Le revers du tableau a même été, parfois, le sujet de trompe l'oeil un peu spéciaux, comme cette huile sur toile de Cornelisz Norbertus Gijbrechts, de 1670, exposée à Amsterdam.
J’avoue qu’il m’arrive souvent de me glisser sur le
côté d’un tableau, surtout quand il s’agit d’un panneau de bois ancien, pour
tenter d’en voir l’envers, le verso. Car les panneaux sont souvent parquetés et
ce travail de restauration tout en finesse et en délicatesse, est absolument
fascinant. Pour autant, ma curiosité est rarement satisfaite et, le nez coincé
entre le cadre et le mur, j’en suis en général pour mes frais. C’est ainsi que
l’autre jour, ayant trainé nos guêtres au Salon "Paris Tableau", j’ai été ravie
d’y découvrir une exposition intitulée « L’envers du tableau ».
Cette exposition, proposée par les organisateurs de ce somptueux salon où l’on croisait autant de chefs d’œuvre que dans un musée*, à ce détail près qu’elles étaient à vendre, présentait une petite sélection de tableaux anciens illustrant des intérieurs d’atelier, où les toiles posées contre un mur sont légion. Ma photo est inspirée de peintures sur ce thème, trouvées sur le net, car je n'ai pas osé utiliser mon appareil dans le cadre de Paris Tableau.
Puis, dans des vitrines, des fragments de toiles, des carnets d’échantillons,
des catalogues, des marques de fabrique de toile, de couleurs, des tampons de restaurateurs, des châssis nus, des outils d’encadrement... bref tout une « matériauthèque »
idéale des produits utilisés à l’envers du décor ! Quelques panneaux
didactiques nous renseignaient sur le format des supports, les brevets et procédés,
les inscriptions commerciales, manuscrites voire peintes que l’on trouve au
revers des toiles.
Enfin quelques peintures exposées à l’envers sur des chevalets
au centre de la salle permettaient de rêver aux itinérances des œuvres :
on y voit la matière, toile, carton, bois, métal, on découvre parfois trace des
blessures, déchirures, réparations qui ont scandé la vie de la toile, mais aussi
le châssis et surtout la vie secrète du tableau. Les étiquettes des collections
auxquelles il a appartenu, des galeries qui l’ont eu en vente, des expositions
auxquelles il a pris part, des transporteurs qui l’ont pris en charge côtoient parfois
le titre du tableau, pourquoi pas de la main de l’artiste, voire sa signature, une
date, des remarques, l’identification du lieu ou du modèle, une dédicace… Tout
une source d’informations « vivantes » qui racontent l’histoire du
tableau depuis sa création, un univers mystérieux dont on a envie de décrypter
les indices, pour mieux comprendre les traces laissées par le temps.
Bien qu’il ne soit pas toujours destiné à être vu, le dos d’une oeuvre peut devenir
un terrain d’expression inattendu (messages dissimulés, esquisses, décors,
armoiries…). Les revers des volets de polyptiques ont ainsi accueilli les
premiers exemples de natures mortes dans l’histoire de la peinture, ou des grisailles
qui complétaient le message iconographique de l’endroit.
Et voilà que, le lendemain de cette découverte amusante, nous avons eu l’occasion
d’aller admirer au Louvre l’exceptionnel tableau de Daniele da Volterra, qui a
retrouvé sa place dans la Grande Galerie après un séjour de 68 ans au château de
Fontainebleau, cherche à concurrencer la sculpture en représentant recto verso
les deux faces d’une même scène : le combat de David et Goliath. L’œuvre est
présentée comme le dernier tableau de Louis XIV car elle a été offerte au
souverain un mois à peine avant sa mort. Le décès du roi participa sans doute à
son relatif oubli car il faut attendre son retour au Louvre pour qu’elle soit
réellement étudiée. Pourtant c’est une œuvre de première importance.
