Le musée Mendjisky, auquel il faudra que je consacre un billet, accueille jusqu'au 15 octobre une exposition importante, au titre prometteur et qui mérite amplement la visite : Manessier : du crépuscule au matin clair.
Alfred Manessier est né en 1911 à Saint-Ouen dans la Somme. Son grand-père Ovide, pendant que son père était sur le front, avec une grande tendresse et beaucoup de bonhomie, l'initie aux secrets et aux beautés de la nature. Et, tout enfant encore, il éprouve un véritable émerveillement devant les paysages de la Baie de Somme, qui parcourt durant ses vacances. À 14-15 ans, il se lève la nuit pour observer les premières lueurs de l'aube sur le bord de l'eau et les transposer sur la toile. À 16-17 ans, son parrain, le journaliste Émile Buré lui offre un livre sur Rembrandt, déclenchant chez lui une profonde admiration qui lui faisait dire de ce peintre qu'il était "son père en peinture".
1928 - Aube sur le cimetière marin
Après des études aux Beaux-arts d'Amiens, il est reçu à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en section architecture. Pourtant, malgré son admiration pour Le Corbusier, la peinture l'attire plus que l'architecture et il se met à l'école des maîtres, Tintoret, Titien, Rubens, Renoir, et surtout Rembrandt, en allant au Louvre faire des copies des grands du passé. Il dira par exemple : « En faisant la copie de Bethsabée, j'ai compris l'analogie qui peut exister entre Rembrandt et van Gogh, la lumière exprimée était à la fois totale et intérieure. ».
Il lit et relit le Libro dell'arte de Cennino Cennini, l'annotant et s'intéressant aux recettes du XIVe siècle de la préparation de la peinture à l'huile, à l'oeuf ou à la colle. C'est devant La Pourvoyeuse de Chardin qu'il fait la connaissance de Jean Le Moal qui deviendra son ami. Bien que poursuivant sagement ses études d'architecte - c'est ainsi que lors d'un voyage d'études en Hollande, il découvre, dans le bureau d'un architecte des toiles de Mondrian - il continue à peindre et s'initie même à la fresque avec Roger Bissière : il participe au Salon des Indépendants de 1934 et fréquente plusieurs amis peintres. Sa passion pour la peinture devient telle qu'à 26 ans, il refuse de passer l'ultime examen clôturant ses études d'architecture, il vend les biens de son père décédé deux ans auparavant, prend sa mère avec lui et décide d'affronter les risques d'une vie de peintre à Paris.
Les années qui suivent sont difficiles pour Alfred : il doit faire son service militaire, déménage est rappelé sous les drapeaux en 39, et enfin, heureusement, rencontre Thérèse, sa future femme dont il sera toujours très proche et très amoureux. C'est l'époque où il élabore des oeuvres surréalistes, obsédé par les cruautés de la Guerre d'Espagne, par la prémonition d'une prochaine catastrophe et baignées d'un effroi latent. Après la démobilisation, il rejoint Thérèse réfugiée chez Roger Bissière à Boissiérettes dans le Lot, et il travaille comme garçon de ferme et bûcheron dans l'exploitation agricole de son ancien professeur. Son fils naît le 3 août 1940, la famille s'installe dans une ferme à Bénauge. C'est sur l'appel de Bazaine, chargé de la section des arts plastiques au sein du groupe Jeune France (1) qu'il rentre dans la capitale pour participer à l'exposition soutenue par Bazaine, Jean Vilar, Jean Desailly, Pierre Schaeffer, Lucien Lautrec... En mai 1941 il retourne à Paris, la peinture et la campagne normande, son art devenant pour lui un moyen de lutter contre le défaitisme, en célébrant une vie simple et paisible. Le surréalisme, au milieu de cette gigantesque conflagration, lui semble futile, d'ailleurs Thérèse n'en apprécie ni les couleurs acides, ni l'esprit trop subversif. Elle a fait, elle aussi, de la peinture et est une fervente de Bonnard. Même si elle ne s'est jamais engagée dans la peinture de son mari, les discutions entre eux sont vives et, peu à peu, il aspire à "concilier l'inconciliable, c'est à dire les deux cubistes Braque-Picasso et Bonnard"(2), sa lumière et son bonheur de peindre. Ses toiles, dès lors, proposent un nouveau regard sur monde, introduisant dans sa recherche un espace de liberté et une volonté de cohérence. Ses teintes évoluent vers des couleurs plus joyeuses, des rouges chaleureux et des bleus calmes. "L'aube pointe derrière les ténèbres" (3) et c'est comme un vent de fraîcheur qui souffle dès lors que ses œuvres.
