Carsac : un joli bourg de Dordogne, une rivière aux abords champêtre, des souvenirs préhistoriques, un souffleur de verre, quelques jolies maisons, et une église classée. Une église qui nous est, à bien des égards, chère, et devant laquelle, chaque fois que nous allons dans la maison de famille nous passons en pèlerinage pour y échanger un traditionnel baiser : identique à celui que nous échangeâmes, dans la bonne tradition festive, le jour où nous en sortîmes unis pour l'éternité le 15 mars 1976.
Nous l'avons donc souvent vue, ressentie, humée, mais finalement jamais vraiment visitée. Et voilà que l'autre jour, était-ce inattention, était-ce distraction naturelle, Alter passa Carsac sans faire le détour obligé. Sommation :
- Soit tu fais demi-tour, soit ...???
Soit quoi ? Mystère... qu'allais-je trouver pour sanctionner comme il se devait une telle étourderie ? Pas le temps d'approfondir, Alter avait déjà pris "la première à gauche" et quelques secondes plus tard nous étions garés devant notre petit sanctuaire "privé" !!
Et du coup, nous l'avons épluchée, détaillée comme jamais, nous avons fureté dans ses moindres recoins et, le temps passant, avons déjeuné juste à côté pour la mieux voir encore. J'en rapporte un petit reportage que je choisis de publier aujourd'hui, en hommage à une autre union, qui s'est déroulée ce matin à Issy les Moulineaux*. Le point commun ?? Zack !!!
Car l'église de Carsac est certes un joli petit monument roman aux pierres blondes et aux modillons plein de verve. Mais elle contient une œuvre d'art discrète et pourtant, à mon sens, insigne : un chemin de croix réalisé par Léon Zack et sa fille Irène**.
Zack est un peintre russe, naturalisé français en 1938, né le 12 juillet 1892 à Nijni Novgorov***. Il commence à peindre jeune et pendant des études de lettres à la faculté des lettres de l'université de Moscou, il travaille le dessin et la peinture dans des académies privées. Chez des collectionneurs russes, il découvre Cézanne, Derain, Matisse ou Picasso.
En 1920 il doit quitter la Russie, devenue trop dangereuse pour lui (il est juif, et artiste, ce qui fait beaucoup !!) et voudrait se rendre à Paris. A Costantinople où il a fait escale, il attend durant trois mois un visa français qui lui est refusé mais obtient un visa italien. Il vit alors durant deux ans à Florence, découvre Paris en 1921, puis quitte Florence pour Berlin. Ce n'est qu'en 1923 qu'il pourra enfin s'installer définitivement à Paris. Il commence à être reconnu comme peintre, exposant au Salon d'automne, au Salon des indépendants et au Salon des Surindépendants dont il est, en 1929, l'un des fondateurs.
En 1920 il doit quitter la Russie, devenue trop dangereuse pour lui (il est juif, et artiste, ce qui fait beaucoup !!) et voudrait se rendre à Paris. A Costantinople où il a fait escale, il attend durant trois mois un visa français qui lui est refusé mais obtient un visa italien. Il vit alors durant deux ans à Florence, découvre Paris en 1921, puis quitte Florence pour Berlin. Ce n'est qu'en 1923 qu'il pourra enfin s'installer définitivement à Paris. Il commence à être reconnu comme peintre, exposant au Salon d'automne, au Salon des indépendants et au Salon des Surindépendants dont il est, en 1929, l'un des fondateurs.
Contraint en 1940 de quitter Paris, il se réfugie dans le Midi, se cache pendant un an sous un faux nom dans un village de l'Isère, puis vient en Dordogne. Convertit au christianisme en 1941, il va dès lors travailler beaucoup dans les églises. Participant avec enthousiasme au renouveau de l'Art Sacré qui s'épanouit en France au moment de la reconstruction, il réalise peintures, vitraux (comme à Issy les Moulineaux****) et sculptures. C'est dans ce cadre qu'il se voit commander en 1955 par le curé de Carsac qui garde souvenir de lui, un Chemin de Croix, une de ses œuvres majeures. Modeste, on n'a pas les moyens de se payer de la pierre, on se contentera de terre cuite vernissée (c'est là qu'Irène intervient), sobre, presqu'austère mais pourtant très évocateur, l'ensemble des 14 panneaux de ce Chemin de Croix illustre des extraits d'un texte de Paul Claudel, poème en prose écrit sur les stations de la Croix (en bleu), et d'autres vers du poète (en vert).
Première Station
C'est fini Nous avons jugé Dieu et nous l'avons condamné à mort.
C'est fini Nous avons jugé Dieu et nous l'avons condamné à mort.
