- Ah ben dis-donc... ça ne valait pas la peine de faire la queue pendant une heure pour voir des vaches !!
Je me retourne en éclatant de rire et réponds au brave monsieur qui est en train de houspiller sa femme, déçu par la première salle où l'on expose, outre ce Déjeuner sur l'herbe entre peintres, tout petit mais aussi "grand" que son cousin qui fit scandale, des ruminants de Boudin, librement inspirés de Troyon.
- Mais rassurez-vous Monsieur, vous allez voir plein de baigneuses dans les salles suivantes.
L'homme pique un fard, et je ne peux m'empêcher d'ajouter, un rien provocatrice :
- Bien sûr elles seront en crinoline, mais tout de même, ce sont de jolies baigneuses.
Ce monsieur est tout contrit et sa femme triomphe, petit instant salutaire de solidarité féminine !!
Ce sont ces élégantes en crinoline qui m'ont permis de faire mes premières armes au dessin. Enfant, moi qui ne sais tenir ni un crayon ni un pinceau, je me piquais de gribouiller d'assez jolies silhouettes, toujours de profil, et qui sont, malheureusement, restées mes seules tentatives "artistiques". Elles étaient directement inspirées du peintre normand et j'en ai gardé une tendresse toute particulière pour ses compositions mondaines de bords de mer.
L'exposition qui se tient jusqu'au 22 juillet au Musée Jacquemard André est, comme à l'ordinaire, bien présentée, dans une ambiance claire et joyeuse, et l’exiguïté des lieux, parfois pénible, se prête ici assez bien à l’accrochage de toiles de format moyen, bien mises en valeur. Que dire de Boudin qu'on n'ait déjà dit ? Le sujet est ici d'une grande difficulté ! Son amour du plein air, sa quête du fugace, de l'instant arrêté dans un geste ébauché, des bruissements de soieries et de tissus doucement agités par le vent sont tout ce qui fait son charme... que nous regardons, un sourire aux lèvres, en écoutant l'écho de conversations légères.
Pourtant ces toiles, qui portent la marque originale de sa perception du monde, croquées sur le vif, pleines de mouvement et d'une élégante nostalgie, ne sont pas celles qui ont fait son succès. Pas du tout dans la tendance du temps, elles ne furent guère appréciées du public et ne devinrent que plus tard l'apanage de collectionneurs qui, séduits par leur ambiance, y virent la marque d'un talent original. Zola pourtant y notait "l'originalité exquise de l'artiste, ses grands ciels d'un gris argentin, ses petits personnages si fins et si spirituels de touche". Beaucoup restèrent dans les placards de l'artiste qui, rapidement, trouva un style plus apte à être apprécié du public : la marine "classique", dont il devient le spécialiste français incontesté dès les années 1860.
Il conserve son style de composition avec 3/4 de ciel pour 1/4 de terre, ou, le plus souvent de mer ! Et développe à l'envi les cirrus, nimbus et autres cumulus, qui vont rapidement faire de lui le spécialiste adulé de la représentation du ciel. Il tient à travailler sur le terrain, par tous les temps, voyageant, affrontant les intempéries et le soleil trop ardent, et obtient ce rendu à nul autre pareil qui lui vaudra, de la part de Corot, le titre justifié de "roi des ciels". Il aime à piqueter ses paysages de grandes voiles déployées ou sagement roulées, de toiles gonflées par le vent ou mollement à l'abandon, qui animent ses compositions de taches éclatantes de lumière. Il pratique aussi à merveille l'art du reflet, jouant de sa petite partie de mer comme d'un miroir aux possibilités multiples. Beaudelaire qui participera à la reconnaissance de l'artiste par le public, souligne dans son compte rendu du Salon de 1859, que ces "études au pastel improvisées en face du ciel et de la mer [sont] (si) fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d’après des vagues et des nuages".
Pourtant ces toiles, qui portent la marque originale de sa perception du monde, croquées sur le vif, pleines de mouvement et d'une élégante nostalgie, ne sont pas celles qui ont fait son succès. Pas du tout dans la tendance du temps, elles ne furent guère appréciées du public et ne devinrent que plus tard l'apanage de collectionneurs qui, séduits par leur ambiance, y virent la marque d'un talent original. Zola pourtant y notait "l'originalité exquise de l'artiste, ses grands ciels d'un gris argentin, ses petits personnages si fins et si spirituels de touche". Beaucoup restèrent dans les placards de l'artiste qui, rapidement, trouva un style plus apte à être apprécié du public : la marine "classique", dont il devient le spécialiste français incontesté dès les années 1860.
