Entre deux billets sur Rome et un peu en marge de mes articles (non encore parus) sur le grand maître italien de la Renaissance, Siù m'a envoyé ce lien, plein de superlatifs comme aiment à en utiliser ses compatriotes, relatant une affaire qui agite beaucoup la péninsule ces jours-ci et fait grand bruit dans les chaumières. Imaginez : on aurait* retrouvé la Bataille d'Anghiari, mythique fresque perdue de Leonardo da Vinci, et ce, avec des méthodes dignes des meilleurs "gialli"**.
En 1504, les florentins commandent à Leonardo, alors installé dans leur ville, une fresque pour le mur est de la salle du Grand Conseil du Palazzo Vecchio.
Elle devait commémorer la bataille qui avait opposé les Milanais et les Florentins le 29 juin 1440, près d'Anghiari, en Toscane. Les florentins étaient, vous l'imaginez aisément, sortis vainqueurs de cette bataille. Or, Leonardo quitta Florence en 1506, laissant la fresque
inachevée. Certes, il s’engage à être de retour dans
les trois mois, et à payer, dans le cas contraire, la somme de 150
florins. Mais il ne tient pas ses engagements, d'autant qu'il est, en 1507, appelé par François 1er à la cour de France.
En 1510, Albertini, dans une sorte de guide consacré à Florence signale « les chevaux de Léonard » au Palazzo Vecchio. En 1513, la Seigneurie met en place une palissade qui doit protéger la fresque de Leonardo. Dans une vie du maitre, rédigée vers 1525, on décrit « dans la
salle d’assemblée du Palais municipal de Florence une bataille et
victoire sur les Pisans, d’une suprême excellence. » En 1549, la partie
centrale de la fresque est toujours visible puisque Anton Francesco Doni
note dans un guide dédié à un ami : « quand tu auras gravi
l’escalier qui monte à la Grande salle, regarde bien un groupe de
chevaux qui te semblera une grande chose. » Pourtant les florentins se lassent de cette oeuvre inachevée et, en 1563, la salle est entièrement rénovée par Vasari, à la demande de Cosme Ier de Médicis. Il peint six scènes de la bataille de Marciano, sur les murs Ouest et Est, recouvrant ainsi les dernières traces de la Lutte pour l'Étendard.
Toutes les légendes peuvent alors fleurir sur ces fresques disparues. Certains prétendirent que c'était un échec technique qui avait conduit Leonardo à
abandonner la fresque. D'après les témoignages, il voulut utiliser une méthode, nouvelle pour lui, de fresque à l'huile, méthode dont on sait ce qu'elle a donné pour la piètre conservation de la Cène peinte en 1494-1498 à Milan et qui commençait à se détériorer gravement dès 1517. En 1584, elle est déjà "complètement gâtée" et en 1624 "il n'y a quasiment plus rien à voir de la Cène". Elle avait été peinte à sec (pour une fresque c'est un comble) « probablement en émulsionnant des huiles avec des œufs. » A Florence, Leonardo aurait emprunté à Pline la recette qu'il expérimentait : « il fit devant le mur un grand feu de charbon qui
devait par sa chaleur sécher la matière. Puis, lorsqu‘il commença de
peindre dans la salle du Conseil, il apparut que le feu séchait et
consolidait la partie inférieure de la fresque, mais qu‘il ne pouvait,
en raison de la distance qui l‘en séparait, atteindre à la partie
supérieure, où, n‘étant pas fixées, les couleurs se mirent à couler. ».
Vasari quant à lui, affirme que « s’étant mis en tête de peindre à l’huile sur le
mur, il élabora une mixture si épaisse qu’elle commença à couler pendant
l’exécution de la peinture aussi y renonça-t-il, la voyant s’altérer. » Rien d'étonnant alors que Vasari n'ait pas hésité, dans ces conditions, à recouvrir les essais calamiteux de Leonardo.
