4 sœurs et un frère. Les deux
aînées, Adrienne* et Marie Rose ont été envoyées très jeunes chez les mareyeurs,
travaillant dès l’aurore les mains dans la glace, et manipulant le poisson
comme des hommes. Quand elles partent au matin, chargées de leurs paniers plein
de poissons pour les vendre au marché, elles sont en file indienne et rient comme
des folles en disant qu’on dirait la publicité Ripolin. Elles sont gaies et
courageuses mais la vie est difficile. Les journées sont dures aussi pour
Antoine, embauché tout jeune encore sur un chantier naval : comme beaucoup
des siens, immigrés de Gaeta ou de Naples, il est charpentier de marine.
La troisième fille, Joséphine, née alors que la famille était déjà moins
pauvre, va devenir couturière, un métier moins fatigant que celui de ses sœurs,
mais encore assez rude.
La petite dernière, Antoinette, née en France et
alors que nos immigrés sont enfin sauvés d’affaire, connait un sort tout différent : on la gâte, on la
protège, on lui offre l’école Pigier et elle va même pouvoir être secrétaire. En
1944, à l’époque où se situent les faits, elle est toute jeune mariée, avec un
garçon qui « a réussi », et elle a fait ce qu’on considère alors
comme un « beau mariage ». Plus besoin de travailler ! Elle a 26
ans et est enceinte de son premier enfant.
C'est l'été. Le
désordre le plus indescriptible règne dans la ville, les allemands reculent. Les
FFI avancent. Passant devant l’école où la mère de tous ces jeunes gens est
concierge et qui sert de refuge contre les tirs ennemis installés au large de
Marseille sur l’île du Frioul, ils avisent Francis, le jeune mari d’Antoinette
et lui enjoignent de se joindre à eux. Il est un peu peureux, et se réfugie
derrière sa femme, évoque l’enfant à naître, sa femme s’interpose, il restera
près d’elle. Quelques instants plus tard les FFI essuient un tir nourri. Voyant
le jeune homme sortir des toilettes alors que le tir vient de cette direction, ils croient à
une attaque terrestre, foncent sur Francis, le collent au mur et menacent de le
fusiller dans l’instant. Marie Rose, n’écoutant que son courage, s’interpose,
leur explique leur méprise, traine un soldat dans les toilettes pour prouver
que Francis en sort et n’est pour rien dans les tirs qu’ils viennent de subir,
bref, elle sauve son beau-frère.
Le plus sûr serait de rester dans
l’école, les obus sifflent depuis l’île et le bâtiment est situé de l’autre
côté de la rue, protégé par les immeubles de bord de mer. Mais Antoinette,
affolée par l’aventure de son époux et un peu excitée par sa grossesse, pousse
de hauts cris et refuse de rester là. Marie Rose propose alors à toute la
famille de se réfugier chez elle, en face de l’école. Ils ont des paniers de
victuailles, traversent la rue et vont s’installer chez la jeune femme. Tous
autour de la table, ils commencent à manger, j’avoue que le fait m’hallucine
mais on a toujours accordé une importance extrême dans cette famille aux repas.
Pourtant les tirs redoublent. On entend des obus passer tout près, la table est
devant la fenêtre, ils trouvent la situation dangereuse. On décide alors de
reculer la table, tous se lèvent pour l’empoigner et la reculer dans un coin
moins exposé. Soudain un obus traverse la fenêtre et fauche Marie Rose,
atteinte en bas du dos.
Dans l’appartement c’est la
panique, le "sauve-qui-peut" général. Tous se précipitent vers l’extérieur,
pensant retourner se mettre à l'abri à l’école. Arrivés dans la rue, ils se comptent, Marie Rose
manque à l’appel. On se précipite et on la trouve, gravement blessée et
souffrant horriblement. On appelle les secours, heureusement on n’est pas loin
d’un poste de la Croix Rouge. Marie Rose est installée sur un brancard, et
transportée vers le centre de soin. On s’aperçoit très vite qu’on ne peut plus
rien pour elle. Elle mettra deux heures à mourir, dans d’atroces souffrances.
* Adrienne était ma grand-mère : arrivée petite fille en France vers 1912, de Gaeta d'où la misère avait chassé sa famille, et sur les traces d'une tante qui avait eu la chance d'épouser un français et ainsi, d'échapper à la pauvreté. La tante, généreuse et éblouie, avait "rapatrié" toute sa famille italienne, faisant miroiter à tous l'espoir de s'en sortir plus honorablement en France. Et, de fait, cette terre d'accueil fut, pour les miens, terre d'espoir et tous ont voué à ce pays une reconnaissance profonde et sincère.
Michelaise bravo pour ce début de récit qui me rappelle bien des souvenirs. j'avais commencé quelques billets sur cette époque, n'oubli que je suis un produit d'avant guerre ! tu me donnes l'envie de reprendre le cours de ces histoires mais je suis loin d'avoir ton talent, je vais attendre un peu pour éviter la comparaison.
RépondreSupprimerOh non, Robert, je t'en supplie, qui aurait idée de "comparer"... et puis mon histoire est simplement, tu le liras dans le prochain billet, un "hommage", une "reconnaissance"
SupprimerElle est passionnante, l'histoire de ta famille... Ton récit est à tel point efficace et les figures si vives qu'on a l'impression d'etre au milieu d'un film.
RépondreSupprimerMerci Siu, je suis contente que cela évoque des images, c'est moins pesant à lire donc !