En mai 1941, il participe à une exposition de jeunes artistes français - avec Tal Coat, Édouard Pignon, Suzanne Roger, Charles Lapicque et bien d'autres - à la galerie Braun, et c'est perçu comme une provocation à la censure nazi qui considère (et interdit) l'art abstrait comme art dégénéré. Deux officiers de la Propagandastaffel viennent au vernissage et repartent, sans dire un mot. Pourtant il ne s'agissait pas à proprement parler d'abstraction et l'expression tradition française permit sans doute de rassurer l'occupant.
Après la dissolution de Jeune France (1) en mars 1942 par le gouvernement de Vichy, Manessier achète une modeste maison au Bignon où il continue à peindre. Il reçoit la visite de nombreux amis et c'est ainsi que le jeune étudiant à la Sorbonne Camille Bourniquel qui est aussi écrivain, vient visiter l'atelier de Manessier pour lui acheter plusieurs petites toiles. C'est le début d'une longue amitié, et lorsqu'en septembre 1943 Camille annonce qu'il a l'intention de faire une retraite à La Trappe de Soligny, cela intrigue fort Manessier, qui le suit, par curiosité. Les deux amis font, durant ces trois journées monacales, une expérience spirituelle qui aura une grande importance dans l'orientation du peintre. Il dira de sa conversion "Je suis entré dans l'Église pour être libre" (4), et c'est de la conquête de sa liberté intérieure qu'il voulait parler. En deux années - lourdes en événements, les peurs de l'occupation en 1943, l'espoir d'une libération, puis le déchaînement des armes en Normandie en 1944 - il se libère peu à peu de la figuration qui est, pour lui, devenue comme une gêne, voire un obstacle pour dire sa transfiguration spirituelle et, de fait, picturale. Usant des couleurs comme le ferait un musicien des notes ou un poète des mots, il cherche à en faire émerger un accord lui permettant de communiquer avec son spectateur. Il peint l’exact opposé de la violence pour ne pas céder au déesepoir et affirmer sa foi en une certitude de voir vaincues les forces du mal. Malgré l'apparente sérénité de sa vie campagnarde, il cache dans sa cave parisienne l'imprimerie du réseau clandestin "Résistance" et ne doit son salut qu'à l'intervention intrépide et providentielle d'un agent de la Poste qui intercepte une lettre anonyme à la Kommandantur le dénonçant aux allemands.
En 1945, il participe avec ses fidèles amis au Salon de mai organisé par la galerie Maurs et, dès lors, et même si son succès est, au début, fragile, il commence à pouvoir vivre de son art. Dans son livre qu'il consacre à leur amitié, Jean-Pierre Bourdais distingue plusieurs période dans la vie du peintre :
- Celle de l'après-guerre, où il commence à réaliser des toiles événementielles (5) dont aucune n'était présente à l'exposition dont ce n'était pas le propos, et de œuvres mystiques, dont l'illustration des Cantiques spirituels de saint Jean de la Croix en 1958.
C'est aussi l'époque où il découvre la Provence, dont les lumières exaltent sa palette et délient son dessin, et l'Espagne (découverte en avril 63) dont il célèbre dans ses toiles les saisons lumineuses et austères. C'est enfin la période de ses deux séjours canadiens, dont il ramène des toiles à la lumière moins modulée, où les tons sont plus contrastés et les noirs plus présents. De cette période l'exposition présente surtout des paysages espagnols.
- Les années 70 que l'auteur nomme "les années de passion". Cette décennie, commencée par la série des toiles, aquarelles et lithographies sur le Procès de Burgos (6), est, elle aussi, une décennie engagée (7). Mais c'est aussi l'époque où il peint la série de ses Moissons et, en 1974, La joie champêtre. Une période délicate pour l'artiste qui, suite à la vente par l'Institut Pasteur de l'immeuble qu'il habite à un promoteur, se retrouve mis à la rue. Grâce à un ami avocat, il parvient à obtenir une indemnité mais cela lui vaut de travailler au bruit des démolitions et de se réfugier dans l'aquarelle, n'ayant plus d'atelier pour y monter ses toiles. À cette même période, le décès du maître-verrier pour lequel il travaille, met en péril l'atelier Lorin et, là encore, Manessier se bat pour permettre à l'entreprise de continuer à vivre jusqu'au rachat qui assurera sa pérennité. Il se bat aussi pour la restauration des vitraux de Chartres, menacée lors de leur dépose, en 1975, de se ternir et de perdre leur éclat, suite à de mauvaises manipulations (8). Enfin, en 1976; sa mère âgée de 88 ans, tombe gravement malade et Alfred s'en occupe avec un patience et une attention indéfectibles : il arrête totalement de peindre.
