La Pinacothèque de Paris présente jusqu’au 8 janvier 2012 une lecture inédite de l'œuvre du sculpteur Alberto Giacometti. Les organisateurs de l’exposition se targuent de faire œuvre novatrice, voire créatrice en proposant une lecture parallèle et presque comparée de l’art étrusque, qui on le sait inspira Giacometti, et des réalisations de l’artiste. Ils annoncent en préambule que beaucoup de confrontations de ce type, très prisées par la muséographie moderne, sont inutiles mais affirment que la leur est essentielle pour la compréhension de l’œuvre de l’italien et de l’art étrusque lui-même. Alter bougonne. Je m’accroche vaillamment.
« Qui est cet artiste qui, 2500 ans avant Jésus
Christ, a interprété le monde avec les mêmes critères que
Giacometti ? » demande un panneau introductif. Alter ronchonne, je
commence à admettre qu’il a raison. Vouloir donner un sens conceptuel au rapprochement
qui nous occupe relève un peu de la facétie intellectuelle.
Certes ça marche dans un sens : pas de doute que
Giacometti ait été fasciné par les formes filiformes des sculptures étrusques
et que la découverte et l’approfondissement de l’observation de ces statuettes
aient provoqué chez l’artiste un bouleversement considérable de sa propre
vision artistique. Il découvre cette civilisation et ses représentations de
bronze au département d’archéologie du Louvre qu’il visite assidument. Et ce
dès les années 20 (il a moins de 20 ans). Il se rend à la villa Guilia à Rome
et surtout visite avec ardeur et émerveillement l’exposition sur l'Art et la
civilisation des Étrusques qui se tient en 1955 à Paris. Une fascination
qui dure sa vie entière, puisqu’en 1960, âgé de 59 ans, il ira encore visiter
le musée Guarnacci de Volterra avec le même enthousiasme. Cette attirance jamais démentie se lit au
cours de l’exposition sur tous les catalogues et livres griffonnés en marge,
croquis dessinés sur une carte d'Étrurie par le sculpteur qui, de toute
évidence, n’a jamais abandonné ses recherches sur l’art étrusque.
Par contre, dans un souci de « relecture »,
vouloir à tout prix déceler chez les étrusques une modernité dont Giacometti
serait l’heureux traducteur 25 siècles plus tard, c’est aller trop loin dans le
« romantisme ».
Ceci étant, on visite deux expositions juxtaposées
fort intéressantes. Celle consacrée à Giacometti n’est pas la plus
impressionnante qu’il nous ait été donné de voir. Elle est cependant assez
émouvante car on y découvre des quantités de dessins de l’artiste dans des
catalogues, dans l’art gaulois du Zodiaque et dans tant d’autres livres et
publications. Ces « dessins pour mieux voir » constituent un vrai
musée imaginaire, copies sans fin, de tous lieux, toutes époques « comme
si l’espace prenait la place du temps ». C’est ce qu’en dit l’auteur dans
le préambule d’une édition qui fut faite juste avant sa mort du catalogue
complet de tous ces croquis « Les copies du passé ». Les différentes
versions des femmes de Venise, moulées chaque jour par le frère de l’artiste,
Diego, qui savait que la nuit suivante Alberto allait les détruire, les
modifier, les améliorer, les refaçonner, sont elles aussi fort
attachantes : elles retracent la recherche infatigable qui était la sienne
et l’évolution de sa quête esthétique. Enfin, on retrouve avec un réel plaisir
ses hommes qui marchent, ces statues qui faisaient dire à Sartre « une
exposition Giacometti, c’est un peuple, des hommes qui traversent une place sans
se voir et pourtant, sont ensemble ».
Quant au parcours étrusque, il est de fort belle
qualité et regroupe des œuvres de premier plan, mais pas forcément en rapport
avec l’argumentaire de l’exposition. On admire en particulier une belle série
de vases canopes dont la tête d’abord peu marquée, se précise au cours des
siècles pendant que les anses se transforment en bras, parfois détachés,
souvent croisés, le tout prenant de plus en plus une forme anthropomorphe.
On
suit avec bonheur l’évolution technique des buccheri, ces étalons de référence
pour dater les sites puisque leur qualité commence à baisser dès la fin du
VIème siècle. Ils sont fabriqués avec une argile épurée au grain très fin
contenant un oxyde ferreux rougeâtre. Ce dernier se transforme en cuisant à
basse température sans oxygène en oxyde ferrique, qui donne leur couleur d’un
noir profonde aux buccheri les plus purs. Ces vases, qui permettent de dater
les sites, permettent aussi de repérer et de comprendre les échanges
commerciaux constants dans l’Etrurie elle-même et avec l’extérieur puisqu’ils
étaient, de toute évidence, fort prisés des peuples environnants. Dès la fin du VIème siècle le grain devient plus
épais, l’argile est moins épurée, la couleur vire au gris opaque et les
céramiques que l’on fabrique avec ce bucchero de moins bonne qualité ne sont
plus réservées qu’à un usage domestique. Cette merveille sera ensuite
supplantée par les céramiques à vernis noir, considérées comme plus belles.
