vendredi 25 mai 2012

CHARRETTES SICILIENNES


Arrivés assez tard un soir à Palerme, nous avions réservé une chambre tout près de l'aéroport avant de partir vers l'objectif de notre voyage : le Val de Noto et Syracuse. 


Cela nous a permis de découvrir Terrasini : une de ces stations de bord de mer qui, l'été, sont envahies par les estivants en tong et n'ont guère de charme particulier hors saison que dans leurs poubelles négligées ...



... sauf qu'on est au bord de la mer, et croyez-moi, pour une michelaise, la méditerranée "ça donne" (oh le bleu... mazette !! quel festival pour nous qui conjuguons des palettes de bruns et de verts panachés) ...


Avec la collaboration de Siu:
"l'histoire de Peppino Impastato ne me laisse et ne me laissera jamais indifférente...
C'était un jeune comme tous les autres, et il animait une radio à l'époque des premières "radio libere", mais surtout il n'était pas capable de taire, et au contraire il les criait bien forts et clairs, les méfaits de la mafia dont son oncle était un représentant assez puissant, (et son père pas étranger lui non plus), à Cìnisi où ils vivaient (10.000 habitants pas loin de Palerme).
Il a finalement été tué, par la mafia bien sûr... mais pendant longtemps on a fait croire que c'était lui même, "un terroriste" donc, qui aurait fabriqué la bombe qui lui avait fait perdre la vie. A la fin, après je ne sais plus combien d'années, on a finalement éclairci la vérité.
Et une figure aussi fascinante que celle du fils est celle de la mère, morte en 2004 : petite femme sicilienne, au foulard noir et apparemment insignifiante, mais qui, bien au contraire, a peu à peu compris et su donner raison à son fils, et donc se dresser contre son propre mari, ce qu'était vraiment inouï, en Sicile, à l'époque... la grande Felicia !
Dans le très beau film de Marco Tullio Giordana "I cento passi" qui raconte son histoire, il y a aussi le frère de Peppino, qui gère actuellement le "Centro di documentazione Peppino Impastato". Il n'avait pas le même caractère de son frère... les deux sont donc les protagonistes d'une scène qui est devenue célèbre, celle des fameux "cento passi" qui séparent la maison de leur famille de celle de l'oncle-boss mafieux.



et sauf, surtout, qu'on est en Italie. Et en Italie, où que vous soyez, y a forcément quelque chose à visiter !!!


Ici, c'était le Palazzo d'Aumale, récemment (en 2001) et somptueusement restauré et consacré au Musée Régional d'Histoire Naturelle et de l'exposition permanente du Carretto Sicilien. 
Aumale ? Mais on le connait celui-là !! Après ses brillants exploits de jeune général de brigade contre le Cheikh Abd el Kader en 1843, le fils de Louis Philippe convola en juste noce en 1844 avec Carolina Augusta di Borbone Sicilia, petite fille tant de Ferdinando I delle Due Sicilie et Maria Karoline von Habsburg-Lorraine, Archiduchesse d'Autriche, que de Franz II Kaiser du Saint Empire Romain et Maria Teresa di Borbone Napoli, excusez du peu. Cet homme jeune, à qui tout souriait, hérita en outre de son parrain le dernier Prince de Condé de Chantilly, l'une des plus somptueuses résidences nobiliaires de France, mort sans descendance. D'Aumale hérita donc, entre autres, du le Palais d'Orléans à Palermo. Homme d'affaires avisé, en 1853 il se porta acquéreur d'une immense propriété agricole des Princes de Partanna lorsque celle-ci fut mise aux enchères. 330 hectares d'excellente terre, fameuse pour ses vignobles et sa polyculture trés variée. Rapidement, il mit en gestion raisonnée toute la zone comprise entre les comunes de Montelepre, Partinico et Terrasini. Il semble que le domaine ait atteint, au temps de sa splendeur, 6000 hectares.



Plus qu'une simple ferme, la propriété agricole du Zucco (on voit une photo du "feudo" au XIXème, autant dire le "fief", incrustée dans la vue actuelle) était une véritable unité de production, organisée comme un petit village en complète autarcie. Ses productions étaient stockées dans les magasins de Terrasini, où elles attendent d’être embarquées pour la France et l'Europe. Ce sont ces bâtiments qui sont aujourd'hui pompeusement appelés Palais d'Aumale. Ou plus exactement ceux où le Duc entreposait les barriques du vin, fameux, qu'il destinait surtout à sa consommation personnelle. Un vin épais, lourd en degrés et utilisé pour "couper", on devrait dire "allonger", les vins français, trop faibles en alcool. 


