mercredi 24 novembre 2010

GRIFFURES

Déjeuner pique-nique sur un banc de Bologne, lézardant au soleil de la jolie piazza San Domenico. On déguste quelques piadine achetées au bar d'en face et on devise agréablement. Le soleil joue sur les feuilles des gingkos qui émaillent l'espace, et il fait bon. Pourtant en face de nous, sur les murs des maisons repeints de frais, des tags. A droite, sur les marches du square, des tags. Partout, sur les bancs, sur les poubelles, sur murettes, des tags.

Pourquoi ce vandalisme ? On en a tellement pris l'habitude que l'oeil ne s'y arrête plus et que l'esprit ne s'en émeut plus. Certains même veulent y voir une forme d'art qui fut, en son temps, et qui est encore défendue comme une marque de liberté d'expression. Parfois, même, on les admire, voire, sur certaines ruines ou dans certains lieux désaffectés, on les trouve bienvenus. Et pourtant, les palais vénitiens tout juste rejointoyés, les maisons de banlieue à peine ripolinées, les murs de jardin amoureusement crépis, rien n'y échappe. Et ceux qui, au nom de la liberté artistique, jouent de la bombe n'ont aucune retenue.


Mais pourquoi sapristi ? Je voudrais savoir, je titille Alter qui se contente de bougonner son aversion pour les dégradations qui nous agressent. Je veux savoir ce qui poussent les tagueurs, ce qu'ils trouvent dans cette logorrhée coloriste. On a pu croire, au début, que le plaisir était d'abîmer, de détruire, de salir, une sorte de révolte contre la propriété, contre l'élitisme, contre le bourgeois. Mais l'argument a fait long feu et mon discours sent le passé. Ils taguent avec naturel, sans forcément vouloir choquer, ni même se révolter. Ils taguent parce qu'ils y trouvent un plaisir. Mais que ne peignent-ils sur des supports mobiles, classiques, quoi, sans endommager la propriété d'autrui.


- Ils veulent être vus ( Tiens Alter me répond, enfin il intervient dans mon monologue !) C'est comme Vuitton
- ???
- Oui, tu sais, les strass, le D de Dior, bref cette manie d'afficher ses marques, de s'afficher, de paraître pour être reconnu, d'arborer des signes supposés distinctifs pour être vu. Donc, exister. Ils taguent pour se faire remarquer. C'est ostentatoire et excessif, il faut se démarquer.
- D'ailleurs, ils obtiennent ce qu'ils cherchent, on le regarde, on les commente, on les photographie même.
Il a raison Alter, c'est un besoin de reconnaissance qui anime les tagueurs, entre droite bling-bling et gauche-caviar, pas facile de trouver sa place ! Le tag est, et reste, une expression qui ne trouve son sens que dans l'illégitimité. Parce que quand vous lisez à propos de l'exposition de 2009 au Grand Palais que son ambition c'était de "sortir le tag de la rue pour le mettre sur la place publique", je ne sais quel effet cela vous fit, mais moi je suis morte de rire ! Et je n'ai guère envie d'aller m'enfermer entre les murs d'un musée pour parcourir les rangs d'une récupération qui doit déplaire encore plus aux tagueurs de l'oubli !

Elle était belle pourtant la piazza San Domenico au-dessus des tags ! On a dépensé des fortunes pour la parer de teintes ocres, rosées, jaunes du plus bel effet.

8 commentaires:

  1. Michelaise, j'ai plutôt horreur des tags en tout genre, mais certains graphs peuvent être intéressants. Vous connaissez sans doute l'artiste Banksy et ses oeuvres urbaines très engagées. Personnellement, j'aime beaucoup ce qu'il fait. De là à imaginer son travail sur les murs de Venise, c'est une autre histoire. En revanche, tagger sur les murs inexpressifs de quartiers désaffectés ne me dérange pas.
    Bon weekend!
    Anne

    RépondreSupprimer
  2. Je suis bien d'accord ,que des murs désaffectés ou particulièrement laids soient tagués, cela ne me dérange pas outre mesure, encore que souvent il y a une violence dans les tags qui pourrait faire peur, mais les graffitis ne sont en rien une forme d'art et j'avoue que lorsque notre ainée est arrivée à Aix en provence pour ses études, la première chose que j'ai vue ce sont les tags qui envahissaient la ville et je ne voyais que cela , avec les années , j'ai fini par ne plus les voir, c'est vrai mais c'est révoltant en soi cette banalisation car la plupart du temps comme à Venise ce n'est rien moins que du vandalisme primaire qui n'a rien à voir avec une quelconque forme d'art ...c'est l'éternelle question de la liberté d'autrui, où commence-t-elle où finit-elle? il me semble qu'il y a surtout derrière ces tags anarchiques une forme de refus d'un civisme élémentaire et de refus de la société et de ses règles...?!

