samedi 12 septembre 2009

TRANSMISSION

Jeudi, voyage "sanitaire" à La Rochelle. Pour évacuer la tension dans la voiture, on converse, on bavasse, on papote... de tout... de rien... Tiens, la bouteille à l'encre, allez savoir pourquoi, l'orthographe. Le livre de François de Closet "Zero faute" sans doute... L'histoire hallucinante de mes étudiants de première année aussi. Tout frais émoulus du bac, et auxquels on présente le diplôme qu'ils vont préparer. Bien sûr, on insiste sur la nécessité qu'il y aura de travailler. Des matières exigeantes, mais 4 épreuves cette année, pas le bagne tout de même ! 4 démissions sur 25 personnes après une semaine de cours. Trop dur ! Les deuxièmes et troisièmes années viennent de recevoir leurs résultats aux UE passées en juin et c'est assez faibles. Ils avouent qu'ils n'ont (malgré les exhortations que nous leur prodiguions et leurs sourires d'anges) pas fait grand chose l'an passé et que le résultat est à la hauteur de leurs efforts. Alors "les petits", sortis d'un bac asséné à 80% d'entre eux, quelque soit le niveau, à grand renforts d'adaptation des barèmes pour atteindre, sur un paquet quelconque de copies, la moyenne au risque d'être vilipendé (il faut voir comment on traite les profs qui corrigent qui finissent, pour avoir la paix, par faire de l'autocensure), ces jeunes, qui ont eu pour tout brouet des épreuves dont le contenu peut sembler ambitieux mais dont l'évaluation est malheureusement biaisée, se rebellent contre l'idée de devoir "s'y mettre". Encore quelques années d'insouciance, s'il vous plait ! Ceux qui arrivent chez nous après quelques échecs en fac, eux, n'ont pas du tout la même attitude. Ils ont compris la nécessité de prendre le taureau par les cornes et de bosser pour réussir.
Pour autant, tous pataugent, parfois avec exaspération, car cela les handicape, dans les lacunes que le système précédent leur a taillées.
Voyez cet accord du participe passé, bouffonnerie qui vous attire l'œil... le sujet, celui qui taille, c'est le système, qu'est-ce qu'elle a cette nana à terminer son mot par "ées"... plus étrange tu meurs... du coup, ça attire l'attention, et du coup, au lieu de lire en linéaire, vite, on est tenu de faire un retour sur info, on va chercher le complément d'objet direct et, voilà, on comprend. Car la langue véhicule de l'information, elle est vecteur d'échange, de communication, et en la matière, nous savons combien l'erreur est toujours prête à jaillir ! Si l'esprit va trop vite, il glisse sur les sens et les idées se brouillent entre l'émetteur et le récepteur. On vous l'a tous faite la démonstration de l'émetteur et du récepteur ! Et du feed-back ! Cela prête à sourire, mais, comme disait maman qui avait un aphorisme pour chaque situation "ce qui se conçoit bien, s'énonce clairement". Si vous saviez ce qu'un texte bourré de fautes d'orthographes, et contenant des connaissances que le correcteur est censé évaluer, est difficile à comprendre. Vous en avez sans doute fait l'expérience, mais à petit dose. A haute dose, cela demande une première lecture de "déchiffrage", et, quand cela est possible, de correction. Puis une deuxième lecture permet de lire en comprenant ce que le candidat a voulu dire et de juger le contenu. Quand il est interdit, pour cause de double correction, de porter quelque annotation que ce soit sur la copie, cette deuxième lecture butte sur les mêmes entraves que la première et vous tournez en rond sur des mots bizarres, cherchant le sujet, tentant de déceler le complément pour voir si votre impétrant a compris les tenants et les aboutissants de ce qu'il vous mouline, dans une expression qui n'est pas forcément de première élégance. Je ne vous parle pas de littérature, mais bien de matières techniques : du droit, de l'économie, de la gestion. Le jeune que je juge va devenir conseiller, auditeur, il faudra qu'il soit clair pour expliquer tout cela à ses futurs clients, plus commerçants que gestionnaires, plus artisans qu'analystes financiers. Et ayant parfois une bonne orthographe, donc inquiets devant les fautes récurrentes de leur comptable ! Et si ses compétences comptables, qu'ils ne peuvent juger, étaient aussi faibles que ses capacités orthographiques ??
Car voilà, on a décidé, alors que l'invention de l'orthographe venait depuis peu de rendre la communication plus claire entre les hommes, qu'il s'agissait là de la science des ânes. Moi qui ai travaillé pendant deux ou trois ans sur des écrits notariaux du XVIIIème, je puis vous assurer que leur compréhension, avec une orthographe fluctuante et sans règle, était difficile et me faisait perdre un temps infini. Il m'a semblé alors que les exigences, parfois incompréhensibles, de notre langue moderne, étaient bienvenues. Au moins, on a des repères. De même on admet bien, qu'afin d'être lisible un texte doive obéir à certaines règles de mise en page qui facilitent le confort visuel du lecteur, on peut supporter l'idée qu'une orthographe stable soit un progrès.
Pourtant, depuis les années 70, dans le grand courant de démagogie qui a, au détriment des jeunes, démangé les pédagogues de tous poils, on veut à tout crin réformer, simplifier, élaguer, écheniller l'orthographe. Et de Closets de nous brandir sa propre réussite, alors que nul en orthographe on lui prédisait un échec lamentable. Et, sa soi-disant terreur des accents circonflexes, plus incompréhensible, selon lui, que la mathématique quantique. Mais ce que monsieur de Closets ne réalise pas, c'est que sa copie la plus nulle en dictée serait encore meilleure que les écrits de mes étudiants à l'orthographe jugée aujourd'hui impeccable. Car une copie qui ne compte qu'une dizaine de faute est, aujourd'hui, une rareté appréciable. Ce que monsieur de Closets ne comprend pas c'est que personne ne raille plus les nuls en orthographe. Tout le monde, du patron au personnel d'entretien, fait des quantités de fautes. Et cette nouvelle norme relègue les gens que cela gêne au rang de vieilles badernes. Je crains que le sujet de mon article ne soit un combat d'arrière-garde, et que, malheureusement, l'avancée que représentait, en termes d'amélioration de la communication, une orthographe standardisée, ne soit en train de perdre du terrain.
Cela ne m'empêche pas de le regretter, de penser qu'il ne s'agit là que d'un léger effort comparé à la compréhension de la mécanique quantique. Et que ceux qui sont susceptibles de réussir brillamment, et il y en a encore parmi nos jeunes, se doivent de respecter cet outil qui a gardé, quoiqu'en disent monsieur de Closets et les ex-cancres qui veulent prendre une revanche, toute son utilité. Quitte à avoir des ânes, autant qu'ils soient savants, et leur science d'âne ne leur sera, c'est certain, d'aucune entrave pour l'acquisition d'autres sciences. Qu'on cesse de nous traiter de "croûtons" au motif qu'on préfère un texte facile à déchiffrer et dont la bonne orthographe grammaticale prouve que son auteur avait des idées claires. D'autant que les correcteurs orthographiques sont là pour aider les récalcitrants aux problèmes lexicaux, de doublement de consonnes, de ph et d'accents circonflexes (merci merci !! il m'en a corrigé plusieurs... et il en reste sans doute, vous ne m'en voudrez pas, car, malgré la teneur de mon article, je ne suis pas irréprochable, mais je fais mon possible pour ne pas trop laisser de fautes).