Commandité à Daniele da Volterra par Giovanni delle Casa, ecclésiastique, érudit, poète et
surtout passionné par les arts (il projetait selon Vasari d’écrire un traité sur
la peinture), le panneau est réalisé sur ardoise, matériau peu courant et
coûteux, dont l’utilisation n’est pas fortuite. Outre le fait qu’il permet à
Daniele da Volterra de réaliser un véritable tour de force technique, étant donné
la taille de l’œuvre, il représente un support réputé éternel, en tout cas
nettement plus durable que la toile ou même le bois. Mais surtout l’ardoise est
un pierre, mais une pierre qui se refuse au ciseau du sculpteur. Or l’œuvre a
pour ambition manifeste de venir soutenir la délicate dispute théorique du
Paragone. Le mot qui signifie "comparaison" recouvre un débat, fort prisé à la Renaissance, sur le point de savoir quel art était supérieur aux autres, entre la peinture, la sculpture et
l’architecture. Léonard de Vinci lui consacra la première partie de son Traité
de peinture, écrit vers 1509 et depuis les arguments allaient bon train :
la peinture avait pour principale atout la couleur, mais la sculpture permettait
de traduire les différentes facettes d’une forme dans l’espace.
Peint recto-verso pour décrire les deux aspects du combat de David et de Goliath, l’œuvre de Daniele
da Volterra participe clairement de cette querelle et, grâce à l’artifice de la
double face, prétend le faire emporter définitivement à la peinture. D’autant,
nous l’avons dit, que le support en est l’ardoise, que le commanditaire demanda
au peintre de réaliser d’abord un modèle en terre cuite de la scène et,
argument suprême, que l’œuvre ajoute à la représentation du « volume »
celle du temps ! En effet, les deux scènes ne sont pas strictement
identiques, ne différant pas que par le côté par lequel on les voit. L’action est
décalée de quelques secondes entre l’avant et l’arrière et lorsqu’on contourne
le tableau, on voit subtilement évoluer le récit, ayant presque l’impression d’une
peinture en mouvement. Le socle permettait d’ailleurs de faire tourner la peinture
et s’il n’est pas d’origine, on peut imaginer sans excès qu’il en était déjà
ainsi lors de la création de l’œuvre. La couleur, le volume et le mouvement, ici la
peinture l’emporte et aux yeux de ceux qui ont réalisé ce chef d’œuvre, peintre et
commanditaire, la querelle du Paragone est résolue !
La peinture de Paris Tableau ressemblait à s'y méprendre à l'autoportrait du musée de Lancut en Pologne
*J’y ai découvert en particulier, une petite peinture
de Sofonisba Anguissola, un charmant autoportrait en train de peindre une
madonne, délicate vignette, tableau dans la toile, dont j’ai demandé le prix…
histoire de perdre le souffle en apprenant que cette toile, d’environ 25 cm par 15 coûtait la modique somme de 225 000€.
On n’imagine pas les fortunes que renferment, pour notre plus grand plaisir,
les musées !!
Tu me connais, parfois lorsque tu m'emmènes au musée, je traine un peu la savate, mais là j'adore !! Merci Madame.
RépondreSupprimerAh mais je suis contente Lulu car j'oeuvre pour la mort de la réputation des musées ennuyeux et des expos rasoirs !!! on doit s'amuser, comprendre, jouer, éprouver des émotions, des plaisirs, des colères, être surpris, dérouté, curieux, bref, à bas les musées ch...
RépondreSupprimerBelle idée que cette expo. Je ne manque jamais d'examiner en détail le dos des tableaux que je chine (chinais plutôt). Très révélateur, mais je n'ai pas la science des spécialistes. Une copine, restauratrice fait mieux parler l'envers que l'endroit: trame, usure, nature de la toile (lin, coton, jute, drap etc), débords de la couche d'apprêt, chassis, variété de bois, coins et clés, traces, rapièçages, retendu, réentoilage, vieillissement au cirage, étiquettes, inscriptions, trous de fixation, etc. J'ai ainsi appris à laisser l'envers "dans son jus", surtout pour les chassis qui ne sont pas standards.