La Croix est annoncée : deux lourds montants de bois, reliés par un nœud épais, solide, qui rend la suite inélucatble : l'ambiance est pesante.
Deuxième Station
Rendez-moi patient a mon tour du bois que vous voulez que je supporte.
Car il nous faut porter la croix avant que la croix nous porte.
Car il nous faut porter la croix avant que la croix nous porte.
Le Christ élève ses deux bras vers la Croix, il consent au calvaire et au sacrifice, soumis à la volonté de son Père : l'anneau symbolise l'union parfaite du Christ et de la Croix.
Troisième station
"Par l'embûche qui a réussi, par la terre que vous avez apprise,
Sauvez-nous du premier péché qu'on commet par surprise"
C'est la station qu'on appelle "Jésus tombe pour la première fois". Il essaie d'éviter la chute, mais la croix est trop lourde, il ploie, dérape et tombe. Une sorte d'éclair inévitable brise net la marche du supplicié.
Quatrième station
Elle se tient debout devant Dieu et lui offre son âme à lire.
Il n'y a rien dans son cœur qui refuse ou qui retire.
Il n'y a rien dans son cœur qui refuse ou qui retire.
Deux croix nimbées de lumière qui n'en forment plus qu'une, deux souffrances unies par un bras commun. Une station qui évoque ce que l'amour maternel de Marie apporte au mystère de la Rédemption
Cinquième station
Qu'on nous emploie aussi, même de force, à votre Croix
tel Simon le Cyrénéen qu'on attelle à ce morceau de bois.
La verticale du Cyrénéen fait tuteur, et comme une arabesque enroulée autour de la Croix, le vieillard aide Jésus, allège ses souffrances, et lui permet de continuer sa marche vers le calvaire. Il est amour et compassion.
Sixième station
Qu'il prenne garde ait chacun de ses pas, car il est un signe.
Car tout Chrétien de son Christ est l'image vraie, quoique indigne.
Car tout Chrétien de son Christ est l'image vraie, quoique indigne.
La courbe reliée à la Croix, ce sont les bras de Véronique, s'approchant du Christ pour essuyer la sueur qui coule sur son visage, elle est courage et charité. Le geste est ample et confiant.
Septième station
Le corps tombe, il est vrai, et l'âme en même temps a consenti.
Sauvez-nous de la deuxième chute qu'on fait volontairement, par ennui.
La croix est lourde, le chemin du calvaire est long et rude. La souffrance du Christ se fait plus intense, la croix s'incline de plus en plus, les forces de Jésus commencent à l'abandonner, il tombe pour la deuxième fois.
Huitième station
Ainsi cet homme était le Dieu Tout-Puissant, il est donc vrai !
Il est un jour où Dieu a souffert cela pour nous, en effet !
Jésus rencontre les filles de Jérusalem : ce sont ces circonvolutions au pied de la Croix qui les représentent, en adoration devant le Fils de Dieu. Et le Christ, oubliant ses souffrances pour apaiser celle des autres, les console. Une lumière émanant de la croix les inonde, et à travers elles, inonde l'humanité entière, Jésus devient réconfort.
Neuvième station
Sauvez-vous du troisième péché qui est le désespoir,
Rien n'est encore perdu tant qu'il reste la mort à boire.
Épuisé, à bout de force, le corps de Jésus fléchit définitivement sous la croix et s'incurve jusqu'à terre. Jésus tombe pour la troisième fois. Ces trois stations de chute sont très équilibrées, épurées et poignantes.
Dixième station
Nous, puisqu'ils ont pris la tunique et la robe sans couture,
levons les yeux et osons regarder Jésus tout pur.
levons les yeux et osons regarder Jésus tout pur.
Jésus est dépouillé de ses vêtements : la croix baigne dans la lumière et semble avoir disparu. Corps et bois ne font plus qu'un et tout est purifié. Une station très simple, et terriblement lumineuse.
Onzième station
Cette main que le bourreau tord, c'est la droite du Tout Puissant.
On a lié l'Agneau par les pieds, on attache l'Omniprésent.
On a lié l'Agneau par les pieds, on attache l'Omniprésent.
Sur un fond très sombre, la croix se détache avec ses énormes clous qui ont percé les mains et les pieds du Christ. Jésus est attaché à la croix, et le supplice devient insoutenable, comme ces fers démesurés.
Douzième station
Est-ce moi dont Vous avez besoin encore et de mes péchés ?
Est-ce moi qui manque avant que tout soit consommé ?
