vendredi 21 septembre 2012

ANTIGONE AU VIEUX COLOMBIER



Anouilh, un "grand" du théâtre, du théâtre tel que nous l'aimons, texte, réflexion sur la vie, sur l'âme, humour, gravité et légèreté mêlées... Antigone de Anouilh, nous l'avons vue quatre ou cinq fois mais si nous en avons l'occasion, nous la verrons dix fois de plus. Autant dire que nous en connaissons tous les détours, mais, cette fois encore, nous avons découvert une nouvelle lecture.
Était-ce la mise en scène ? Est-ce plus vraisemblablement notre propre évolution qui fait qu'on n'y entend pas les mêmes choses qu'à 20, 30 ou 50 ans ? La conjonction des deux sans doute ...
Antigone, je vais vous la faire courte, d'autres en ont largement parlé sur internet, ne serait-ce qu'Eimelle dont je vous recommande la suite d'articles, art et théâtre mêlés. C'est l'histoire de cette gamine, la fille d’ Œdipe, un lourd passé tout de même, qui s'entête à vouloir enterrer son frère. Un voyou, un vaurien qui ne vaut même pas qu'on le pleure et pourtant, elle veut lui offrir, ainsi que le veut la coutume, la religion surtout, une sépulture décente alors qu'il est en train d'être dévoré par les vautours, sur l'ordre de Créon, le roi dont Antigone doit épouser le fils.
Il est de bon ton de souligner l'actualité de la pièce, qu'elle soit de Anouilh, ou de Sophocle : la résistance, le combat pour des idéaux, l'inéluctable fatalité du destin qui pousse certains à se dépasser, tout cela est mis en avant et la rigueur de la loi, l'indéfectible cruauté de ceux qui possèdent le pouvoir, tout est bien connu, et largement décliné par Anouilh. Il est traditionnel aussi de s'extasier sur la création de cette pièce en pleine occupation allemande, glorification incontournable de la résistance, et acte de patriotisme revendiqué par l'auteur lui-même : « L'Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges. Je l'ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre ».



Et, de fait, les premières fois où l'on entend ce texte, on est saisi par l'audace de cette "petite peste" d'Antigone, par le réalisme de sa peur qu'elle transcende au nom de la défense de principes dont elle est bien obligée de reconnaître, avec Créon, qu'ils ne devraient pas avoir cours en l'espèce. Le frère qu'elle veut ensevelir est vraiment un bien piteux personnage, aussi veule que traître, il ne l'a jamais aimée, il était odieux et sans foi ni loi. Mais le principe pour lequel elle se bat, assurer au mort un passage décent vers l'Au-Delà, ne peut subir aucune exception. C'est la force d'une loi incontournable qui a valeur en tant que telle, et non dans un contexte donné. Et du coup, Antigone devient héroïque, contre son gré, malgré son angoisse, surmontant avec panache épouvante et panique. Elle se dope à son propre courage et les mots entraînent les mots, créant autour d'elle une barrière de protection contre l'appréhension : elle est forte parce qu'elle parle. Et l'on vibre de sa passion et l'on admire son courage. 
Et puis, l'âge venant, comme le fait remarquer Eimelle, on entend autre chose dans la pièce d'Anouilh. On écoute mieux Créon, on comprend petit à petit combien l'homme est pris dans ses contradictions, il est "juste". Il veut que l'ordre règne et soit respecté en tant que tel, la loi est son principe, son idéal. "La loi a d’abord été faite pour toi Antigone, la loi est d’abord faite pour les filles des rois." Il sait qu'il a le mauvais rôle, mais il l'assume. Et soudain devenu adulte, plus qu'adulte même, on entend mieux le discours de Créon : ce qu'on tenait pour des hypocrisies à 20 ans, apparaît comme une humilité méritoire au spectateur sexagénaire. Et on ne partage plus le mépris d'Antigone pour ce tyran qui fait, lui aussi, son devoir. Et qui sait qu'il a dû renoncer à ses idéaux pour exercer son pouvoir. "Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses manches, empoigner la vie à pleines mains et s’en mettre jusqu’aux coudes.»


Finalement on comprend que la pièce est aussi, et presque surtout, l'histoire d'un conflit intergénérationnel, impossible à dénouer, inévitable, insoluble et, sans doute, salutaire. Et, au lieu d'en ressortir exalté par le discours enflammé d'Antigone, comme on en ressortait à 20 ans, on quitte la salle avec un peu de spleen, l'âme en détresse d'avoir peu à peu basculé du côté de Créon en perdant les illusions lumineuses de la jeunesse. 
Le Vieux Colombier offre une lecture très claire, pas manichéenne pour deux sous, et très agréable de la pièce. Une mise en scène d'une grande sobriété, des acteurs au-dessus de tout soupçon, la qualité Comédie Française est au rendez-vous. La production est vive, rigoureuse, le ton reste fidèle au texte de Anouilh, et pourtant la mise en scène est inventive. La distribution est magistrale avec notamment Véronique Vella dans le rôle de la nourrice et Clotilde de Bayzer dans celui du Choeur.
Antigone, petit garçon manqué aux rêves de femme, est admirablement campée par Françoise Gillard : menue, têtue, engagée à fond, elle est tour à tour véhémente et apeurée, hurlante et douce, pleine de charme et d'un courage qui la dépasse. Sa souplesse, sa vivacité, sa parfaite diction, son émotivité à fleur de peau font merveille.



