dimanche 15 avril 2012

RETROSPECTIVE LUCIAN FREUD


Il est mort l'an dernier, à l'âge de 88 ans. De lui, l'autre soir, Georges Steiner disait dans l'émission Hors-Champs, "le petit fils, c'était un géant.... si le grand-père avait pu peindre comme le petit fils, cela aurait été bien mieux !". Et voilà que la National Portrait Gallery rend un hommage appuyé à cet immense portraitiste : 130 œuvres, venues du monde entier, retracent l'évolution et la carrière de celui qui n'eut même pas "à se faire un prénom", tant son talent crève la toile.

Leigh Bowery, en haut? peu avant son décès du sida en 1994 à l'âge de 33 ans, en bas à droite, avec sa femme.

Lucian Freud, nous l'avons découvert il y a peu : c'était en 2007 à l'exposition British Vision organisée à Gand dans le cadre de l'Europalia consacré à la l'Europe. L'impression avait été très forte et lorsque j'ai vu que Londres lui consacrait une exposition, j'ai voulu y aller. Oh, certes, pas sans une certaine anxiété, j'avais peur de l'effet "coup de poing", accentué par l'accumulation de peintures jamais complaisantes, toujours menaçantes, et que j'imaginais violentes. Pourtant, bien que n'ayant pas réussi à décrocher de billet tant la manifestation a du succès, j'ai accepté de faire la queue dès 9h pour une ouverture à 10, ayant appris que chaque jour le musée mettait en vente 500 entrées de dernière minute. Et bien nous en a pris, car en prime, entrés dans le musée parmi les premiers et ayant commencé par la fin simplement pour être au calme, nous avons subi de plein fouet mais avec ravissement le vertige de ces mises en scène toujours un peu déformées, la fascination de ces toiles sans joliesse mais tellement fortes. Un rendez-vous hallucinant, dans ces salles encore désertes, avec ces portraits tonitruants de présence humaine.

Après cette prise de contact musclée, nous avons repris le sens chronologique du parcours, pour apprécier l'évolution du peintre. Ses débuts, assez vêtus et pourtant déjà spectaculaires : linéaires, précis, et déjà si pleins d'acuité.

Kitty

Sa première femme par exemple, Kitty, est peinte avec un immense regard de chatte égyptienne, tenant à pleine main une rose épineuse, brandissant un chaton dont on se demande si elle n'est pas en train de l'étrangler, plus tard surprise dans son intimité en peignoir, le museau de son chien affectueusement posé sur sa jambe. Peu après cette dernière toile, où brille encore à la main du modèle l'alliance de leurs noces, le couple se séparait.

 Caroline Blackwood et Rolla de Gervex

Lucian Freud venait de rencontrer Caroline Blackwood qui sera sa deuxième femme. Elle aussi subit les foudres de l'usure du pinceau au fil du temps. Blonde, pensive et alanguie en 52, elle se retrouve enfouie sous un drap sans promesse dans Hôtel Bedroom, peint en 54 et qui est une sorte "d'anti-Rolla", au moins en ce qui concerne la sensualité. Le désir est mort et le regard que pose Freud sur son épouse est plus empreint de pitié que de colère ou d'exaspération. Ils divorceront en 57.


Je parlais de Gervex, cela peut sembler pédant, mais il est avéré et palpable que Lucian Freud revendiquait une grande culture classique : la toilette de Vénus de Vélasquez, les Baigneuses de Courbet, les portraits de Ingres, le Pierrot de Watteau, et bien sûr l'Origine du Monde font partie de son univers iconographique, et il ne trahit pas ses maîtres ni leur inspiration.

 Andrew Parker par Freud et Burnaby par Tissot

Par exemple quand il peint son ami Andrew Parker en 2003 sous le titre"Le Brigadier", il se réclame ouvertement du portrait de Frédéric Burnaby de James Tissot. Une mise en scène brillante : à première vue, le costume de Parker est resplendissant, du brocard doré du col aux bottines polies soulignées par la virgule d'un éperon altier en passant par la brochette de médaille, tout est militaire et a fière allure. Pourtant le charme est rompu par la veste négligemment déboutonnée, qui révèle une panse charnue. Si l'on ajoute le coin tombant de la bouche et l'air désabusé du visage du modèle, cela suggère une vulnérabilité qui contraste avec la splendeur apparente du costume et des médailles.