Après le décès de cette dernière, il reprend le chemin de la Baie de Somme, nostalgique et avide de souvenirs d'enfance, et sous le charme intact de ces paysages apaisants, il reprend ses pinceaux pour le plaisir d'étudier les variations de la lumière sur le sable, sur la mer, et au milieu des marais picards. Pour lui, c'est le "Temps retrouvé", et il aimait à dire que Proust avait un oeil de peintre.
- Les années 80 sont, toujours selon J-P. Bourdais, celles de l'apaisement. Il peint ses Passions (9), mais aussi nombre de paysages, présentés dans cette exposition et qui sont autant de chants fervents à la nature retrouvée. En 1987 et 1988, il partage douloureusement la souffrance des otages du Liban, l'un d'entre eux étant le gendre d'un ancien camarade lors de ses études d'architecture. Il signe des pétitions, bat le pavé de Paris et, en 1987, peint l'Otage, son tableau le plus désespéré. En mai 1988, les otages étant enfin libérés, il peint l'Hymne à la joie, en demi-teintes, car la mort de Michel Seurat, un des quatre otages, vient assombrir l'issue heureuse ce dernier combat du peintre pour l'homme et la fraternité.
Les années 80 sont aussi celles de la réalisation, difficile, des vitraux de l'église du Saint Sépulcre d'Abbeville pour lesquels il dut attendre 6 longues années que le financement soit enfin décidé par les pouvoirs publics. L'attente lui est si pénible qu'il développe un zona extrêmement douloureux.
- Les années 90 enfin, sont celles de la sérénité. Il réalise de paisibles Espaces Marins. Une rétrospective de sa peinture du Grand-Palais en 1992, un nouvel atelier à Clamart, la pose des vitraux d'Abbeville lui apportent joie et douceur. Le 28 juillet 1993, il est victime d'un accident de la route dans le Loiret, et il meurt le 1er août 1993 à l'hôpital d'Orléans la Source.
Le 5 août, ses funérailles ont lieu dans l'église du Saint-Sépulcre d'Abbeville. Il est enterré dans son village natal. Sur son chevalet reste inachevée Notre amie la mort selon Mozart, ultime méditation picturale sur un passage d'une lettre de Mozart à son père.
1929 - Le phare de Brighton
Il lit et relit le Libro dell'arte de Cennino Cennini, l'annotant et s'intéressant aux recettes du XIVe siècle de la préparation de la peinture à l'huile, à l'oeuf ou à la colle. C'est devant La Pourvoyeuse de Chardin qu'il fait la connaissance de Jean Le Moal qui deviendra son ami. Bien que poursuivant sagement ses études d'architecte - c'est ainsi que lors d'un voyage d'études en Hollande, il découvre, dans le bureau d'un architecte des toiles de Mondrian - il continue à peindre et s'initie même à la fresque avec Roger Bissière : il participe au Salon des Indépendants de 1934 et fréquente plusieurs amis peintres. Sa passion pour la peinture devient telle qu'à 26 ans, il refuse de passer l'ultime examen clôturant ses études d'architecture, il vend les biens de son père décédé deux ans auparavant, prend sa mère avec lui et décide d'affronter les risques d'une vie de peintre à Paris.
