lundi 26 décembre 2011

UNE VISITE A POMPEI

La civilisation romaine, quoique disparue depuis des siècles, était relativement bien connue car, outre les monuments antiques dont les ruines étaient fort nombreuses et parfois très parlantes, il existait un très grand nombre de textes précieusement conservés et transmis depuis le Haut Moyen Age. Cette connaissance textuelle concernait cependant surtout les événements publics, les batailles, les triomphes, ou bien encore les principes du droit et les grands travaux. On disposait par contre d’assez peu d’informations sur les événements de la vie privée, ou sur les mœurs civiles.

C’est pour cette raison que, dès les premières fouilles réalisées à Pompéi et à Herculanum au milieu du XVIIIème, les chercheurs furent absolument fascinés par les nombreuses traces de la vie quotidienne que ces dernières révélèrent. Au moment de leur destruction, Pompéi et Herculanum étaient des villes qui comptaient plusieurs siècles d’histoire mais elles n’avaient pas d’importance politique particulière. Et c’est justement cette banalité qui rendit ces découvertes archéologiques d’autant plus passionnantes, car ces deux villes constituaient un échantillon représentatif de la civilisation romaine, beaucoup plus révélatrices du quotidien de nos ancêtres que les traces glorieuses laissées dans la capitale.
À Rome ou dans les vieilles cités européennes d’origine romaine, on voyait bien des monuments grandioses, des amphithéâtres, des temples, des aqueducs, des routes même ou d’impressionnants tombeaux, tous monuments importants ayant survécu à l’effondrement du monde antique et perduré au Moyen Age et au-delà. Mais de maisons, point ou presque pas. Parfois une pièce nichée dans quelque grotte d’une colline romaine. Or, l’éruption du Vésuve, en l’an 79 de notre ère, avait laissé un incroyable « arrêt sur images » : au fond d’une vallée à vocation agricole, une cité sans importance particulière s’était retrouvée figée en un instant dans la cendre, ce qui lui avait permis de traverser le temps.


Le choc eut lieu quand on mit à jour les premières maisons pompéiennes : l’abondance des décorations peintes et des mosaïques, la variété des objets retrouvés, et même la petite taille des édifices, tout était prétexte à s’extasier. Goethe va jusqu’à les appeler des « maisons de poupées », tant on était habitué alors à ne voir que des restes romains imposants.

Très vite, la surprise laissa la place à l’enthousiasme. Ces maisons révélaient en effet un mode de vie extrêmement raffiné. Un système hydraulique capillaire fournissait l’eau courante dans chaque foyer, et chaque maison ou presque possédait son jardin. La vie culturelle était très active, les cultes étrangers étaient acceptés au sein même des sanctuaires locaux. La liberté sexuelle qui régnait dans cette bourgade aisée fascina des générations d’archéologues, donnant naissance à de nombreux fantasmes et à des créations romanesques ou picturales mettant en scène ces découvertes surprenantes.
Depuis, les archéologues ont appris à fouiller avec plus de rigueur la maison, en distinguant les différents types de planimétrie, les époques de construction et les modes de décoration. Ils ont appris à classer les objets retrouvés en distinguant ceux d’origine locale de ceux qui étaient importés. Ils ont également su distinguer les différentes strates sociales de la population : outre les citoyens, il s’agissait de dénombrer les affranchis, les esclaves qui ne laissent presque aucune trace mais qui étaient pourtant très nombreux, ou encore les femmes.
Le principe de l’exposition, organisée en collaboration étroite entre la Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei et la Fondation Dina Vierny du Musée Maillol, est simple et efficace : elle se propose de dérouler le fil d’une visite qu’aurait effectuée un étranger de passage dans une maison aisée de Pompéi, un jour ordinaire.


Avant d’être présenté au maître de maison, le visiteur est encore dans l’atrium. Il regarde les parois décorées d’images de divinités ou de génies ailés. La vasque recueillant des eaux de pluie renvoie des reflets dansants sur les fresques. À côté d’elle, se trouve une table de marbre et l’ouverture du puits qui donne accès à la citerne souterraine.


Plus loin, un solide coffre-fort de fer et de bronze, puis le laraire, cette chapelle dans laquelle se trouvent des petites statues de bronze représentant les divinités tutélaires de la maison ainsi que d’autres plus importantes – une Isis, par exemple car elle assurait la protection de ces marchands habitués à avoir des contacts maritimes avec les provinces de l’Afrique et l’Égypte.


Il faut traverser une galerie, le tablinium, pour accéder à l’espace privé de la maison. Sur les murs, sont peints des paysages, des scènes racontant telle ou telle aventure des dieux ou des héros antiques. Le visiteur passe alors devant les cubicula, ces chambres à coucher peu éclairées, et, à côté de l’entrée secondaire de la maison, il en aperçoit une qu’il sait être le venerum – cette chambre destinée à la prostitution des esclaves (et une source de revenu pour le maître de maison), sur les parois de laquelle sont représentés des couples d’amants dans des positions que la bienséance m’interdit de développer.


