jeudi 5 août 2010

CECILE CHAMINADE : 1887-1914 LES ANNEES DE FACILITE


1887 est, si l'on en croit Feriel Kaddour dont je me contente de reproduire la conférence, le point culminant de la vie de créatrice de Cécile Chaminade. En effet, si l’on considère son œuvre à partir de cette date, elle connait une longue période de déclin. Oh certes, son succès ne se dément pas, au contraire, elle engrange commandes et contrats, mais son talent se met à s'estomper de façon inéluctable. Elle qui avait une écriture forte, inventive, originale, ne produit plus que des œuvres courtes, à succès. Sa musique, d’exigeante qu’elle était, devient facile, plus convenue, presqu’insipide.

Très frappée par ce brusque arrêt d’un talent en pleine ascension, par cette vie créatrice qui connait son apogée entre 20 et 30 ans pour ensuite régresser de façon inattendue, Feriel Kaddour a tenté de dégager les raisons de cette évolution contre-nature. Car d’ordinaire le talent croit avec l’âge ! Elle propose plusieurs types de raisons, toutes fort compréhensibles.

D’abord des raisons biographiques : c’est en 1887 que le père de Cécile meurt. Cela entraine de toute évidence des conséquences économiques incontournables pour la jeune femme. Monsieur Chaminade avait les moyens d’entretenir sa famille sur un pied assez élevé mais il ne laisse aucune fortune à proprement parler. Par contre, sa femme et sa fille, ayant des goûts et des habitudes de luxe, un train à mener, il leur faut des moyens. Et ces moyens c’est Cécile qui va les procurer à sa mère. Elles ont un standing à maintenir. Pour faire face aux besoins de la famille, elle accepte de nombreux concerts, et passe un contrat avec un éditeur de piano qui lui commande des mélodies qui doivent se vendre. Donc correspondre aux goûts d’une clientèle qui veut du joli, pas du savant. Elle écrit donc « à la ligne » des mélodies plus courtes, moins compliquées, qui puissent être joué et appréciés par les dames de la bonne société, sans se prendre la tête. Elle choisit des textes simples, voire un peu bébêtes… « si j’étais jardinier d’amour, je te cueillerais des caresses… ». Il n’a a plus d’évolution dans son écriture et son style ne se renouvelle plus.

Autour de ces contraintes financières, sa mère restera à sa charge jusqu’à son décès en 1911, la suivant partout et ne vivant que grâce à elle, se greffent tout un tas d’effets annexes, liés aux circonstances. Je l’ai dis plus haut, Paris ne la célèbre guère en tant que compositrice et cette absence de reconnaissance institutionnelle bloque sa carrière. Pour être reconnu, il fallait avoir écrit un opéra qui connaisse le succès. Cécile Chaminade consciente de ce challenge écrit en 1887 « La Sévillane ». L’œuvre est donnée en audition privée et si l’on ne peut pas dire ce qu’elle valait car elle n’a jamais été donnée en tant que spectacle, elle connait un réel retentissement. Mais Carvallo, le directeur de l’Opéra Comique, hostile à la présence de femmes en ses murs, refuse que l’œuvre soit montée. C’est un coup dur pour Cécile, l’œuvre ne sera jamais jouée en entier et si l’on en conserve quelques extraits, c’est une grande déception pour elle de ne pouvoir passer ce cap. Elle essaiera en 1897 d’écrire un autre opéra mais abandonnera ce projet rapidement, renonçant ainsi à une reconnaissance d’un autre niveau. Par contre, l’audition de la Sévillane lance définitivement sa carrière de pianiste et elle connait dès lors un vrai succès d’interprète. Très demandée, elle court le monde, l’Angleterre s’en entiche et elle est invitée par la reine Victoria. Les Etats Unis se l’arrachent et elle déjeune avec le président Roosevelt. Partour se crée des « clubs Chaminade », on en comptera plus de 100 au début du XXème siècle. Et j’en ai trouvé un sur Google sans chercher bien loin, qui a été créé en 1912. Elle va en Turquie, en Allemagne, partout son succès est éclatant. Mais ces tournées l’empêchent d’écrire et son travail de compositrice en pâtit. Les voyages sont longs et fatigants, elle doit composer vite et bref, elle écrit entre deux concerts, à la ligne, sans approfondir, son inspiration tourne court.

A ces raisons financières, s’ajoutent selon Feriel Kaddour des raisons psychologiques. Sa vie sentimentale est déchirée. Amoureuse de Paul Landovsky, un médecin qui a adopté les 6 enfants de son frère sans doute décédé, elle constate vite que l’évolution et l’épanouissement de sa carrière sont incompatibles avec le rôle de mère putative qu’elle devrait tenir auprès de ces enfants. Elle renonce à sa passion et si, plus tard, elle se marie, ce sera dans des conditions sentimentales tout autres. En 1887, c’est la rupture avec Paul Landovsky.

Ce portrait dédicacé comprend les mesures d'ouverture du Concertino pour flûte et orchestre , une œuvre qui est devenu un standard dans le répertoire pour flûte . Division - Collection Miller Dayton C. , Musique. Image trouvée sur Women of notes

Enfin Feriel voit dans la mort du père une sorte de coup d’arrêt à ce qui motivait Cécile. Construite dans sa confrontation avec l’autorité paternelle, celui-ci disparue, elle perd sa dimension combattive et finalement son objectif majeur. Elle n’a plus besoin de prouver son talent, de s’imposer, de s’opposer. Désormais elle se contentera d’utiliser son art pour vivre, de briller, de réussir socialement, mais elle n’aura plus cette exigence que la réprobation de son père lui imposait, ne serait-ce que pour vaincre ses réticences.