    RépondreSupprimer
  3. Les tags comme expression de soi, ou comme faire valoir dans un monde où seule l'apparence a de l'importance, l'idée est interessante... Je voudrais aussi y voir une manière de s'approprier le monde. Manière oh combien maladroite et destructrice, mais chacun fait avec les moyens à sa disposition. Pour que tout ne soit pas négatif et géré par les faux semblants, masques fantomatiques qui ne sont finalement des simulacre de culture tape-à-l'oeil. J'ai envie de croire que les tageurs mettent un peu d'eux dans leurs 'oeuvres' (non pas que je les approuve) et n'agissent pas seulement pour détruire.
    Bisous

    RépondreSupprimer
  4. J'ai beaucoup de mal avec les tags.
    avec toute reconnaissance du reste.
    Je découds les étiquettes dès que j'achète un vêtement,quant au gentilhomme il me demande même de découdre une petite bestiole verte sur certains de ses polos!!!
    Mission impossible d'ailleurs sans laisser un trou!
    Et pourtant je m'amuse à en photographier certains et chaque fois je me pose la même question est-ce un tag ?
    Ta troisième photo est-elle un tag?
    Tag dont la définition est graffiti figurant une signature ou un signe de reconnaissance
    et graffiti:inscription ou dessin effectué sur un mur.
    Dessin,voila!
    un dessin est-il un tag?
    En voila une bonne question

    RépondreSupprimer
  5. Anne, Catherine, voilà bien le problème : nous sommes tous d'accord pour admettre voire souhaiter les tags sur les murs des usines désaffectées. Mais quid de la cathédrale fraichement restaurée de Bordeaux, de la Pyramide du Louvre ou du Chateau de Versailles... alors on se révolte. Pardon d'être et de rester juriste, mais si l'on admet la défense du droit de propriété, elle n'a pas lieu d'être seulement pour les BEAUX monuments... et le mur du pavillon de banlieue a, lui aussi, droit au respect. C'est le problème de la règle de droit, elle est universelle. C'est un peu comme si on ne reconnaissait le droit à l'amour et à la passion que pour les gens beaux !
    Alors on peut dire "oui mais, sur un batiment désaffecté, le tag est un décor, il ajoute un plus à quelque chose de laid". Certes, mais c'est nous, ou certains d'entre nous, qui trouvons l'usine désaffectée laide. Et pourquoi déciderions nous que le beau est universel, et à quoi, selon quels critères, accorder cette étiquette de "beau" qui interdirait le tag ? Venise, disons-nous, oui, c'est facile, mais après ??? Et Meschers ?? le mur de l'aglise, beau ou pas beau ? le mur du square ? beau ou pas beau ? la maison du voisin, voire la mienne ? beau ou pas beau ??? pas facile le droit par exception !!
    Cependant, les taggueurs, tu as raison Koka, agissent, de plus en plus, non pour abimer, mais pour s'exprimer, c'était précisément le sens de mon article. Evolution interessante, mais alors cette expression passe-t-elle forcément par la détérioration des crépis juste refaits (ça coute la peau du derrière de refaire un crépi !! oui, oui !!!)
    Quant à la signification du tag, tu as raison Aloïs, il faudrait commencer par là et savoir de quoi on parle ! Différence avec graffitis, certains étant devenus de vrais témoignages historiques (ceux de Pompéi ou ceux du Chateau d'If !!)... tout est question de mesure n'est-ce pas ? Oui, ma 3ème photo est un tag, même si elle est "jolie" !!! cela a été fait sur un mur qui n'appartenait ni à l'auteur ni au domaine public !

    RépondreSupprimer
  6. Il ne faut bien sûr ne pas tout mélanger. Les grafs ne sont pas des tags et ces derniers ne peuvent guère être assimilés aux inscriptions-graffitis laissées aux siècles derniers. Mais ces traces posent toutes le problème de l'appropriation d'un espace privé ou public au profit du bon plaisir de certains. Les tagueurs (adorés par certains bobos qui mériteraient au moins que l’on tague leur chambre ou salon pour voir s’ils maintiennent leur avis) se délectent de leurs propres turpitudes et se livrent à une guerre de territoire doublée d'un "jeu" : c'est à celui qui narguera le plus la bande voisine, la police, les habitants, "la société" en marquant toujours plus, plus haut, plus acrobatique. Plus laid aussi. De beaux grafs peuvent certes colorer avantageusement des murs décrépis, des friches industrielles, des espaces outrageusement bétonnés mais cela devrait, à mon avis, se faire avec l’assentiment des propriétaires ou responsables de ces espaces. Ce qui n’arrive que peu souvent. Les graffeurs qui au nom de leur art s’approprient « la vue des autres » participent à leur façon de cet «égoïsme» qui est bien dans l’air du temps. Trouver gênant un tag informe et être prêt à accepter un dessin expressif est un déplacement du jugement. Je ne sais trop comment m’exprimer car en plus il est évident que leurs œuvres peuvent égayer des endroits moches.
    Avec les tagueurs c’est évidemment pire. Je ne crois absolument à la prévention en la matière. Au contraire elle ne peut que les renforcer dans leur envie de saloper, pardon de «s’exprimer». A Marseille ou Avignon les quelques jeunes qui se font prendre ne risquent pas grand-chose, voire rien s’ils sont mineurs. Et comme souvent ce sont des fils de bourges, leurs noms sont rarement sur la place publique.

    RépondreSupprimer
  7. Je me suis toujours dit cela : "Les tagueurs (adorés par certains bobos qui mériteraient au moins que l’on tague leur chambre ou salon pour voir s’ils maintiennent leur avis)". Quant aux sanctions contre les tagueurs, je doute qu'elles existent, on pourrait imaginer au moins des travaux de remise en état !!
    Mais que de beaux travaux de restauration abimés ! c'est toujours pitoyable et attrisant. Aussi attristant que le mur du pavillon de banlieue d'ailleurs.

    RépondreSupprimer
  8. Je suis encore en retard d'un métro! Oui, je tolère comme Catherine les tags sur les murs en beton qui bordent la ligne de chemin de fer, quand on arrive par St Lazare! Mais les accepter n'importe où , il y a des limites!
    A Venise comme ailleurs c'est navrant!
    Je confirme ton indignation!

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...