Le visiteur attend le maître de maison dans l’une des grandes salles qui s’ouvrent au-delà de la colonnade entourant le jardin privé. Sur la paroi, il aperçoit une niche décorée de mosaïques, et un nymphée. Le délicieux bruit de la fontaine, les masques et représentations fantastiques qui s’offrent à lui le détendent de la fatigue de la route !



Le maitre de maison arrive enfin et l’invite dans le triclinium, cette salle à manger équipée de lits sur lesquels on s’étend pour prendre les repas. Les têtes de lit ont la forme de bustes de jeunes satyres, de têtes de cygnes ou de mulets. Sur les tables basses de bronze sont posées des assiettes de précieuse céramique, à l’éclat rouge-orangé. Celles de verre sont plus communes mais aussi plus légères, et leurs variations de couleurs sont infinies, du bleu au jaune citron en passant par le vert iridescent. Dans le Satyricon de Pétrone, Trimalcion déclare qu’il vaut mieux manger et boire dans du verre que dans du métal, car le verre n’a pas d’odeur ; il le préfèrerait même à l’or, bien qu'il en regrettât la fragilité.


Le visiteur, qui arrive d’une contrée moins civilisée, s’étonne de la commodité des petites cuillères, dont le manche pointu a été conçu pour extraire de leur coquille les mollusques et autres crustacés.


Il admire aussi ces deux appareils qui peuvent être utilisés aussi bien pour réchauffer que pour refroidir les boissons, selon que l’on y glisse dans un interstice du charbon ou de la neige.

Voilà que la soirée s’avance, et on allume les belles lanternes de bronze, perchées en haut des candélabres ou suspendues à un arbre ou à quelque statue décorative.


C’est que nous sommes dans une maison à la mode, les bijoux de la maîtresse maison scintillent, et ses hôtes n’ont même pas besoin d’aller aux thermes publics pour se laver, car ils disposent d’un balneum privé, dans lequel il suffit d’ouvrir un robinet pour que l’eau coule, depuis des tubes de plomb. À la baignoire de bronze, que l’on devait remplir à la main, en a même succédé depuis sa dernière visite une de marbre.


Tout ce qui est nécessaire à l’entretien du corps est aussi présent : les strigiles d’après-bain pour éliminer les crèmes dont on a fait largement usage pour les massages et les frictions, sans oublier les flacons et les ampoules contenant les huiles parfumées que l’on se versait sur les cheveux, sur les vêtements et sur les pieds, et qu’on apporte même pour l’honorer durant le banquet ! Quant au festin, il est éblouissant : les mets proviennent, on l’a déduit de la forme toujours différente des récipients utilisés, d’Afrique, de Grèce ou de Gaule. La table est dressée avec art, comme ce grand plat que l’on apporte, sur lequel se trouvent des morceaux de grue noyés dans le sel et pannés à l’épeautre avec le foie d’une oie bien grasse.

La digestion va être difficile mais le confort de la demeure, son calme, l’attention des esclaves et leur aptitude à deviner ses moindres désirs, rendent notre visiteur béat de bien-être, et ébloui par des habitudes d’hospitalité qui sont propres à ces romains, avec lesquels il aime tant à commercer.


Article rédigé à partir des documents mis à disposition de la presse par le musée Maillol sur son site :
Présentation de l'exposition par Stefano de Caro
Parcours de l’exposition au fil des objets présentés par Valeria Sampaolo
« L’amour sur les murs » par Antonio Varone
« La matrone en sa maison» par Marine Bretin Chabrol
« L’eau et ses usages dans la maison » par Hélène Dessales
« Les jardins » par Annamaria Ciarallo
« La découverte de Pompéi et ses effets sur la culture européenne » par Cesare de Seta
Les photos proviennent de divers sites, dont celui du Musée Maillol

14 commentaires:

  1. Ton billet est un petit régal. Que restera-t-il de notre civilisation dans 1932 presque 1933 ans ? Je crains que l'on ne retrouve par exemple Chic, une cuillère à la bouche, et juste à côté, son yaourt allégé en parfait état de conservation (oui, j'avoue, j'ai tellement bouffé c'week-end), avec tout mon bordel autour....les cuissots plein d'poils, le p'tit orteil enflé, en passant en chaussettes et en voulant éviter une planche à monter, j'ai un dressing à dresser, je m'suis flingué le p'tit doigt d'pied, alors les visiteurs diront : «Oooooh c'est vraiment la-men-table...eh ben didon»

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  2. Vraiment, tu aurais pu être conservatrice de musée ou guide, on sent bien que tu es passionnée par ton sujet ! Passionnant !