Par un de ces hasards qui, parfois, incitent à traiter un sujet car ils apparaissent comme un signe, en suivant les remparts de La Rochelle alors que nous allions fêter les résultats médicaux encourageants en allant déjeuner chez Coutanceau (oui, oui, le luxe ! depuis le temps qu'on fantasmait dessus), nous avons "croisé" cette sculpture moderne. Son auteur est un certain Bruce Krebs, et son titre "de génération en génération"...

En s'approchant, on comprend l'intention de l'auteur : la transmission se fait par le savoir, représenté ici par un livre incrusté dans la tête de la génération suivante, et cette transmission se fait dans la joie. Pourtant, dans la longue file des générations, on aperçoit, par endroit, des failles, des tempêtes...
Regardons de plus près : parfois la transmission s'interrompt, l'obscurantisme et l'ignorance éclatent, les individus sont morcelés, le vide et la destruction s'installent... puis, tout doucement, sans le dire trop fort, sans le voir même, le lire réapparait, se rouvre et la joyeuse litanie des générations heureuses reprend. Si vous voulez en être convaincu, plutôt que de Closets, lisez "La rivière et son secret" de Zhu Xiao Mei ! Je vous assure que c'est un livre poignant, on est au bord des larmes devant certains gâchis.

Et pour terminer sur une note plus gaie, j'ai particulièrement aimé, chez Richard Coutanceau, les queues de langoustines grillées, savoureuses comme seuls le sont crustacés saisis vivants, et présentées sur un tartare d'huîtres aux herbes... Retour à la fonction ancienne de l'huître, utilisée comme condiment, fonction oubliée et qui pourtant lui convient particulièrement bien.

8 commentaires:

  1. Quand je te disais que tu nous régalais !
    Merci pour de partager cette mini aventure gastronomique.
    Quant à Boileau, avec son art poétique (Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément) , il sera encore lu dans 3 siècles comme il l'est aujourd'hui 3 siècles après sa mort, longtemps après que le dernier lecteur de Closet sera mort d'ennui et tombé en poussière.
    Beijinhos ,

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  2. L'huìtre est courante dans la cuisine chinoise.