Aujourd'hui, le musée abrite une superbe collection d'histoire naturelle (oiseaux, papillons, coquillages ; les fossiles sont particulièrement impressionnants), d'archéologie (principalement des amphores retrouvées dans les fonds sous-marins au large de Terrasini) et surtout de magnifiques charrettes siciliennes, richement décorées, élément incontournable du folklore sicilien. Toutes ces collections sont présentées et agencées de main de maître, la muséographie moderne est passée par là : avec beaucoup de goût et de façon très aérée. 

La traversée la plus facile est celle de Naples à Palerme. On demeure surpris, en quittant le bateau, par le mouvement et la gaieté de cette grande ville de deux cent cinquante mille habitants, pleine de boutiques et de bruit, moins agitée que Naples, bien que tout aussi vivante. Et d'abord, on s'arrête devant la première charrette aperçue.
Ces charrettes, de petites boîtes carrées haut perchées sur des roues jaunes, sont décorées de peintures naïves et bizarres qui représentent des faits historiques ou particuliers, des aventures de toute espèce, des combats, des rencontres de souverains, mais surtout, les batailles de Napoléon Ier et des Croisades. Une singulière découpure de bois et de fer les soutient sur l'essieu ; et les rayons de leurs roues sont ouvragés aussi. La bête qui les traîne porte un pompon sur la tête et un autre au milieu du dos, et elle est vêtue d'un harnachement coquet et coloré, chaque morceau de cuir étant garni d'une sorte de laine rouge et de menus grelots. Ces voitures peintes passent par les rues, drôles et différentes, attirent l'oeil et l'esprit, se promènent comme des rébus qu'on cherche toujours à deviner.


Certes, les charrettes siciliennes avaient sans doute plus de sel quand Maupassant (En Sicile,1886) les vit en action : elles ne servent plus qu'à épater le touriste et à caracoler les jours de fêtes pour exhiber les statues de saints ou les jolies siciliennes en costume de fantaisie. Vrai emblême du "cadeau souvenir" à ramener dans ses bagages quand on est un touriste qui se respecte, elles peuvent avoir, de fait, une connotation péjorative à laquelle il serait dommage de s'arrêter. 


Car ce sont de véritables œuvres d’artisanat, d'art même, pour lesquelles il ne reste que peu de spécialistes : le musée de Terrasini leur rend impeccablement hommage, en montrant l'atelier d'un dernier "maître en charrettes" et plusieurs de ses réalisations. Encore un savoir-faire et une tradition qui pourraient bien être menacés, si l'on n'y prend pas garde ! Mais on est attentif à ce genre de phénomène et je suis certaine que la région Sicile consacre quelques efforts à la survie de ce travail particulier. Tout une culture à protéger...


12 commentaires:

  1. Dis-moi, j'ai relu deux fois, mais ces charrettes avaient-elles une fonction autre que décorative? ni toi, ni Maupassant n'y faites allusion... Il est vrai que, vu le gabarit qu'elle semble avoir, elles ne pouvaient ni servir d'autobus, ni de moyen de transport pour les marchandises...

    Tu nous diras...

    Rebonne fin de semaine! Ici, c'est trop chaud (28 degrés). Tu vois pourquoi j'attends une sabbatique, car je ne supporterais pas l'Italie estivale. En 1992, j'avais fondu de quelques kilos à Rome, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, mais, pendant que je fondais, je ne pouvais pas visiter...

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    1. Trop chaud ici aussi, oppressant, l'orage va finir par nous faire un retour de bâton !!
      Utilitaires du temps de Maupassant, les charettes très ornées ont toujours dû être réservées aux occasions spéciales. Mais on voyait encore de ces petits véhicules partout en Sicile il y a encore 60 ans. D'après ce que m'a dit mon père ! Aujourd'hui elles servent pour les mariages et les défilés touristiques !!

