Sans eux, nous n'y serions pas allés, et vraiment nous aurions raté quelque chose !! Eux ? Un couple de français, parisiens même - que oui, que oui, des vrais cent pour cent de "la capitale" - avec qui nous avons lié connaissance autour des fresques d'Angeli à la villa Widmann Rezzonico Foscari à Mira. Nous ne sommes pas très coutumiers des rencontres de hasard, et encore moins prêts à partager notre mode de tourisme très particulier, vous vous en doutez... Pas envie d'imposer à quiconque nos errements infinis sur les lieux de nos étonnements, et moins envie encore d'avoir à presser le pas, pour nous adapter à un rythme supposé plus normal.
Pourtant là, je crois que nous avions trouvé des "partenaires" idéaux, avec qui, d'ailleurs, nous avons passé une grande partie de la journée, visitant ensemble l'autre villa de Mira, enfin plutôt un de ses deux barchesse de la Valmarana, l'autre étant privée, et dont, surtout, nous avons suivi scrupuleusement tous les conseils. Et nous ne nous en sommes pas repentis une seule fois.
Ils nous avaient donc dit, d'un air un peu mystérieux "Allez à San Vito, près de Castelfranco Veneto, au cimetière, vous verrez la tombe que Scarpa a construite pour l'industriel Brion"... et n'avaient pas voulu nous en révéler plus, ravis d'avance de la bonne surprise que nous aurions. Pensez que nous étions intrigués, et enchantés de ce jeu de piste. Une petite virée aux alentours de Bassano nous tentait bien et si, notre propension à nous attarder ayant encore sévi, nous n'avons jamais atteint Bassano (vue il y a fort longtemps !) le circuit était plaisant.
Castelfranco Veneto, un délicieux petit bourg tranquille ceint de murs médiévaux, nous a accueillis par une profusion de fleurs : on y installait une fête prochaine et la ville, aux allures de bastide, était plus que pimpante.
Foritifiée à la fin du XIIème pour éviter de souffrir des luttes incessantes entre Padoue et Venise, elle eut à subir au milieu du XIIIème le gouvernement du terrible Ezzelino III da Romano, dont nous avons suivi les traces et les exactions dans la province tout au long de notre voyage ! Etape obligée entre Venise et les Flandres, Castelfranco fut, de tous temps et malgré ses allures de forteresse, une ville commerciale. Ville qui vit naître hommes de sciences ( Jacopo, Giordano et Vincenzo Riccati), architecte (Francesco Marie Preti), musicien (Agostino Steffani, vous savez le musicien vénète remis à l'honneur par Cecilia Bartoli dans Mission, et par Dona Leon dans Les Joyaux du Paradis), Castelfranco est, surtout, la patrie de Giorgione.
Ce qui vaut à la ville une très belle réalisation muséale, la Casa Giorgione, centre d'art et de culture actif et fort bien aménagé et surtout la pala ineffable de la chapelle Costanzo. Qui nous valut de revenir le soir pour trouver, enfin, l'église ouverte !
Tuzio Costanzo était de Messine et quand il arriva à Castelfranco en 1488, il était déjà fort connu, célébré par Louis XII comme "la première lance d'Italie". Tuzio avait un fils, Matteo, excellent cavalier, mort à Ravenne à l'occasion de la guerre du Casentin en 1499, âgé seulement de 23 ans.
Sa pierre tombale, vraisemblablement réalisée par un sculpteur que nous avons découvert durant notre séjour (en particulier à l'exposition Bembo) Giovan Giorgio Lascaris, dit Pirgotele * est sobrement couchée sur le sol. Il est vraisemblable que la pala d'autel qui la surmonte avait été commandée au jeune Giorgione avant la mort du héros, pour mettre ce dernier sous la protection de la Vierge, et le décès de ce dernier entraîna, pense-t-on**, des remaniements iconographiques. C'est ainsi que le trône de Marie a été transformé en un triste sépulcre de porphyre.