Freud n'a presque jamais peint son père mais, s'alignant en cela sur d'illustres prédécesseurs comme Rembrandt ou Whistler, il a souvent portraituré sa mère. Surtout après le décès de son époux, disparition qui a plongé cette dernière dans une profonde dépression. Il disait qu'elle était, du fait de son apathie, devenue un modèle idéal "ayant perdu tout intérêt pour tout, même pour moi. Alors je l'ai peinte pour la réconforter, pour lui donner quelque chose à faire".

Il la peint lisant un livre sur l'histoire de la peinture égyptienne qui fut sa référence à ses débuts (1939), étendue sur un lit avec les bras levés comme un petit enfant, enfouie dans une robe de chambre dont les motifs de cashmere furent un vrai casse-tête pour le peintre, ou encore au repos, le regard perdu dans le lointain et vêtue de vêtements dont la blancheur donne à la composition un aspect quasi mystique. Ce sera le dernier grand portrait de la mère de l'artiste.

Les trois (discrets) sourires de l'exposition

Plus les années passent, plus le caractère spectaculaire de ces descriptions de l'âme, mise à  nu devant le chevalet de l'artiste, s'accentue. Jusqu'à devenir gênant, oppressant quand les modèles sont trop décortiqués. Cette descente au cœur du secret de l'humain, sans concession, sans sourire, prend un côté obsessionnel qui retient, attache, accroche, interpelle et, finalement, séduit.

Certes tous ces personnages sont infiniment tristes, on ne compte que trois sourires dans l'exposition, et Freud déclare que "sans drame, la peinture n'est que de la couleur sortie du tube et étalée sur la toile". Autant dire qu'au cours de ces longues séances de pose qu'il partageait avec ses modèles, sourcilleux jusqu'à exiger qu'ils soient présents même lorsqu'il peignait le fond, chacun devait, passés les échanges courtois des premiers instants, "rentrer" en lui-même et s'y noyer. Comme nous nous noyons dans l'âpre grisaille qui éteint le regard de certains modèles. Beaucoup regardent vers le bas, l’œil obstinément baissé, d'autres, les nus souvent, ont un regard vide, évoquant presque des morts aux yeux pas encore clos.

Sue Tilley photographiée sur le divan où Lucian Freud la représenta endormie.

Les nus, parlons-en. Ils sont frappants car souvent extrêmes : étalés sans pudeur, abandonnés dans des positions improbables, ouverts, avachis, alanguis dans des tas de draps d'hôtel froissés, le sexe provocant, les chairs impudiques... Le summum de la complaisance est atteint avec son ami Leigh Bowery (années 90)... celui de la provocation avec la série de portraits de Sue Tilley, l'assistante sociale obèse (années 95). Et  une impression d'intimité violée s'affirme sans détour dans les dernières toiles qui décrivent, le mot est juste, son ami et amant David Dawson.

David Dawson. A droite : cette toile grumeleuse et inachevée est la dernière œuvre que la peintre ait laissée sur son chevalet à sa mort... car il voulait peindre encore et encore, peindre, disait-il, sa propre mort... 
Il faut avoir eu un whippet pour sentir combien, dans ces toiles, l'attitude du chien est, elle aussi, saisie avec virtuosité. On a même parlé, à propos de la toile de gauche, d'un "portrait" d'Eli (le chien).

Freud disait qu'il connaissait David mieux que quiconque, et, de fait, ces peintures, brossées trait à trait, lentement, et dont l'une reste inachevée, traduisent clairement le respect réciproque et la compréhension mutuelle qui unissait les deux hommes.


Quant aux auto-portraits, nombreux, fréquents, échelonnés tout au long de sa carrière, ils offrent un mélange détonnant de beauté et de rigueur sans concession. Il s'astreignait régulièrement, nous dit-il, à cet exercice, pour éprouver et ressentir les rigueurs du processus de pose qu'il imposait à ses propres modèles. Il les vivait comme un moment de "mise à nu, d'honnêteté et de solitude". Une sorte d’introspection qui, l'âge venant, se fait de plus en plus âpre. Il ne se peindra nu que tardivement, en 1993, brandissant son pinceau comme une épée et sa palette comme un bouclier, presque guerrier !

