lundi 27 août 2012

RICORDI D'INFANZIA


C'est Siù qui m'a mise sur les rails. Siù, outre le fait qu'elle chasse impitoyablement mes coquilles, lettres inversées, mots sautés, doubles malmenés*, a toujours des idées originales en écho à mes billets : un jour, à propos de Cinisi, elle nous fait découvrir Peppino Impastato, le lendemain elle me déniche une fresque recouverte de Léonard, une autre fois, elle m'expédie un cadeau surprise, de ceux qu'on avait achetés "au cas où", stockés et oubliés dans une armoire... sans oublier le jour où elle m'a envoyé un t-shirt garibaldien, dont le rouge résonne encore dans nos mémoires !
L'autre jour, elle m'envoie un lien, enthousiaste, vers un blog qui propose une idée originale et assez attendrissante : Souvenir d'enfance, un livre à faire. En gros l'idée est la suivante : Giulio Mozzi déclare "Je voudrais recueillir cent, mille, deux mille souvenirs d'enfance". Pas nécessairement les premiers, mais datant tout de même d'avant 8 ans. Pas tels qu'on vous les a racontés plus tard, mais tels qu'on les a gardés au fond de la mémoire. Son ambition, plus compliquée qu'il y parait, est ensuite de le lire, de les trier, de les mettre en forme et de trouver un éditeur pour les publier, avec, bien évidemment, l'autorisation implicite de tous ceux qui auront participé. Guilio explique tout cela sur son blog, et donne des consignes très précises pour écrire ces courts textes, très courts puisqu'ils ne doivent pas dépasser 10 lignes.


Siù est partante, et elle me propose de participer aussi. Je commence par prétendre que je n'ai aucun souvenir d'enfance, l'argument est balayé d'un revers de clavier ... Giulio Mozzi non plus n'en a pas beaucoup, c'est pour cela qu'il a décidé cette mutualisation, afin d'écrire un texte dans le style de Perec, "Je me souviens" ou "W ou le souvenir d'enfance" et comme la matière première lui manque, il décide de mobiliser ses lecteurs pour en faire un livre où tous partagent leurs souvenirs pour faire une grande trame commune. Toujours aussi réticente, je tente deux textes, à ma façon, dépassant largement les limites requises et n'appliquant aucune des consignes posées par Giulio. Siù, très calme, me renvoie au règlement, écrit ses deux textes, et me suggère de raccourcir les miens. Je proteste, je ne peux pas jouer moi, je ne sais pas faire court, et puis je ne saurai pas les traduire en italien, et puis, et puis... Siù se propose pour les traduire, et m'envoie la version définitive, épurée, des siens.


Villeggiatura estiva con i miei, un paesino in Austria, primi anni '50. Dopo una serata in compagnia di conoscenti, per tornare alla nostra pensione attraversiamo un bosco. E' ormai notte, e il buio pressoché totale. Io ho 4 anni e mezzo e mio padre mi sta portando in braccio perchè mi sono addormentata. All'improvviso inciampa in una radice e iniziamo a capitombolare ma, non so come, riesce a restare sui suoi piedi, e io nelle sue braccia. Entrando poco dopo nella nostra stanza illuminata c'è forte odore di legno, e le assi chiare del pavimento scricchiolano. **

Anni '50, Trieste. Si è appena concluso il saggio finale dei corsi di ginnastica ritmica sul palcoscenico nel salone del Circolo Marina Mercantile, costumi, sudore, applausi e tutto... Devo avere 7 od 8 anni e, tenendolo appoggiato sugli avambracci, sto portando un enorme mazzo di fiori da parte del nostro corso alla elegante e un po' attempata pianista che ci ha accompagnato durante tutto l'anno, saggio compreso. Da dietro arriva una compagna, e mentre mi supera acchiappa i fiori, accelera il passo e li consegna lei alla Sig.na Steidler.***

Pas de doute, mes compositions sont trop longues, trop compliquées, alambiquées de digressions inutiles. Il faut vraiment que je relise les consignes de Giulio. Il veut que le livre se lise comme si tous ces souvenirs avaient été écrits par une seule personne, il faut donc respecter un minimum de règles :
- court, de1 à 10 lignes
- écrit au présent de narration
- avec au début, une brève indication de lieu et de temps
- d'une écriture simple, privée d'effet (là, vous voyez Michelaise ruer dans les brancards)


Et puis, la persévérance de Siù agissant, je reprends mes textes, je les aère, je les débarrasse de tout ce qui ne sert qu'à compliquer le récit, et j'arrive vaille que vaille, à respecter la norme !! Les textes sont plus courts, plus concis. Du coup, il y en a même un troisième... Je les ai affublés d'un titre, on ne se refait pas, et je vous les livre, non pour ce qu'ils racontent, mais pour prouver qu'avec de la patience, on peut même obtenir de Michelaise un texte bref**** !!

