Cécile a 57 ans quand éclate la Première Guerre Mondiale. C’est une artiste reconnue, aisée, appréciée, et pourtant elle est dépressive. Elle va le devenir de plus en plus, jusqu’à sombrer dans une sorte de désespoir permanent. D’un naturel timide et encline à la nostalgie, elle va petit à petit tomber dans la mélancolie.
Pourtant c’est une femme active et qui s’engage. Ainsi pendant le conflit elle gère un hôpital. On ne sait pas exactement si elle en fut directrice ou simplement gérante, mais elle s’investit courageusement dans ce poste à responsabilité qui témoigne du degré élevé de son intégration sociale. Pourtant, peu à peu, elle se referme sur elle-même, et vit très mal la métamorphose du monde après la guerre. Pourtant, cette époque est propice à l’émancipation de la femme, et elle qui revendiquait si fermement son autonomie, son droit à l’expression à l’égal de ses confrères masculins, devrait s’y épanouir. Il n’en est paradoxalement rien. Elle est restée très « bourgeoise » de mentalité, et en quelque soirt « prisonnière » du salon de 1877. Elle ne sent pas en phase avec ce monde qui bouge, qui évolue, techniquement, humainement.
Quelques malheurs personnels viennent aggraver son abord de la vie. Amputée du pied après guerre, à la suite une blessure qui s’est infectée, elle devient infirme. Sa vie sentimentale est pauvre : après l’échec vécu avec Landovsky, elle se marie avec un éditeur de musique, un certain Matthieu Carbonnel. Un mariage plus formel qu’autre chose. Elle vit seule dans sa maison familiale du Vésinet et ne rejoint son époux que quelques mois par an sur la Côte d’Azur. Il est intéressant de préciser qu’elle eut à cœur, lors du mariage, d’imposer à son époux un contrat de séparation de biens, concernant ses biens d’origine personnelle mais aussi, et le fait est notable, ses revenus de musiciennes. Quel modernisme ! Pourtant sa vie sentimentale est triste. Quand on lui demande si elle se sent plus compositeur ou femme, elle répond compositeur. Elle préfère être une artiste et elle défend sa carrière, préférant que ce soit cette dernière qui s’adapte à son mariage et non l’inverse. Elle ajoutera que son seul amour est la musique, dont elle se considère comme la vestale.
Mais surtout, elle ne veut plus évoluer dans ce nouveau monde qui l’angoisse. Elle reste une femme du XIXème sicèle, marquée par un féminisme modéré et surtout supportable socialement. Le salon de musique dont elle fut la reine était le royaume des femmes. Dirigé par elles, celle qui reçoit, celles qui y brillent, elles y font preuve d’une conversation cultivée, mais limitée au domaine de la culture. La politique et les affaires restent des affaires d’hommes, au fumoir. Au salon, les femmes brillent sans trahir leur position sociale, c’est un lieu à leur mesure. Cécile, pourtant partie à la conquête d’autres espaces, reste très imprégnée de ces normes sociales. Elle reste discrète, en retrait. Sa sonate pour piano par exemple, œuvre aux dimensions imposantes, elle ne l’a jouée en entier que 2 fois, toujours devant des cercles restreints, elle n’en fait publier qu’un seul mouvement. Elle n’ose pas « montrer » son talent, et se cantonne à des œuvres plus petites, de dimension plus « féminine ». Secrète et réservée, elle n’est pas « Amazone » pour deux sous et préfère rester dans les cercles privés des salons huppés.
A cheval sur deux époques, ancrée dans le XIXème, elle ne s’adaptera pas à l’évolution des mœurs. Elle en souffrira même et opposera à ce monde pris dans une course folle une résistance d’un autre âge. Presque une régression. Son style, qui n’évolue pas, se démode. Sa situation financière se dégrade et elle doit vendre sa propriété du Vésinet. Handicapée par la loi sur le copyright qui, aux Etats Unis où elle connait encore un certain succès, ne protège que les œuvres publiées après 1891, elle connait des problèmes d’argent qui achèvent de l’aigrir.
Elle n’écrit quasiment plus. 2 courtes pièces en 1919, une en 1923, 2 en 1925… Autant dire qu’elle a renoncé à composer. Les titres de ses œuvres sont révélateurs de son état d’exprit, de ses regrets et de sa nostalgie « Comme autrefois », »Le bon vieux temps », « Souvenirs d’enfance »… On retrouve sa trace à Monte Carlo en 1938. Elle y vivra la catastrophe de la seconde guerre Mondiale et meurt dans cette ville en 1944.
« J’avoue que je ne m’adapte pas plus à la musique moderne qu’à l’art, la mentalité, la moralité de notre époque ». Ainsi meurt Cécile Chaminade, oubliée, démodée et pour longtemps ignorée. Heureusement l’approche historique des musicologues sait s’intéresser aujourd’hui à ces compositeurs de transition dont elle fait partie, et dont elle aurait pu être un brillant représentant. Et puis, je vous ai dit que très peu d’enregistrement lui sont consacrés, mais si je vous révèle que Jaroussky l’a jugée digne de figurer dans son disque de mélodies françaises, je suis certaine que vous aurez plus envie de la connaître ! Ah les fourches caudines de la gloire sont impitoyables ! J’avoue quant à moi, adorer entendre des mélodies françaises en concert, cela a un je ne sais quoi d’envoûtant, mais je ne possède aucun disque de ce genre de musique. Etrange… une musique à écouter en compagnie ?
FIN
Voir aussi Cécile Chaminade les années fastes (1)
Cécile Chaminade les années de facilité (3)
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Une vie pleine de paradoxes, une mélancolie latente, plus tangible dans cet épisode et pourtant...
RépondreSupprimerquelle vie passionnante !
Le mot "démodée" revient comme un défaut culpabilisant pour qualifier l'oeuvre de cette musicienne, qui en arrive à s'auto-déprécier. "Toujours du nouveau" est un argument de politique culturelle et sociale et de commerce, non? Sa déchéance financière en semble la preuve.
RépondreSupprimerBon dimanche.
Anne
Révélation. Il ne reste plus qu'à nous passer une vidéo.
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