Au total, un parcours absolument passionnant, prenant, "envoûtant" même. Nous avons dû partir au bout de trois heures, pour assister à la demie-finale du concours de quatuor à cordes, mais serions volontiers restés encore un long moment, tant la visite nous a paru courte. Je n'aurais jamais cru avoir un tel "feeling" pour ce peintre de la désespérance ! Mes craintes étaient oubliées et seule l'admiration me poussait d'une toile à l'autre. Pas de gêne, pas de malaise : passé le coup à l'estomac reçu à l'arrivée, on se familiarise avec ces hommes et ces femmes qui, des heures durant, ont posé pour Freud et se sont exposés, puis dévoilés et enfin révélés. Un grand moment que nous ne sommes pas prêts d'oublier ! Et qui vous vaut cet article particulièrement encombré de reproductions (toutes extraites du catalogue de l'exposition) ...

le 17 avril 2012 :


Pour répondre au commentaire de GF sur la question des influences, une présentation de l'exposition 2010 au Centre Pompidou que certains ont vue et appréciée : il y est question d'une toile, qui n'était pas à Londres, qui est relecture d'"une après-midi à Naples" de Cézanne ( à 2:28)... petite vidéo trouvée alors que je cherchais l'émission dont me parlait Marisol.



Commentaire de Siu (qui correspond exactement à ce qui nous est arrivé à Londres) : 
Moi aussi j'avais vu l'exposition au Correr en 2005, et à l'unisson avec Anne "j'en ai été bouleversée et enthousiasmée à la fois."
Je me rappelle parfaitement qu'après avoir arpenté les salles, me perdant dans la contemplation d'un tableau, et puis d'un autre et d'un autre encore pendant je ne sais plus combien de temps, je m'étais enfin acheminée vers la sortie mais... et bien non, je n'étais pas du tout capable de franchir cette porte, j'ai du revenir en arrière et encore une fois me perdre dans au moins quatre ou cinq tableaux. 

Pour découvrir, avaler, savourer tout ce qu'il y avait dedans, la vie probablement, sans que rien de tout ce qu'elle a de critique, de crucial, de névralgique dans le sens aussi bien d'essentiel que de douloureux, y soit caché.
Révélation sans aucune gêne, accouchée par un talent de génie associé à une sensibilité exacerbée, écorchée, qui n'a peut-être pas d'égale dans l'histoire de la peinture (on pense bien sûr à Bacon, mais sa tendance à la déformation en rend quand même les œuvres moins frappantes, du moins c'est mon avis).
Pour finir, en revenant à ma gaucherie vénitienne... cet aller-retour entre salles et sortie, sortie et salles s'était répété maintes fois : effet élastique dû surement au fait que, j'en suis tout à fait convaincue, "cette descente au cœur du secret de l'humain, sans concession, sans sourire, prend un côté obsessionnel qui retient, attache, accroche, interpelle et, finalement, séduit."

35 commentaires:

  1. J'avais vu cette exposition à Venise, au Correr, en 2005 et j'en ai été bouleversée et enthousiasmée à la fois. Je vous remercie de votre article concernant cet immense artiste dont voici quelques citations:
    "Tout est autobiographique et tout est un portrait" - "Pour nous émouvoir, la peinture ne doit jamais se limiter à rappeler la vie, mais elle doit acquérir une vie propre" - "Un peintre doit être courageux, tendre, libre d'esprit et mettre tout en doute".

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    1. Un parcours passionnant pour le découvrir vraiment... Merci Anne

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  2. Pas du tout ma tasse de thé
    Mais pas du tout
    Le seul que j'aime c'est Rolla que l'on peut admirer à Orsay et qui actuellement est accroché au sein de Degas et le nu

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    1. Alors le Rolla, j'avoue que je n'y comprends plus rien : il a été pendant longtemps au musée de Bordeaux et, quand j'y pense, il n'y est plus en effet. Cela devait être un "prêt de l'état", comme il y a en tant en province et Orsay a dû le récupérer... si cela se trouve cela fait des années d'ailleurs !!!
      Que tu n'aimes pas Freud n'a rien de surprenant, il est tout sauf aimable !!!!

