Suite de la visite de l'exposition ¡ España ! de Bordeaux, dont j'ai choisi de vous montrer quelques détails, pittoresques ou savoureux. Même si les oeuvres présentées ne sont pas toutes d'une grande qualité artistique, ou du moins n'obéissent pas forcément aux normes de goût actuelles, il m'a semblé intéressant de vous les "raconter".
Charles Porion (1814-1868), El descanso (moeurs de Valence), 1856.
Certainement pas un des peintres les plus connus qui soient, sa verve anecdotique n'étant plus très à la mode de nos jours. La position alanguie et légèrement artificielle de la jeune femme dénote l'influence néo-classique d'Ingres (1780-1867). Porion aborde dans cette oeuvre le thème du repos, de la fête et sans doute celui de la séduction.
Les détails sont savoureux : la cruche suspendue marquant l'axe du tableau qui invite à l'attente, les espadrilles savamment cordées du joueur de guitare, les tissus enchevêtrés, les multiples ustensiles, gourde, tambourin, outre suspendue à une branche, pendant d'oreille chatoyant, tout invite à laisser son regard errer sur cette scène intime à laquelle, comme le spectateur anonyme qui y assiste en retrait, père ou mari, nous sommes conviés.
Encore un peintre trop conventionnel pour être apprécié de nos jours. Auteur d'œuvres allégoriques en faveur de l'Empire, de peintures d'actualité et de commandes officielles, il connut un succès certain au début du XIXème siècle.Il aimait aussi s'exprimer dans ce qu'on appelle le style troubadour, et se plaisait à décrire des scènes supposées historiques reconstituées dans un goût théatral prononcé. "Honneurs rendus à Raphaël sur son lit de mort" (1806, Allen Art Museum, Oberlin College, Ohio), "Anne Boleyn condamnée à mort" (1814, Paris, Musée du Louvre), "Marius méditant sur les ruines de Carthage" (1807, Art Institute de Dayton, Ohio) sont tout à fait dans la veine de la toile bordelaise que je vous propose pour son interprétation, assez croquignolette : selon la légende, Charles Quint tenait le peintre Titien en si haute estime qu'au cours d'une séance de pose à l'atelier de celui-ci, il consentit à retirer son gant pour ramasser un pinceau tombé à terre. Remarquez combien ce bon Charles Quint ressemble à notre roi François et l'obséquiosité de bon aloi du peintre vénitien. On aurait tendance à railler de telles saynètes à visée moralisatrice, mais notre culte de l'image et l'usage immodéré que nous faisons des cancans "people" sont-ils plus recommandables ?
Dans un tout autre genre, cette toile de Berges a retenu mon attention, malgré sa maladresse évidente, à cause de l'enthousiasme qu'elle déclencha chez un ami du peintre, qui en fit un éloge appuyé. Et l'ami en question n'est autre que Saint John Perse s'investissant pour l'occasion du rôle de critique, "compagnon" selon lui de l'artiste. Il voit, derrière ce que certains considèrent, dit-il, comme du "mauvais goût", tout la signification de cette terre d'Espagne où "la nature ... n'a souci de l'accord ou des complémentaires : ... rôle très beau des oranges en teinte plate, cerne étroit du feuillage bas, comme un front bas de fille, et qui charge tout le sens prostré de cette toile si bien close; enfin la course vive, au long de la moutiquaire, de cette tresse de couleur crue propice, après le bleu verdâtre, à faire éclater dans sa puissance d'affirmation le corps nu d'une femme simplement pesante en sa chair grasse, toute subie, toute aimée, et qui semble occupée à prendre conscience du poids de ses deux seins, de la moiteur de son aisselle et de son ventre, par rien d'autre disctraite que par ce vain soulier de satin rose et par ces bagues, encore plus vaines, à ses maisn grasses". Pas de doute, le critique est aussi lourd en l'espèce que le peintre !! Je vous épargne la suite de son babil emphatique d'où il ressort, finalement, que "l'Espagne est une terre puérile de cruautés esthétiques, dernière marche de l'Occident dans le Sud violent" et que si le peintre s'exerce devant nous à un exercice douteux, le mauvais goût ne lui en est pas imputable. Bien au contraire, apparait dans son oeuvre "le respect et l'amour de la nature, mais encore l'intelligence d'un pays et d'une race". Ouf... CQFD !! si vous ajoutez à cela que la toile mesure 2 mètres par 2, vous imaginez le choc !!