    Be dis-donc quel diatribe ! J'ai tout lu. J'adore votre style. Je n'oserais bientôt plus écrire, Madame la prof.
    A l'école je faisais beaucoup de fautes d'orthographe.
    J'essaye d'écrire correctement.
    L'ordi me corrige des fautes que je n'aurais pas faite en écrivant à la main. Etrange.
    Pour les jeune ,le natel (portable) n'aide pas à l'amélioration, tout est abrégé. J'interdis cette façon sur mon portable.
    Une copine avait la même complainte que vous, déjà il y a bien quelques années. Il faut dire que dans sa classe, il y avait beaucoup d'enfants fraîchement immigrés, avec l'imposibilité d'aide à la maison.

    Nous sommes dans une aire du tout, tout de suite, sans le moindre effort.Hélas !

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  3. Tu as raison Fred pour l'ennui qui menace les fauteurs de révolution lexicale de tout poil !
    Ah c'est sûr Béatrice, le langage n'arrange pas les choses, et j'avoue ne pas aimer recevoir de textos en phonétique... c'est comme si cela prenait trop de temps de tout taper, moi j'aime bien qu'on prenne son temps pour m'écrire ! et en plus, ça n'arrange pas la confusion des esprits sur la façon dont les mots s'écrivent !

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  4. oui en chine, sauce d'huîtres... faut dire qu'avec notre façon de les gober entières et vivantes, on se prive de cette utilisation qui vaut le coup !

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  5. C'est pas que ça prend trop de temps Nicole, c'est que ça prend du forfait... tu peux écrire dépenser le coût d'1 SMS en écrivant en phonétique... et ça te coûte le prix de 2 si tu écris en français correct ;-) Ah les jeun's !

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  6. Merci, Michelaise, pour cet article plein d'humour. Plusieurs de mes proches et moi-même, ayant travaillé ou travaillant encore dans l'enseignement, sommes d'accord avec ce que vous exprimez. Je crois hélas que la "bataille" est déjà perdue mais je suis de celles qui persévèrent malgré tout, sans trop d'illusions cependant...
    J'aime beaucoup la sculpture de Bruce Krebs. La présentation que vous en faites me donne envie d'aller la voir à La Rochelle.
    Je note le nom du restaurateur pour Alain.
    Merci d'avoir partagé cette journée avec nous! Je vous en souhaite plein d'autres aussi agréables.
    Anne

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  7. Ma mère, Française, gobait les huitres.
    Une des rare fois où je me suis risquée d'en manger, *au Pied de cochon*, quand l'ambiance des halles étaient différentes, avant le déménagement à Ringis. Invitée par une de mes clientes, qui était venue aux achats à Paris.
    je me rappelle les pyramides d'huîtres sur chaque table, qui débarquaient toute fraîches.

    Et pourtant ! Je ne vous dis pas la nuit d'enfer ...

    Le resto *Le pied de Cochon* existe toujours, à Paris, à côté de l'ensemble qui a bouché le trou.
    Avant, il fallait se bousculer pour avoir une place.

    Béatrice de Lausanne.

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  8. c'était Colibri qui par!ait du "pied de cochon" je crois... célèbre et mythique ! eh oui, nous, surtout les français de l'atlantique, avons de drôles de moeurs avec nos huîtres, dont nous vérifions soigneusement qu'elles sont bien vivantes avant de les gober... aux différents mariages de cet été, il y avait toujours un ban d'huîtres, et autour, debout, un verre de blanc frais pas loin, quelques amateurs concentrés sur ce type de dégustation très particulier, qui "descendaient" des quantités effarantes de mollusques !! toujours est-il que la fraicheur est primordiale et qu'ici, elles sortent juste de l'eau avant de passer à nos tables de barbares !
    Voui voui EMilie mais le prix d'un sms c'est valable pour environ 60 ou 100 caractères, ça laisse de la place... et "c'est quoi" ne coûte pas plus cher que "c koi"... bof, on a admis ce style, mais nous, les vieux, cela ne gêne guère notre capacité d'écrire, de rédiger, voire parfois même, sans faute !!! par contre les petits, qui n'ont fait que cela depuis leur tendre jeunesse se révèlent incapables de rédiger le moindre texte... dommage car les postes à responsabilité comportent toujours une part d'analyse, de conseil, d'instructions à rédiger...
    Ah oui, Anne, je sens qu'Alain va me bénir... Coutanceau, le père, nous avons mis 20 ans avant d'oser y manger... faut dire qu'il a 2 macarons au michelin... alors si vous avez quelque chose à fêter !!!! honnêtement, le menu dégustation, que tu trouveras sur le net, avec un petit vin, offre un rapport qualité prix remarquable, copieux, raffiné et sans chiqué... sinon, vous pouvez aller aux flots, chez coutanceau, le fils, c'est nettement plus classique comme addition et c'est vraiment bien... quant à la virée à la rochelle, c'est toujours sympa, pas vrai, surtout en ces temps estivaux !

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