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  3. Bravo pour ton post illustré superbement par toutes ces reproductions, tu as raison Lucian Freud est un grand, très grand peintre, que j'adore, j'avais eu en 2010 le grand bonheur de voir une rétrospective de lui à Beaubourg, j'y étais même revenue plusieurs fois grâce à mon pass... A chaque fois j'ai eu la même émotion intense, les corps et les décors ne font qu'un, au spectateur de démêler l'écheveau de couleurs somptueuses.

    Merci Michelaise, bises du soir.

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    1. Couleurs somptueuses mais dont, c'est indéniable, il se dégage une profonde tristesse. Ce qui n'empêche que l'exposition m'a passionnée, j'ai été surprise d'y passer tant de temps et d'avoir l'impression que je n'avais rien vu. Le spectateur est pris à parti et il doit se défendre, comprendre, s'accrocher et il est récompensé. L'expo de Beaubourg a fait, elle aussi, beaucoup parlé d'elle.

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  4. Je ne sais pas si j'aurais tenu trois heures... pas par manque d'intérêt, mais parce que les toiles de Freud peignent, pour moi, la mort et cette présence de l'inéluctable est pour moi insoutenable.

    La palette - la comparaison entre la photographie de Sue Tilley et la toile peinte est à ce titre évocatrice- de même que le traitement des chairs qui ne semblent pas tout à fait à leur place créent pour moi cet effet.

    En tout cas, si l'oeuvre d'art est faite pour déranger le spectateur, j'avoue que Freud réussit très bien avec moi!

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    1. J'ai été nettement moins "dérangée" que je ne le craignais... peut-être l'effet "oeuvre" complète ... enfin en tout cas parcours découverte !

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    2. C'est effectivement l'intérêt des grandes expositions temporaires, surtout lorsqu'elle permette de suivre la progression chronologique. Je l'expérimente, en ce moment, avec Feininger et j'aurais peut-être été plus à même d'absorber l'oeuvre de Freud en y entrant progressivement.

      Dans le commentaire qui s'est envolé avant que je puisse le publier, je faisais un rapprochement avec Bacon qui me produit un peu le même effet, toujours à cause de ce traitement de la «chair humaine»... Qu'en penses-tu?

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    3. Le rapprochement avec bacon s'impose mais, au contact "physique" des toiles, on se rend compte combien leur approche de l'"homme" est différente, et celle de Freud est nettement moins déstructurée, jusqu'au-boutiste ! Finalement Bacon met beaucoup plus mal à l'aise et est, à mon sens, beaucoup plus violent.

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  5. C'est drôle car pas plus tard qu'il y a deux jours mon frère me parlait de ce peintre persuadé que je le connaissais et j'avoue que non, alors ton article tombe plus que bien pour me permettre de le découvrir !
    Intéressant, mais je n'accrocherai pas ses œuvres chez moi !!! Rires !!!

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    1. Je ne l'ai, quant à moi, découvert qu'il y a 4 ou 5 ans... quant à l'accrocher chez moi ?? je ne sais trop, j'ai quelques réticences aussi. Je vais me plonger dans le catalogue pour faire mon choix ... sauf que sa cote n'est largement, très largement pas dans mes moyens !!!!!!

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  6. Quel bel article une nouvelle fois!
    Je suis frappée par certains portraits, en particulier ceux de sa mère, cette peinture des sentiments, il y a quelque chose qui se passe.
    Moins séduite par d'autres de la série.
    bonne journée!

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    1. La série des nus impudiques met plus que mal à l'aise, c'est certain !!! mais j'ai été frappée dans l'exposition : les visiteurs dans toute l'exposition, regardaient beaucoup plus qu'à l'ordinaire. Ses portraits attirent et révulsent, mais on les regarde, vraiment, longtemps. Car ce sont des humains qui sont là, des humains qu'on rencontre. D'où je pense le temps important de visite. On s'interroge, on écoute, on ressent... bref le "spectateur" est interpelé.