Et surtout, la Vierge et l'Enfant arborent un air de mélancolique tristesse. Tous deux ont un regard empreint d'une profonde compassion, et inhabituellement penché vers le bas (surtout Jésus qui baisse carrément la tête), vers la tombe du jeune preux qu'ils semblent veiller.
La scène se déroule dans une chapelle non close à l'arrière, largement ouverte sur la campagne luxuriante, avec deux écuyers sur la droite. Marie siège sur un trône d'une hauteur impressionnante, dont le haut, complètement détaché sur le ciel symbolise forcément le Paradis auquel Matteo pouvait, suite à ses exploits, prétendre. A droite, le saint qui esquisse le geste classique de celui qui présente le commanditaire de l'oeuvre à la Vierge (ici, le jeune homme enterré au-dessous), ne pose aucun problème d'identification : c'est Saint-François, particulièrement vénéré à Messine, ville dont je le rappelle, était originaire la famille Costanzo.
Par contre le saint guerrier situé sur la gauche du trône a été l’objet de tentatives diverses d'identification : on a proposé, puis réfuté à cause de l'absence totale d'éléments iconographiques (comme un dragon), Saint Georges. Puis San Liberale, San Floriano et enfin, celui qu'on retient comme le plus probable à l'heure actuelle, San Nicasio. San Nicasio*** nacquit aux alentours de 1130-1140 et répondant à l'appel du Grand Maître de Jérusalem, Ruggero, s'embarqua à sa suite vers la Terre Sainte en 1185. En 1187; une bataille opposa les croisés au Sultan Saladin, et les chrétiens, après s'être réfugiés sur une colline appelée Corni di Hattin, furent battus, faits prisonniers puis exécutés en bonne et due forme. Vénéré rapidement après sa mort, San Nicasio était, au Moyen Age représenté comme un homme d'âge mûr, avec une barbe et un étendard orné de la croix de l'Ordre de Jérusalem. Mais au 16ème, son iconographie évolue et on le représente souvent sous les traits d'un jeune homme - son drapeau étant plutôt la simple croix blanche de l'Ordre des Cavaliers de Malte - tenant à la main une palme du martyre. On propose aussi, sur la base de la découverte d'archives récentes, d'y voir le jeune frère du mort, Muzio, qui appartint à l'Ordre des Chevaliers hospitaliers de Saint Jean Baptiste.
Le siège de la Vierge est recouvert de luxurieux tapis orientaux, velours, damas, pannes richement brodées dont les teintes s'harmonisent tant avec la robe qu’avec le fond de paysage.
Sur le sarcophage figurent les armes de la famille Costanzo, légèrement différentes de celles qui sont gravées sur le blason de marbre apposé sur l'autel de cette chapelle : les 6 "côtes humaines" apposées deux à deux sont bien présentes, mais le lion rampant ne les surmonte pas.
Et Scarpa, me direz-vous ??? Plus tard, plus tard !!!
* Pirgotele est un sculpteur grec qui fut célébré comme le plus talentueux graveur sur pierre de la période hélénistique (seconde moitié du IVème siècle avant JC), inventeur même, selon certains historiens, de la technique du camée. L'estime dont il jouissait auprès d'Alexandre le Grand était si forte que ce dernier, dit-on, promulga un édit qui décidait qu'il était le seul à pouvoir le portraiturer sur pierre dure. Avoir donné ce surnom à Lascaris montre combien ses contemporains le portaient en grande estime.
** ces modifications sont apparues lors des analyses scientifiques menées quand on restaura la pala :
*** j'ai laissé Nicasio pour qu'on ne confonde pas avec Nicaise, un saint français martyrisé par les Vandales en près de Reims au IVème siècle, et dit Nicaise de Reims.
