mardi 6 août 2013

DERNIERS CHEFS D’ŒUVRE A FONTDOUCE



L'Abbaye de Fontdouce, un cadre unique pour un Festival de qualité dont je vous ai déjà parlé il y a peu. Un festival aux champs, où l'on prend plaisir au pique-nique dans l'herbe entre les deux concerts du soir. La formule, 12 concerts en 6 jours, peut plaire aussi bien aux amateurs de jazz, qu'aux amateurs de musique classique, puisque les deux genres s'y succèdent dans la plus parfaite harmonie. Les plus mordus peuvent même enchaîner les deux !! Un Festival qui fête cette année ses 20 ans, et qui ne vous a jamais déçus. Pour cet anniversaire, France Musique était sur les lieux et Philippe Cassard présentait chaque soir les concerts, n'hésitant pas à participer aussi aux prestations. Tombé "en amour" du lieu, qui le mérite bien, Philippe Cassard est devenu le nouveau directeur artistique du Festival, et il nous a concocté cette année un programme d'une qualité au-dessus de tout soupçon.



Mais surtout, la programmation avait un sens, une ligne directrice : les œuvres tardives. Cassard voulait, en vous proposant des opus à gros calibre, nous permettre de "contempler" (j'emploie le mot à dessein, car elle demande un vrai recueillement cette écoute-là) les talents des grands compositeurs au soir de leur vie. Quand l'essentiel a été dit, parfois avec exaltation, - avec cette impétuosité qui caractérise l'âge tendre, puis avec l'ardeur de l'âge mûr -  l'âge vient habiller de nostalgie et de sagesse les créations des dernières années de vie. Le langage devient plus calme, plus modéré et, le talent s'étant affirmé, ces partitions sont plus belles, plus lourdes de sens, capables d'audaces insoupçonnées au temps de la jeunesse et surtout, capitales pour mieux connaitre les musiciens. Belle idée pour aborder la musique non comme un divertissement mondain, mais comme un écho des états d'âme de ceux qui l'ont écrite et, par là même, de notre propre méditation sur la vie.


Le premier soir était aussi un anniversaire, celui de Dominique Merlet qui, fêtait ce soir-là, ses 75 ans. Et c'est lui nous fit un cadeau, avec ce concert mettant en parallèle des œuvres de Chopin et de Fauré, écrites dans les deux cas au crépuscule de leur vie. Un concert très virtuose (trop à mon goût, car cela ne va presque jamais sans dérapage) mais très "réservé", presqu'aride. Sans doute un des grands pianistes français actuel, mais, en ce qui me concerne, terriblement intériorisé.


La divine surprise du 4 août nous vint du concert d'ouverture : au départ, c'était Cédric Pescia qui devait nous interpréter  Beethoven, mais ce malheureux, à la suite d'un incident, avait le dos bloqué par une hernie discale et était hospitalisé, complètement incapable d'assurer sa prestation. C'est Anne Queffelec, toujours prévenante et prête à remplacer les défaillants, qui est venue, en direct d'Annecy (pour ceux qui ne sont pas très fort en géographie, je signale que c'est un exploit, d'autant que la centralisation en France, en matière de transports, n'est pas un vain mot), et qui nous a proposé un programme absolument passionnant.


J'avoue - je ne suis pas toujours très douée - que quand j'ai lu la liste des œuvres, j'ai grogné "c'est quoi ce salmigondis ?". Or non content de n'être pas un pot pourri, comme je l'ai cru dans mon ignorance, c'était, en plus, un programme très pensé et très intelligent : l'idée était de placer Chopin comme un colonne vertébrale et, de part et d'autre du temps où il vécut, de l'entourer, d'un côté, de ceux qui furent ses maîtres, Bach et Haendel, et de l'autre, de ceux qui l'ayant admiré, ont "parlé" de lui dans leurs œuvres (Debussy et Ravel). Anne Queffelec prit soin de nous présenter son intention, nous expliquant par exemple que Chopin, probablement formé par un élève de Bach à Leipzig, ne se séparait jamais de la partition des ... de Bach, qui était toujours sur son piano et qui le suivit même jusqu'à Majorque ! Quant à l'influence évidente du musicien polonais sur nos deux musiciens français, elle se plut à raconter que finalement Chopin, dont le père était français, vécut en France, aima passionnément une française et que son cœur, pieusement conservé à Varsovie, serait immergé pour l'éternité dans du ... Cognac !


Au-delà de l'anecdote, ce rapprochement entre les maîtres et les disciples était passionnant et Anne Queffelec nous a offert presque deux heures d'une intensité rare. Il était amusant de remarquer combien son jeu a évolué au cours du concert : au début, après Bach, elle joua Chopin un peu comme un choral, dénudé, puis, ayant joué Chopin, elle revint à Bach de façon beaucoup plus "romantique" !!!


