vendredi 19 octobre 2012

MUSEE GOYA A CASTRES


Marcel Briguiboul (1837-1892), autoportrait au haut de forme et à la pipe (1861)



Marcel Briguiboul était le fils unique d'un négociant aisé de Castres, installé à Barcelone (il avait 20 frères et soeurs, autant dire que tous se sont égayés un peu partout pour maintenir le patrimoine familial !!). Né en 1839, il apprit la peinture à Barcelone, puis à Madrid où il devint l'ami de Mariano Fortuny. En 1858, il entre à l'École des Beaux-Arts de Paris où il rencontre Jean-Paul Laurens, Auguste Renoir et même Claude Monet. Dès 1861, il expose au Salon : sa peinture est influencée par l'Espagne, l'orientalisme, par l'impressionnisme d'Auguste Renoir  et  parfois par le symbolisme. Doté d’une fortune personnelle, Marcel Briguiboul peut se consacrer à l'étude et à la pratique de l'art, à des voyages et séjours en Algérie, Espagne, Italie, Paris et Castres où il reviendra s’installer auprès de sa mère. C'est d'ailleurs lors d'un voyage à Madrid qu'il découvre chez un marchand les toiles de Goya qui l'enthousiasme à un point tel qu'il négocie un emprunt pour les acheter ! Il n'hésite pas à s'engager en 1870 dans la guerre Franco-prussienne, durant laquelle il exécute une mission périlleuse qui lui vaudra la Légion d'Honneur. Mort subitement en 1892, à peine âgé de 55 ans, il avait cependant pris des dispositions testamentaires par lesquelles il léguait à la ville de Castres toute son œuvre et une grande partie de ses collections.
C'est ainsi que des oeuvres majeures de Goya, son autoportrait à lunettes, le portrait de Francisco del Mazo, une série des Caprices et l'étonnante assemblée des Philipinnes, entrèrent dans le musée et déterminèrent sa vocation à venir. Plus tard, une série de dépôts prestigieux de Louvre, sont venus confirmer cette spécialisation : le portrait de Philippe IV par Vélasquez, la Vierge au chapelet de Murillo constituant sans doute les pièces maîtresses de ces dépôts. 

Marcel Briguiboul (1837-1892), portrait de Pierre Briguiboul, fils de l'artiste

D'autres legs, du fils de Briguiboul (mort un an après son père), puis de sa veuve (la pianiste Valentine Arban, fille d'un célèbre chef d’orchestre et professeur au conservatoire de Paris), et d'autres généreux donateurs, une politique d'achats bien menée, grâce au mécénat de nombreuses entreprises locales dont le laboratoire Pierre Fabre, une volonté acharnée de la part des conservateurs successifs d'accueillir toutes les œuvres hispanisantes mal mises en valeur dans leurs musées d'origine (dépôts du musée d'Orsay, du musée des Antiquités nationales de St Germain en Laye, du musée Picasso, du musée des Augustins de Toulouse, de celui de Lyon et j'en passe), la récente récupération d'une collection inouïe de sujets sculptés  XVIIème du musée de Chantilly, en font un endroit d'une richesse inattendue dans une si petite ville. Un exemple parmi d'autres, un vrai conte de fées, nous attend à l'entrée.



En 1992, on "redécouvre" au musée des arts décoratifs de Paris, des bas reliefs sculptés qui gisaient depuis des années murés derrière une chaudière et mis au jour à la suite de travaux de changement du système de chauffage. On croit rêver : dix superbes frises datant de la Renaissance espagnole, léguées au musée près d'un siècle auparavant avaient été oubliées, et avaient carrément disparu de la circulation. C'est vraiment d'une découverte qu'il s'agit alors. On les nettoie, on les restaure, on les analyse, on les expose, on les prête même à New York, bref c'est une "invention" majeure d’œuvre d'art qu'il s'agit là. Et en 2007, le conservateur du musée Goya à Castres obtient, insigne honneur accordé à sa ténacité, qu'une partie d'entre elles, celles consacrées au Triomphe de César, lui soient confiées en "dépôt".


C'est pour cette raison qu'on peut aujourd’hui admirer, en pénétrant dans ce musée qui réserve des tas d'autres surprises, la suite éblouissante de qualité et de nervosité des frises de Vélez Blanco, provenant d'Andalousie.

Inspirées de Mantegna, elles sont en fait l'assez fidèle reproduction de l'interprétation que le graveur Jacopo de Strasbourg en fit, dans une suite gravée à Venise en 1503. Constitué de deux longues planches jointives de pin sylvestre, chaque relief mesure de 5 à 6 mètres de long pour une hauteur totale de 80 centimètres environ. Leur épaisseur maximum est de 10 centimètres. Lors de leur fabrication, les planches ont été juxtaposées chant contre chant, à plat, puis sculptées. L’ensemble est taillé dans la masse sans aucune pièce rapportée.