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  3. Merci Enitram, j'en ai sans doute rêvé dans une autre vie !! maintenant je profite du travail des autres, et je me régale !!
    Chic, j'ai vraiment eu PEUR : le petit doigt qui ne peut rentrer dans la chaussette après les excès alimentaires, j'ai cru que tu nous faisais une crise de goutte, chose qui, si l'on en croit Alter, n'a rien de déshonorant, mais est fort douloureuse. Je vais manger mon yaourt allégé aussi !!!

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  4. .j ai visité POMPEI votre excellent exposé a fait renaitre plein d images merci

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  5. Merci de votre invitation dans cette superbe villa, Michelaise. Votre article, que j'attendais avec impatience, est passionnant et bien illustré. Grâce à vous, vos lecteurs passeront une journée et une soirée parfaites à Pompei.
    Anne

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  6. Bonne Année à toi et ta famille, Michelaise.

    Que de souvenirs pour moi tu réveilles en lisant ton passionnant billet sur Pompéi.

    Bonnes vacances aussi.

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  7. Superbes textes et photos. Cela donne vraiment envie de découvrir pour de vrai...
    Bon réveillon !

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  8. Merci Jacques, j'imagine que pour Quebec 2 fois ce serait une petite virée sympa, Pompéi vue du ciel !!!
    Anne merci de cette impatience, j'avais fait une fausse manip avec ce billet, qui avait doublé l'actualité de Noël !!!
    Alba et Anonyme, je vois que vous êtes allés "pour de vrai" à Pompéi : j'avoue que la présentation du musée Maillol était fort bien faite et c'est idée de la visite par un "étranger" d'une maison pompéienne permettait de rendre la visite de l'expo fort attractive. Ravie d'avoir réveillé de beaux souvenirs pour vous deux...

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  9. Bon et un de plus pour le voyage à paris mais il faut faire à pile ou face car cinq exposé en trois jours c'est maintenant au dessus de mes forces... et il y a aussi Alexandre...

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  10. Mon pauvre Robert, y a trop d'expos et c'est vrai qu'on ne peut pas tout faire ... pas pile ou face, ce que tu préfères !! ou mieux une expo pour toi, une pour ta dame et une pour vous deux !!! en trois jours on ne peut pas faire plus... mon prochain article ne parle pas d'Alexandre, sauf pour dire qu'ayant vu la Chine avant, nous avons parcouru Alexandre au pas de charge, un peu (beaucoup !) saturés !!

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  11. C'est un très intéressant résumé, pour une expo de choix.

    Pour ma visite c'était amusant car il y avait des scolaires pas très intéressées pour la plupart, préférant regarder leur téléphone portable, délaissant les vidéo- guides ou s'en amusant. Quelques élèves un peu plus studieux notaient et résumaient leurs découvertes sans doute en vue d'un compte rendu que tous les autres pomperaient.
    Au moment du choix des cartes postales j'entendais:
    -"Qu'est ce que je prends pour ma mère?"
    .... et devant une CP montrant un phallus puissant et bien en forme, de ceux qui portaient chance à la maisonnée,...un petit pouffement d' adolescente qui en sait tout de même un peu plus mais n'ose le faire savoir à la copine...un regard de côté....se disant
    -"Non, pas celle-là pour maman."
    J'aime beaucoup observer les jeunes gens, ils sont touchants.

    Ce que j'apprécie à Maillol ce sont les objets de petites tailles, véritables œuvres d'art comme l'oenochoé à la tête de femme qui ne mesure qu'une dizaine de cm. Pour l'expo sur "Les trésor des Médicis" il y avait en fin de parcours un berceau au nouveau-né, orfèvrerie d'or et de perles qui ne faisait, elle, que 6 cm.

    Toujours de bons moments à redécouvrir ces civilisations anciennes et pour une ancienne latiniste cela me replonge dans de lointaines études.
    La visite s'est terminée par un petit encas dans le calme du restaurant en sous-sol du musée.

    Un grand merci Michelaise, tu me permets de me replonger dans cette belle matinée de décembre où, en toute quiétude, je parcourais ces allées romaines.
    Martine de Sclos

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    1. Oh oui Martine, un grand moment d'émotion ce petit berceau, symboles de la fin de la "dynastie" médicis !!! seul dans une pièce, c'était très évocateur !!!!
      tu as raison de mentionner le petit restaurant en sous-sol on est y drôlement bien pour se reposer après l'exposition !!!

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  12. Bonjour, moi qui suis allée sur le site de Pompéï, j'aurais bien aimé voir autant de belles choses. Car le site est grand, on marche beaucoup mais on ne voit pas grand-chose. Je conseille plutôt le site d'Herculanum et je compte bien aller visiter le musée de Naples qui conserve les trésors les marquants de Pompeï. Bonne après-midi.

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    1. Bienvenue Dasola !! je ne suis jamais allée à Pompéi mais, en effet, on dit beaucoup que c'est mal aménagé et fort décevant !! et dès que je retourne à Naples ce sera Herculanum en priorité !

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