Il conserve son style de composition avec 3/4 de ciel pour 1/4 de terre, ou, le plus souvent de mer ! Et développe à l'envi les cirrus, nimbus et autres cumulus, qui vont rapidement faire de lui le spécialiste adulé de la représentation du ciel. Il tient à travailler sur le terrain, par tous les temps, voyageant, affrontant les intempéries et le soleil trop ardent, et obtient ce rendu à nul autre pareil qui lui vaudra, de la part de Corot, le titre justifié de "roi des ciels". Il aime à piqueter ses paysages de grandes voiles déployées ou sagement roulées, de toiles gonflées par le vent ou mollement à l'abandon, qui animent ses compositions de taches éclatantes de lumière. Il pratique aussi à merveille l'art du reflet, jouant de sa petite partie de mer comme d'un miroir aux possibilités multiples. Beaudelaire qui participera à la reconnaissance de l'artiste par le public, souligne dans son compte rendu du Salon de 1859, que ces "études au pastel improvisées en face du ciel et de la mer [sont] (si) fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d’après des vagues et des nuages".
Il aimera aussi peindre des scènes "populaires", lavandières à genoux dans la rivière, ou ces Pêcheuses sur la plage de Berck, (National Gallery of Art, Washington), poétiques, rieuses mais plus du tout mondaines. Le soleil est si fort que la jeune fille debout à droite est obligée de s'abriter les yeux de sa main posée en visière, pour regarder dans la direction du peintre, qui croque la scène dans son immédiateté simple et colorée. Les couleurs sont éclatantes, larges touches de rouge, de bleu, rehaussées par les voiles blancs qui protègent les jeunes têtes de l'ardeur des rayons.
Au loin, la mer se confond avec le sable et le ciel, et quelques personnages épars se reposent ou pêchent. Vous imaginez aisément combien ce menu détail du tableau de Washington, évoquant les carrelets portables qu'on appelle ici "embrasseaux" et que Michel utilise pour pêcher les crevettes, m'a enchantée ! On les porte ainsi, sur l'épaule, avant d'aller vaillamment racler le fond de la mer à la fin de la marée descendante.
Tout à sa représentation de la mer et de ses caprices, Boudin n'aimait pas trop les ports et encore moins la ville. Pourtant, l'exposition fut l'occasion, pour les experts, de lui "rendre" cette peinture qu'on avait, à tort, attribuée à Monet, après l'avoir découverte dans son atelier et pensé logiquement qu'il en était l'auteur. Quand Monet décéda, son fils trouva ce Clocher de Sainte Catherine parmi les peintures stockées dans l'atelier. Il n'était pas signé mais on décida qu'il devait avoir été peint par le maître : du coup on apposa en bonne place la signature "Claude Monet". Jusqu'à ce que l'on s'avisa de l'existence, au musée d'Art de l'Université du Michigan d'une petite toile d'Engène Boudin (que j'ai mise en médaillon) au traitement étrangement semblable, aéré, lumineux, nerveux et représentant le même sujet. Les experts se penchèrent donc sur la toile et décidèrent de la ré-attribuer à Boudin, preuve s'il en est de la difficulté des identifications, fussent-elles faites en présence de témoins crédibles, comme l'était nécessairement le fils de Monet. Preuve aussi de l'amitié entre les deux hommes qui, aujourd'hui, profite à Boudin mais qui, à l'époque, décida de la vocation de Monet !!!
Alors que Boudin excelle dans le rendu des plages normandes, il faut bien avouer qu'il est nettement plus banal quand il s'agit pour lui de rendre le soleil du Midi. Certes la lumière du Sud, découverte sur le tard, le séduit... certes il la peint avec le talent qui le caractérise... mais cela ne renouvelle pas vraiment son inspiration et la dernière salle n'est pas la plus intéressante de l'exposition. De nombreux peintres du Sud ont été plus originaux et plus inspirés. Boudin lui, est seulement heureux de chauffer ses vieux os au soleil et cela se sent dans sa peinture, détendue, douce mais sans grand caractère.
La dernière peinture de l'exposition par contre, à peine esquissée à grands traits sauvages, pressés, jetés dans l’urgence sur la toile, est très émouvante. Le peintre a 73 ans, il mourra l'année suivante et il se rend une dernière fois dans cette Bretagne qu'il a longuement portraiturée quelques 30 ans plus tôt. La palette est très claire et la mer, pour une fois, occupe plus de la moitié du tableau. La touche est libre et sans affectation, on a l'impression qu'il veut peindre, encore et encore et que le temps le presse... on sent dans ses coups de pinceau une sorte de rage à s'exprimer qui se traduit par une liberté de ton particulièrement vibrante.
