dimanche 15 mai 2011

FRERES EN ACCORD -2-


Raoul et Jean Dufy : complicité et rupture. C'est par la rupture que débute le parcours, brouille qui naquit entre les deux frères pourtant très proches à la suite de la réalisation de la fresque de la Fée Electricité commandée à Raoul par la Compagnie parisienne de distribution d'électricité pour « Mettre en valeur le rôle de l'électricité dans la vie nationale et dégager notamment le rôle social de premier plan joué par la lumière électrique ».
L'immensité de la tache incita ce dernier à s'entourer d'une nuée d'aides et d'experts. Tant d'un point de vue technique, car réaliser une fresque de 624m² supposait une bonne maîtrise de ce type de support, que d'un point de vue scientifique. Il se fit aider par un chimiste qui mit au point pour lui une peinture à l'huile très légère, donnant l'illusion de gouache et séchant très rapidement. Il consulta historiens et ingénieurs pour retracer au plus juste l'histoire des hommes et des machines. Et surtout, il se fit seconder par son frère, Jean, qui parcourut les bibliothèques, réunit une multitude de documentation iconographique et historique afin de faire les portraits des savants et philisophes concernés par l'invention de l'électricité et ses applications depuis l'Antiquité jusqu'aux années 30. Ce dernier construisit des décors, embaucha des comédiens pour poser pour son frère, participa aux dessins préparatoires. L'oeuvre connut lors de sa présentation à l'Exposition Universelle de Paris en 1937, en même temps que Guernica, un succès remarquable. Raoul, maladroit ou oublieux, ne cita pas le nom de son frère pour le remercier de cette précieuse collaboration. Il reçut les hommages sans parler de la contribution de son cadet. Jean s'en froissa et dès lors, les frères ne se virent plus guère.

Pourtant, depuis toujours, une tendre affection et une réelle complicité les unissaient. Les deux hommes font partie d'une grande fratrie de 11 enfants. Leur père, comptable dans un commerce de métaux, inculque à ses enfants la passion de la musique (Léon et Gaston seront organiste et flutiste) et de l'art en général. Jean, plus jeune que Raoul de 11 ans, développe très tôt un réel intérêt pour la peinture, mais contrairement à son frère, il sera plutôt autodidacte et ne suivra pas de cours aux Beaux Arts. Les photos de la famille Dufy sont étonnamment différentes de celles exposées au musée Jacquemard André : il règne parmi cette nombreuse famille une gaité, une légèreté qui s'oppose du tout au tout à l'ambiance petit-bourgeois qui caractérise la famille Caillebotte. On rit chez les Dufy, on mange sur de grandes tables sans apparat, la vieille maman pose en souriant près de la voirture et on s'amuse ferme ! 

L'oeuvre de Jean, longtemps méconnue, a été analysée lors de l'établissement de son catalogue raisonné ce qui rend l'exposition particulièrement intéressante. Dans tous les montages qui suivent (sauf le dernier bien sûr où vous devez trouver !!) Raoul est à gauche et Jean à droite.

Si on veut apprécier les frères Dufy, faut "cliquer" !!

La mer est au coeur de l’oeuvre des Dufy. « Raoul est le peintre du balnéaire, Jean celui du portuaire » écrit Didier Decoin. Ces marines illustrent leurs conceptions différentes de la lumière et de l’espace, et par là même l’originalité de l’oeuvre de chacun, malgré la récurrence du bleu typique aux deux frères.

Quant les Dufy adaptent le thème des fenêtres ouvertes, on ne peut s'empêcher d'évoquer Matisse. Vérandas et terrasses déclinent l'idée d'un extérieur-intérieur et mettent en évidence l’usage singulier que chacun des frères fait de la couleur.

