dimanche 18 décembre 2011

GIACOMETTI ET LES ÉTRUSQUES


La Pinacothèque de Paris présente jusqu’au 8 janvier 2012 une lecture inédite de l'œuvre du sculpteur Alberto Giacometti. Les organisateurs de l’exposition se targuent de faire œuvre novatrice, voire créatrice en proposant une lecture parallèle et presque comparée de l’art étrusque, qui on le sait inspira Giacometti, et des réalisations de l’artiste. Ils annoncent en préambule que beaucoup de confrontations de ce type, très prisées par la muséographie moderne, sont inutiles mais affirment que la leur est essentielle pour la compréhension de l’œuvre de l’italien et de l’art étrusque lui-même. Alter bougonne. Je m’accroche vaillamment.
« Qui est cet artiste qui, 2500 ans avant Jésus Christ, a interprété le monde avec les mêmes critères que Giacometti ? » demande un panneau introductif. Alter ronchonne, je commence à admettre qu’il a raison. Vouloir donner un sens conceptuel au rapprochement qui nous occupe relève un peu de la facétie intellectuelle.
Certes ça marche dans un sens : pas de doute que Giacometti ait été fasciné par les formes filiformes des sculptures étrusques et que la découverte et l’approfondissement de l’observation de ces statuettes aient provoqué chez l’artiste un bouleversement considérable de sa propre vision artistique. Il découvre cette civilisation et ses représentations de bronze au département d’archéologie du Louvre qu’il visite assidument. Et ce dès les années 20 (il a moins de 20 ans). Il se rend à la villa Guilia à Rome et surtout visite avec ardeur et émerveillement l’exposition sur l'Art et la civilisation des Étrusques qui se tient en 1955 à Paris. Une fascination qui dure sa vie entière, puisqu’en 1960, âgé de 59 ans, il ira encore visiter le musée Guarnacci de Volterra avec le même enthousiasme.  Cette attirance jamais démentie se lit au cours de l’exposition sur tous les catalogues et livres griffonnés en marge, croquis dessinés sur une carte d'Étrurie par le sculpteur qui, de toute évidence, n’a jamais abandonné ses recherches sur l’art étrusque.

Par contre, dans un souci de « relecture », vouloir à tout prix déceler chez les étrusques une modernité dont Giacometti serait l’heureux traducteur 25 siècles plus tard, c’est aller trop loin dans le « romantisme ».
Ceci étant, on visite deux expositions juxtaposées fort intéressantes. Celle consacrée à Giacometti n’est pas la plus impressionnante qu’il nous ait été donné de voir. Elle est cependant assez émouvante car on y découvre des quantités de dessins de l’artiste dans des catalogues, dans l’art gaulois du Zodiaque et dans tant d’autres livres et publications. Ces « dessins pour mieux voir » constituent un vrai musée imaginaire, copies sans fin, de tous lieux, toutes époques « comme si l’espace prenait la place du temps ». C’est ce qu’en dit l’auteur dans le préambule d’une édition qui fut faite juste avant sa mort du catalogue complet de tous ces croquis « Les copies du passé ». Les différentes versions des femmes de Venise, moulées chaque jour par le frère de l’artiste, Diego, qui savait que la nuit suivante Alberto allait les détruire, les modifier, les améliorer, les refaçonner, sont elles aussi fort attachantes : elles retracent la recherche infatigable qui était la sienne et l’évolution de sa quête esthétique. Enfin, on retrouve avec un réel plaisir ses hommes qui marchent, ces statues qui faisaient dire à Sartre « une exposition Giacometti, c’est un peuple, des hommes qui traversent une place sans se voir et pourtant, sont ensemble ».


Quant au parcours étrusque, il est de fort belle qualité et regroupe des œuvres de premier plan, mais pas forcément en rapport avec l’argumentaire de l’exposition. On admire en particulier une belle série de vases canopes dont la tête d’abord peu marquée, se précise au cours des siècles pendant que les anses se transforment en bras, parfois détachés, souvent croisés, le tout prenant de plus en plus une forme anthropomorphe. 


