tu as vraiment raté ta vocation. Ce qui m'a amusée au cours de cette lecture, c'est le trait d'humour avec le "foskifo", au sujet de l'ange multi-ailé, qui ne manque pas de faire sourire au milieu d'une étude aussi sérieuse des tableaux.
RépondreSupprimerIl n'y en a pas deux comme toi Michelaise, c'est certain ;-)
Ah oui Norma, les bleus de l'Angelico, une vraie gourmandise
RépondreSupprimerOxy, oui je crois que j'ai raté ma vocation, j'aurais tant aimé être conservateur de musée ou restauratrice !!! j'ai ça dans le sang ...
Que si Herbert, tu m'apportes beaucoup : d'abord tes fidèles visites, qui me font chaud au coeur, et puis les poèmes si sensibles que j'aime aller lire souvent !! on a tous à partager Herbert, et quand l'un de nous manque, tout est dépeuplé ...
Tu t'étonnais que je me sois rendue par trois fois voir cette exposition mais je vois que tu en es à ton troisième billet sur le sujet!!
RépondreSupprimerQue dire face à une telle étude?
Je vais m'écarter un tout petit peu du sujet mais pas tant que cela finalement
Gombrich dit
"le renoncement d'un grand artiste aux effets d'un modernisme qu'il entendait parfaitement,celui-là même que Brunelleschi et Massaccio avaient introduit dans les arts"
"il voulait surtout exprimer toute la beauté toute la simplicité de la scène"
J'ai lu avec plaisir vos billets sur cette exposition, avec intérêt et un peu de regret
RépondreSupprimerMais parfois la chance sourit, un petit week end à Paris et surprise des entrées de l'expo m'attendaient chez ma fille
J'ai passé un après midi certes compressée par la foule mais tant pis
j'ai retrouvé avec grand plaisir les oeuvres déjà vues à San Marco ou au Louvre mais l'intérêt ce sont celles disséminées ici et là et qui rassemblées permettent une compréhension de l'oeuvre du peintre
un très très grand plaisir que je viens retrouver un peu ici
Merci Dominique et si, en effet, le grand défaut de cette exposition est la foule qui s'y presse, on sait que c'est parce que de tels événements "marchent" et font le plein qu'ils peuvent avoir lieu, façon comme une autre de supporter la presse. Car on le sait, mobiliser de tels chefs d'oeuvre et qui plus est, de partout, cela est fort délicat et très coûteux.
RépondreSupprimerJe m'étonnais Aloïs au sens plaisir ressenti que tu l'aies fait !! pas surprise, mais chance à laquelle, nous qui passons par Paris, n'avons pas accès et réalisons, soudain, qu'elle est possible. Quant à mon entêtement à parler d'ANgelico (encore un article en vue et, promis, j'arrête) il pourrait faire croire que ce soit la seule expo que nous ayons vue lors de notre séjour parisien !!!! il n'en est rien mais aucune autre ne m'a fait un tel effet, comme d'hab
De Côme à Milan, on y revient toujours!!! Encore une bonne raison de ne pas aller à Côme.
RépondreSupprimerBon, trêves de plaisanteries. Billet toujours aussi passionnant. Je me souviens il y a quelques années avoir fait des recherches sur les deux frères mendiants dans les tableaux d'un autre peintre dominicain : Fra Bartolomeo qui, dans la plupart de ses tableaux, a représenté les deux saints en train de se donner l'accolade. C'était un autre contexte: on était dans les années 1500, soit quelques années après le bûcher des vanités de Savonarole qui avait soulevé les tensions entre les communautés religieuses, l'heure était cette fois à la réconciliation entre les différentes confréries religieuses. Regarde ce tableau et les deux frères au fond qui s'étreignent : http://www.flickr.com/photos/havala/4081458538/
Et après ça, regarde qui m'étreint sur mon blog!
bisous du soir
Ah GF... on a failli se pâââmer en voyant la photo sur ton blog !! une autre sorte d'accolade, de la groupie vers son idole !
RépondreSupprimerTrop , trop, trop peu de temps en ces moments!!! je désespère de parcourit tes billets faute de quart d'heure à glaner ici ou là, je fais survivre mes blogs pour l'instant, je suis toujours là, je lis les intitulés...
RépondreSupprimerNoël permettra peut-être de faire de la remise en page chez les copines, quoique des concerts m'attendent!
Comment fait-on en vieillissant pour ne pas trouver l'envie de s'ennuyer!
A+++++
Martine de Sclos
Je te fais ce petit commentaire pour te dire que je continues à te lire même si je ne commente plus beaucoup. Fra Angelico, un primitif italien qui me touche car on l'avait beaucoup étudié aux Beaux Arts ...
RépondreSupprimerbonjour je suis etudiante et je n'arrive pas a comprendre qui a peint la derniere oeuvre ! pouvez vous m'aider ? merci d'avance
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