samedi 9 avril 2011

ROME : PRETEXTE NUMERO 2 exposition Lorenzo Lotto aux écuries du Quirinal


Cerise sur le gâteau : une deuxième exposition d’importance se tenait à Rome durant notre escapade. Consacrée au peintre Lorenzo Lotto, mal reconnu par les italiens parce que « coincé » entre les plus grands : Tiziano, Rafaello, Michelangelo… Comme disait une dame entendue l’entrée « il a eu la malchance de naître au mauvais moment ». Alors que nous avions eu la chance de visiter une exposition qui lui rendait hommage à Paris en 1999, il semble que celle de Rome soit la première de cette importance qui lui soit dédiée en Italie. Et pourtant … quel talent !

L’exposition installée dans le nouvel espace des Ecuries du Quirinal avait la chance de disposer au rez de chaussée de ce magnifique bâtiment de très hauts plafonds. C’est ainsi qu’on a pu y installer de nombreux retables qui permettent de mieux suivre, dès ses débuts, la carrière de l’artiste. Le parcours s’articulait autour de deux thèmes : les retables en bas et à l’étage les portraits et peintures de dévotion privée. Intelligemment centrée sur le « parcours » de l’artiste, l’exposition inscrite dans un projet triennal de redécouverte « in situ » du peintre, « Terre di Lotto » qui se développera sur ses trois principales régions de vie : la Vénétie, la Lombardie et les Marches. L’exposition de Rome permettait d’introduire ce proejt, grâce aux études faites sur les peintures et à leur restauration, et aussi de donner au bref séjour romain de Lotto sa place dans le cheminement de sa créativité.


Il avait 30 ans en 1509 quand il arriva dans cette ville : déjà mûr, et reconnu, il participa à l’équipe qui décorait les Stanze du Vatican sous la direction de Raphaël, plusieurs paiements papaux le prouvent. Mais, peu doué pour la flatterie, il n’aimait pas l’ambiance romaine, ses fastes, ses complots, et préféra retourner vers le Nord. Il gardera de ce bref séjour romain des traces « raphaëliennes » lisibles dans sa peinture, mais ne reviendra jamais. Il ira à Bergame, de nouveau à Venise, retournera à Trévise, sa ville natale, dans les Marches, et finira sa vie à Loreto. De cette « fuite » est née la légende de la vie « mystérieuse » de Lotto, ermite romantique et peu adapté à son temps. Légende d’autant plus inadaptée qu’on dispose d’une quantité impressionnante de documents sur ce peintre, notes, factures, commandes, écrits divers, paiements… qui permettent de suivre parfaitement sa vie.

Ce qui n’a rien de légendaire par contre est son caractère : solitaire, réservé, susceptible, très pieux, c’était un personnage anxieux et qui mena une vie inquiète et vagabonde. A peine arrivé en un lieu, il ne s’y plaisait pas, et repartait vers d’autres cieux. Il finit sa vie assez misérablement, à l’hospice de la Maison de Lorette dont il devint un oblat, pour survivre. Il était logé et nourri, et pouvait même peindre à condition de consacrer le sujet de ses toiles aux dévotions locales. Ce caractère ombrageux, son individualisme, sa fin peu glorieuse (il n’arrivait plus à se faire payer et dû vendre toutes ses toiles pour manger, avant de partir à Loreto) et surtout l’ironie de certains contemporains n’ont pas joué en faveur de sa célébrité. L’Aretin écrivit de lui, alors qu’il venait de comparer Titien à Auguste, « Lotto, come la bontà, buono, e come la virtù, virtuoso ». Un jugement ironique et réducteur qui en fit un peintre mineur pendant des siècles. Il fallut attendre Berenson pour le réhabiliter en 1895.

Les écuries du Quirinal ont été restaurées il y a peu et la sortie, par un escalier de verre aménagé sur l'arrière, offre des vues splendides sur Rome

Et pourtant, cette indépendance fait son talent ! Il engrange, observe mais reste lui-même. Jamais ses compositions ne sont serviles ou affectées. Il peint selon sa sensibilité personnelle, qui est grande, soutenu par une grande culture personnelle, due à ses errances. De-ci, de-là, il rencontre d’autres peintres, appréciant chez eux un détail, et fait de toutes ces influences une synthèse qui n’appartient qu’à lui. Dans une époque conformiste et soucieuse de plaire aux commanditaires, Lotto peint l’âme humaine avec une grâce, une simplicité, une profondeur telles qu’on a volontiers dit de lui que c’est un peintre « psychologue ». Et de fait ses portraits, mieux connus du grand public que ses toiles religieuses, sont passionnants. Il travaillait pour de petits praticiens urbains, des notables locaux, plus tard même pour de simples marchands campagnards. Sans famille, un peu sauvage, il s’exprimait essentiellement dans sa peinture qui présente des influences variées et complémentaires du colorisme vénitien aux accents nordiques. Très indépendant, Lotto élabora un style personnel, difficilement rattachable à un courant, élaboré au cours de ses rencontres. Il avait une large connaissance de l’art de son époque et sut l’exploiter, sans copier. On trouve chez lui des références à Giovanni Bellini, à Giorgione, à Dürer, Raphaël, Léonard de Vinci, Le Corrège, Titien et tant d’autres… Des références seulement, pas d’appropriation indues.