Les bras de la croix sont très allongés, la souffrance est terrible. Le calice est là, présent sous la croix, Jésus va le boire jusqu'à la lie : "Tout est consommé". Cette demie sphère sous l'instrument du supplice, c'est la coupe que Jésus va boire jusqu'à la lie, ce sont aussi les bras de l'humanité ( cette sphère, c'est le monde) qui se tend vers le salut que lui apporte le Rédempteur. Tous ces éléments, très noirs sur un fond de nuit, sont auréolés de lumière ! L'espérance qui se lève sur le monde.
Treizième station
Le Christ n'est plus sur la Croix,
il est avec Marie qui l'a reçu
comme elle l'accepta promis, elle le reçoit consommé...
Jésus est remis à la mère : Marie renouvelle auprès de la croix son engagement pris au moment de l'Annonciation "Voici la Servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole". Les bras de Jésus vont rejoindre ceux de sa mère par dessus la croix. La mort est vaincue sur un fond bleuté, dans un halo de lumière qui dissipe les ténèbres.
Quatorzième station
Il n'est plus de péché en nous où la plaie ne corresponde.
Venez donc de l'autel où vous êtes caché vers nous, Sauveur du monde !
Jésus est mis au tombeau : la lumière ocrée et chaude de cette composition se fond avec la teinte des murs. La station est installée à droite de l'abside, et cette proximité avec le tabernacle est symbolique : le bénéfice spirituel de la croix, instrument de la Rédemption du monde, est indiqué par un cercle qui évoque l'hostie. Le Christ ressuscité est présent et tout est Lumière.Remarquez l’évolution des couleurs sur ces quatre dernières stations, c'est superbe.
Mille pardons à ceux que les bavardages fatiguent : j'avais envie de rendre hommage***** à cet artiste inspiré et ce Chemin de Croix, très parlant, malgré sa sobriété à la limite de l'abstraction, vaut qu'on prenne le temps de le lire. N'ayant pas trouvé sur la toile de commentaires sur l’œuvre, j'ai eu envie de prendre le temps de la détailler. L'humble église de Carsac a eu la chance d'avoir deux prêtres soucieux de son entretien, de sa restauration, puis de son décor, la tradition s'y perpétue : d'autres œuvres ont été commandées, le bâtiment est parfaitement entretenu et les toits de lauzes ont été restaurés avec goût. Zack a trouvé là un écrin à sa mesure.
Notes :
* et oui c'est aujourd'hui la suite d'un autre samedi à Issy, et j'ai choisi de parler de Zack en cette occasion car la cérémonie religieuse devait se dérouler dans l'église Notre Dame des Pauvres, un superbe bâtiment dont je vous recommande l'histoire sur l'excellent site "in situ".
Une église très symbolique, fruit de l'inventivité d'après-guerre, fruit aussi de généreuses interventions d'artistes déjà célèbres qui l'ont décorée avec fougue et talent. Le tout jeune architecte à qui fut confié le travail, choisit de s'adjoindre la collaboration de Léon Zack pour la réalisation des vitraux, trois murs sur quatre !! Ce qui donne à cet édifice son caractère bien particulier, tout de lumière et de couleurs mêlées. Malheureusement les vitraux en question sont abîmés par le temps et il a fallu les déposer pour restauration, ce qui rend l'église impropre à y célébrer un mariage !!
Dernier détail, le chemin de croix de Notre Dame des Pauvres a été réalisé par Irène Zack, seule ! Encore plus humble que celui de Carsac, les mots de Claudel y sont simplement gravés à même la pierre, le décor se limitant aux jeux de couleurs de cette dernière.
Une église très symbolique, fruit de l'inventivité d'après-guerre, fruit aussi de généreuses interventions d'artistes déjà célèbres qui l'ont décorée avec fougue et talent. Le tout jeune architecte à qui fut confié le travail, choisit de s'adjoindre la collaboration de Léon Zack pour la réalisation des vitraux, trois murs sur quatre !! Ce qui donne à cet édifice son caractère bien particulier, tout de lumière et de couleurs mêlées. Malheureusement les vitraux en question sont abîmés par le temps et il a fallu les déposer pour restauration, ce qui rend l'église impropre à y célébrer un mariage !!
Dernier détail, le chemin de croix de Notre Dame des Pauvres a été réalisé par Irène Zack, seule ! Encore plus humble que celui de Carsac, les mots de Claudel y sont simplement gravés à même la pierre, le décor se limitant aux jeux de couleurs de cette dernière.
** Un autre symbole important aujourd'hui que cette collaboration intergénérationnelle, très dans l'esprit de ce billet ! Irène Zack, née en 1918 et qui a beaucoup travaillé avec son père, est, semble-t-il, encore vivante.
