dimanche 4 août 2013

LES MACCHIAIOLI (5) : ALORS IMPRESSIONNISTES OU NON ??


Cristiano Banti : portrait d'Alaide Banti au jardin, vers 1870
Florence, collection privée, héritiers Banti

Voilà, nous connaissons maintenant bien mieux ces Macchiaoli* que l'exposition de l'Orangerie a si bien présentés. Mais, rappelons-nous, le titre de l'exposition, plus vendeur sans doute que les Macchiaioli, était "Les Macchiaioli, des impressionnistes italiens ?". Outre l'aspect commercial évident de la question, il est intéressant de s'intéresser à cette école de peinture qui fut vraiment active de 1858 à 1870 environ et qui s'est développée en parallèle de notre Impressionnisme.

Giovanni Fattori : l'Arno à Bellariva, 1866
Livourne, Bottega d'arte Livorno

Cette peinture, d'une étonnante hardiesse, surprend par sa force, par sa monumentalité et surtout, par sa luminosité. En lutte contre l'académisme, elle élabora indéniablement un langage pictural novateur. Et comme son principal mécène, Diego Martelli, fut un admirateur de la première heure des impressionnistes, il est naturel de s'interroger sur les rapports que purent entretenir ces deux courants picturaux, et quelles furent leurs influences réciproques. Qui vint en premier ? Qui saisit le mieux l'esprit du temps ? Pourquoi les impressionnistes sont-ils aussi célèbres alors qu'on ignore encore les macchiaioli ?

Raffaello Sernesi, la pointe du Romito vue de Castiglioncello, vers 1866
Viareggio, Istituto Matteucci

Ces deux tendances entretiennent, c'est évident, un même rapport à la nature, une vocation partagée pour le changement et surtout une même distance à l'égard de la peinture dite "classique". Mais là semble s'arrêter le rapprochement. Volontiers admirateurs de Courbet, certains Macchiaioli pourraient être rapprochés du style de ce dernier, mais ils gardent leur inspiration propre.

Telemaco Signorini : Lune de miel, 1862-63
Viareggio, Istituto Matteucci

Diego Martelli qui n'eût de cesse de 1780 à 1895 d'insérer sans relâche l'expérience des peintres toscans dans le contexte artistique européen, réaffirme régulièrement le caractère anti-académique et expérimental du mouvement, les définissant volontiers comme "des courageux pionniers de l'avenir". Il insiste toujours sur leur "opposition" qui, dit-il "ne se limita pas à changer de fond en comble la manière de peindre, elle modifia aussi le choix des motifs ; s'affranchissant des fleurs poétiques de l'Arcadie, elle alla à la recherche du vrai, du grandiose, du terrible et soutint à ses dépens qu'il pouvait exister un autre genre de poésie et une réalité digne d'être reproduite, même là où l'ancienne école d'arrêtait, par crainte de verser dans l'horreur et dans la laideur".. Mais jamais il ne confond macchia et impressionnisme et distingue toujours dans son discours, les deux écoles.

Nino Costa, Ripa Grande, 1848
Rome, Galerie nationale d'Art Moderne et Contemporain

Pour mieux comprendre les liens entre ces deux courants, il faut rappeler que le contexte politique du Risorgimento, eut une grande influence sur les peintres italiens. Or, l'époque de la macchia est aussi celle où l'Italie devient une nation libre, unie et indépendante à la fois grâce à la France (aide de Napoléon III lors des événements de 1859, à la suite des accords de  Plombières) mais également contre la France (entêtement du même Napoléon III pour défendre la papauté qui retarde jusqu'en 1870 la réunion de Rome à la nouvelle Italie). De la même façon, le mouvement des macchiaioli éprouve une attirance-répulsion pour ce qui se passe à Paris en matière d'art. Lorsque Serafino de Tivoli et Francesco Saverio Altamura reviennent de Paris en 1855, ils en ramènent des impressions enthousiastes. A la même époque, les jeunes artistes visitent à Florence la collection du prince russe Anatole Demidoff, riche en "morceaux" à la dernière mode, entendez bien sûr, la mode française, et une querelle épique s'élève entre les peintres académiques, qui en disent pis que pendre, et les autres, les modernes, qui s'enflamment.