1938 - Catastrophe
Les années qui suivent sont difficiles pour Alfred : il doit faire son service militaire, déménage est rappelé sous les drapeaux en 39, et enfin, heureusement, rencontre Thérèse, sa future femme dont il sera toujours très proche et très amoureux. C'est l'époque où il élabore des oeuvres surréalistes, obsédé par les cruautés de la Guerre d'Espagne, par la prémonition d'une prochaine catastrophe et baignées d'un effroi latent. Après la démobilisation, il rejoint Thérèse réfugiée chez Roger Bissière à Boissiérettes dans le Lot, et il travaille comme garçon de ferme et bûcheron dans l'exploitation agricole de son ancien professeur. Son fils naît le 3 août 1940, la famille s'installe dans une ferme à Bénauge. C'est sur l'appel de Bazaine, chargé de la section des arts plastiques au sein du groupe Jeune France (1) qu'il rentre dans la capitale pour participer à l'exposition soutenue par Bazaine, Jean Vilar, Jean Desailly, Pierre Schaeffer, Lucien Lautrec... En mai 1941 il retourne à Paris, la peinture et la campagne normande, son art devenant pour lui un moyen de lutter contre le défaitisme, en célébrant une vie simple et paisible. Le surréalisme, au milieu de cette gigantesque conflagration, lui semble futile, d'ailleurs Thérèse n'en apprécie ni les couleurs acides, ni l'esprit trop subversif. Elle a fait, elle aussi, de la peinture et est une fervente de Bonnard. Même si elle ne s'est jamais engagée dans la peinture de son mari, les discutions entre eux sont vives et, peu à peu, il aspire à "concilier l'inconciliable, c'est à dire les deux cubistes Braque-Picasso et Bonnard"(2), sa lumière et son bonheur de peindre. Ses toiles, dès lors, proposent un nouveau regard sur monde, introduisant dans sa recherche un espace de liberté et une volonté de cohérence. Ses teintes évoluent vers des couleurs plus joyeuses, des rouges chaleureux et des bleus calmes. "L'aube pointe derrière les ténèbres" (3) et c'est comme un vent de fraîcheur qui souffle dès lors que ses œuvres.
1943 - Port au soleil couchant
En mai 1941, il participe à une exposition de jeunes artistes français - avec Tal Coat, Édouard Pignon, Suzanne Roger, Charles Lapicque et bien d'autres - à la galerie Braun, et c'est perçu comme une provocation à la censure nazi qui considère (et interdit) l'art abstrait comme art dégénéré. Deux officiers de la Propagandastaffel viennent au vernissage et repartent, sans dire un mot. Pourtant il ne s'agissait pas à proprement parler d'abstraction et l'expression tradition française permit sans doute de rassurer l'occupant.
1945 - Le Bignon, la nuit
Après la dissolution de Jeune France (1) en mars 1942 par le gouvernement de Vichy, Manessier achète une modeste maison au Bignon où il continue à peindre. Il reçoit la visite de nombreux amis et c'est ainsi que le jeune étudiant à la Sorbonne Camille Bourniquel qui est aussi écrivain, vient visiter l'atelier de Manessier pour lui acheter plusieurs petites toiles. C'est le début d'une longue amitié, et lorsqu'en septembre 1943 Camille annonce qu'il a l'intention de faire une retraite à La Trappe de Soligny, cela intrigue fort Manessier, qui le suit, par curiosité. Les deux amis font, durant ces trois journées monacales, une expérience spirituelle qui aura une grande importance dans l'orientation du peintre. Il dira de sa conversion "Je suis entré dans l'Église pour être libre" (4), et c'est de la conquête de sa liberté intérieure qu'il voulait parler. En deux années - lourdes en événements, les peurs de l'occupation en 1943, l'espoir d'une libération, puis le déchaînement des armes en Normandie en 1944 - il se libère peu à peu de la figuration qui est, pour lui, devenue comme une gêne, voire un obstacle pour dire sa transfiguration spirituelle et, de fait, picturale. Usant des couleurs comme le ferait un musicien des notes ou un poète des mots, il cherche à en faire émerger un accord lui permettant de communiquer avec son spectateur. Il peint l’exact opposé de la violence pour ne pas céder au déesepoir et affirmer sa foi en une certitude de voir vaincues les forces du mal. Malgré l'apparente sérénité de sa vie campagnarde, il cache dans sa cave parisienne l'imprimerie du réseau clandestin "Résistance" et ne doit son salut qu'à l'intervention intrépide et providentielle d'un agent de la Poste qui intercepte une lettre anonyme à la Kommandantur le dénonçant aux allemands.
En 1945, il participe avec ses fidèles amis au Salon de mai organisé par la galerie Maurs et, dès lors, et même si son succès est, au début, fragile, il commence à pouvoir vivre de son art. Dans son livre qu'il consacre à leur amitié, Jean-Pierre Bourdais distingue plusieurs période dans la vie du peintre :
1956 - Forces nocturnes
- Celle de l'après-guerre, où il commence à réaliser des toiles événementielles (5) dont aucune n'était présente à l'exposition dont ce n'était pas le propos, et de œuvres mystiques, dont l'illustration des Cantiques spirituels de saint Jean de la Croix en 1958.
