mercredi 4 juillet 2012

NINI


Mais non, je n'ai pas dit "Ni... Ni...". Je ne vais pas, non plus, vous parler de moi, d'ailleurs ici, sur le blog c'est plutôt Mimi que Nini !! L'ayant découvert lors de notre périple tourangeau, j'ai eu envie de vous parler de Jean-Baptiste NINI, un sculpteur de portrait en médaillons d'argile fort talentueux.

Fils aîné d’une famille nombreuse, Jean-Baptiste Nini apprit les premiers rudiments de l’art avec son père Domenico «pittore e arcibugiero », mais dont on a surtout retenu le nom à cause d'une machine à fabriquer les épingles, qu'il avait inventée et, dit-on, longtemps utilisée à la manufacture « la Spillara » d'Urbino. C'est sans doute de lui que Jean-Baptiste tient son ingéniosité et sa curiosité. Après avoir appris à Bologne la théorie du dessin, il se distingua dans la classe de sculpture, en exécutant un bas-relief à sujet biblique. Puis, suivant les exemples de la tradition locale, il apprit à modeler l’argile. Il y excella rapidement, donnant ses lettres de noblesse à un matériau jusque là considéré comme mineur. Il « la mélangeait à d’autres terres et en formait une pâte si fine qu’il en résultait des travaux d’une grande perfection »*. Il connut rapidement un succès certain auprès des amateurs et des collectionneurs, et après un séjour Vérone, où il s'adonna semble-t-il à la gravure, nous le retrouvons en 1747 à Madrid. Il s'y marie, a une fille et, surtout, y découvre l’art de graver le cristal auprès d'un maitre hongrois. On** prétend que les gravures sur verre de Nini étaient comparables, en virtuosité, à l'art d'un Jacques Callot, assertion difficile à vérifier car aucun verre gravé par Nini ne nous est parvenu. Accusé de vol, puis d’hérésie, il est arrêté en 1755 et emprisonné pendant deux ans avant de quitter l’Espagne pour Paris.



C'est là qu'il commence à sculpter les portraits en médaillon de terre cuite auxquels est liée sa célébrité. C'est là aussi qu'il rencontre Jacques Donatien Leray de Chaumont, Grand maître des Eaux et forêts et intendant de l’hôtel Royal des Invalides. Propriétaire du château depuis 1750, Jacques Donation Le Ray il entendait faire fructifier son domaine comme une entreprise et y avait installé une manufacture de cristaux et une fabrique de céramiques utilitaires. Le 1er octobre 1772, il nomme par contrat Jean-Baptiste Nini, directeur de ses manufactures et le charge de former les ouvriers à tailler le cristal, tout en l'autorisant à continuer à sculpter ses portraits en médaillon. Nini meurt à Chaumont-sur-Loire, qu’il n’avait plus quitté depuis 1772, le 2 mai 1786, laissant une galerie de plus de 75 visages. On trouve dans ces médaillons l'heureuse conjugaison de ses talents de dessinateurs, grâce la rigueur du trait, auxquels s'ajoute la précision du tailleur de cristal, qui donne à ses portraits un côté incisif et précis.


Selon toute vraisemblance, les médaillons étaient obtenus par l’estampage d’un moule en terre cuite, d’un diamètre d’environ 16 cm, réalisé après trois étapes de travail, (sans compter une esquisse dessinée dont il subsiste peu de témoignages, mais dont on sait qu'elle existait). Le modelage d’une cire initiale était suivi d’un premier creux en plâtre ou en soufre, d'où Nini tirait une bosse en plâtre et enfin un moule en terre cuite, qui constituait le creux utilisé pour la confection du médaillon final... Les motifs, boutons, boutonnières, croisillons d’étoffes, fleurs de lys, étoiles, guillochis, ainsi que la fameuse signature I B NINI F ou J B NINI F, étaient obtenus mécaniquement à l’aide d’ébauchoirs en ivoire, retrouvés au XIXème siècle, encore recouverts de la cire qui servait à réaliser les maquettes. Nini « mélangeait ses terres, les travaillait beaucoup, et les tamisait enfin, à l’état humide, à travers des étoffes de soie, « en formant une espèce de crème » comme le dit Vernon, ancien potier de Chaumont »***. Cette bouillie très fluide et décantée était destinée à couler dans les moules et à restituer jusqu’aux plus fins détails et motifs ... après le démoulage. Cette argile, outre sa capacité à rendre les finesses du creux, permettait « après cuisson à des températures relativement basses (900°) un effet satiné dû au début de vitrification des argiles fines contenant des éléments fondants (de l’oxyde de potassium) »****. La délicatesse du résultat laisse penser qu'à chaque étape Nini retouchait très minutieusement, en graveur, chacun de ses modèles. Plus que modelé, il semble que chaque médaillon soit réellement ciselé. Le portrait moral et physique de Nini est rapporté par Storelli * selon le témoignage d'un contemporain : « de petite taille, presque nain, il n'avait pas quatre pieds de haut ; la longueur de ses bras, depuis l'épaule jusqu'au bout des doigts, n'était pas de quatorze pouces ; enfin la grandeur de sa tête me le fit prendre pour un Samoyède ; mais il n'a pas existé et peut-être n'existera-t-il jamais un homme aussi étonnamment adroit ». Nini aurait été une « sorte de monstre » qui aimait la bonne chère et ayant, le détail est cocasse, des ongles très longs lui permettant de jouer du psaltérion !