SupprimerTon patronyme aurait pu me le laisser deviner, mais ton récit me le confirme : tu es d'ascendance italienne... As-tu gardé des contacts avec les descendants de ta famille dans la péninsule?
RépondreSupprimerJ'attends la suite de ton récit pour savoir ce qui est arrivé à Adrienne après le décès dans des circonstances plutôt difficiles de sa soeur Marie-Rose. Quant à l'importance accordée aux repas... si tu connais un peu l'Italie, elle ne devrait pas t'étonner!
Bonne fin de semaine!
Merci Marie Josée, je ne savais pas que tu ne savais pas !!! la suite ne parlera pas d'Adrienne !!
SupprimerC'est cette même reconnaissance, profonde et sincère pour la France, que me disais aussi mes parents et grand-parents. Et pourtant ils avaient trimé et souffert, ne comptant que sur eux-même pour bâtir une vie loin de leur pays d'origine. D'où mon incompréhension quand je vois les élèves de ma fille aînée, enfants d'immigrés pour la plupart, refuser de "se dire français" alors qu'ils le sont, pour l'avoir demandé...
RépondreSupprimerJ'ai rencontré d'autres "immigrés" première, deuxième, voire troisième génération, toujours reconnaissants à la France qui les avait accueillis, eux ou leurs ancêtres pauvres !!! et fier d'être français... mais cela se perd !
SupprimerBonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerComment ne pas attendre la suite de ce récit qui te touche de si près ?
Il n' a pas de moment pour le faire.
Mais le faire maintenant n'en est pas un mauvais.
Merci beaucoup.
La suite arrivera demain soir, car je suis un peu en panne de billets et je publie tous les deux jours.
SupprimerJ'ai coupé le récit en deux pour éviter de souler mes lecteurs ! trop long et confus sinon
Michelaise, j'attends avec impatience la suite de l'histoire et avec ton talent c'est sûr, le régal sera total, merci pour tout.
RépondreSupprimerBises de maintenant
Merci de ton indulgence Danielle : j'ai coupé pour éviter de faire trop long, ou trop dense !! internet doit être léger, n'est-ce pas ?
SupprimerUne plume,de l'émotion,pas de pathos,de quoi faire un joli livret.
RépondreSupprimerBonne journée
Oh Aloïs, je crains que la pathos soit dans la suite et fin, mais que veux-tu c'est par rendre hommage à quelqu'un que je l'ai écrit !! qui, surtout, ne le lira pas !!!!
SupprimerIl y a des jours où je me dis que le destin ne tient qu'à un fil...
RépondreSupprimerOn attend la suite bien sûr.
Et... le grand-père de mon grand-père était... ITALIEN, d'origine piémontaise, émigré à Lyon, et sculpteur de son état !
Biseeeees de Christineeeee
Ah ces italiens ... mais que serait la France sans les italiens, espagnols, portugais et autres divers et variés qui font sa richesse ??
Supprimerj'ai de mon coté aussi, une longue histoire Napolitaine.... une grand mère "Casimir" qui n'a pas voulu prendre le bateau pour l'Amérique, (enfin continuer le voyage) arrêt Marseille, et direction la Porte de Montreuil!!! les fortifs!!!
RépondreSupprimerNous avons tous de belles histoires,mais ils nous manquent ton talent!
Monica (Ventré)
Dès les premières lignes, on attends la suite... Un récit qui pourrait devenir un vrai roman, je te l'ai déjà dit mais n'as-tu pas encore pensé à écrire un livre ?
RépondreSupprimerJe ne sais pas pourquoi quand je pense à l'immigration italienne je pense tout de suite à Montand...
Je ne sais pas si mon commentaire est passé ????
RépondreSupprimerLes principaux combats avec les FFI se déroulèrent à la poste Colbert et à ND de la Garde, comme le raconte Pierre Gallocher dans "Marseille en zig zags". Est-ce dans un de ces quartiers que Marie-Rose a perdu la vie ?
RépondreSupprimerJe n'arrive pas à situer le blockhaus. Vers la corniche ?
Marie-Rose a été tuée dans le quartier Sainte Marthe par un obus qui a été tiré depuis l'île du Frioul par les allemands qui y étaient retranchés. J'ai mis une photo de blockhaus prise sur le net car je n'ai jamais photographié les blockhaus quand j'ai séjourné au Frioul !!! Celui de la photo serait au Frioul, mais je t'avoue que je ne le situe pas exactement... je ne sais si c'est le "bon" blockhaus !!
SupprimerEn fait il est question dans l'article des FFI mais ils essuyaient juste des tiraillements et passaient par là. En fait, ça tiraillait dans tous les sens apparemment !
SupprimerMichelaise : je vois que ton blog est toujours aussi bien fourni, aussi bien documenté, aussi bien écrit, mais malheureusement mes activités actuelles ne me permettent pas de publier sur le mien et de lire ceux des autres, mais ce n'est pas pour autant que je t'oublie !!! J'ai d'ailleurs répondu à l'instant à ton commentaire sur mon blog, je suis vraiment désolée pour ce retard, mais je n'ai pas pu faire autrement !!!! Je te souhaite un bon weekend et plein d'aventures heureuses, qu'elles se passent dans ta cuisine à préparer un bon plat, ou lors d'un séjour je ne sais où et dont tu as le secret pour choisir la destination !!!! A bientôt, même si ce n'est pas tous les jours !!!
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