*** Il est mort à Vanves (Hauts-de-Seine) le 30 mars 1980.
*** Il est mort à Vanves (Hauts-de-Seine) le 30 mars 1980.
**** Les verrières qu'il crée pour l’église Notre-Dame-des-Pauvres d’Issy-les-Moulineaux
(1954-1955), composées de 60 panneaux, font, à l'exception du mur du
chevet, le tour de l'ensemble de l'édifice sur une longueur de soixante
mètres. Elles apparaissent comme la première réalisation d'une telle
importance dans la région parisienne dans le domaine du vitrail non
figuratif. Dans les décennies suivantes, Zack crée des vitraux pour une
trentaine d’édifices, notamment pour la salle du conseil général de
l’Yonne (1957), le séminaire de Kéraudren (1964), l’église Sainte-Jeanne d’Arc à Paris, dans le 18e arrondissement (1965), et l’église Saint-Louis de Brest (1967), ainsi que des tapisseries réalisées par l'atelier Plasse Le Caisne.
***** grâce aux notes mises à la disposition des visiteurs dans le sanctuaire... agrémentées de quelques réflexions personnelles : on a du mal à apprécier vraiment ces compositions sans un minimum de connaissances de la cérémonie du Chemin de Croix.
***** grâce aux notes mises à la disposition des visiteurs dans le sanctuaire... agrémentées de quelques réflexions personnelles : on a du mal à apprécier vraiment ces compositions sans un minimum de connaissances de la cérémonie du Chemin de Croix.
superbe artcle,à lire et à relire. les mots me manquent... trop d'émotion.
RépondreSupprimerbonne journée
Josette
Merci josette ton émotion me touche .
SupprimerMerci josette ton émotion me touche .
SupprimerJe connaissais surtout Carsac pour ses jardins d'eau
RépondreSupprimerA moins que je confonde mais je pense qu'il doit s'agir du même Carsac Aillac à côté de Sarlat
Bonne journée
Bien sûr, le jardin d eau ses lotus et ses grenouilles ... mais tu comprends que l église où ns ns sommes dit oui ait un charme particulier ... surtout en ce jour !
SupprimerVoilà je suis revenue tout lire car hier je n'avais pas le temps. On ne lit pas ce type d'article en diagonale.
RépondreSupprimerC'est un magnifique chemin de croix, formidablement bien documenté. Bien que contemporain, on ressent bien chaque étape du douloureux parcours. Ce n'est pas toujours le cas dans les églises et les temples. Je ne connais pas Carsac. Ma grand-mère était de Bertric Burée mais, je connais mal la Dordogne.
Quant à l'église d'Issy j'y suis rentrée en 91. J'étais sur un salon du cheval à la porte de Versailles et un ami m'y avait emmené. Je me souviens d'une clarté !!!
Bisous et belle journée
Alors ça Mireille bertric buree... je ne connais pas !!! Mais votre remarque sur notre dame des pauvres est très juste : lumière, explosion de couleurs, chatoiment.... alors pour le moment tout est déposé pour restauration mais c'est vrai qu'elle mérite qu'on y entre ! Merci pour votre lecture attentive
RépondreSupprimerI like thе ѵaluablе іnformation you prоvide in youг аrtiсlеs.
RépondreSupprimerΙ wіll bookmаrk your wеblοg аnd сhеck again hеre гegularly.
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L'église de Labastide-Belpas, en Ariège, abrite aussi un chemin de croix réalisé par Léon et Irène Zack. Les quatorze panneaux incluent des textes identiques à ceux de Carsac. Il fut réalisé vers 1950 (je le saurai bientôt avec plus de précisions car j'en entreprends l'étude). A cette oeuvre s'ajoutent des vitraux, d'une technique brute et sommaire, par les deux mêmes auteurs. Et , enfin, Irène Zach a réalisé une mosaïque pour le baptistère.
RépondreSupprimerEn réaction à votre article sur le chemin de croix de Carsac :
RépondreSupprimerL'église de Labastide-Belplas, en Ariège, abrite aussi un chemin de croix réalisé par Léon et Irène Zack. Les quatorze panneaux incluent des textes identiques à ceux de Carsac. Il fut réalisé vers 1950 (je le saurai bientôt avec plus de précisions car j'en entreprends l'étude). A cette oeuvre s'ajoutent des vitraux, d'une technique brute et sommaire, par les deux mêmes auteurs. Et , enfin, Irène Zack a réalisé une mosaïque pour le baptistère.
Le style du chemin de croix est celui de la sainte Thérèse de votre article.
Cordialement.
Reçu par mail de D.L. de Toulouse