La Petite chaise
Milieu de la nuit, il est peut-être 2 heures du matin. Papa, ronfleur invétéré, doté d'une sonorité telle qu'elle ébranle les murs, vient de se faire "virer" du lit conjugal. Tout penaud, moitié titubant et totalement hagard, il me prend dans ses bras, pour aller m'installer tout doucement auprès de maman, et revenir prendre ma place. La douceur du réveil, la vague conscience d’être emportée, presque enlevée, le chemin incertain d'une chambre à l'autre, accompagné d'un câlin familier, cramponnée au cou paternel, l'atterrissage plus ou moins contrôlé sur le grand lit dévasté... Puis, seule et hésitante dans ce grand espace inhabituel où je viens d'être déposée, je me glisse, me tortille, roule sans façon vers le flanc maternel, et me love doucement contre son buste et ses genoux, prête à me rendormir aussi vite qu'une marmotte. Demain, papa viendra encore me chercher !

La Grande chaise
Nous sommes en 1958. Mes parents viennent de rentrer des Etats-Unis d’où ils ont rapporté une fascination sans pareille pour les supermarchés, qui, bien qu’il y en ait peu, les attirent comme une flamme les papillons. Tous les samedis donc nous allons "faire le marché" dans ce qui n'est pas encore un temple de la consommation. Et après les courses, ils ont établi une tradition qui me comble de joie : un bon café pour eux et un chocolat pour moi. La barmaid, qui me connaît bien, me trouve mignonne. Elle m'offre donc, chaque fois, une brioche avec la boisson chaude. Or voilà que ce jour-là, le chocolat arrive seul devant moi. Et la toute petite fille que je suis, timide mais fort gourmande, ose réclamer la viennoiserie habituelle. Papa me prend alors sans un mot du siège sur lequel je suis fièrement installée, au niveau du bar, et me pose, sans autre forme de procès, au sol. Je reste là, saisie, humiliée, privée de chocolat et plus encore de brioche, à contempler du haut de mes 4 ans les hautes jambes de cette chaise soudain ridicule.


Jalousie
Chantal a 17 ans, c'est une jolie fille de la fin des années 50 qui ressemble furieusement à Brigitte Bardot. C'est aussi la fiancée de mon frère. Un peu James Dean quant à lui, enfin c'est ainsi que le jugent mes yeux de gamine de 6 ans. Il est beau, un point c'est tout, et d'habitude il est aux petits soins pour moi. Chantal est invitée à la maison, elle est capricieuse, fantaisiste, un peu mal élevée et trouble l'harmonie familiale. Et elle supporte mal "la petite sœur", mi admirative, mi jalouse, en tout cas totalement collante. Un jour, entre nous deux, c'est la bagarre, verbale, mais violente. Et la grande, qui pourtant a du répondant, ne trouve rien de mieux que d'aller se plaindre auprès de maman. Et maman me gronde et me punit. Sans essayer de savoir le vrai du faux, simplement parce que Chantal est "l'invitée", par correction. Injustice suprême dont la leçon me brûle encore 50 ans plus tard ! 

Un joli exercice n'est-ce pas que ce partage ... je ne sais ce qu'il en naîtra. Je ne sais si Giulio trouvera un éditeur pour publier cette "moisson" de réminiscences au parfum d'enfance, mais en tout cas, j'ai aimé participé. Et vous ?? Si vous nous racontiez un souvenir d'enfance, dans le style impressionniste ?? Vous pouvez aussi écrire à Giulio, le 16 août il avait déjà 559 textes.



PS Je n'avais pas osé le dire mais donc, Siù vous le signale en commentaire, vous pouvez même envoyer vos souvenirs à Giulio Mozzi qui est tout à fait prêt à accueillir des ricordi francesi !! Sur son site, voir l'article qui vous explique comment participer ...



Notes
* D'où le sous-titre du blog "Li mortacci alle doppie"

** Vacances d'été en famille, une bourgade autrichienne, début des années 50. Après une soirée avec des amis, nous traversons un bois pour retourner dans notre auberge. Il fat nuit désormais, et l'obscurité est presque totale. J'ai 4 ans et demi et mon père me porte dans ses bras parce que je me suis endormie. Soudain, il trébuche sur une racine et nous commençons à dégringoler... mais, je ne sais comment, il réussit à rester sur ses pieds, et moi dans ses bras. Entrant peu après dans notre chambre pleine de lumière, il y a une forte odeur de bois, et les planches du parquet craquent.

*** Années 50, Trieste. Le petit spectacle de fin d'année du cours de gymnastique rythmique vient à peine de se terminer sur la scène du salon du Cercle de Marine Marchande, costumes, sueur, applaudissements et tout, et tout ! Je dois avoir 7 ou 8 ans, et j'avance, portant dans mes bras l'énorme bouquet fleur que nous allons offrir à la pianiste, élégante et un peu âgée, qui nous a accompagnées durant toute l'année, spectacle compris. Une camarade arrive par derrière, me double, me prenant les fleurs au passage. Elle accélère le pas et les offre à Mademoiselle Steidler.