1964 - Vent du soir sur Tolède
C'est aussi l'époque où il découvre la Provence, dont les lumières exaltent sa palette et délient son dessin, et l'Espagne (découverte en avril 63) dont il célèbre dans ses toiles les saisons lumineuses et austères. C'est enfin la période de ses deux séjours canadiens, dont il ramène des toiles à la lumière moins modulée, où les tons sont plus contrastés et les noirs plus présents. De cette période l'exposition présente surtout des paysages espagnols.
1974 - Rochers au couchant
Après le décès de cette dernière, il reprend le chemin de la Baie de Somme, nostalgique et avide de souvenirs d'enfance, et sous le charme intact de ces paysages apaisants, il reprend ses pinceaux pour le plaisir d'étudier les variations de la lumière sur le sable, sur la mer, et au milieu des marais picards. Pour lui, c'est le "Temps retrouvé", et il aimait à dire que Proust avait un oeil de peintre.
1981 - Soir sur le port (Le petit Cabellou, Finistère)
Les vitraux d'Abbeville
Les années 80 sont aussi celles de la réalisation, difficile, des vitraux de l'église du Saint Sépulcre d'Abbeville pour lesquels il dut attendre 6 longues années que le financement soit enfin décidé par les pouvoirs publics. L'attente lui est si pénible qu'il développe un zona extrêmement douloureux.
1990-91 Flotille au petit matin
- Les années 90 enfin, sont celles de la sérénité. Il réalise de paisibles Espaces Marins. Une rétrospective de sa peinture du Grand-Palais en 1992, un nouvel atelier à Clamart, la pose des vitraux d'Abbeville lui apportent joie et douceur. Le 28 juillet 1993, il est victime d'un accident de la route dans le Loiret, et il meurt le 1er août 1993 à l'hôpital d'Orléans la Source.
1992 - Petit port au matin
Le 5 août, ses funérailles ont lieu dans l'église du Saint-Sépulcre d'Abbeville. Il est enterré dans son village natal. Sur son chevalet reste inachevée Notre amie la mort selon Mozart, ultime méditation picturale sur un passage d'une lettre de Mozart à son père.
1983 - La petite source
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Notes
Notes
(1) Jeune France est une association, créé sous l’égide du Secrétariat général à la jeunesse du gouvernement de Vichy en décembre 1940, pour faire adhérer les jeunes à la Révolution nationale, à travers une politique culturelle de création et de diffusion. Infiltrée par les gaullistes, elle est dissoute à la demande du gouvernement en mars 1942.
(2) Alfred Manessier, mon ami de Jean-Pierre Bourdais, édition Siloë, 2004 page 27
(3) Alfred Manessier, mon ami de Jean-Pierre Bourdais, édition Siloë, 2004 page 28
(4) Alfred Manessier, mon ami de Jean-Pierre Bourdais, édition Siloë, 2004 page 29
(5) Comme la première, peinte en 1946, Les cloches de Notre-Dame évoquant la Libération de Paris le 25 août 44, ou Requiem pour novembre 56, en hommage au peuple hongrois qui s'était soulevé contre l'oppression soviétique... ou enfin comme Hommage à Martin Luther King, toile commencée le 4 avril 1968, le soir même de l'assassinat du pasteur noir américain, et dont il interrompit le travail peu après pour participer physiquement aux manifestations de mai à Paris.
(6) Encore des oeuvres non présentées à l'exposition et dont le thème était le scandaleux procès qui se déroula en décembre 70 contre 16 nationalistes basques jugés pour un attentat contre un policier espagnol. Le procès était public et la violence de la répression franquiste contre les indépendantistes basques fut révélée au grand jour, au milieu d'invectives et de manifestations de rue où les accusateurs haineux brandissaient des crucifix. Voir l'article de l'Express.
(7) Ainsi Vietnam-Vietnam (1972) qui dénonce les morts, le napalm et les défoliants qui détruisent les forêts et même les embryons humains, Onze septembre 1973, colère d'un démocrate contre le coup d'état meurtrier du Chili, Pour la mère d'un condamné à mort, hommage à la douleur de la mère du jeune insurgé espagnol garrotté en 1975, Tortures, Passions espagnoles ... Il peindra aussi, vers 1978, après sa rencontre avec Dom Elder Camara, 5 grandes favelas pour dénoncer la misère insidieuse et ses prolongements sociaux. En 1980, il peint un Hommage à Mgr Romero, assassiné brutalement alors qu'il célébrait la Messe.