On apprend de ci, de là, que les étrusques étaient
considérés comme des pirates à cause de leur suprématie sur les mers (on parle
même de thalassocratie !). Que leur réputation de stupre était due au fait
que les femmes y étaient assez libres, pouvant participer aux banquets, elles
avaient le droit de porter un nom qui leur soit propre, et étaient enterrées
avec les mêmes égards que les hommes. Ce qui ne manquait pas de choquer les
grecs, qui du coup taillèrent aux étrusques une mauvaise réputation qui leur
colla longtemps « à la peau ».
On déplore enfin que toute cette belle civilisation ait
fini par être vaincue par les romains pour une simple question de sel, ces
derniers ayant besoin des sites qui devaient leur procurer le précieux
condiment, ils s’emparèrent de Veies dès 390 avant JC, et continuèrent leurs conquêtes au siècle suivant. Ce qui ne les empêchait pas d’apprécier les
productions étrusques, ces derniers continuant à couler des bronzes fort
appréciés par l’occupant jusqu’à 1er siècle avant JC.
Et à propos de ces bronzes qui ont assuré durablement le succès du goût étrusque, on admire, nous voilà revenus à Giacometti, la célèbre statue dénommée avec esprit par d’Annunzio « Ombre du soir », au milieu d’un ensemble appartenant à la typologie bien connue des bronzes à forme allongée. Cette statue votive (il semble qu’elle représente un enfant atteint d’une malformation) aux pieds d’une finesse extrême est le portrait d’un enfant aux cheveux souples, aux fesses délicatement suggérées, alors que le sexe est très détaillé et le nombril très évocateur. Une façon fort agréable de terminer le parcours étrusque avant de revenir aux interprétations et relectures qu’en fit Giacometti.
Et à propos de ces bronzes qui ont assuré durablement le succès du goût étrusque, on admire, nous voilà revenus à Giacometti, la célèbre statue dénommée avec esprit par d’Annunzio « Ombre du soir », au milieu d’un ensemble appartenant à la typologie bien connue des bronzes à forme allongée. Cette statue votive (il semble qu’elle représente un enfant atteint d’une malformation) aux pieds d’une finesse extrême est le portrait d’un enfant aux cheveux souples, aux fesses délicatement suggérées, alors que le sexe est très détaillé et le nombril très évocateur. Une façon fort agréable de terminer le parcours étrusque avant de revenir aux interprétations et relectures qu’en fit Giacometti.
C'est D H Lawrence qui a été pris de passion par les étrusques et en a fait un livre, dans les photos et les propos autour de Giacometti je retrouve des choses très similaires
RépondreSupprimerIntéressant ce parcours à deux voix
J'avoue Dominique, que lors que j'ai découvert l'Etrurie, j'ai aussi été passionnée !
RépondreSupprimerMerci pour ce compte-rendu détaillé de l'exposition. Peut-être faudrait-il considérer que, malgré des rapprochements formels avec l'art Etrusque,l'énergie n'est pas du tout la même chez Giacometti.
RépondreSupprimerBonne semaine!
Anne
Un rapprochement très intéressant entre les œuvres étrusques et ces Giacometti.
RépondreSupprimerBonne soirée!
J'avoue que j'ai trouvé le rapprochement trop formel Anne, et qu'à vouloir trop en faire on finit parfois par faire trop théorique !
RépondreSupprimerNoune, que Giacometti ait aimé et apprécié l'art étrusque ne fait, heureusement aucun doute
Peut-être que si j'avais lu ton billet avant d'aller voir cette exposition je l'aurais mieux appréciée.
RépondreSupprimerCar vraiment je n'en garde pas un souvenir ému
Moi non plus Aloïs, pas un souvenir ému... simplement j'ai aimé découvrir, quand j'étais plus jeune, la civilisation étrusque et les pièces exposées étaient intéressantes. Quant au parallèle avec Giacometti, selon lequel les étrusques auraient été des avant-gardistes, il m'a un peu gonflée !!!
RépondreSupprimerJ'étais allée sur les traces des étrusques jusqu'à Tarquinia où j'avais découvert en autre les tombes décorés de fresques incroyables de beauté....
RépondreSupprimerL'expo; peut-être !
Oui Enitram, si tu as aimé Tarquinia, mais si tu la rates, ce ne sera pas forcément un drame !! tu retourneras à Tarquinia !!
RépondreSupprimerEntre autres.... Décorées.... aie!
RépondreSupprimerNoël, noël tu vas venir bientôt! Ah les préparatifs.....
Joyeux Noël a tutti !!!!!