Mais pour d'autres, Vasari aurait été victime d'un cas de conscience : comment exécuter la commande des Médicis en sauvant le chef-d'œuvre d'un maître qu'il admirait
par-dessus tout. Il aurait résolu ce dilemme en faisant monter un second
mur de briques devant la fresque du Vinci (déjà peinte sur un mur de
briques) en laissant un espace de quelques centimètres entre les deux
murs. Il en a usé ainsi en 1570, quand on le chargea de peindre une Madone du Rosaire, en l'église Santa Maria Novella de Florence, à l’emplacement même où Masaccio avait peint sa fresque de la Trinité.
Vasari refusa de détruire l'œuvre de Masaccio et se contenta de la
dissimuler derrière sa propre peinture.
De là à penser qu'il avait agi de même pour la fresque de Léonard de Vinci, c'était la conviction de l'historien d'Art Carlo Pedretti qui, dès 1975, mena avec l’ingénieur Maurizio Seracini, une première campagne de recherches pour retrouver l’emplacement
de la fresque de Léonard de Vinci. C'est en découvrant l'inscription "Cerca, trova" ("qui cherche, trouve", ou "cherche et trouve"), peinte dans la fresque de Vasari, que Seracini commença à croire qu'il s'agissait d'un indice qui confirmait ses hypothèses. Commencèrent alors des investigations au laser, radar, thermiques et autres, pour essayer de situer la fresque sous les peintures actuelles. Quand apparait la possibilité de faire des analyses endoscopiques à travers l'oeuvre de Vasari, Seracini identifie 14 endroits à explorer. Il trouve des financements et se met au travail.
On l'autorise à réaliser 6 points d'accès à l'arrière de la fresque actuelle, afin de ramener des échantillons de ce qui se trouve dessous, le tout sans endommager cette dernière. Échantillons qu'on analyse le plus scientifiquement du monde et c'est le coup de théâtre, la nouvelle que l'Italie proclame avec éclat : un des échantillons ramenés, de couleur noire, a une composition chimique comparable à celle du noir utilisé par Leonardo pour la Joconde et pour le Saint Jean Baptiste du Louvre ! Composé en grande partie de manganèse, mais aussi de fer, il permettrait de retrouver la "griffe" du maître ! On a aussi identifié des rouges, comparables à une laque, incongrue sous une vraie fresque mais qui pourrait être une trace de la peinture de Leonardo, et des beiges posés au pinceau qui accréditeraient la preuve qu'il y a bien encore quelque chose derrière les Vasari. Comme les recherches ont, par ailleurs, confirmé l'existance d'un vide derrière la paroi peinte, cela donne plus de relief encore à l'histoire du mur rajouté par Vasari pour protéger l’œuvre de son illustre prédécesseur.
Que va-t-il se passer maintenant ? On s'inquiète beaucoup pour la protection des fresques de Vasari et on rêve de remettre au jour celle de Leonardo. Si l'affaire vous passionne, n'hésitez à aller visiter le site National Geographic qui détaille tous les secrets de ce travail mystérieux et vous pouvez aussi regarder le documentaire "Leonardo, le dernier secret" en avant première sur le National Geographic Channel, le 18 mais, et le 20 mars sur le canal HD de National Geographic (Canal 403 – Sky).
A SUIVRE : leonardo dopo milano
* Tous ne partagent pas l’enthousiasme de Séracini, témoin Montanari qui joue les trouble-fêtes : il souligne que les examens qui permettent d'étayer ce joli conte de fée ont été réalisés, sur commande, par un institut de recherche privé et n'ont été confirmés par aucun tiers neutre, ce qui en garantirait l'objectivité. J'avoue que les réserves de Montanari me semblent très judicieuses, étant moi-même très dubitative devant la manie actuelle de faire des découvertes "juteuses" en matière d'oeuvre d'art perdues ! Mes prochains billets regorgent de ce genre de scoops tombant toujours très... trop "à propos" : le Saint Augustin de Caravage "découvert" fort à point avant l'exposition du Palazzo Venezia, le Christ Bénissant de Léonard, "inventé" (au sens d'un trésor !) à point nommé juste avant l'ouverture de l'exposition de Londres.