Je me permets simplement de citer la conclusion de l'article que leur consacrent les restaurateurs, citation émouvante tant elle décrit bien le véritable "attachement" qui se produit quand on s'attaque à une pareille remise en état. "Au cours de cette restauration, notre émerveillement devant la qualité technique et la virtuosité de ces sculptures ne s’est jamais démenti. A chaque fois, malgré de multiples et pesantes manipulations, au long des travaux de dépoussiérage, de nettoyage, de consolidation, de collage, de bouchage, de retouche et d’installation, nous avons apprécié la fraîcheur, le goût du détail et l’humour des scènes. Pourtant, c’est lorsque nous avons pu, en dernière étape, les présenter verticalement que nous avons pu enfin goûter, presque en un clin d’œil, à la reconstruction de leur harmonie initiale. C’est donc la moindre des choses, même cinq siècles après, que soient remerciés ici les sculpteurs encore anonymes de Vélez Blanco et ceux qui, plus près de nous, ont permis cette rencontre." On sent, dans ces propos, toute la qualité de ces oeuvres et aussi le respect, voire l'admiration entre "spécialistes" !


On admire ici une collection particulièrement riche de Goya, je l'ai dit, mais aussi de nombreux peintres espagnols, dont un portrait par Sorolla plein d'acuité, un Picasso, des Zurbaran, un Ribera, un Vélasquez et quantité d'autres noms ibériques moins connus, mais tout aussi talentueux. Le musée couvre toutes les époques, du XVème au XXème, avec, pour chaque période, des salles bien aménagées, et, véritablement, passionnantes. Même pour des amateurs inconditionnels de l'art italien !! On y fait de nombreuses découvertes.


Par exemple, Santiago Rusiñol y Prats (Barcelone 1861 - Aranjuez 1931) : un peintre, certes, mais aussi un romancier, un chroniqueur et auteur dramatique, consacré comme un des principaux acteurs du modernisme catalan dans les années 1890-1900. En 1887, après un voyage à Paris, il s'installe à Montmartre et ne rentrera à Barcelone qu'en 1894, pour y fonder le groupe des Quatre Gats, rendez-vous de l'avant garde espagnole. C'est lors d'un voyage à Grenade, en 1892, qu'il commence à aimer représenter les "jardins" qui deviendront son thème de prédilection et feront sa célébrité. Ombre, soleil intense, murets de pierres sèches, fontaines, clapotis de l'eau claire, on a presque l'impression de sentir l'odeur des oranges mûres ! Cette atmosphère poétique et presque intimiste donne à ses toiles un charme inégalé.


A SUIVRE
Goya en son musée de Castres
Castres : Francisco Pacheco le maitre de Velasquez
Castres : la conquête d'un rêve éveillé : Hybrides et Chimères


7 commentaires:

  1. Que de découvertes Michelaise!
    Quelle extraordinaire aventure que celle de ses magnifiques bas reliefs. Comment une chose pareille peut se passer dans un musée comme celui des arts décoratifs de Paris ?
    Il faut saluer la pugnacité de ce conservateur.
    Ce musée me semble méconnu par rapport à la richesse de ses collections.
    Merci de nous le faire découvrir et j'attends la suite avec impatience
    J'aime beaucoup la dernière œuvre.
    Bisous et joli samedi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cela semble en effet totalement surréaliste, ces superbes bois sculptés emmurés derrière la chaudière ! Chapeau à ceux qui les ont retrouvés, restaurés et aussi, comme tu le soulignes, félicitations au conservateur de Castres qui a obtenu qu'ils lui soient confiés en dépôt : ici, ils sont très en valeur et on en profite au maximum !!
      Sais-tu Mireille qu'on prétend que c'est le premier musée de France (après le Louvre, bien sûr) pour l'art hispanique !
      Elle est belle cette fenêtre, n'est-ce pas ? je n'ai pas noté le nom du peintre, dommage !

      Supprimer
  2. je n'ai rien à ajouter au commentaire précédent !
    bravo pour cette découverte...
    bon WE
    josette

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui Josette, c'est passionnant de découvrir les trésors cachés des petits musés provinciaux ! Grâces soient rendues à ceux qui les font revivre !

      Supprimer
  3. Quelle extraordinaire surprise cela a dû être de découvrir ces bas-reliefs. Quelle richesse dans cette oeuvre ! C'est impressionnant.
    Quant aux derniers tableaux que tu présentes, j'aime la lumière et la chaleur qui émanent de chacun d'eux. Que de talent !
    Bon week-end à toi Michelaise :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu te rends compte Oxy quand "ils" ont ouvert les caisses !! J'ai beaucoup aimé l'hommage rendu au sculpteur espagnol du XVIème par les restaurateurs, cette empathie à travers les siècles a quelque chose d'émouvant ! C'est pour cela que je me suis permis la citation dans le billet ...

      Supprimer
  4. Mon aïeule Rose Arban était la nièce du musicien compositeur et donc la cousine du peintre Briguiboul - que je découvre sur Internet - Ce qui donne au lyonnais que je suis l'envie de visiter le musée de Castres. peut-t-on me dire quelles sont les dates et lieux de naissance, mariage et décès de la pianiste Valentine Arban, épouse du peintre ? Merci

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...