Une coutume, encore vivace de nos jours, est à l'origine de cette immense toile dont l'auteur a eu le soin de nous décrire les caractéristiques dans les moindres détails, accompagnant sa toile d'un dessin descriptif qui liste les différents protagonistes de l'histoire.
Cette institution, chargée de régler les conflits concernant l'irrigation entre les paysans de la plaine de Valence, se réunit chaque jeudi à midi pile, avec ses assesseurs, dans la Casa Vestuario sur la Place de la Vierge à Valence pour discuter de différents sujets. L'huissier, avec l'autorisation du président, appelle les accusés de chacun des canaux, avec la phrase traditionnelle « Denunciats de la sèquia de…! (accusés du canal de…) » Le jugement se déroule rapidement, oralement et entièrement en valencien. Le plaignant, qui est généralement le gardien du canal auquel appartient le contrevenant, expose le cas devant le Tribunal, et ensuite l'accusé se défend lui-même et répond aux questions du représentant du canal auquel il appartient.
C'est ensuite que le Tribunal, à l'exception du représentant du canal en question, décide de la culpabilité ou non de l'accusé. Dans l'affirmative, le représentant du canal fixe le montant de l'amende à payer, en accord avec les règlements de sa propre Communauté d'Irrigants. Aujourd'hui encore l'amende se compte en « gages », comme à l'époque médiévale, un gage correspondant au salaire journalier du gardien du canal.
L'artiste hésite ici entre peinture d'histoire et peinture réaliste et, même s'il est maladroit dans les proportions ou le rendu de la perspective, insiste sur l'individualisation de chaque protagoniste, dont il dresse des portraits pleins de verve.
Du 18 au 20 décembre 1997 les plus éminents experts mondiaux se sont réunis à Valence dans le cadre du programme sur le « Nouveau Millénaire » de l’Unesco. Leur objectif était alors de tracer les grandes lignes d’une coopération internationale quant aux litiges relatifs au partage de l’eau. Le besoin d’un Tribunal Mondial de l’Eau, qui n’a pas encore vu le jour, était alors l’un des principaux enjeux de cette rencontre.
Pierre Nolasque Bergeret, Charles Quint ramassant le pinceau de Titien, 1808
Encore un peintre trop conventionnel pour être apprécié de nos jours. Auteur d'œuvres allégoriques en faveur de l'Empire, de peintures d'actualité et de commandes officielles, il connut un succès certain au début du XIXème siècle.Il aimait aussi s'exprimer dans ce qu'on appelle le style troubadour, et se plaisait à décrire des scènes supposées historiques reconstituées dans un goût théatral prononcé. "Honneurs rendus à Raphaël sur son lit de mort" (1806, Allen Art Museum, Oberlin College, Ohio), "Anne Boleyn condamnée à mort" (1814, Paris, Musée du Louvre), "Marius méditant sur les ruines de Carthage" (1807, Art Institute de Dayton, Ohio) sont tout à fait dans la veine de la toile bordelaise que je vous propose pour son interprétation, assez croquignolette : selon la légende, Charles Quint tenait le peintre Titien en si haute estime qu'au cours d'une séance de pose à l'atelier de celui-ci, il consentit à retirer son gant pour ramasser un pinceau tombé à terre. Remarquez combien ce bon Charles Quint ressemble à notre roi François et l'obséquiosité de bon aloi du peintre vénitien. On aurait tendance à railler de telles saynètes à visée moralisatrice, mais notre culte de l'image et l'usage immodéré que nous faisons des cancans "people" sont-ils plus recommandables ?
Georges Berges (1870-1935), Espagnole sous la moustiquaire, 1905
Bernardo Ferrandis y Badenes (1835-1890) Le Tribunal des eaux de Valence en 1800
Cette institution, chargée de régler les conflits concernant l'irrigation entre les paysans de la plaine de Valence, se réunit chaque jeudi à midi pile, avec ses assesseurs, dans la Casa Vestuario sur la Place de la Vierge à Valence pour discuter de différents sujets. L'huissier, avec l'autorisation du président, appelle les accusés de chacun des canaux, avec la phrase traditionnelle « Denunciats de la sèquia de…! (accusés du canal de…) » Le jugement se déroule rapidement, oralement et entièrement en valencien. Le plaignant, qui est généralement le gardien du canal auquel appartient le contrevenant, expose le cas devant le Tribunal, et ensuite l'accusé se défend lui-même et répond aux questions du représentant du canal auquel il appartient.