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  2. Tu as rapporté plein d´idées de billets pour notre grand bonheur.
    Bon week-end

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    1. Il se passe tant de choses quand je sors de mon "trou" !! Bon WE aussi Alba

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  3. ça c'est vrai, toujours quelque chose à visiter en Italie!
    Je ne connaissais pas cette tradition des charrettes
    Bon week-end!

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    1. Cela a toujours beaucoup impressionné les étrangers qui venaient en Sicile... mais maintenant elles sont dans des musées et finalement on ne connait plus cette tradition : les musées ça conserve mais cela ne fait pas vivre !

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  4. Quant la tradition se transforme en folklore et que tout est "muséeifié" on se dit quelle gabegie!
    S'émanciper de certaines traditions c'est aussi sans négliger le passé s'inscrire dans son propre temps, comment concilier l'ensemble? Le Musée est un des solutions trouvée, on peut le regretter, mais qu'en pense les locaux?

    En tout cas, j'ai découvert l'existence de ces charrettes!

    Bonne fin de semaine.

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    1. Je crains que les locaux ne soient pas assez conscients qu'un métier et des compétences disparaissent : j'ai demandé s'il existait, pour perpétuer au moins le savoir-faire, une formation (dans le genre de nos BTS) spécialisée dans la fabrication de charrettes mais il semble que non. Il faut bien avouer que c'est dommage car les artisans encore en activité sont vieux !

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  5. Marie Josée voici votre réponse


    Gaston Vuillier dit voir beaucoup de ces charrettes peintes tirées par des mules mais surtout par des chevaux à travers les rues de Palerme transportant biens ou personnes. Elle permettait d’aller des champs à la ville et vice versa. Le dimanche des familles entières les occupent. Ces charrettes avaient donc un double usage : pour le travail dans la semaine, pour les déplacements familiaux le dimanche ou les jours de fêtes. Ces jours-là les chevaux sont parés de panache de plumes sur la tête, de même le bât, le poitrail et le dos de l’animal scintillent de miroirs, de clochettes et de rubans. Cet ornement tout en couleur évoque la parade de jours particuliers un peu comme les corsos de chars fleuris. La charrette devient le centre de focalisation des richesses de famille. Le fait que Giuseppe Pitré attire autant l’attention de Gaston Vuillier sur ces charrettes laisse penser toute la fierté qu’il tire de ce patrimoine sicilien
    Giuseppe Pitré, père fondateur du musée d’ethnographie Pitré à Palerme, explique la confection de ces charrettes. Le carrossier construit entièrement la charrette généralement en noyer pour assurer une bonne rigidité, puis le doreur la peint en jaune citron et réalise les décors les plus ordinaires après quoi un artiste local illustre les panneaux. Mais on voit bien que la facture picturale reste simple et naïve et qu’il ne s’agit pas de peintres ayant appris le métier dans des écoles d’art.

    Sous la charrette, l’ethnologue fait remarquer la présence d’un gros filet. Ce dernier permet de stocker la bassine pour donner à boire à l’animal, la brosse et l’étrille pour entretenir le poil du cheval ou de la mule.
    Tour du Monde
    Gaston Vuillier

    Bonne journée

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    1. Et pour compléter, sur le "bras" droit de la charette, une petite cale, souvent un petit personnage ou une tête grimaçante, qui sert au conducteur pour poser son pied et éviter qu'il ne glisse !

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  6. Merci pour cet article Mic', il m'a fait souvenir d'un carretto siciliano que j'avais quand j'étais petite, une espèce de jouet mais très bien fait si je me rappelle bien, et surtout, cela va sans dire, très coloré et gai. Aucune idée d'où il venait, je veux dire qui l'avait apporté, car mes parents n'avaient je crois jamais étés en Sicile.
    Giuseppe Impastato (du "Lungomare" de ta photo), jeune tué par la mafia, est aussi le protagoniste d'un très beau film qui raconte son histoire, "I cento passi", est-ce que vous l'avez vu en France aussi ?

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    1. Merci pour les précisions sur Peppino, j'avoue ne pas connaître ce film, ou alors l'avoir oublié ? Pas vu en tout cas.
      Quant au carretto je n'ai pas trop osé évoquer mon attachement personnel à ces petits objets souvenirs, dû à un exemplaire miniature mais terriblement réaliste que papa avait offert, tout jeune marié, à maman et qui me fascinait, d'autant que je n'avais le droit que de le regarder ...

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