Raoul simplifie sa peinture et définit sa théorie de la « couleur – lumière ». Il réduit sa palette, dispose ses aplats de couleurs pures en bandes verticales et horizontales, pour structurer l’espace et diffuser la « lumière de la peinture » qu’il oppose à la lumière solaire. Jean, au contraire, complexifie sa peinture selon un procédé que l’on pourrait qualifier « d’espace – couleur». C'est la couleur qui crée l'objet et démultiplie l’espace, irradié par ce blanc qu'il aime à utiliser pour faire chanter la lumière.

Raoul et Jean aiment aussi à représenter des "scènes cavalières", mais ici encore, leur univers est différent. Le premier s’intéresse aux sports hippiques et se fait une spécialité des chevaux lancés au galop, rapidement esquissés, de la représentation de courses, paddocks et haras. Pour sa part, Jean peint les promenades à cheval et restitue l’atmosphère huppée de la Porte Dauphine et du bois de Boulogne.

Tous deux ont gardé le goût de la musique transmis par leur père. Mais là où Raoul est plus classique, peignant orchestre vu des coulisses, violons ou concert de bon aloi, Jean préfère le cirque, qui lui permet de donner libre court à sa passion des couleurs franches.

Quand Raoul choisit de représenter une soirée chez Maxim's, Jean, plus jeune, plus "à la mode" préfère Josaphine Baker et sa "revue nègre", mais finalement le style est proche !!

Deux talents voisins et complémentaires, aussi à l'aise dans l'aquarelle qu'à l'huile, les frères Dufy finissent par plus se ressembler après leur brouille que lorsqu'ils peignaient ensemble ! Je vous offre pour finir une petite devinette : dans ce montage qui comprend des représentations de Paris, une seule toile est de Raoul, laquelle ?

14 commentaires:

  1. Coucou, me revoilou !

    J'ai parfois tendance à préférer Jean à Raoul. D'autant plus que l'on peut assez facilement se payer le premier alors que le deuxième est hors de prix. Je pencherai pour le Raoul en bas à gauche. Mais ce jeu peut être si piégeant !

    A bientôt.

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  2. Je suis tentée de dire celle en bas à gauche...
    bonne nuit !
    (Josette)

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  3. Merci pour ce beau reportage tant pour les photos que pour la doc et le texte, comme j'aimerai avoir ton talent.
    Pour la photo en bas à gauche ?

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  4. Bien d'accord avec toi Roberto, et pour les mêmes raisons !! impression ressentie vivement durement l'expo où j'ai très souvent préféré Jean
    Merci Robert, tu sais quand on a vraiment du "matériau" les mots viennent d'eux-mêmes. Et cette expo était vraiment bien conçue
    Josette pour la réponse à plus tard ! On laisse encore les autres chercher...

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  5. Bonjour, Michelaise.
    Le balnéaire et le portuaire...J'aime bien.
    Et, sans entrer dans le détail, j'aime bien la luminosité des oeuvres.
    Merci une fois de plus.
    Bonne journée.
    Je t'embrasse.

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  6. Quelle belle page et quelles couleurs ! C'est un plaisir de découvrir autant les oeuvres des deux frères que leurs parcours familial et artistique. J'ai une préférence pour le style de Jean Dufy, mais tous deux transmettent une telle joie dans leurs tableaux que c'est un plaisir. Pour répondre à ta question, j'ai spontanément opté pour la toile en bas à gauche... ??? Mais il y a sans doute un piège et je ne suis pas très douée pour ce genre de jeu...
    Je reviendrai voir ta réponse, bien sûr...
    Bonne journée à toi Michelaise :-)

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  7. Quelle fete de couleurs, quelle joie pour les yeux..! Et encore une fois le grand plaisir de se régaler, grace à la qualité d'une écriture, la tienne, où forme et contenu vont vraiment "a braccetto" en volant si haut...
    Moi aussi j'aurais désigné l'"en bas à gauche" comme "le Raoul", mais puisque je vois que c'est l'opinion qui se dessine comme prédominante, mon esprit "bastian contrario" va dire plutot "en haut à droite".