Bruno Raffaelli, dans le rôle de Créon, me semblait un peu empoté au début : cela est dû au maquillage style années 40, époque où fut écrite la pièce, qui lui donne "une drôle de tête". Mais sa haute stature et son talent le rendent remarquable tant dans l'autorité que dans le chancellement. Antigone le harcèle, lui tourne autour avec un entêtement exaspérant et il plie, il vacille, il ne succombera pas car le devoir s'impose, mais ses fragilités nous le rendent très proche. 


Pour finir, une mention spéciale aux trois élèves comédiens de la Comédie Française, qui jouent les gardes. Au total, une production forte et intelligente, qu'Anouilh n'aurait pas désavoué... N'hésitez pas, vous avez jusqu'au 25 octobre pour y aller.

12 commentaires:

  1. Je vois que je ne suis pas la seule à me surprendre parfois maintenant plus proche de Créon qu'Antigone, quelle force a-t-elle cette pièce de pouvoir nous parler différemment au fil de notre vie!
    A Tours cette année nous en aurons la version du Théâtre National Palestinien , dans la version Sophocle.

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    1. Et voilà, on sort de ce énième Antigone un peu "froissé" : on sent qu'on n'écoute plus de la même façon. J'étais heureuse et surprise de trouver cette même réaction dans ton article ! Antigone est une pièce encore plus riche qu'on ne l'imaginait ! Quel sacré bonhomme ce Anouilh !

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  2. un article qui me donne envie de "revoir" ce classique.
    Aïe les dégats de l'âge !
    ...et jusqu'au 14 octobre "Le porteur d'histoire" est à voir au théâtre 13 (sans rapport avec Anouilh, ni Antogone))
    bonne journée (Josette)

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    1. Oh oui, Josette, s'il passe à portée de toi, n'hésite pas, tu vois on peut le voir et le revoir, on progresse avec !! Merci de ton passage !!

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  3. Alors, si Françoise, joue Antigone…c’est certainement une interprétation magistrale.!Et our une fois que je suis en pays de connaissance….

    Françoise Gillard , je l’ai vue grandir cette « petite » grande dame de théâtre. Elle a fréquenté très tôt notre Académie de Musique, Chant et Arts de la Parole. Est-ce nécessaire d’écrire qu’elle y fut une élève douée et appréciée ?.Toujours souriante, enjouée, et tellement talentueuse ! N’hésitant pas à payer de sa personne lors des après-midi littéraires organisées par le Conseil culturel , c’est ainsi que j’ai eu l’honneur et l’immense plaisir de l’entendre et de la regarder » vivre »quelques-uns de mes textes. J’écris vivre parce que certains interprètes se contentent de glisser sur les mots sans vraiment prendre la peine ou le plaisir de pénétrer le texte ou d’en approcher l’auteur .Et ces lectures sont toujours décevantes parce que l’on en quelque sorti trahi sinon incompris. Françoise Gillard, elle, sans façon a magnifié mes textes, j’en étais au bord des larmes tant elle était parvenue à s’immiscer dans mes écrits , débusquant les émotions inscrites en filigrane. Elle lut aussi quelques textes de ma fille qui me dit par après » je n’avais pas conscience d’avoir dit tout ça !Après Françoise est montée à Paris et sa reconnaissance en tant qu’artiste a donné plus de valeur encore à tout ce qu’elle nous a donné à nous écrivains régionaux.


    Antigone !Sophocle ! travail de fin d’étude ,classe de latin-grec oblige. Je l’ai relu il y a quelques mois…et je me suis dit » Et bien, ma fille, où as-tu été chercher tout cela ! »

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  4. Françoise Gillard fait MERVEILLE ! vraiment, elle est pétillante, émouvante, vive, claire, lumineuse. C'est EXACTEMENT l'Antignone d'Anouilh. Oui, elle "vit" le texte, comme elle a vécu les tiens, et, le vivant, elle le sert admirablement. Danielle, je suis trop heureuse de ce témoignage, que peut-être Françoise lira, car souvent les acteurs (jamais les musiciens) se googlisent et il n'est pas rare qu'ils "passent par là" !!! Dommage que tu ne puisses aller l'écouter au Vieux Colombiers, tu serais enthousiasmée. Et puis Anouilh, ce texte fort et dur, ce silex qui fait mal et qui émeut, tout cela vaut vraiment le déplacement !

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  5. Une Antigone poignante à Ivry : celle du théâtre National Palestinien sous la direction d'Adel Hakim
    http://miriampanigel.blog.lemonde.fr/2012/03/09/antigone-de-sophocle-a-ivry-adel-hakim-et-les-acteurs-du-theatre-national-palestinien/
    Il sera encore à l'affiche cette saison 2012 2013 Ivry c'est la banlieue-métro (Mairie d'Ivry)

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  6. Pour mémoire : l'Antigone de Bauchau qui vient de nous quitter et que j'ai beaucoup aimée

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    1. Ah oui, dis-moi, il avait 99 ans ! et il a écrit une Antigone donc ... il est mort la nuit dernière. Son Antigone t'avait donc bien plu, lue ou vue au théâtre ??

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  7. Antigone de Bauchau, c'est un livre!

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  8. Coucou, me re-voilou !!! Après quinze jours passés dans le sud de l'Italie ! Que de lecture de blogs en perspective !!!!
    Antigone ! Une pièce de théâtre que j'aime beaucoup depuis mes années lycée!!! Celle d'Anouilh aussi !
    A bientôt

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    1. Veinarde... 15 jours en Italie du sud ;-)
      J'avoue que pour Antigone j aime surtout Anouilh.

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