Lundi soir, le 5 août, après l'enregistrement en direct du Magazine des festivals dans la salle capitulaire de l'Abbaye, une autre grand moment nous attendait dans la salle des moines : l'intégrale des derniers Klavierstücke (1892-93) de Brahms, opus 117, 118 et 119, et, commandée spécialement pour le Festival, une création de Rodolphe Bruneau-Boulmier. Cette oeuvre, pas forcément d'un abord facile, surtout lors d'une première audition, mais très "audible" pour le profane, s'intitulait "le Tombeau de Brahms". Pourtant l'auteur qui nous l'a présenté a préféré parler de "Catafalque de Brahms". Ce terme, qui vient de l'italien catafalco, échafaudage, désigne une estrade funéraire sur laquelle on présente le cercueil, soit en attendant qu'il soit enterré, soit parfois définitivement pour une exposition permanente. C'est donc un monument de mise en lumière, une dernière fois, des restes physiques du défunt, le plus souvent pour le proposer à la vénération et à la dévotion de ceux qui l'admiraient. 

Photo récupérée, avec son autorisation, sur le compte facebook de Rodolphe Bruneau-Boulmier, car j'avoue ne pas avoir osé aller mitrailler les interprètes de trop près ! Ce que Rodolphe a fait d'autant plus aisément que Goeffroy Couteau et Philippe Cassard parlaient peut-être ici, de son "Catafalque"... même s'il intitule modestement la photo : "Quand deux merveilleux musiciens parlent, avec passion, de l'opus 117 n°3 de Brahms"

La pièce de Rodolphe Bruneau-Boulmier se voulait donc un hommage à Brahms, traversé de références à l'oeuvre de ce dernier, et ce tout jeune homme, cultivé, poète, philosophe à ses heures, a écrit ces lignes avec une énergie toute particulière, aussi musclée que le fut Brahms dans ses partitions. Le morceau s'adoucit vers la fin, et, d'enflammé, devient limpide, pour se terminer par des sonorités de cloches et de glas mêlées, qui n'ont rien de funèbre, comme une ouverture vers une éternité lumineuse.


Pour en revenir à Brahms, et à l'interprétation des derniers Klavierstücke par Geoffroy Couteau, ce fut un TRÈS grand moment. Le jeu de ce pianiste, d'une sensibilité parfaite et d'une lisibilité irréprochable, était servi par une grande virtuosité, de celles qui se font oublier pour mieux servir la partition. Il la vit, cette partition, avec une intensité, une ferveur et une conviction communicatives : il suffit de suivre ses mimiques, et l'on chemine de conserve, je devrais dire ici de concert, avec Brahms et lui. Un pianiste à suivre, particulièrement dans son auteur de prédilection, puisqu'il a obtenu, en 2005, le premier prix du Concours International Brahms.


En soirée, diffusé en direct sur France Musique, comme le fut, la veille, le concert de Dominique Merlet, un concert baroque, tradition obligée en ce lieu si proche du fief de la musique ancienne, (l'abbaye aux Dames de Saintes), et que monsieur Cassard n'a pas voulu faire disparaître. Mare Nostrum, un ensemble que nous ne connaissions pas mais dont nous avons apprécié la précision, le souci du phrasé et de la mélodie ciselée, avait élaboré un programme, là encore, passionnant et très cohérent, autour de la passion du Christ à Rome au XVIIème siècle. Des œuvres de Rossi, Ortiz, Kapsberger, Sances et Frescobaldi, mêlant subtilement le sacré, on parlait ici de Semaine Sainte, et le profane, l'exacerbation des sentiments , participant, en ce siècle et en ce lieu, à une plus forte expressivité religieuse, empreinte d'une forte sensualité. Alter, toujours très à la pointe quand il s'agit de l'Italie, se demande quelle est, dans cette musique, l'influence de la pensée de Saint Philippe Neri (et de l'Oratoire, qui a tout de même créé l'oratorio), et souligne, au passage, l'influence évidente d'Hesperion XX sur cette formation. Il y a, c'est clair, une place à prendre, et fort belle, pour exhumer la musique romaine ! Mare Nostrum a, légitimement, vocation à le faire !

Fontdouce, une abbaye chargée d'histoire, un lieu restauré avec passion et courage par deux frères passionnés et très respectueux de l'architecture, au point de redonner vie à un bâtiment enterré par les ans, la salle des Moines, où se déroulent les concerts. Deux églises romanes, une salle capitulaire gothique, des bâtiments classiques, un environnement naturel de toute beauté ... tout est superbe et très évocateur, : je vous recommande la visite qu'elle en a faite l'année dernière : vous découvrirez de superbes photos des lieux.  Et l'endroit est accueillant pour la musique depuis des siècles, témoins ces pots acoustiques enchâssés dans l'abside de la chapelle basse. D'une efficacité impressionnante !