Antonio Puccinelli, Promenade au Muro Torto (détail), 1852
Viareggio, Istitutuo Matteucci

Comme "l'impression" de Monet, terme employé par dérision dans un article du Charivari par le critique Louis Leroy, le mot de "tache" est lancé par les détracteurs de cette nouvelle peinture. Comme leurs confrères français, les toscans reprirent le terme et en firent leur fer de lance : macchiaioli qualifie dès lors pour eux leur démarche, privilégiant l'abréviation, la masse et le relief. Et leur travail est étonnamment moderne.

Antonio Puccinelli, Portrait de Nerina Badioli, 1855-1866
Rome, Galerie nationale d'Art moderne et contemporain

Mais pourtant leur peinture est différente, sans doute parce qu'elle est profondément ancrée dans une culture picturale séculaire. Et leur oeuvre ne peut se comprendre sans connaitre parfaitement celle des peintres du quattrocento toscan.** Il faut bien admettre que, non contents d'être du même sang, les macchiaioli avaient chaque jour devant les yeux les chefs d'oeuvre de leurs illustres prédécesseurs. Et, quel que soit leur désir de rébellion contre l'académisme, leur goût était formé à cette fréquentation. Aucune contradiction alors au fait qu'ils aient proposé non pas une destruction mais une syntaxe moderne de l'héritage du passé et se soit appuyé sur la même poésie pour renouveler le langage pictural. Ils avaient aussi devant les yeux les mêmes paysages et les mêmes lumières. Ils se livrèrent donc à une relecture de cet héritage, au point qu'on a parlé à leur propos de "quattrocentisme". L'exposition se plait à rapprocher, sans qu'on puisse y trouver à redire,

 Fra Angelico : prédelle de l’Annonciation de Cortone, La visitation, vers 1430
Cortone, musée diocésien

Silvestro Lega, La Visite, 1858
Rome, Galerie nationale d'art moderne et contemporain

"la Visite" de Lega de "la Visitation" de Fra Angelico, même geste d'accueil et même femme vêtus de rouge qui observe la scène, de loin


Piero Della Francesca, la Flagellation vers 1470
Urbino, Galerie Nationale des Marches

Silvestro Lega, Après le déjeuner, la Pergola, 1868
Milan, Pinacothèque di Brera

"Après le déjeuner" du même Lega de "la Flagellation" de Piero Della Francesca, pour la mise en scène, formellement statique, la complémentarité des groupes de personnages et surtout le sol au dallage marqué qui accentue l'effet de perspective, créant une géométrie spatiale simplifiée et très efficace. La netteté de la construction spatiale provient, chez Lega, de la présence de la pergola et de la succession des ombres sur le sol, qui scandent des plans horizontaux successifs. Et, comme chez Della Francesca et chez nombre de ses contemporains, l'arrière-plan s'ouvre sur une portion de ciel délimitée par un petit mur encombré de pots de fleurs. Cette gravité, ce rythme lent et solennel, sont vraiment quattrocentesques.

Piero Della Francesca, Adoration de la Vraie Croix, 1532-1566
Arezzo, Basilique Saint François

 Domenico Ghirlandaio, Episode de la vie de la Vierge, Visitation (détail) 1452
Florence, Santa Maria Novella, chapelle Tornabuoni

Silvestro Lega, le Chant d'un stornello, 1867
Florence, Galerie d'Art moderne du Pallazo Pitti

Les femmes sculpturales de Ghirlandaio ou du même Piero Della Francesca sont comme l'écho ancien des jeunes femmes du "Chant d'un stornello" de Lega. Ces femmes en strict profil de médaille, se découpant dans la lumière douce d'un contre-jour, ont la même dignité, la même concentration paisible, comme si, à travers les siècles, leur rôle était resté immuable. Certes les valeurs religieuses du XVème siècle sont remplacées par les valeurs laïques bourgeoises du XIXème, mais la veine narrative est identique, simple et primitive, au sens noble du terme.