**** ... mais je me venge avec un article hyper long !!!


Note à propos des illustrations : pas facile de trouver une idée pour illustrer ces historiettes !! Du coup, j'ai encore mis Henri Martin à contribution en émaillant le texte de détails empruntés à la grande composition réalisée par le peintre comme monument aux morts de la ville de Cahors, et refusée par la ville, qui trouvait le sujet bien trop novateur et pas assez solennel.

9 commentaires:

  1. J'ai du rattrapage à faire : j'ai vu passer tes textes sur Martin à un rythme effarant et je n'ai pas pu suivre...

    Deux souvenirs sur trois nous parlent d'injustices commises par des adultes, car, en définitive, tu avais bien raison d'attendre ta brioche puisque l'habitude avait été créée... Bon. Mon tout premier souvenir d'enfance est télévisuel. J'espère que Françoise et toi ne me renierez pas... Je vous raconte cela demain ou après-demain. C'est en plus un souvenir historique!!!

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    1. Oh non, pour la brioche, il a eu raison, on ne doit pas réclamer quand on vous fait un cadeau, cela ôte toute valeur au cadeau qui devient un dû ! Par contre, "la" Chantal, je lui garde un chien de ma chienne !! La pauvre...
      Alors nous attendons ton souvenir télévisuel et historique. Pourquoi te renierions-nous ?

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    2. Car il attestera de la présence de la télé dans mon univers depuis mon plus jeune âge...

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    3. Tu peux aussi les envoyer à Giulio, en français ou en italien !! voir les liens vers son site

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  2. Méfiez-vous, lecteurs de Michelaise ! Car non seulement elle répand mes méfaits sans aucune raison, et grossit ma présumée persévérance alors que ce n'est que son envie à elle de participer à ce grand jeu des souvenirs qu'a fait tout... Mais en plus elle va jusqu'à semer des erreurs, et des sournois en plus, par-ci par-là dans son texte dans le seul but de controler si je travaille (et si vous n'en repérez plus dans ce billet, et bien voilà, c'est que j'ai bossé !). D'ailleurs comment faire confiance à quelqu'un qui vous dit que "se faire corriger par une italienne, c'est d'un chic !" Euh ben, d'un grand chic en effet... plus ou moins de la meme façon qu'il est chic de se faire aider à traverser la rue par un aveugle !
    J'insiste, méfiez-vous, et commencez à fouiller plutot parmi vos souvenirs... car la bonne nouvelle, juste celle que notre Michelaise a oublié de vous donner, c'est que Giulio Mozzi est bien heureux d'accueillir aussi les souvenirs écrits en français.
    (ciao Michelaise, mais oui tu es pardonnée... comment pourrais-je entamer ma journée en te faisant la tete..?.. :-))

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    1. Pauvre Siu, je ne cesse de te martyriser en laissant des fautes partout !! Merci encore de ton aide qui est d'autant plus précieuse qu'il n'est rien de plus terrible que d'avoir à se relire !
      Pour le livre, tu as raison, j'ai rajouté cette information dans l'article au cas où certains seraient tentés !!!

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  3. Un beau défi, relevé avec maestria, BRAVO! J'apprécie , moi qui ai plutôt tendance à me répandre.Toutes ces phrases, ces mots, ces idées..sacrifiées à l'art de la "concision "..alors que.:-)...Et oui, dire tout en peu de mot, faire passer l'émotion tout en gardant la souplesse et la richesse du style...je m'incline!BRAVO une fois encore!

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    1. Oh là là, tu sais Danielle, j'ai renâclé pour couper, cisailler et être concise, j'aime pas ça !! mais, comme le dit Siù, j'avais envie de participer donc, j'ai fait un effort !!

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  4. A propos de cette histoire de "correctrice", je crois que de ma part il serait peut-etre mieux de préciser que, au début, j'avais tout simplement signalé parfois à Michelaise la présence de quelque faute de frappe à l'intérieur de ses textes. Puis à un certain moment elle m'a élue correctrice officielle... pas de sauts de joie de ma part mais bon, je l'ai pris comme un jeu... Et pourtant je reste une bien bizarre de "correctrice", qui n'utilise jamais les accents circonflexes car son clavier en est dépourvu, et fait surtout surtout surtout... tout un tas d'autres erreurs (italianismes surtout) !
    Alors à ma décharge, et à la décharge surtout de Michelaise... je tiens à préciser justement que je n'ai continué à lui corriger que des fautes de frappe ou d'inattention, et quelque petite imperfection dans le layout. Voilà, ma conscience est plus légère maintenant...

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