Une exposition passionnante, où les toiles sont accrochées de façon très « lisible », espacées, à la bonne hauteur, au-dessus de structures d’autels reconstitués pour les retables. La plupart des peintures ont été nettoyées et restaurées pour l’occasion, autant dire qu’elles sont d’une fraicheur surprenante. Mais c’est surtout l’éclairage à leds, savant dosage de lumière blanche et jaune pour respecter totalement les couleurs, qui constitue la nouveauté muséographique la plus notable de cette manifestation. Cela surprend 10 secondes et, dès lors, on se demande comment on pourra supporter un autre éclairage ! Je vous parlerai dans un autre billet de deux ou trois toiles particulièrement frappantes.

En sortant, nous avons eu droit au concert dominical devant le palais de Quirinal, sur des airs joyeux et mélangeant hardimment Verdi et la musique militaire !

12 commentaires:

  1. Mais c'est vraiment formidable, des raisons pleines de bon sens pour justifier ce futur voyage que j'ESPÈRE !!! Merci et beau week end. brigitte

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  2. J'avais pu voir un tableau de Lotto au musée du Luxembourg lors de l'exposition Titien.
    Juste trois" petits "tableaux au Louvre
    Deux ou trois que je reverrai à Venise en juin

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  3. Billet superbe, j'en attends la suite avec impatience.
    Et... j'avais oublié : tchin tchin ! (c'est pour le billet précédent où l'Alter de la dernière photo a un air si accueillant).

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  4. Chouette la photo, les ombres des amoureux de Rome !!!
    Belle expo à te lire, je me souviens de quelques tableaux de Lotto all'Academia di Venezia...

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  5. Merci de partager votre séjour à Rome avec vos lecteurs. La manière dont vous présentez l'exposition donne envie de la découvrir. Jusqu'à quand dure-t-elle?
    Bravo pour votre photo avec vos portraits d'ombre: c'est très romantique!
    J'attends avec impatience la suite de cet article.
    Anne

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  6. Ah Brigitte, il faut avouer que je partage votre espoir !! car vraiment si vous allez à Rome fin avril vous aurez encore toutes ces expos et Rome en prime !
    Anne l'exposition Lotto aux écuries du Quirinal dure jusqu'au 12 juin. Et Lotto est vraiment un peintre qui mérite d'être approfondi. D'autant que l'expo brille par sa mise en scène, classique mais efficace. Nous avions vu celle qui lui était consacrée à Paris en 1999, de fort belles oeuvres mais un souvenir moins marquant.
    Alors Aloïs, le Louvre a généreusement (ce n'est pas toujours le cas) prêté le St Jérôme et le portement de croix, cette oeuvre au cadrage étouffant qui projette le Christ souffrant vers le spectateur. Par contre Venise a été peu prêteuse sur ce coup, et cela te permettra de voir celles qui y sont ! Car l'expo se terminant le 12 juin, tu risquerais de trouver des peintures de remplacement !!
    Oui Siu, à la tienne "salute"...
    Enitram, on a bien ri pour ce portrait d'ombres, pas facile car on était loin du mur en question.

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  7. « Terre di Lotto » se développera sur la Vénétie, nous dis-tu, un beau prétexte pour aller à Venise...

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  8. J'aime ce que tu dis de Lotto et de sa vie, de son caractère et de cette apparente fragilité. Je le trouve touchant. J'ai hâte de voir les toiles que tu auras choisi de nous présenter.
    En attendant, j'aime beaucoup ce tableau représentant le profil d'un couple amoureux... Très réaliste, si réaliste que cela me fait penser à des personnages connus.... Bizarre, bizarre... ;-)
    A bientôt pour la suite du voyage et bon dimanche à toi Michelaise.

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  9. Bonjour, Michelaise.
    La légende et la réalité, le contenant et le contenu , et les mots riches pour maintenir l'ensemble.
    Merci beaucoup.
    Je t'embrasse.

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  10. Oui Herbert les mots sont le liant des impressions, cela leur donne du corps et permet de mieux revivre les plaisirs toujours trop brefs !!
    Oxy, voyons, un tableau célèbre que ces ombres chinoises, c'est pour cela qu'il te semble y reconnaitre des personnages connus !
    Norma, les terres vénitiennes, j'ai bien envie d'y aller sans passer par Vernise, pour avoir du temps à y consacrer car Venise est tellement prenante qu'on a du mal à la quitter quand on y est !

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  11. Bel hommage à ce peintre qui fait partie de mes peintres italiens préférés. Il est né à la bonne époque au contraire, et face à l'écrasant Titien et au très puissant Raphaël, cet isolement dont il a été victime autant qu'il l'a cultivé, s'est retraduit formellement dans ses tableaux, au point de devenir sa marque de fabrique (ce peintre est reconnaissable à maints caprices, maintes incongruités stylistiques et maintes bizarreries tout à faites unqiues). Maintenant, il faut absolument que tu ailles à Bergame voir tous les Lotto in situ qui ne peuvent voyager, notamment ceux de la basilique Santa Maria Maggiore. Et à Vienne aussi, qui en conserve une belle tripotée qui n'ont pas tous voyagé, je te le confirme, j'en ai quand même eu 5 ou 6 pour moi tout seul!!!

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  12. Bergame, tu imagines que j'y suis déjà allée, mais tu as raison c'était il y a trop longtemps et je DOIS y retourner bien vite
    Vienne ton article m'a convaincue qu'il est temps de penser à la retraite, pour profiter de tout cela !!!
    Quant au reste ton analyse de Lotto est en tous points précise et juste ! un peintre TRES attachant ... j'ai quelques billets au feu pour développer un peu. Même sans piocher, mes articles restent à l'écume des choses pour donner envie à ceux qui ne connaissant pas et rappeler aux autres ! Pas plus d'ambition

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