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  7. J'adore Lucian Freud et sa peinture, impossible donc de ne pas boire cet article comme de l'eau fraiche quand on est assoiffé, les tableaux de ce géant de l'art, de l'esprit humain et de la sincérité ayant toujours sur moi l'effet de susciter une soif inépuisable...
    Moi aussi j'avais vu l'exposition au Correr en 2005, et à l'unisson avec Anne "j'en ai été bouleversée et enthousiasmée à la fois."
    Je me rappelle parfaitement qu'après avoir arpenté les salles, me perdant dans la contemplation d'un tableau, et puis d'un autre et d'un autre encore pendant je ne sais plus combien de temps, je m'étais enfin acheminée vers la sortie mais... et bien non, je n'étais pas du tout capable de franchir cette porte, j'ai du revenir en arrière et encore une fois me perdre dans au moins quatre ou cinq tableux pour découvrir, avaler, savourer tout ce qu'il y avait dedans ; la vie probablement, sans que rien de tout ce qu'elle a de critique, de crucial, de névralgique dans le sens aussi bien d'essentiel que de douloureux y soit caché.
    Révélation sans aucune gene, accouchée par un talent de génie associé à une sensibilité exacerbée, écorchée qui n'a peut-etre pas d'égaux dans l'histoire de la peinture (on pense bien sur à Bacon, mais sa tendance à la déformation en rend quand meme les oeuvres moins frappantes, du moins c'est mon avis).
    Pour finir, en revenant à ma gaucherie vénitienne... cet aller-retour entre salles et sortie, sortie et salles s'était répété maintes fois, "effet élastique" du probablement au fait que, j'en suis tout à fait convaincue, "cette descente au cœur du secret de l'humain, sans concession, sans sourire, prend un côté obsessionnel qui retient, attache, accroche, interpelle et, finalement, séduit."

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  8. Je n'aime que la première toile!!!! Est-ce grave Michelaise ?

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    1. Oh non Enitram, au contraire !!! Elle est surprenante d'ailleurs cette toile : Freud ne nous a guère habitués à traiter les "objets" avec autant de soin et le rendu de cette plante est presque hyper réaliste : tout y est même le luisant des feuilles !

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  9. Une peinture difficile à appréhender mais grâce à tes explications, un peu plus abordable... il me semble qu'on ne peut rester indifférent devant ces toiles et soit détester soit aimer, elles sont tellement fortes! dans une salle d'exposition cela va mais imaginer mettre ce genre de toile sur un mur , cela devient plus difficile !assurément ces toiles frappent l'esprit, mais quelle dureté...

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  10. Hier maitn j'avais envoyé ce commentaire, mais il n'est pas apparu. Je réessaye...

    J'adore Lucian Freud et sa peinture, impossible donc de ne pas boire cet article comme de l'eau fraiche quand on est assoiffé, les tableaux de ce géant de l'art, de l'esprit humain et de la sincérité ayant toujours sur moi l'effet de susciter une espèce d'inépuisable soif ...
    Moi aussi j'avais vu l'exposition au Correr en 2005, et à l'unisson avec Anne "j'en ai été bouleversée et enthousiasmée à la fois."
    Je me rappelle parfaitement qu'après avoir arpenté les salles, me perdant dans la contemplation d'un tableau, et puis d'un autre et d'un autre encore pendant je ne sais plus combien de temps, je m'étais enfin acheminée vers la sortie mais... et bien non, je n'étais pas du tout capable de franchir cette porte, j'ai du revenir en arrière et encore une fois me perdre dans au moins quatre ou cinq tableaux. Pour découvrir, avaler, savourer tout ce qu'il y avait dedans, la vie probablement, sans que rien de tout ce qu'elle a de critique, de crucial, de névralgique dans le sens aussi bien d'essentiel que de douloureux y soit caché.
    Révélation sans aucune gene, accouchée par un talent de génie associé à une sensibilité exacerbée, écorchée qui n'a peut-etre pas d'égaux dans l'histoire de la peinture (on pense bien sur à Bacon, mais sa tendance à la déformation en rend quand meme les oeuvres moins frappantes, du moins c'est mon avis).
    Pour finir, en revenant à ma gaucherie vénitienne... cet aller-retour entre salles et sortie, sortie et salles s'était répété maintes fois : effet élastique du surement au fait que, j'en suis tout à fait convaincue, "cette descente au cœur du secret de l'humain, sans concession, sans sourire, prend un côté obsessionnel qui retient, attache, accroche, interpelle et, finalement, séduit."