C'est ensuite que le Tribunal, à l'exception du représentant du canal en question, décide de la culpabilité ou non de l'accusé. Dans l'affirmative, le représentant du canal fixe le montant de l'amende à payer, en accord avec les règlements de sa propre Communauté d'Irrigants. Aujourd'hui encore l'amende se compte en « gages », comme à l'époque médiévale, un gage correspondant au salaire journalier du gardien du canal.
L'artiste hésite ici entre peinture d'histoire et peinture réaliste et, même s'il est maladroit dans les proportions ou le rendu de la perspective, insiste sur l'individualisation de chaque protagoniste, dont il dresse des portraits pleins de verve.
Du 18 au 20 décembre 1997 les plus éminents experts mondiaux se sont réunis à Valence dans le cadre du programme sur le « Nouveau Millénaire » de l’Unesco. Leur objectif était alors de tracer les grandes lignes d’une coopération internationale quant aux litiges relatifs au partage de l’eau. Le besoin d’un Tribunal Mondial de l’Eau, qui n’a pas encore vu le jour, était alors l’un des principaux enjeux de cette rencontre.
Giovanni Boldini (1845-1931), Portrait de Cecilia de Madrazo Fortuny, 1882.
Cecilia de Madrazo Fortuny est issue d'une illustre famille de portraitistes officiels en vogue à Madrid au XIXe siècle. En 1889, déjà veuve de Mariano Fortuny y Marsal depuis 1874, elle emménage avec son fils, Mariano âgé de 18 ans, le futur concepteur de la fameuse lampe, dans le palais Martinengo, dans le Dorsoduro, face au Grand Canal. Elle y mène une vie retirée, vouée au culte du souvenir de son mari et à l'amour de l'art. Cécilia Fortuny y Madrazo aimait y recevoir des artistes et des écrivains : Isaac Albéniz, Jose Maria de Heredia, et plus tard : Henri de Régnier, Reynaldo Hahn, Marcel Proust, et Paul Morand. Elle possédait une collection de magnifiques étoffes anciennes qu'Henri de Régnier eut le plaisir d'admirer quand il lui rendit visite, au début des années 1900. "Mme Fortuny nous accueille avec une parfaite bonne grâce. Elle et sa fille mènent à Venise une vie particulièrement sédentaire. Elles ne sortent guère de leur Palais... Malgré la stricte clôture où l'on y vit, le Palais Fortuny est volontiers hospitalier et on y offre aux hôtes de succulentes cuisines valencianes et des pâtisseries compliquées. Mme Fortuny est secondée par sa fille. Ces deux Vénitiennes ont conservé un aspect très espagnol. Leurs fines mains sont aptes à manier l'éventail et le chapelet, et je les imagine déjà palpant les merveilleuses étoffes promises avec la même dévotion dont elles caressent la magnifique cassette moresque en ivoire sculpté et qui, posée sur une table, semble, sous ses ferrures barbares, contenir, auprès de quelque philtre secret, on ne sait quel mystérieux grimoire de magie".
Montrée de trois-quarts et à mi-corps sur un fond neutre, le visage tourné vers le spectateur, elle enfile un gant comme si elle s'apprêtait à sortir. Elle n'est pas à franchement parler belle, mais sa présence remplit la toile d'un vibration sensuelle. La gamme très variée des noirs rappelle l'art de Velasquez, pourtant la modernité de la facture et la présentation du modèle sont bien de la Belle Époque, à laquelle appartient ce portrait. Le modèle est représenté avec un brio, une touche vive et élégante, hardie et fluide, propre au peintre ferrarais et dont, personnellement, je raffole. On y sent la veuve énergique et pleine de personnalité, saisie presqu'à l'improviste par l'artiste. Je ne cesse de regretter qu'Alter n'ait pas voulu visiter à Ferrare le musée qui est consacré à Boldini et qui, sans doute, permet de découvrir d'autres aspects de son talent, natures mortes, scènes de genre etc... l'artiste étant surtout reconnu pour ses portraits mondains. Circonstance qui le déprécie injustement.
Et voilà que pour une fois j'arrive à prendre en considération d'adresser d'amicales remontrances à ton Alter, si seulement j'imagine quelle merveille d'un article tu nous aurais sans aucun doute appreté sur Boldini (que moi aussi j'aime beaucoup, nel caso non si fosse capito...).