Il ne faut cependant pas caricaturer cette deuxième partie de la vie de Cécile Chaminade. Si son talent stagne, voire régresse, son succès, lui, va grandissant. Elle est couverte d’honneurs, distinctions en tous genres et de tous pays, jusqu’à être faite Chevalier de la Légion d’Honneur en 1913. Elle reçoit des commandes de pièces de concours pour le Conservatoire, et l’engouement pour ses prestations est réel et solide. Simplement, pour le musicologue, ce qu’elle écrit brille par sa banalité, sa joliesse, celle justement qu’on ne lui apposait pas d’office durant le début de sa carrière, celle qui fait que désormais elle ne progresse plus. Elle devient une compositrice sans grande inspiration et une interprète célèbre, mais oubliée depuis.

9 commentaires:

  1. Je savoure ces petites chroniques musicales...
    Chaminade, c'est affreux pour une musicienne, je croyais que c'était UN compositeur. Et en plus je devrais avoir des mélodies qui trainent dans mes vieilles partitions, je vais les rechercher à la rentrée, si toutefois je les ai conservées, dans mes placards au CNRR.
    C'est ainsi qu'on en apprend tous les jours,c'est ce qui est génial.

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  2. Je ne connaissais Chaminade qu'au travers de certains enregistrements de flûtistes dont James Galway. A propos de musique et d'opéra j'ai assisté hier soir à une superbe Mireille aux Chorégies d'Orange. Beau à pleurer. Evidemment ni Arte ni France 2 puisqu'il s'agit de Mistral et de Gounod !

    Je crois qu'il y a des vidéos de Galway sur Youtube ou Daily. Et peut-être quelque chaminaderie ?

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  3. Belle vie de femme.
    Oh combien difficile à son époque.

    Merci michelaise

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  4. Je trouve assez triste le destin ce Cécile Chaminade... Je pense qu'elle était sans doute consciente de la régression de son talent de compositeur et ça a dû être dur à vivre pour elle. Jouer pour vivre ce n'était sans doute plus la même chose que créer ... Le sourire n'était pas de mise à l'époque pour les photos mais on sent une jeune femme au coeur lourd...
    Ce fragment de vie d'une femme d'exception est passionnant Michelaise. Merci !

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  5. Ce que tu nous contes me fait penser à un peintre local qui a eu ses heures de gloire.
    Il ne peignait que des tableaux très tourmentés,tu pourras t'en rendre compte si tu viens nous voir.
    Un jour me rendant chez lui je vois un Steeple-Chase,très coloré,vivant,bref pas du tout l'esprit de notre peintre.
    Je le questionne et il me répond"il faut bien manger".
    Il est toujours de ce monde déjà oublié

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  6. Peut-être a-t-elle été plus heureuse dans cette partie de sa vie, sans l'exigence de rendre des comptes à l'autotité paternelle, de "briller" pour LUI ?
    Quête d'un amour jamais complètement trouvé ?

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  7. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis assez perplexe devant toutes ces raisons avancées... On connaît des compositeurs sur qui la mort du père a eu un effet galvanisant, quand bien même les enfants se construisaient en s'opposant à leur parent. Heureusement que la mort de Leopold Mozart n'a pas eu le même effet engourdissant sur le génie de Wolfie... D'autre part, la misère ou les difficultés financières n'ont jamais éteint le génie. Balzac ne cesse de célébrer la misère et de dénoncer l'opulence et l'oisiveté. Enfin, écrire pour le public bourgeois n'est pas du tout un signe de compromission du génie. Haendel a fait cela toute sa vie. Il y a des chefs-d'oeuvre, pas seulement en musique, mais en peinture aussi, qui sont le résultat de commandes bourgeoises. La Joconde, après tout, c'est bien le portrait de la femme d'un marchand de tissu. Quant aux compositions légères, elles ne sont pas le monopole des esprits superficiels. Rousseau, Dauvergne, Mozart, eux aussi ont écrit des choses tartes. Pas "que", bien sûr! Mais "Le Devin du village" ou "Oiseaux si tous les ans", c'est quand même très très cucul, non? Ce qui n'empêche pas la divine Cécilia, au passage, de chanter exemplairement ce dernier lieder...

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  8. Allons bon, sacrés lecteurs... vous êtes vraiment "trop"... expression maudite mais pourtant efficace... Martine qui, au moins, connait Chaminade, fut-ce au masculin, Roberto qui sait que ses morceaux pour flûte sont des classiques (et zut, on n'a pas eu de flûtiste, donc pas de morceau pour flûte !!) Et GF qui, forcément, a raison, on peut être un génie et écrire facile, et puis, ce n'est pas parce que ce qu'on écrit plait que c'est pour autant sans talent. Mais tout de même, certaines oeuvres début XXème sont un peu baclées, cela s'entend d'un point de vue harmonique, il n'y a plus cette originalité, cette patte qui faisait le talent de Cécile.
    Et les autres qui acceptent de s'intéresser à une auteure finalement un peu oubliée, mais dont la vie reste attachante. La mort du père GF, c'est l'hypothèse de Feriel et pourquoi pas... elle l'avance comme une proposition, pas comme une vérité ! N'empêche, Musiciennes à Ouessant aura eu le mérite de nous faire parler d'elle. Merci à tous d'être toujours aussi étonnamment réactifs

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  9. J'avoue que j'aime bien l'argumentation de GF qui ne recherche jamais la facilité. Plutôt que la mort de son père, ne pourrait-on envisager un entourage moins stimulant et ne pourrait-on penser qu'elle a choisi et non totalement subi le fait de devenir interprète?
    Anne

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