La dernière peinture de l'exposition par contre, à peine esquissée à grands traits sauvages, pressés, jetés dans l’urgence sur la toile, est très émouvante. Le peintre a 73 ans, il mourra l'année suivante et il se rend une dernière fois dans cette Bretagne qu'il a longuement portraiturée quelques 30 ans plus tôt. La palette est très claire et la mer, pour une fois, occupe plus de la moitié du tableau. La touche est libre et sans affectation, on a l'impression qu'il veut peindre, encore et encore et que le temps le presse... on sent dans ses coups de pinceau une sorte de rage à s'exprimer qui se traduit par une liberté de ton particulièrement vibrante.
Signé Michelaise ! En hommage à Boudin...
Bonjour
RépondreSupprimercomme d'habitude, un article intéressant, documenté et précis, érudit sans être pédant, incorporant anecdotes et truculence. J'aime bien
Si j'avais pu je vous aurais bien envoyé une photo du MuMa (Le Havre) où se trouve un immense mur de Boudin, esquisses ou tableaux aboutis, vaches et baigneuses ;-). J'ajoute que Boudin est victime de la désaffection pour tout ce qui précède l'Impressionnisme, et que la National Gallery par exemple n'expose qu'un ou deux au mieux des tableaux de sa collection de Boudin
Bien à vous
François (VisiMuZ Éditions)
Merci François de votre introduction, elle me va droit au cœur et, alors que je me fais plaisir en écrivant ces billets, je suis ravie qu'on les lise tels que vous le décrivez, cela me touche vraiment !! Boudin a été longtemps victime de cette désaffection mais il a repris du grade et ses oeuvres sont maintenant fort "en cour" !! mais vous avez raison, il reste modérément reconnu et cette expo est sans aucun doute, un "plus" pour sa renommée.
SupprimerMerci pour cet hommage précis que vous rendez, avec un ton vif et un brin d'humour, à Eugène Boudin. C'est toujours un plaisir de vous lire. Je n'aurai pas l'occasion de voir cette exposition, aussi je suis contente de me renseigner par l'intermédiaire de votre blog. Bonne journée, Michelaise, et merci encore.
RépondreSupprimerMerci Anne de dire que la lecture du billet compense un peu le fait de ne pas pouvoir voir l'exposition, cela me conforte dans le fait de commettre sans cesse des articles compte-rendus !! donc j'ai toujours un peu peur qu'ils lassent "mes" lecteurs !!
SupprimerOuf nous voici enfin loin de la pompe romantique et ses allégories poussiéreuses grâce à Boudin dont on disait pourtant qu'il était un artisan consciencieux !!!
RépondreSupprimerPauvre Boudin ce peintre mal connu et peu prisé des grands musées il a fallu attendre plus de 100 ans que Paris lui rende enfin cet hommage
Et pourtant quelle modernité si l'on se repositionne dans l'époque
Tu cites Zola,Baudelaire yest allé aussi de sa plume
Désolée mais je ne peux pas utiliser les balises depuis ma tablette
http://agora.qc.ca/documents/impressionnisme--eloge_deugene_boudin_par_charles-pierre_baudelaire
Peintre très souvent représenté dans nos musées de province, il était "abordable" et nombre d'entre eux en possèdent un ou deux !! et plus on va vers le nord ouest, plus il y en a !! voir le commentaire de François !!
SupprimerMon expression "nous voici enfin loin de la pompe romantique et ses allégories poussiéreuses " ne se veut pas par rapport à tes billets mais par rapport à la période Boudin
RépondreSupprimermerci ... mais je n'avais fort heureusement pas lu ainsi !! peut-être devrais-je être plus modeste ??!!!!
SupprimerJ'aime la peinture de Boudin et ses ciels me font rêver et pourtant je les ai, en vrai, toute l'année !!!
RépondreSupprimerTu me fais sourire, voire rire Enitram : en rentrant de Paris, je m'extasiais (pour la énième fois) devant un coucher un un lever de soleil sur l'estuaire, une pluie très sombre ou quelques nuages folâtrant sur l'horizon et je me disais "mais qu'a-t-on à aller s'extasier sur des peintures qui tentent, plus ou moins bien, parfois très bien dans le cas de Boudin certes, mais toujours avec efforts, ce que la Nature nous offre à profusion !!!" c'est tellement plus beau "en vrai"... mais bon, on va quand même courir le vaste monde pour admirer Boudin et d'autres !!!
SupprimerJ'aime bien aussi voir Boudin à Honfleur... quand c'est possible ! Bon dimanche Michelaise.
RépondreSupprimerVoyons Odile, je soupçonne que les Boudin de Honfleur aient été subtilisées pour l'exposition de JA et que tu aies trouvé les cimaises vides ??? mais dans ces cas là, les conservateurs sortent des inédits de leurs réserves !!!!
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