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  8. Encore des frères avec une première confrontation car là on peut vraiment parler de confrontation.
    Les couleurs sont incroyables autant chez l'un que chez l'autre.

    "Raoul Dufy est plaisir" écrivait la poétesse américaine Gertrude Stein.
    Qu'en est-il de Jean.
    Je pense la même chose

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  9. Je ne vais pas être originale, je dis comme les autres la peinture du bas, à gauche. Piège ? Je connais nettement mieux Raoul que Jean, visiblement je rate quelque chose. A creuser.

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  10. Dis donc, vous en avez vu combien d'expositions à Paris ?
    Je trouve que réunis, les deux peintres se complètent, en particulier dans tes montages. Disputes, ruptures on reste quand même en famille !
    Je pense que c'est le tableau en bas à droite mais pas sûre du tout !

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  11. J'ai passé un grand moment de plaisir dans ce lieu superbe, à l'ouverture peu de monde.
    Raoul est exposé à Nice au musée Cheret, il y a une proximité avec notre région, il fait partie de notre patrimoine.
    Jean a un talent certain qui a sans doute été oblitéré par celui de son frère. J'ai découvert celui ci avec beaucoup d'intérêt, et ai eu un vrai coup de foudre pour sa sensibilité.
    J'ai fait l'expo 3 fois, la première les impressions, le ressenti, l'émotion, la deuxième tournée avec le guide pour comprendre l'histoire de ces frères et leur manière de peindre qui par moment est déroutante pour savoir qui est qui,le jeu consistant à ne pas regarder le nom et à chercher -troublant-, la troisième fois pour déambuler, improvisant un parcours non fléché.
    Une belle matinée, pour moi, avec la couleur plein la tête, les vibrations plein le corps, me sentant bien vivante et appréciant ces instants de bonheur.
    Puis je suis allée à la rencontre de Berthe sans oublier Claude; que du beau monde.
    La journée ne faisait que commencer. La suite... Corto et Cranach. C'est ce que l'on peut appeler une voyage "sidéral"!

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  12. Je suis vraiment contente Martine de ton témoignage à chaud !! Et ravie que l'expo t'ait plu car c'est en effet un parcours à faire comme tu le dis, plusieurs fois. Très enrichissant et vraiment novateur. On en sort heureux d'avoir rendu à Jean la place qu'il mérite, d'autant que, souvent, on éprouve une réelle préférence pour sa vision. Corto j'avais envie d'y aller mais pas eu le temps. Quant à Cranach nous l'avions vu à Bruxelles et avions apprécié la qualité.
    c'était là :

    http://lepetitrenaudon.blogspot.com/2011/01/symboles-de-melancolie.html

    Tu diras sans doute ce que tu en as pensé !! Et tu vas aussi me faire avoir quelques regrets sur Corto !!!

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  13. Bonsoir Michelaise

    J'aime voir la peinture de Dufy (Raoul), je me souviens de cette première fois c'était au musée du Havre, il y a longtemps, je ne me souviens pas du titre du tableau mais j'étais repartie avec la reproduction en carte postale.

    Votre présentation est encore parfaite. Un plaisir partagé, encore et toujours, ici à propos de l'art.
    Bonne soirée et encore bravo.

    Ah, j'oubliais le jeu!
    Je dirais que la toile de Raoul est celle en bas à gauche.

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  14. Merci Miss Lemon, oui Dufy est un peintre qui est tellement "heureux" qu'il laisse des souvenirs agréables !!

    Pour tous, merci de votre participation au jeu. Non, il n'y avait pas de piège, et, en effet, la toile de Raoul est bien celle du bas à gauche ! Bravo à tous ceux et celles qui ont trouvé, mais dans l'absolu, il faut bien admettre que les Dufy ont un petit air de famille !!! Et l'erreur était vraiment excusable car cela se ressemble !!

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