RépondreSupprimerMais pour en venir à ce billet-ci, le moins qu'on puisse dire c'est qu'il est... réussitissime, on me pardonnera le superlatif à l'italienne que d'ailleurs tu mérites entièrement, car ton supplément de balade espagnole est fort intéressant, savoureux et plein justement de détails et de considérations qui sont un vrai plaisir pour les yeux et pour l'esprit.
Mi si rimproveri pure d'ovvietà, ma aggiungerò solo: grazie, cara Mic, continua così !
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerUn foisonnement.
Je vais, je viens je pars, je reviens.
Et je savoure quelques critiques, quelques tableaux...
Merci beaucoup.
Bonne journée.
Bonjour Michelaise
RépondreSupprimerVotre billet est vraiment passionnant j'y ai beaucoup appris.
Particulièrement la dernière partie sur Fortuny, je prendrai plus de temps pour lire le lien dans le détail,et Boldoni.
Merci encore et bonne fin de semaine
Boldoni Miss Lemon, oui, je crois qu'il mérite le détour : il peint avec une telle virtuosité !!
RépondreSupprimerHerbert, j'adore tes petites visites, je passe, je savoure un peu et je laisse un mot gentil !! C'est merveilleux de t'avoir pour lecteur.
Siu, oui, je regrette vraiment, Alter aussi d'ailleurs, cette visite refusée : je suis persuadée que le musée Boldini de Ferrare offre une vision passionnante de cet artiste qu'on ne connait ici que pour ses portraits mondains, superbes certes mais c'est un genre réducteur. Or il a fait autre chose, c'est certain. Donc, nous retournerons à Ferrare, ça s'impose !!! A moins que, comme pour De Nittis, on ne lui offre un de ces jours une rétrospective parisionne, il le mériterait.
Bonsoir bonsoir,
RépondreSupprimerque dire, moi qui n'ai aucune connaissance en tableaux ! J'ai aimé lire, (je lis toujours mais laisse rarement des mots, je coche souvent :) ), j'ai beaucoup appris, certes mais en regardant à nouveau les toiles, je suis admirative des couleurs chatoyantes du sud, de la passion qui se dégage mais aussi de ce blanc si lumineux, si virginal, si "religieux" ai-je envie de dire.
A bientôt
Bonsoir Michelaise. Quel article copieux... Tu m'apprends tant de choses ici... A part le portrait de Boldoni qu'il me semble connaître j'ai fait beaucoup de découvertes en lisant cette page. Je suis toujours impressionnée par le travail des peintres d'hier et leur recherche pour coller au mieux à la vérité... J'ai bien aimé la pause alanguie du joueur de guitare, si réaliste et me suis "amusée" des détails au cours du procès ... Les hommes qui chuchotent sont particulièrement bien vus...
RépondreSupprimerIl est vrai qu'à cette époque pas d'APN pour immortaliser de telles scènes. Aujourd'hui tu aurais sorti ton téléphone portable et, clic ! , tu aurais photographié Charles Quint ramassant le pinceau du peintre...
Bon week-end à toi Michelaise
Eh bien je ne me coucherai pas idiote ce soir!
RépondreSupprimerZéro pointé pour Alter,personnellement je ferais plus que regretter ,mais le connaissant un peu je le comprends.
Pourtant je pense qu'il y aurait trouvé un intérêt proche de celui qu'il a trouvé chez de Nittis.
J'aime beaucoup Bolodoni ,tout comme Sargent et Sorolla
As-tu vu son portrait de Verdi à Rome?
Trouvé ce lien:
http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5iL5OnSRJ8Nz3VMIQwjGe7SpEdHYw?docId=CNG.3e23aaac71b629b05aedf3566026df47.4b1
Extraordinaire non?
Hi Hi, Oxy, les procès de nos jours, on en voit de plus salaces, mais la meunière est quand même plus jolie que certains délinquants !!!
RépondreSupprimerAloïs, je sens qu'Alter va être bourrrelé de remords (???) et qu'il va n'avoir de cesse que de m'amener à Ferrare très bientpot ! Oui je suis sûre qu'il aurait aimé Boldini, à l'expo Manet il a admis que le portrait de Rochefort vu par Boldini avait plus de "caractère" que le même vu par Manet. Nous sommes sur la bonne voie ! Quant à celui de Verdi, je le connais... de vue, mais je n'ai pas souvenir de l'avoir vu à Rome !!