lundi 27 mai 2013

LA VILLA ET L'ANTI VILLA (3) LE CHÂTEAU DU CATAJO



A côté de la villa idéale, partout présente dans cette vaste plaine qui va de Venise à Vérone, en passant par Vicence et Padoue, il existe aussi, de-ci de là, des habitations dont  la conception, l'organisation et le développement sont manifestement différents de ceux évoqués à propos de "la" villa. Ce qui domine ici, ce n'est pas le rôle économique - s'il y a des terrains agricoles, ils n'ont pas été le prétexte de l'installation initiale - et le bien-être s'efface devant le paraître. Plutôt qu'une villa, il s'agit d'un château, au sens de l'affirmation d'une puissance, visible par tous.


L’ensemble est conçu de façon ostentatoire, comme une sorte de démonstration de richesse et d'autorité, voire comme une opération de relations publiques, comme dans le cas du surprenant château de Catajo, construit par la famille degli Obizzi. Cette famillle de "condotierri" italiens, venus de Bourgogne à la suite de l'empereur Henri II en 1007, s'installa d'abord en Toscane avant de venir se mettre au service de la République vénitienne. Soucieux de montrer leur enrichissement par le métier des armes, et donc leur savoir-faire en la matière, les Obizzi voulurent aussi mettre en avant leur respectabilité sociale, qui, à défaut de noblesse, leur permettait de briller parmi les grands.


La première bâtisse, construite en trois ans seulement par Pio Enea I* pendant une période de paix, fut érigée sans l'aide d'architecte, l'homme se piquant d'être, en plus d'un homme de guerre, voire un inventeur, un urbaniste. Ce qui lui vaut cette allure de forteresse militaire, où la rampe d'accès, fort raide, est prévue pour la montée des chevaux et non celle des dames !! A l'origine tous les murs extérieurs étaient décorés de fresques, aujourd'hui effacées, et en 1571, Pio Enea, soucieux d’établir de façon visible les hauts faits de ses ancêtres, demanda à Giovanni Battista Zelotti (un élève de Paolo Farinati et peut-être du Titien) de couvrir tous les espaces intérieurs de fresques célébrant les exploits militaires et politiques de sa famille. C'est donc une sorte de recueil des importantes heures d'histoire auxquelles les Obizzi prirent part.



On est mis au parfum dès l'entrée dans le salon principal, sur la cheminée duquel se dresse, fièrement reconstitué quoique moyennement esthétique, l'arbre généalogique des Obizzi. Et, à droite de cet arbre, commence la ronde des "images glorieuses".


Chaque peinture est surmontée d'un cartouche, soigneusement numéroté afin que le visiteur ne se perde pas dans la chronologie. Une légende en latin, mais aussi en italien (c'était plus sûr pour se faire mieux comprendre) explique l'épisode représenté : batailles, terrestres et navales, croisades auxquelles les Obizzi participèrent, traités de paix, mariages prestigieux, bénédiction papale, tout est là pour dorer le blason de ces guerriers auxquels il ne manquait, pour briller, que la noblesse.


Les 6 pièces principales du palais sont ainsi transformées en un grand livre d'images, une sorte de panégyrique d'une famille ayant une immense soif de reconnaissance, et de mise en avant de ses hauts faits.  On découvre au fil de la visite, tous les exploits et toutes les vicissitudes des Obizzi, agrémentés pour faire bon poids de différentes allégories aux plafonds et sur les dessus de portes.



Le plus frappant est la "déclaration politique" qui orne le plafond de la première salle. Les trois formes de gouvernement y sont représentées :

- la Démocratie, représentée par Rome : elle est entourée par les deux causes de sa chute : l'Avarice et la Discorde
- l'Aristocratie représentée par Venise se voit attribuer la Prudence, l'Opportunité, la Concorde et la Paix, rien moins !!
- la Monarchie enfin, soutenue par la religion catholique est flanquée du Bonheur, de la Bonne Aventure, de la Clémence et de l'Audace... à défaut d'Aristocratie, on s'en contente !