(8) Extrait du livre de Jean-Pierre Bourdais (pages 42 à 44) : La grande verrière de L’Arbre de Jessé située au-dessus du portail royal de Chartres avait été déposée pour restauration par l’administration des Monuments historiques. Le 3 janvier 1975, vaguement inquiet, Alfred est allé voir sur place le résultat de la repose : dépit et indignation ! La verrière avait perdu toute sa richesse, ses points lumineux qui brillaient au soleil tels de petits diamants, l’éclat et l’harmonie de ses coloris ; elle était devenue terne, sans vie réelle, vaguement recouverte d’un léger voile jaunâtre, en quelque sorte passée au papier-calque.
Sous l’impulsion de ses experts, le professeur Grodecki dans le domaine de l’histoire de l’art et de M. Froidevaux dans celui de l’architecture, fière de la découverte d’une nouvelle méthode de protection des vitraux, l’administration avait fait enlever la patine des vitraux, abraser leur face externe et appliquer une pellicule de matière plastique ; pour expérimenter cette découverte, elle n’avait rien trouvé de mieux que de l’appliquer sur un des ensembles les plus prestigieux qui soient et se proposait de traiter tous les autres vitraux de Chartres, puis des grandes cathédrales de France.
De ce jour et pendant deux ans, Alfred a très peu travaillé ; il a consacré son temps à organiser l’ADVF avec Jean Bazaine et à entrer dans la polémique.
Il se trouve qu’une dizaine d’années auparavant, nous nous étions assis tous les deux, Alfred et moi, dans la nef de la cathédrale de Chartres près de l’allée centrale, tournés vers l’ouest. C’était une belle après-midi d’été finissante, le soleil illuminait encore L'Arbre de Jessé. Très longuement nous sommes restés devant cet enchantement coloré et ses projections. Alfred m’a confié dans le détail pourquoi il s’enthousiasmait toujours avec la même ferveur pour la composition de toute la verrière. À cette distance, les vitraux ne pouvaient qu’être « abstraits » et les figures ne pouvaient être discernées. Il m’a célébré les talents de coloristes de ses prédécesseurs du Moyen Âge, l’audace de leurs choix et des passages entre les fenêtres, et aussi la justesse de leur conception qui devenait un hymne coloré. Il imaginait aussi la complicité indispensable entre les maîtres-verriers, les fabricants des verres et les exécutants pour parvenir à une telle perfection. Ce plaidoyer était un signe prémonitoire...
Notre combat autour d’Alfred Manessier et Jean Bazaine a été loyal, mais très sévère. Nous imaginions facilement combien l’administration des Monuments historiques nantie de ses experts, sûre de ses bonnes intentions de protéger les vitraux les plus célèbres de France, consciente de sa suprématie sans partage pouvait se sentir frustrée. À la « certitude » scientifique, nous opposions l’évidence artistique et artisanale.
Vous me permettrez ici de rendre un hommage spécial aux amis qui, en s’opposant à cette fâcheuse initiative, ont affronté avec courage une administration dont ils dépendent sur le plan financier ; je veux parler des maîtres-verriers et des artistes peintres qui ont signé notre pétition. A posteriori, vous ne pouvez imaginer combien une administration prise en défaut peut être virulente ; tous les coups sont permis ; les esprits se sont vite échauffés ; la presse a trop souvent pris parti, Le Figaro en particulier, sur des a priori. Des esprits libres, un « col rouge » de l’administration et André Malraux, contactés par Alfred Manessier et Jean Lescure ont été vite convaincus du bien-fondé de notre démarche et ont obtenu l’arrêt d’une expérience néfaste. En 1979, l’administration a enfin appliqué une méthode douce et efficace que notre association a acceptée. Nous pouvons ajouter qu’elle n’a pas été revancharde, mais la bataille a vraiment été rude !
De notre côté, avec Alfred Manessier, l’ADVF n’a pas triomphé, elle a voulu l’apaisement, mais elle n’oublie pas qu’il reste une victime innocente : L’Arbre de Jessé qui a définitivement perdu sa féerie colorée et risque fort de subir le jaunissement de la matière plastique appliquée à tort. Toujours au nom d’Alfred Manessier et de ses amis, au-delà du retour au calme, nous insistons vigoureusement auprès des futures générations pour qu’elles restent vigilantes ; une restauration des œuvres anciennes, peintures, vitraux notamment, peut être nuisible dès qu’elle manque de modestie.