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    1. C'est tout à fait ce que tu décris Siu : j'avoue avoir décidé d'aller voir l'expo un peu comme un "devoir" artistique : Freud est un grand peintre DONC je dois voir sa rétrospective, mais avec "la peur au ventre". Et avoir éprouvé, c'est ce que j'essaie d'expliquer dans mon billet, une vraie "découverte" : avoir passé beaucoup de temps devant les toiles et comme toi, "je m'étais enfin acheminée vers la sortie mais... et bien non, je n'étais pas du tout capable de franchir cette porte, j'ai du revenir en arrière et encore une fois me perdre dans au moins quatre ou cinq tableaux"
      Tout ce que tu dis est TRES EXACTEMENT ce qui m'est arrivé devant ces toiles, dures certes, disons sans concession mais attirantes comme des aimants car on y perçoit l'humain. Le plus impressionnant est l'absence de gêne qu'on ressent devant ces toiles qui, sur reproduction, semblent terriblement impudiques et qui, "en vrai" sont simplement présence. Une présence parfois provocatrice (chez un ou deux modèles mais cela vient des modèles pas du peintre).
      En gros j'aurais envie de rajouter ton commentaire à mon article car c'est absolument la surprise que j'ai eue à Londres. Sans aucun effet de mode ou de snobisme sur le nom ou le peintre puisque je n'avais vu de lui que deux toiles et n'étais pas au courant de ses cotes ou de son succès.

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  11. J'ai vu sur Arte une analyse très intéressante de son œuvre montrant notamment sa recherche de l'expressivité du visage par une étude très détaillée de la musculature et le travail des jeux de lumière sur la toile comme s'il sculptait les formes. J'ai pu retrouver dans tes reproductions cette évolution. C'est un peintre qui te prend aux tripes bien loin de toute démarche décorative et je le trouve moi aussi passionnant. Son grand père sondait les êtres à travers les mots lui a choisi les corps et la matière mais c'est un cheminement identique.
    Très belle journée.

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    1. Marisol je vais de ce pas voir si je trouve cette émission d'Arte dont tu parles, car elle doit être passionnante. Ton expression est juste, il prend aux tripes et il n'y a rien de complaisant, de décoratif ou de séducteur dans son pinceau : pourtant il "accroche" le spectateur, fort même ! encore une fois j'ai été saisie par "l'attention" soutenue et grave des visiteurs. Aucune gêne, une présence partagée.

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  12. Bravo pour cet article qui révèle toutes les facettes de l'immense artiste qu'est Freud, que ce soit dans la peinture des natures mortes, du portrait ou de nu masculin et féminin. Je me suis demandé si les parallèles que tu faisais avec d'autres noms illustres de la peinture avaient été suggérés par les commissaires et si, par exemple, les tableaux de Gervex, de Tissot, de Courbet, etc., étaient également présentés lors de cette expo, comme cela avait été le cas pour l'exposition "Picasso et ses maîtres". En tout cas, ils sont particulièrement éclairants et j'espère que cela donnera envie aux plus réfractaires de s'y coller. Mais en même temps Freud n'a pas besoin d'être enrôlé à une tradition prestigieuse pour être compris, tant ses toiles parlent un langage clair, limpide et fort!

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    1. Les influences sont signalées dans le catalogue, en tout cas le catalogue offre le parallèle avec Tissot. Pas d'autre peintre que Freud dans l'exposition. Gervex c'est moi qui l'ai ressenti, Alter n'était pas d'accord car il me soupçonne de trop aimer ce Gervex et d'être partiale : pour autant, j'ai été frappée par le contrepied que Freud fait (ou ferait) du Gervex. Courbet c'est aussi de mon cru mais c'est frappant. D'autres viennent à l'esprit au cours de la visite mais mon propos était de ne pas alourdir le discours.
      Tu as certainement raison : on n'a pas besoin d'enrôler Freud dans une tradition prestigieuse mais sa culture artistique est flagrante, et il la revendique parfois ouvertement. Ce n'est ni un copieur ni un interprète, il développe sa personnalité propre mais il a vu, compris, aimé et s'inscrit, comme les "grands" dans une tradition picturale qu'il continue, sciemment, et sans affeterie.