La peinture est allègre, le peintre étant parfaitement rompu aux exigences de la décoration des lieux de villégiature : il a participé à la décoration de la villa Foscari, dite la Malcontenta, des villas Emo, Thiene, Pojana et bien d'autres ... et il a aussi travaillé pour la famille Gonzague à la cour de Mantoue.



Il cultive, de façon traditionnelle et malgré la pesanteur de son sujet, le goût de l’illusionnisme : les parois sont scandées d'éléments architecturaux, qui encadrent les paysages où se déroulent toutes ces scènes mythiques, donnant, comme dans les villas palladiennes dont il fut souvent le décorateur**, l'impression que les parois s'ouvrent vers la campagne, soulignant ainsi l'éternelle aspiration à l'harmonie avec la nature. Pourtant ici, l'habitation n'a rien de riante et son allure de château presque fortifié en fait plus un lieu de refuge, ce qu'il fut quand les Obizzi furent en mauvaise posture politique, acculés à l'exil, qu'un endroit de plaisir. C'est aussi, vous l'avez compris, une opération de relations publiques, les invités pouvant d'extasier sur les talents et les réussites des condottiere et ainsi, avoir recours à leurs services.


Pourtant, les derniers Obizzi, au XVIIIème et leurs successeurs, qui agrandirent sans cesse les lieux pour recevoir de plus en plus de monde, eurent à cœur de planter plusieurs jardins, enrichis d'arbres rares et devenus séculaires : séquoia, magnolias, et quantité d'espère importée à grands frais du Nouveau Monde. Le parc est actuellement en cours de réfection car il fut longtemps abandonné et cela représente un travail et un investissement énormes...
La famille Obizzi s'éteignit en 1805 et le château passa à la maison d'Este, puis à l'archiduc François Ferdinand, héritier du trône d'Autriche. C'est alors que les nouveaux propriétaires, peu enclins à venir séjourner dans cette région peu accueillante pour eux, entreprirent de vider consciencieusement le château de tout ce qu'il contenait de précieux, et Dieu sait que les collections d'armes, d'instruments de musique, d’œuvres d'arts de toutes sortes y étaient légion. Tout se retrouva soit à Vienne, soit dispersé. Tout, même les fontaines, soigneusement démontées, et dont ne reste dans le parc que le souvenir !
A la fin de la première guerre mondiale, le Catajo fut cédé au Gouvernement Italien comme dommage de guerre, selon le traité de Versailles, Gouvernement qui s'en débarrassa très vite en le revendant à la famille Della Francesca, actuelle propriétaire


* Pio Enea (Padoue 1525-1589) qui "inventa" aussi l'obusier, un canon d'assaut auquel il donna son nom. Il semble en fait, qu'il améliora plutôt un système antérieur mis au point par Jean Hus (l'husnieze), fondu par les autrichiens et dont les vénitiens s'emparèrent en le modifiant (selon le dictionnaire de l'armée de terre d'Etienne Alexandre Bardin, volume 7 page 4120 où l'on trouvera plus de détails)

** à Lonedo (Villa Godi), à Pojana Maggiore (Villa Pojana), à Mira (la Malcontenta), à Fanzolo (Villa Emo), à Caldogno (Villa Caldogno).


4 commentaires:

  1. très intéressant ce plafond en effet! Bonne journée!

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  2. Encore une fois: un article superbe pour un site superbe ! Dite-moi, Michelaise, avec touye la richesse de vos commentaires, savez-vous que vous avez de quoi un superbe bouquin !

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    1. Merci Philfff... mon ambition, si j'en ai une, à part bien sûr me faire plaisir en écrivant et garder la trace de nos pérégrinations, car la mémoire est traître... mon souhait donc est, simplement, d'offrir à ceux qui, improbables a priori, rares je vous l'accorde, mais réels, cherchent un renseignement sur Le Catajo, Tobeen ou Camos ... de trouver quelques lignes sérieuses, qui tentent d'éviter le copié collé et parfois même, s'offrent le luxe d'une interprétation ou d'un rétablissement de vérité ! Merci pour vos visites fidèles et surtout intéressées, rien ne me fait plus plaisir !!

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