Foritifiée à la fin du XIIème pour éviter de souffrir des luttes incessantes entre Padoue et Venise, elle eut à subir au milieu du XIIIème le gouvernement du terrible Ezzelino III da Romano, dont nous avons suivi les traces et les exactions dans la province tout au long de notre voyage ! Etape obligée entre Venise et les Flandres, Castelfranco fut, de tous temps et malgré ses allures de forteresse, une ville commerciale. Ville qui vit naître hommes de sciences ( Jacopo, Giordano et Vincenzo Riccati), architecte (Francesco Marie Preti), musicien (Agostino Steffani, vous savez le musicien vénète remis à l'honneur par Cecilia Bartoli dans Mission, et par Dona Leon dans Les Joyaux du Paradis), Castelfranco est, surtout, la patrie de Giorgione.
Ce qui vaut à la ville une très belle réalisation muséale, la Casa Giorgione, centre d'art et de culture actif et fort bien aménagé et surtout la pala ineffable de la chapelle Costanzo. Qui nous valut de revenir le soir pour trouver, enfin, l'église ouverte !
Tuzio Costanzo était de Messine et quand il arriva à Castelfranco en 1488, il était déjà fort connu, célébré par Louis XII comme "la première lance d'Italie". Tuzio avait un fils, Matteo, excellent cavalier, mort à Ravenne à l'occasion de la guerre du Casentin en 1499, âgé seulement de 23 ans.
Sa pierre tombale, vraisemblablement réalisée par un sculpteur que nous avons découvert durant notre séjour (en particulier à l'exposition Bembo) Giovan Giorgio Lascaris, dit Pirgotele * est sobrement couchée sur le sol. Il est vraisemblable que la pala d'autel qui la surmonte avait été commandée au jeune Giorgione avant la mort du héros, pour mettre ce dernier sous la protection de la Vierge, et le décès de ce dernier entraîna, pense-t-on**, des remaniements iconographiques. C'est ainsi que le trône de Marie a été transformé en un triste sépulcre de porphyre.
Et surtout, la Vierge et l'Enfant arborent un air de mélancolique tristesse. Tous deux ont un regard empreint d'une profonde compassion, et inhabituellement penché vers le bas (surtout Jésus qui baisse carrément la tête), vers la tombe du jeune preux qu'ils semblent veiller.
La scène se déroule dans une chapelle non close à l'arrière, largement ouverte sur la campagne luxuriante, avec deux écuyers sur la droite. Marie siège sur un trône d'une hauteur impressionnante, dont le haut, complètement détaché sur le ciel symbolise forcément le Paradis auquel Matteo pouvait, suite à ses exploits, prétendre. A droite, le saint qui esquisse le geste classique de celui qui présente le commanditaire de l'oeuvre à la Vierge (ici, le jeune homme enterré au-dessous), ne pose aucun problème d'identification : c'est Saint-François, particulièrement vénéré à Messine, ville dont je le rappelle, était originaire la famille Costanzo.
Par contre le saint guerrier situé sur la gauche du trône a été l’objet de tentatives diverses d'identification : on a proposé, puis réfuté à cause de l'absence totale d'éléments iconographiques (comme un dragon), Saint Georges. Puis San Liberale, San Floriano et enfin, celui qu'on retient comme le plus probable à l'heure actuelle, San Nicasio. San Nicasio*** nacquit aux alentours de 1130-1140 et répondant à l'appel du Grand Maître de Jérusalem, Ruggero, s'embarqua à sa suite vers la Terre Sainte en 1185. En 1187; une bataille opposa les croisés au Sultan Saladin, et les chrétiens, après s'être réfugiés sur une colline appelée Corni di Hattin, furent battus, faits prisonniers puis exécutés en bonne et due forme. Vénéré rapidement après sa mort, San Nicasio était, au Moyen Age représenté comme un homme d'âge mûr, avec une barbe et un étendard orné de la croix de l'Ordre de Jérusalem. Mais au 16ème, son iconographie évolue et on le représente souvent sous les traits d'un jeune homme - son drapeau étant plutôt la simple croix blanche de l'Ordre des Cavaliers de Malte - tenant à la main une palme du martyre. On propose aussi, sur la base de la découverte d'archives récentes, d'y voir le jeune frère du mort, Muzio, qui appartint à l'Ordre des Chevaliers hospitaliers de Saint Jean Baptiste.