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  13. C'est dur, c'est froid, c'est triste, c'est impudique, je ne mettrais pas ça chez moi, je suis mal à l'aise... La peinture de Lucian Freud inspire de l'inquiétude, de la répulsion, pourquoi ?

    Au delà de sa très belle peinture, une palette unique faite d'ombres et de lumière tournoyante, d'une gamme chromatique réduite à l'essentiel, somptueuse, il fait des corps des continents de couleurs impressionnantes... Mais ce qu'il propose est unique, inhabituel : Beaucoup de ses toiles représentent des hommes entièrement nus, sexe apparent, quelques femmes sont, soit énormes soit maigres, donc en dehors des canons de la beauté classique.

    La représentation d'un sexe d'homme en peinture reste choquante, impudique, souvenons-nous du scandale que provoqua le tableau de Courbet l'origine du monde (que tu mets Michelaise juste à propos à côté de la très belle peinture de Freud) qui présentait frontalement le sexe d'une femme, l'horreur ! Qui fut dissimulée pendant des années aux yeux du public, caché derrière un rideau par ses propriétaires... Comme une image pornographique.

    Je pense que c'est d'abord cette représentation-là qui choque le spectateur, alors que personne ne va s'offusquer du tableau d'Artémisia, exposé actuellement au musée Maillol, la décapitation d'Oloferne, qui montre deux femmes en train de tuer sauvagement un homme en l'égorgeant.

    Ces représentations sont totalement admises, digérées dans l'inconscient collectif depuis la renaissance, les nudités étaient représentées avec des canons hyper codifiés, rien ne devait dépasser. Tout devait être beau, au sens académique du terme. Ingres qui déformait à loisir les corps au point de paraître suspect aux puristes, demeure aujourd'hui un grand peintre, à qui on pardonne ses anomalies anatomiques, à cause de ses sublimes effets picturaux.

    N'est-ce pas d'abord cette image qui choque chez Freud, la nudité absolue des hommes et des femmes ? Qui empêche de voir la peinture ?


    Bises du jour.

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    1. Ta réflexion sur la relativité de ce qui choque est très intéressante Danielle : pourquoi un sexe d'homme est-il si choquant alors que certaines horreurs comme ces décapitations sont admirées sans réserve ? Je pense que le refus du sexe d'homme est imputable à une certaine fragilité qui s'en dégage quand il est "au repos" et qui est mal vécue, mal admise par ceux dont la fierté est autre ! Je pense aussi que notre culture, comme tu le dis si bien, nous fait admettre certaines représentations comme normales et d'autres nous gênent. L'étalage des chairs de Sue Tilley nous dérange parce qu'elle "doit" rester cachée pour ne pas nous renvoyer aux problèmes qu'on devine derrière cette obésité monstrueuse.
      Et pourtant, ces toiles ne font pas "étalage psychanalytique", on a plus simplement le sentiment que Freud a donné la parole aux corps. Et qu'il a été infiniment attentif à les "écouter".
      On dit beaucoup que les séances de pose étaient longues et il me semble qu'on sent ce temps, cette patience dans les toiles. Et ce dialogue silencieux avec chacun. Ce qui est passionnant est qu'il n'a pas de "recette", pas de manie (même si à certains moments il a des styles qui tournent autour d'une même façon d'aborder ses sujets). Il regarde et il peint, point. Sans concession mais aussi sans amertume (comme Bacon). Il ne juge pas, il écoute.

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  14. Un grand maître de la peinture et un superbe hommage.
    Merci Michelaise pour la richesse de ton billet et tes réponses.