** Le terme giallo (littéralement « jaune ») est le nom utilisé en
Italie pour désigner le roman policier. Il tire son origine d'une
collection de romans policiers publiés par les éditions Mondadori de 1929 jusqu'aux années 1960. Leurs couvertures jaunes cachaient des romans et des nouvelles de type whodunit à l'image de leurs cousins américains. En France, nous connaissons tous les Agatha Christie publiés sous cette même couverture jaune, pour en avoir forcément quelques uns d'époque au fond de nos bibliothèques !! (source)
"Cerca, trova"
RépondreSupprimerC'est encore dans l'Evangile ça ...
Merci `pour ce billet bien haletant, un vrai suspens
Les italiens ont des références Fred, c'est pas comme nous, et ça les aide pour la compréhension du l'Art !! Le film est très "suspens" !!!
SupprimerSuperbe !! J'adore les chevaux de Leonard, je viens de regarder que les images comme font les petits enfants... Je reviens demain quand il fera jour !!!! Lire tout ton article. Dis donc tu en as vu des belles choses à Rome !
RépondreSupprimerMerci Enitram, oui les oeuvres sont belles et les images toujours agréables à regarder. L'article est un peu touffu mais bon, l'affaire est compliquée ! Mais là, nous n'avons rien vu, nous n'étions pas à Firenze, c'est Siù qui m'a envoyé le lien car il semble que toutes les radios et les télés italiennes faisaient le buzz sur cette "découverte" ! pas forcément vraie, pas nécessairement passionnante (la fresque étant déjà dans un piteux état avant d'être recouverte, on imagine qu'elle doit être encore pire si elle existe toujours ! mais l'idée de l'article était de montrer comment, au-delà des Alpes, on se passionne pour l'Art ! Qui fait partie du quotidien ...
SupprimerTout au début de mon blog j'ai lu un livre qui parlait de cette fresque disparue : Léonard et Machiavel, un petit livre passionnant, j'ai donc sursauté en entendant la nouvelle , je vais aller suivre ton lien
RépondreSupprimerJ'ai cherché et trouvé l'article Domonique, pour ceux que ça interesse je mets le lien ...
RépondreSupprimerLéonard et Machiavel de Patrick Boucheron
cela donne envie de lire ce livre qui "interroge le silence" et je vais me le procurer sous peu !
J'aime énormément ces croquis, dessins préparatoires, copies. L'avouerais-je? je les préfère parfois aux oeuvres abouties.
RépondreSupprimerNormal, Noune, ces croquis montrent l'intention en devenir... et puis, quelle virtuosité ! cette tête d'homme est vraiment superbe !
SupprimerMerci pour cet article passionnant!
RépondreSupprimerSouvenirs de voyage à Florence et Milan...
Nous verrons quelle sera le verdict!
Bonne soirée!
En fait, nous ne sommes allés ni à Milan (c'était la retransmission de l'exposition londonienne au cinéma qui a inspiré cet article) ni à Florence (là c'est ma lectrice Siù qui a inspiré l'article !!) mais à Rome ! Bref, j'avoue qu'il y a de quoi s'y perdre !
Supprimeren tout cas, pour Léonard, je pense que c'est beaucoup de bruit pour rien, mais c'est marrant comme "bataille" !! les uns veulent qu'on retrouve la fresque, les autres crient au scandale car on risque d’abimer les fresques de vasari !!
voilà le lien pour le sommaire, automatique et drôlement pratique!
RépondreSupprimerhttp://modifier-les-modeles-de-blogger.blogspot.com/2011/12/table-des-matieres-automatique.html
je garde un excellent souvenir de Florence, et encore une liste de choses à y voir pour une prochaine fois!