Ses portraits à l’antique, en strict profil de médaille, peuvent dans un premier temps sembler conventionnels et répétitifs. Pourtant la fidélité des traits, l’acuité de l’étude de caractère, la finesse de la réalisation, la méticulosité jamais prise en défaut du travail rendent ces médaillons particulièrement captivants à découvrir.



Ce « bon » Benjamin ! Que ce soit en français ou en latin : « Il dirige la foudre et brave les tirans (sic) »… Le cheveu plus ou moins long, la calvitie de plus en plus marquée jusqu’à être dissimulée sous une toque, l’embonpoint sans concession, on ne peut ignorer son caractère entier et décidé. Ces muscles qui vibrent avec une énergie mal contenue au niveau des mâchoires dénoncent sans fard le caractère entier et emporté du « bonhomme », ce ne sont pas ses petites lunettes qui peuvent nous tromper. C'est en 1777, deux mois après l’installation de Benjamin Franklin à Passy dans l’hôtel de Valentinois où il louait un appartement à Jacques Donatien Leray que Nini réalise la version du portrait de l’homme d’état dit « au bonnet de fourrure » qui, très apprécié du modèle en personne, devient vite très célèbre. Et, entre 1777 et 1179, Nini fera sept versions différentes de Franklin.



2 Louis, plus Bourbon que nature ! Le premier, Louis XV, représenté le visage énergique mais un peu amer et désabusé. Louis XVI, en 1780 n’est roi que depuis 5 ans, et son profil encore jeune, semble révéler une incroyable candeur. Les rois entourent un portrait rétrospectif de Voltaire, dont le côté altier du profil à la romaine ne peut masquer la laideur. Mais quelle vivacité dans ce visage ironique et presque railleur. 



Marie-Antoinette, dont on sait combien elle était impopulaire et dont le portrait est tout, sauf sympathique ! Le bas très alourdi du visage lui donne un air peu intelligent.


Ces visages célèbres ne doivent pas occulter la partie la plus originale de la production du sculpteur : les médaillons de personnages modestes, voire inconnus, réalisés d’après nature, mais qui révèlent tout son art de portraitiste. Le réalisme de ces portraits, la méticulosité du rendu, la souplesse de l'exécution permettent à Nini de dépasser l'aspect artificiel du genre, ouvrant la voie aux grands portraitistes modernes qui insisteront comme lui sur la sensibilité autant que sur la ressemblance. 

* Selon Oretti, cité par Barbara Sibille 
** A. Storelli, Jean-Baptiste Nini, sa vie son œuvre, 1717-1786, Imprimerie A. Mame et fils, Tours, 1896
***Selon Auguste Demmin, dans son « Guide de l’amateur de faïences et porcelaines, poteries,
terres cuites, peinture sur lave et émaux » de 1867.
**** Selon Anne Bouqillon toujours citée par Barbara Sibille
L'article d'Encyclopedia Universalis qui m'a aidée, avec le document élaboré par Barbara Sibille à l'occasion de l'exposition qui lui fut dédéie en 2001, entre Urbino et Blois.


7 commentaires:

  1. grâce à toi je vais en apprendre plus sur ma région! Je connaissais ces médaillons mais pas tout l'historique!

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    1. J'ai eu la chance de trouver des documents édités lors de l'expo d'urbino. j'ai aussi vu qu'il en passe parfois en vente publique ... à des prix très abordables ... mais il est difficile de distinguer les copies des vrais... copies fréquentes car facile à réaliser avec les moules... ce dont ne se priverent pas ses héritiers ....il faut donc être prudent

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  2. Un sujet que, certainement, beaucoup de gens ignore, moi la première.
    Très intéressant.

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  3. L'art de la céramique, le mélange des matières. cela fait des céramistes, très souvent de bon cuisiniers.

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    1. C'est tout à fait cela béatrice : j'évoquais dans le commentaire précédent la difficulté qu'on a devant les tirages tardifs, la copie était facile puisqu'on a certains moules. Or il semble justement qu'on identifie Nini à ses compositions en terre, à sa "cuisine" !!

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  4. Voila encore grace à toi une belle découverte, mais comment fais tu pour avoir le temps d'écrire tout ça ?

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  5. Je ne sais pas trop robert ... cela me permet de revivre et d' approfondir ce que j'ai découvert c'est important ...

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