WIGMORE HALL LONDON INTERNATIONAL STRING QUARTET

La règle de l'âge était aussi bien respectée dans le public que parmi les candidats : pour ceux-ci, pas plus de 120 ans à 4*... et pour le public, pas moins de 120 ans à deux !!! J'en ris mais l'affaire est grave : le public des concerts classiques reste chenu ! Même si l'on rencontre parfois des jeunes enthousiastes qui courent les festivals (coucou GF... salut Théo croisé à Londres !!!) et les concours avec assiduité, ces exceptions confirment une règle qui nous rend parfois tristes et on se demande ce qu'il adviendra des carrières des solistes quand nous aurons tous décidé d'aller manger les pissenlits par la racine. Mais l'heure n'est pas au désespoir et le pire n'étant jamais certain, mieux vaut parler un peu de ce concours de quatuors à cordes qui était un des prétextes de notre escapade londonienne.

Vous ayant chaque année entretenu des règles et circonstances de ce concours qui nous vient d'Évian et qui est maintenant assuré à tour de rôle par trois villes européennes, je vous renvoie aux articles parfois enflammés relatant les éditions 2010 et 2011. A Londres, l'organisation était légèrement différente puisqu'il y avait eu une présélection avant le premier tour. Nous n'avons donc pas entendu 20 fois le même morceau (j'exagère à peine !!) mais seulement 10 !! Lors de cette présélection, effectuée avec un maximum de précautions (pas moins de trois tours d'écoute des enregistrements par les membres du jury), les meilleurs avaient donc été retenus et nous n'avons eu que des concerts d'un très haut niveau.

Chaque groupe offrait deux concerts, avec obligatoirement un Mozart (un des dix derniers quatuors), un Haydn (pour un prix sur l'interprétation de ce compositeur), une pièce contemporaine écrite après 1918, et une création écrite par Brett Dean, intitulée Éclipse. Il faut avouer que pour cette dernière, nous nous éclipsions dès que c'était possible car l'entendre 10 fois aurait été un peu fastidieux ! Nous sommes arrivés à mi-parcours des éliminatoires mais avons tout de même, grâce au système du double concert, pu entendre tous les participants. Nous connaissions déjà le quatuor Arcadia, vu l'an dernier à Bordeaux et aussi en Italie et le quatuor polonais Meccorre qui faisait partie de nos favoris à Reggio nell'Emilia. Arrivés en finale, ils avaient fait partie de ces malheureux trop bons pour mériter un prix !!

Parmi les autres participants, pas mal d'américains, des anglais, des coréens, mais aucun français, et pas plus d'italien (il n'y en avait déjà pas à Reggio !). La moyenne d'âge était entre 22 et 28 ans, autant dire des jeunes, dont certains avaient déjà une jolie carrière, leur formation étant par contre parfois récente, parfois créée depuis plusieurs années. J'ai déjà parlé des benjamins, le quatuor Dover, et de leur absence en finale, épreuve qui ne voyait subsister que 3 quatuors, chacun étant alors assuré de recevoir un prix. Et comme il s'agissait d'un concours nous avions notre avis sur l'issue des délibérations !

Le quatuor Tesla, des américains, nous avait plu mais pas assez pour le distinguer à la première place. Doté d'une généreuse et fort efficace altiste, ils étaient cependant parfois un peu trop en retrait, et leur interprétation manquait un peu de caractère. La troisième place qui lui fut accordée était donc juste. Restaient en lice les roumains et les polonais. Notre préférence était très nette pour ces derniers et ils nous semblaient se détacher vraiment du lot. Un jeu tout en finesse, d'une précision impressionnante, au phrasé impeccable, des nuances toujours lumineuses, bref, nous étions à fond pour Meccorre. Ils avaient choisi le quatuor n°14 de Schubert, la Jeune Fille et la Mort. D'emblée, nous pensions qu'ils enlèveraient le morceau. Mais étaient-ils trop tendus, furent-ils trop audacieux, toujours est-il qu'après leur exécution, nous n'étions plus du tout certains qu'ils aient la première place. Ils ont interprété la pièce avec une absence totale de complaisance, insistant sur son côté tragique, au point de la rendre parfois dramatique, presqu'insoutenable. Nous avons beaucoup apprécié leur culot : aucun concession à un romantisme de pacotille, mais c'était hardi et cela n'a pas convaincu le jury. Trop rapide, trop sec, trop acrobatique, je ne sais ce qui a déplu mais ils n'ont eu que le deuxième prix. Et cela ne nous a pas outre mesure étonnés.

Les vainqueurs furent donc cette année le quatuor roumain Arcadia, qui endurait l'an dernier les conseils, éclairés mais pas toujours très amènes de Eberhard Feltz, lors de la masterclass de Bordeaux ! Ils n'avaient strictement rien eu à Reggio ... Grands gagnants cette année, cela valait donc la peine de souffrir car le prix de Londres est la promesse d'un avenir professionnel brillant. Et nous aurons l'occasion de les entendre, plus décontractés, lors de futurs concerts !! Peut-être à Bordeaux !

* en fait, cette règle des 120 ans est celle qui est appliquée ailleurs, mais à Londres il semble qu'il suffise que chaque instrumentiste ait moins de 35 ans.