(9) Sollicité par le fondateur du musée de Dunkerque pour peindre, à l'occasion de la visite de Jean-Paul II aux mineurs polonais du Nord de la France, il envisage une nouvelle Passion de Saint Matthieu, pour la mettre en parallèle avec celle réalisée en 1948. Or Thérèse, sollicitée pour donner son avis, trouva que l'ensemble des couleurs et l'atmosphère lumineuse évoquaient plutôt l'Évangile selon saint Jean. Manessier peignit donc trois autres Passions, en terminant par celle de Saint Matthieu !
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Sources des informations contenues dans ce billet :
(3) Alfred Manessier, mon ami de Jean-Pierre Bourdais, édition Siloë, 2004 page 28
(4) Alfred Manessier, mon ami de Jean-Pierre Bourdais, édition Siloë, 2004 page 29
(5) Comme la première, peinte en 1946, Les cloches de Notre-Dame évoquant la Libération de Paris le 25 août 44, ou Requiem pour novembre 56, en hommage au peuple hongrois qui s'était soulevé contre l'oppression soviétique... ou enfin comme Hommage à Martin Luther King, toile commencée le 4 avril 1968, le soir même de l'assassinat du pasteur noir américain, et dont il interrompit le travail peu après pour participer physiquement aux manifestations de mai à Paris.
(6) Encore des oeuvres non présentées à l'exposition et dont le thème était le scandaleux procès qui se déroula en décembre 70 contre 16 nationalistes basques jugés pour un attentat contre un policier espagnol. Le procès était public et la violence de la répression franquiste contre les indépendantistes basques fut révélée au grand jour, au milieu d'invectives et de manifestations de rue où les accusateurs haineux brandissaient des crucifix. Voir l'article de l'Express.
(7) Ainsi Vietnam-Vietnam (1972) qui dénonce les morts, le napalm et les défoliants qui détruisent les forêts et même les embryons humains, Onze septembre 1973, colère d'un démocrate contre le coup d'état meurtrier du Chili, Pour la mère d'un condamné à mort, hommage à la douleur de la mère du jeune insurgé espagnol garrotté en 1975, Tortures, Passions espagnoles ... Il peindra aussi, vers 1978, après sa rencontre avec Dom Elder Camara, 5 grandes favelas pour dénoncer la misère insidieuse et ses prolongements sociaux. En 1980, il peint un Hommage à Mgr Romero, assassiné brutalement alors qu'il célébrait la Messe.
1966 - Lumière matinale
(8) Extrait du livre de Jean-Pierre Bourdais (pages 42 à 44) : La grande verrière de L’Arbre de Jessé située au-dessus du portail royal de Chartres avait été déposée pour restauration par l’administration des Monuments historiques. Le 3 janvier 1975, vaguement inquiet, Alfred est allé voir sur place le résultat de la repose : dépit et indignation ! La verrière avait perdu toute sa richesse, ses points lumineux qui brillaient au soleil tels de petits diamants, l’éclat et l’harmonie de ses coloris ; elle était devenue terne, sans vie réelle, vaguement recouverte d’un léger voile jaunâtre, en quelque sorte passée au papier-calque.
Sous l’impulsion de ses experts, le professeur Grodecki dans le domaine de l’histoire de l’art et de M. Froidevaux dans celui de l’architecture, fière de la découverte d’une nouvelle méthode de protection des vitraux, l’administration avait fait enlever la patine des vitraux, abraser leur face externe et appliquer une pellicule de matière plastique ; pour expérimenter cette découverte, elle n’avait rien trouvé de mieux que de l’appliquer sur un des ensembles les plus prestigieux qui soient et se proposait de traiter tous les autres vitraux de Chartres, puis des grandes cathédrales de France.
De ce jour et pendant deux ans, Alfred a très peu travaillé ; il a consacré son temps à organiser l’ADVF avec Jean Bazaine et à entrer dans la polémique.