RépondreSupprimerAu fait, avez vous vu l'expo Stein ?
Quelle idée originale de présenter l'envers du décor... Je t'imaginais fort bien en train d'essayer de glisser un oeil entre un tableau et le mur... C'est tout toi ça...
RépondreSupprimerPar contre je dois reconnaître que s'il m'arrive de sortir avec un gilet enfilé à l'envers qui révèle certaines blessures, certaines déchirures, je préfère qu'on ne s'occupe pas trop de mon châssis... ;-)
Le tableau de Daniele da Volterra est étonnant et cette façon de présenter la scène sous deux angles différents est vraiment intéressante.
Merci pour cette balade au musée. J'ai vraiment bien aimé l'envers de la toile..
Pas de doute Roberto, tu es un "pro" de l'envers !! en tout cas, tu expliques parfaitement tout ce qu'on peut y lire. Quant à Stein, on a dit "non" aux files trop longues et au trop médiatisé. Il y avait tant à faire !! Bon ceci étant, j'assume, c'est un peu bizarre d'être allé à Paris et d'en ramener quelques arrières de toiles mais FOSKIFO !!
RépondreSupprimerOxy, tu l'as dit c'est bien mon truc d'essayer d'en voir plus ! un endroit où c'est idéal, ce sont les églises, car sur les autels les retables sont parfois à nu vers l'arrière. Quant au Daniele da Volterra, ce n'est plus un scoop d'autres, dont GF,
Le Louvre comme je l'éprouve
l'ont déjà décrit mais cela fait vraiment son effet de le voir "en vrai"
Quand l'envers du tableau n'est pas le revers de la médialle... (c'est mauvais, je sais, mais je n'ai pas pu m'empêcher...)
RépondreSupprimerBises, Michelaise !
Michelaise, votre article est passionnant et j'imagine le plaisir des initiés qui peuvent retracer en imagination le parcours des oeuvres.
RépondreSupprimerAnne
Je viens de lire l’excellent petit essai d'Edouard Dor "L'ennui des deux vénitiennes" sur un tableau énigmatique de Carpaccio, où il est question d'envers de tableau et de trompe-l'oeil...et cela m'a rappelé "La bulle de Tiepolo" de Philippe Delerm, pris à la bibliothèque, et dont je me suis régalée.
RépondreSupprimerBonne journée à toi.
Mais elle est PARTOUT! cette Mimi, je n'arrive plus à suivre.... ça va trop vite.... expos, concerts, musées, églises, re concerts, recettes et en plus, je dis bien en plus, comment trouve t'elle le temps d'écrire tout cela ?
RépondreSupprimer(aurait elle un nègre?)
mais non norma, il faut bien se détendre aussi !!
RépondreSupprimerAnne c'est vrai que si on sait "lire" ces envers, comme le raconte Roberto, cela devient captivant
Noune, je vais donc prendre ce Delerm et lire l'aute, c'est le moment où jamais... si un jour j'arrive à retrouver le chemin de la bibli !
monica, ça c'est marrant comme idée, je vais m'offrir un nègre !! quoique ... je suis déjà tellement bavarde que cela risque de devenir insupportable, faut pas abuser de la patience des lecteurs !
Il a fallu que je regarde ta première image à 2 fois sur ce billet.
RépondreSupprimerJe t´explique, comme tu le sais, je viens de voir l´exposition de l´Ermitage.
Bien, dans la sélection de tableaux, il y le fameux tableau noir de Kasimir Malévich.
Ma 1 ère pensée fut, encore une coïncidence, Michelaise va parler de ce tableau.
Mais, non.
Un billet intéressant sans aucun doute.
Bon Alba, carré blanc sur fond blanc ou carré noir sur fond blanc, j'avoue être un peu en retrait !! par contre le trompe l'oeil, fut-il d'un envers de tableau, ça c'est sympa !! en tout cas l'expo a l'air passionnante ! profites-en bien
RépondreSupprimer