Le siège de la Vierge est recouvert de luxurieux tapis orientaux, velours, damas, pannes richement brodées dont les teintes s'harmonisent tant avec la robe qu’avec le fond de paysage.
Sur le sarcophage figurent les armes de la famille Costanzo, légèrement différentes de celles qui sont gravées sur le blason de marbre apposé sur l'autel de cette chapelle : les 6 "côtes humaines" apposées deux à deux sont bien présentes, mais le lion rampant ne les surmonte pas.
Et Scarpa, me direz-vous ??? Plus tard, plus tard !!!
A SUIVRE
TOUJOURS SUR LA ROUTE DE SCARPA (2-LOTTO)
MAIS QUAND DONC VERRA-T-ON SCARPA ?? (3)
SCARPA ENFIN !! (4)
TOUJOURS SUR LA ROUTE DE SCARPA (2-LOTTO)
MAIS QUAND DONC VERRA-T-ON SCARPA ?? (3)
SCARPA ENFIN !! (4)
* Pirgotele est un sculpteur grec qui fut célébré comme le plus talentueux graveur sur pierre de la période hélénistique (seconde moitié du IVème siècle avant JC), inventeur même, selon certains historiens, de la technique du camée. L'estime dont il jouissait auprès d'Alexandre le Grand était si forte que ce dernier, dit-on, promulga un édit qui décidait qu'il était le seul à pouvoir le portraiturer sur pierre dure. Avoir donné ce surnom à Lascaris montre combien ses contemporains le portaient en grande estime.
** ces modifications sont apparues lors des analyses scientifiques menées quand on restaura la pala :
Cette mise "en lignes" montre , outre la double convergence des points de fuite (une en-dessous du rideau rouge, l'autre largement au-dessus) et la parfaite symétrie de la composition, que le sarcophage ne pouvait manifestement pas contenir un corps : il est trop petit. La ligne rouge du bas correspond à la taille des personnages du premier plan et prouve l'étroitesse de cette pierre tombale. Ce qui laisse aisément imaginer qu’au départ, lorsque Giorgione mit en place sa composition, ce n'était pas un sarcophage mais bien le bas du trône. La position légèrement décentrée de l'écusson de la famille, montrerait aussi une reprise du schéma initial.
*** j'ai laissé Nicasio pour qu'on ne confonde pas avec Nicaise, un saint français martyrisé par les Vandales en près de Reims au IVème siècle, et dit Nicaise de Reims.
Vous avez l'art de maintenir l'attention de vos lecteurs et vos détours sont fort intéressants, d'autant plus que nous ne nous sommes jamais arrêtés à Castelfranco Veneto. Vous donnez envie de découvrir ses merveilles. Bon long weekend!
RépondreSupprimerMerci Anne, j'espère bien vous donner envie de tout, même si vous connaissez déjà ... presque tout en Vénétie ! bon week-end à vous aussi
Supprimersuspens suspens! Mais les étapes sont bien agréables! Bonne soirée!
RépondreSupprimerMerci Eimelle, il faut dire qu'en Italie le moindre détour est d'une richesse !!!
SupprimerOuep ! là nous frisons le polar historique ! je trépigne en attendant de connaitre la suite !
RépondreSupprimerAh ouiche, avec les "côtes humaines" ! Merci Philfff de cet enthousiasme qui me va droit au coeur !
SupprimerJe commence mon rattrapage avec ce Giorgione que je ne connaissais pas... J'aime bien la dernière analyse avec le tracé des lignes en surimpression.
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