Odoarno Borrani, l'Analphabète, 1869
Collection particulière

Borrani, qui avait collaboré à la restauration des fresques de Santa Maria Novella et à celles de Ghirlandaio, traitait comme ces maîtres ses scènes de genre, dans des tonalités apaisées et pleines de dignité, à la construction limpide et immédiatement efficace. Comme nombre de prédelles, soucieuses de narrer et de démontrer. Les silhouettes sont d'une plastique parfaite, et on y lit aussi une influence flamande. La lumière, comme toujours, y joue un rôle primordial.

Domenico Veneziano, Saint Jean Baptiste dans le désert, vers 1445
Washington, National Gallery of Art

 Giovanni Fattori, La sentinelle, 1871
Collection particulière

Telemaco Signorini, le Mur blanc, 1867
Viareggio, Istituto Matteucci

Il y a, dans la façon des macchiaioli de traiter les surfaces vibrantes de lumière, par grands aplats dans fioriture, d'une manière rude et altière, comme le souvenir des anciens. En effet, jusqu’à la fin du Quattrocento, le terme "tache" (macchia) désigne "l'impression visuelle de l'ombre vue d'une distance" (selon Suqellati). A partir du XVIème, il traduit "le moment de pure idéation de l'oeuvre" (toujours Squellati), c'est à dire l'idée première, le premier "jet", fixée de manière rapide, ni affinée, ni aboutie, une sorte d'esquisse hâtive destinée à l'étude des masses et à la construction du clair-obscur, que l'oeuvre achevée rendra plus tard, grâce à une succession de glacis successifs avec plus de précision. Les macchiaioli, en produisant ce qui semblait à leurs contemporains, des esquisses, des versions abrégées, étaient jugés par ces derniers indignes du nom d'artistes. Et c'est ce même mépris dont eurent à souffrir nombre d'impressionnistes.

Alors ? Les macchiaioli sont, et restent des toscans, imprégnés de la lumière de leur terre, baigné par l'influence, fut-elle inconsciente de leurs illustres prédécesseurs. Ce sont des révoltés, des purs, et aussi, des intellectuels, souvent. Nombre d'entre eux débattent, exposent, écrivent, ils ont beaucoup théorisé leur manière de peindre et ont revendiqué haut et fort leur unité, leur enthousiasme partagé. Ils ont partagé des idéaux politiques, combattu côte à côte, porté l'amitié au pinacle et cette "école", qu'elle soit de castiglioncello ou de Piagentina, reste "à part", même s'ils ont été intéressés par ce que faisaient leurs confrères français, ils sont et restent à part. Leur regard est nouveau, moderne et aurait influencé durablement la peinture italienne s'il n'avaient pas été, ayant suivi Mazzini, un peu mis de côté comme des idéalistes rêveurs dont la nouvelle Italie unifiée n'avait que faire. 

BREF DICTIONNAIRE DES MACCHIAIOLI
* voir le Dictionnaire des peintres macchiaoli

** "Il y a, pour citer un exemple entre cent, un grand tableau de Fra Bartolomeo avec Marie-Madeleine et Sainte Catherine en adoration devant Dieu le Père, et, sur la partie basse, un paysage de campagne : un ciel bleu, de l'eau gris bleuté coulant sous un pont, des maisons grises et roses, des près verts, des meules de paille jaune. Si on découpait ce paysage, on aurait l'impression qu'il s'agit d'une peinture de Fattori, d'Abbati ou de Sernesi, totalement conforme aux canon du Caffè Michelangiolo", écrit Ugo Ojetti en 1921, à l'occasion de l'exposition rétrospective consacrée à Giovanni Fattori lors de la première biennale romaine. C'est aussi l'époque de la redécouverte des "primitifs" et ce lien n'est pas fortuit. 

2 commentaires:

  1. moi qui regrettais de ne pas avoir vu cette expo, grâce à toi, de nombreuses lacunes sont comblées, merci!

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    1. Ravie Eimelle ! j'espère cependant que tu auras l'occasion, un jour, de voir les Macchiaioli "en vrai" ... l'expo part à Madrid ! Mais aussi en Italie, aux musées de Florence et de Viareggio...

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