On suit avec bonheur l’évolution technique des buccheri, ces étalons de référence pour dater les sites puisque leur qualité commence à baisser dès la fin du VIème siècle. Ils sont fabriqués avec une argile épurée au grain très fin contenant un oxyde ferreux rougeâtre. Ce dernier se transforme en cuisant à basse température sans oxygène en oxyde ferrique, qui donne leur couleur d’un noir profonde aux buccheri les plus purs. Ces vases, qui permettent de dater les sites, permettent aussi de repérer et de comprendre les échanges commerciaux constants dans l’Etrurie elle-même et avec l’extérieur puisqu’ils étaient, de toute évidence, fort prisés des peuples environnants. Dès la  fin du VIème siècle le grain devient plus épais, l’argile est moins épurée, la couleur vire au gris opaque et les céramiques que l’on fabrique avec ce bucchero de moins bonne qualité ne sont plus réservées qu’à un usage domestique. Cette merveille sera ensuite supplantée par les céramiques à vernis noir, considérées comme plus belles.
On apprend de ci, de là, que les étrusques étaient considérés comme des pirates à cause de leur suprématie sur les mers (on parle même de thalassocratie !). Que leur réputation de stupre était due au fait que les femmes y étaient assez libres, pouvant participer aux banquets, elles avaient le droit de porter un nom qui leur soit propre, et étaient enterrées avec les mêmes égards que les hommes. Ce qui ne manquait pas de choquer les grecs, qui du coup taillèrent aux étrusques une mauvaise réputation qui leur colla  longtemps « à la peau ».
On déplore enfin que toute cette belle civilisation ait fini par être vaincue par les romains pour une simple question de sel, ces derniers ayant besoin des sites qui devaient leur procurer le précieux condiment, ils s’emparèrent de Veies dès 390 avant JC, et continuèrent leurs conquêtes au siècle suivant. Ce qui ne les empêchait pas d’apprécier les productions étrusques, ces derniers continuant à couler des bronzes fort appréciés par l’occupant jusqu’à 1er siècle avant JC. 

Et à propos de ces bronzes qui ont assuré durablement le succès du goût étrusque, on admire, nous voilà revenus à Giacometti, la célèbre statue dénommée avec esprit par d’Annunzio « Ombre du soir », au milieu d’un ensemble appartenant à la typologie bien connue des bronzes à forme allongée. Cette statue votive (il semble qu’elle représente un enfant atteint d’une malformation) aux pieds d’une finesse extrême est le portrait d’un enfant aux cheveux souples, aux fesses délicatement suggérées, alors que le sexe est très détaillé et le nombril très évocateur. Une façon fort agréable de terminer le parcours étrusque avant de revenir aux interprétations et relectures qu’en fit Giacometti.

10 commentaires:

  1. C'est D H Lawrence qui a été pris de passion par les étrusques et en a fait un livre, dans les photos et les propos autour de Giacometti je retrouve des choses très similaires
    Intéressant ce parcours à deux voix

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  2. J'avoue Dominique, que lors que j'ai découvert l'Etrurie, j'ai aussi été passionnée !

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  3. Merci pour ce compte-rendu détaillé de l'exposition. Peut-être faudrait-il considérer que, malgré des rapprochements formels avec l'art Etrusque,l'énergie n'est pas du tout la même chez Giacometti.
    Bonne semaine!
    Anne

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  4. Un rapprochement très intéressant entre les œuvres étrusques et ces Giacometti.
    Bonne soirée!

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  5. J'avoue que j'ai trouvé le rapprochement trop formel Anne, et qu'à vouloir trop en faire on finit parfois par faire trop théorique !
    Noune, que Giacometti ait aimé et apprécié l'art étrusque ne fait, heureusement aucun doute

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  6. Peut-être que si j'avais lu ton billet avant d'aller voir cette exposition je l'aurais mieux appréciée.
    Car vraiment je n'en garde pas un souvenir ému

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  7. Moi non plus Aloïs, pas un souvenir ému... simplement j'ai aimé découvrir, quand j'étais plus jeune, la civilisation étrusque et les pièces exposées étaient intéressantes. Quant au parallèle avec Giacometti, selon lequel les étrusques auraient été des avant-gardistes, il m'a un peu gonflée !!!

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  8. J'étais allée sur les traces des étrusques jusqu'à Tarquinia où j'avais découvert en autre les tombes décorés de fresques incroyables de beauté....
    L'expo; peut-être !

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  9. Oui Enitram, si tu as aimé Tarquinia, mais si tu la rates, ce ne sera pas forcément un drame !! tu retourneras à Tarquinia !!

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  10. Entre autres.... Décorées.... aie!
    Noël, noël tu vas venir bientôt! Ah les préparatifs.....
    Joyeux Noël a tutti !!!!!

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