Il se trouve qu’une dizaine d’années auparavant, nous nous étions assis tous les deux, Alfred et moi, dans la nef de la cathédrale de Chartres près de l’allée centrale, tournés vers l’ouest. C’était une belle après-midi d’été finissante, le soleil illuminait encore L'Arbre de Jessé. Très longuement nous sommes restés devant cet enchantement coloré et ses projections. Alfred m’a confié dans le détail pourquoi il s’enthousiasmait toujours avec la même ferveur pour la composition de toute la verrière. À cette distance, les vitraux ne pouvaient qu’être « abstraits » et les figures ne pouvaient être discernées. Il m’a célébré les talents de coloristes de ses prédécesseurs du Moyen Âge, l’audace de leurs choix et des passages entre les fenêtres, et aussi la justesse de leur conception qui devenait un hymne coloré. Il imaginait aussi la complicité indispensable entre les maîtres-verriers, les fabricants des verres et les exécutants pour parvenir à une telle perfection. Ce plaidoyer était un signe prémonitoire...
Notre combat autour d’Alfred Manessier et Jean Bazaine a été loyal, mais très sévère. Nous imaginions facilement combien l’administration des Monuments historiques nantie de ses experts, sûre de ses bonnes intentions de protéger les vitraux les plus célèbres de France, consciente de sa suprématie sans partage pouvait se sentir frustrée. À la « certitude » scientifique, nous opposions l’évidence artistique et artisanale.
Vous me permettrez ici de rendre un hommage spécial aux amis qui, en s’opposant à cette fâcheuse initiative, ont affronté avec courage une administration dont ils dépendent sur le plan financier ; je veux parler des maîtres-verriers et des artistes peintres qui ont signé notre pétition. A posteriori, vous ne pouvez imaginer combien une administration prise en défaut peut être virulente ; tous les coups sont permis ; les esprits se sont vite échauffés ; la presse a trop souvent pris parti, Le Figaro en particulier, sur des a priori. Des esprits libres, un « col rouge » de l’administration et André Malraux, contactés par Alfred Manessier et Jean Lescure ont été vite convaincus du bien-fondé de notre démarche et ont obtenu l’arrêt d’une expérience néfaste. En 1979, l’administration a enfin appliqué une méthode douce et efficace que notre association a acceptée. Nous pouvons ajouter qu’elle n’a pas été revancharde, mais la bataille a vraiment été rude !
De notre côté, avec Alfred Manessier, l’ADVF n’a pas triomphé, elle a voulu l’apaisement, mais elle n’oublie pas qu’il reste une victime innocente : L’Arbre de Jessé qui a définitivement perdu sa féerie colorée et risque fort de subir le jaunissement de la matière plastique appliquée à tort. Toujours au nom d’Alfred Manessier et de ses amis, au-delà du retour au calme, nous insistons vigoureusement auprès des futures générations pour qu’elles restent vigilantes ; une restauration des œuvres anciennes, peintures, vitraux notamment, peut être nuisible dès qu’elle manque de modestie.
(9) Sollicité par le fondateur du musée de Dunkerque pour peindre, à l'occasion de la visite de Jean-Paul II aux mineurs polonais du Nord de la France, il envisage une nouvelle Passion de Saint Matthieu, pour la mettre en parallèle avec celle réalisée en 1948. Or Thérèse, sollicitée pour donner son avis, trouva que l'ensemble des couleurs et l'atmosphère lumineuse évoquaient plutôt l'Évangile selon saint Jean. Manessier peignit donc trois autres Passions, en terminant par celle de Saint Matthieu !
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Sources des informations contenues dans ce billet :
Alfred Manessier, mon ami de Jean-Pierre Bourdais, édition Siloë, 2004... un excellent bouquin dont je recommande vivement la lecture et qu'on trouve encore à la boutique du Musée Mendjisky.
Le très complet article de Wikipedia sur l'artiste
Le Musée Mendjisky - Écoles de Paris vous remercie chaleureusement de cet article sur votre blog !
RépondreSupprimerAu plaisirs de vous revoir pour une prochaine visite !
C'est très gentil à vous de m'avoir laissé ce commentaire ! Je suis absolument ravie que mon article vous ait plu... et espère, en effet, revenir bientôt dans votre musée qui est, vraiment, un lieu d'exception ! Où, en prime, on est fort aimablement accueilli !
SupprimerC'est très gentil à vous de m'avoir laissé ce commentaire ! Je suis absolument ravie que mon article vous ait plu... et espère, en effet, revenir bientôt dans votre musée qui est, vraiment, un lieu d'exception ! Où, en prime, on est fort aimablement accueilli !
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