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    1. Je suis émerveillée Evelyne par l'importance, l'acuité et la justesse des commentaires : je pensais que ce billet n'en aurait pas ou peu, car je pensais que mes lecteurs seraient mal à l'aise et se détourneraient pudiquement. Et c'est l'inverse qui se produit, comme dans l'exposition : les gens sont happés, attentifs, ils sont attirés et révulsés et pourtant ils se sentent "impliqués". La gêne disparait au profit de l'humain, ce qui est, en soi, une parfaite "réussite" de Freud !

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  15. Merci Michelaise pour cette vidéo et la restitution de ces influences croisées! Et bravo pour ton post qui a fait un tabac! Qui se serait attendu à ce que Lucian Freud suscite plus de commentaires que la mique sarladaise, hein?

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  16. J'en suis la première étonnée et (agréablement) surprise GF !! Quant à la mique, c'est une valeur sûre, un de ces billets qui, jour après jour, est consulté et continue sa petite carrière !!!

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  17. j'ai hésité à mettre un commentaire... et je vois que beaucoup se lancent ;-), et puis :

    "Qui ne dit mot consent" ... donc je ne pouvais pas rester muette ! Si un seul mot me vient en tête,c'est "beurk" :-)) Oui je sais c'est un peu court comme analyse. Mais je retrouve dans les commentaires de certains de tes habitués les sensations que j'éprouve : la mort au premier plan, mais aussi l'impudeur, la laideur (dans laquelle il semble se complaire, quand même...), la tristesse infinie.
    J'aime beaucoup l'analyse que fait Danielle à propos de la nudité. Certains tableaux que tu présentes me touchent, malgré tout, ce sont ceux qui représentent la mère de Freud. Mais ce qu'il dit à propos de son apathie, à nouveau, me met mal à l'aise.

    Merci pour cet article.

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    1. Tu fais bien de donner ton ressenti Odile, car le concert de louanges commençait à paraître suspect... les louanges d'ailleurs nous les concédons tous à Lucian Freud, mais ensuite on peut carrément refuser ce type d'expression, et tu as raison de l'exprimer

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  18. Un peu tard pour mettre mon grain de sel: juste une petite pincée car n'ayant jamais vu les toiles de Freud qu'en reproduction il est difficile de juger la technique qui semble cependant superbe ; quant aux sujets ? est-ce plus terrible que les peintures noires de Goya ? Il y a certainement une effroyable tristesse mais mais pas plus forte que dans "le cri" de Munch une toile qui glace et transperce plus que les nus vus ici. On pense forcement à Bacon dont les corps tourmentés dégagent une sensualité qui peut-être jugée morbide mais qui n'en est pas moins splendide. Ici nulle sensualité, c'est clinique, on sait que la chair est triste... du moins à partir d'un certain âge ! faut-il pour cela ne pas la montrer ? il en est de la peinture comme de la littérature on ne la fait pas qu'avec de bons sentiments !!

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  19. Relisant les commentaires je suis surpris par l'utilisation d'"amertume" concernant Bacon voila un terme qui ne me semble vraiment pas s'appliquer à ce peintre. J'ai découvert la peinture de Bacon lors de mon premier voyage à Londres et j'ai été fasciné par ses toiles, sa dernière rétrospective à Londres en 2009 était fantastique. En 1973 Bacon a séjourné à Bergerac plusieurs semaines il avait envisagé de se fixer en Dordogne et cherchait une propriété. Son français parfait permettait de très agréables conversations on parlait peinture mais aussi beaucoup vin ! ce qui frappait le plus était son extrême affabilité. Finalement il n'a rien acheté, quelques jours après son départ j'ai reçu le catalogue dédicacé de son expo du grand palais.
    Sais tu que Bacon n'aimait pas l'expressionnisme allemand, il le qualifiait de gâchis.
    Je te recommande un petit livre intitulé "L'odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux"
    à sa lecture j'y est retrouvé cet homme hors du commun.

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  20. Michelaise j'ai fait pour toi un petit clin d'oeil à ton beau post sur le mien :-))))

    grosses bises du jour.

    Robert d'accord avec toi, l'amertume ne s'applique pas aux toiles de Bacon, ce grand peintre de la flamboyance, ses couleurs sont inoubliables au même titre que celles laissées par les peintres de la renaissance... Des splendeurs,des velours et des soies magnifiques.

    Bises du jour.

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