Mardi 6 août, sera, pour nous, le dernier de Fontdouce, qui continue avec les concerts de jazz. Deux récitals de piano encore ce soir : le premier, à 19h30, accueille le russe Yevgeny Sudbin, pour les derniers chefs d'oeuvre de Scarlattti, Mozart, Liszt, Debussy et Scriabine. On peut s'attendre à une belle prestation, Yevgeny étant un interprète dont on commence à faire grand cas, et dont le Daily Telegraph n'a pas hésité à dire qu'il "peut d'ores et déjà être considéré comme l'un des plus grands pianistes du XXIème siècle. Si cette prophétie s'accomplit, nous pourrons dire à nos petits enfants, qui n'en auront cure et trouveront qu'on radote ferme "je l'ai entendu ce jeune homme, il avait à peine 30 ans" !

A 21h30, Michel Dalberto jouera, quant à lui, les œuvres tardives de Schubert, et le concert se terminera par une fantaisie à quatre mains, Philippe Cassard, directeur artistique consciencieux et manifestement heureux d'être l'instigateur de ces moments d'exception, partageant le clavier avec cet artiste consacré et qui fait merveille dans la musique romantique.


Alors, foncez, il est encore temps d'aller assister à ces deux concerts qui, si l'on en croit la qualité des précédents, seront merveilleux ! Rendez-vous à Fontdouce à 19h 30 ! Pensez à emporter votre pique-nique !


Post Scriptum  : un mardi aussi enthousiasmant que les deux autres journées. Après une présentation des concerts du soir et de ceux des jours à venir, qui nous a permis de goûter un peu au jazz (j'avoue avoir flashé pour la voix superbe, chaude et veloutée, de la très belle Véronique Hermann-Sambin), le concert de Yevgeny Sudbin a été à la hauteur des promesses du programme : il joue avec une fougue et une énergie, qui font merveille dans Liszt.


Son interprétation d'Harmonies du soir, et plus encore de Funérailles, cette pièce élégiaque, écrite à la mémoire des révolutionnaires hongrois exécutés en 1849, et un peu aussi, en hommage à Chopin, mort la même année, était, sous son jeu impeccable, à la fois poignante et terrible. J'avoue par contre que son Scarlatti à pédales et sa transcription du Lacrimosa de Mozart, m'ont laissée sur ma faim. Mais ce n'était pour lui qu'une pause (il s'est fait plaisir) et il a enchaîné avec L'Isle Joyeuse de Debussy, où sa vitalité lui permet de traduire, avec brio, le côté très voluptueux de ces pages, écrites par un homme follement amoureux. Quant à la sonate numéro 5 de Scriabine, où son sang slave traduit, en gestes, en sons et en couleurs, la liberté folle de cette partition, ce fut ... lyrique !


Quant à Michel Dalberto, quel grand bonhomme !! Il nous envoûtés, charmés, distillant Schubert avec une élégance, une grâce et une inspiration qui tenaient du miracle. Ce fut un concert d'une intensité rare, tout en raffinements et en subtilités. La sonate D894 "Fantaisie" en sol majeur et, surtout, les Klavierstrücke D946 ont pris, sous ses doigts, des sonorités graves et tendres, qui nous ont laissés éblouis.

4 commentaires:

  1. quel beau programme! le cadre, et la qualité, que demander de plus!

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    1. Le cadre, la gentillesse des organisateurs, l'ambiance sympa, très décontractée quoique fort professionnelle, le fait que cela "ne se prend pas au sérieux", bien qu'étant d'une qualité exceptionnelle, l’organisation, absolument impeccable, tout est là pour faire de ce Festival un vrai moment de plaisir. C'est décidé, nous adhérons à l'Association !

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  2. Geoffroy Couteau ne m'est pas inconnu je l'ai découvert il y a deux ans au Festival Chopin à Bagatelle puis aux Solistes d'Auteuil d'où sa présence aux Salines cette année.
    Depuis j'ai pu l'écouter à l'auditorium d'Orsay
    Les mêmes commentaires élogieux que l'on peut retrouver un peu partout Le journal Télérama lui a également décerné ses « ffff », confirmant l’accueil de la presse spécialisée.
    Quant à Anne Queffelec on ne la présente plus même si son interprétation de Satie cet hiver n'est pas ce que je préfère
    Fontdouce reste pour moi un délicieux souvenir même si je reste sur ma faim ,il y manquait un petit rayon de soleil

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  3. J'avoue que, d'ordinaire, je ne suis pas une inconditionnelle de Madame Queffelec, mais là, dans ce programme "chiadé", super intelligent et fort intense, ce fut un grand moment. Quant au "petit" Couteau, il mérite largement qu'on le "suive" !

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