lundi 17 septembre 2012

ENLUMINURES AU SCRIPTORIUM


Au flanc de la cathédrale de Tours, qu’Eimelle appelle aimablement la Gatienne, du nom de son saint patron, Gatien, à gauche des hautes tours un peu composites qui construisent dans le ciel tourangeau une double flèche aux accents presque lyriques, s’élève le cloître de la cathédrale, construit, ou reconstruit, on s’en doute, aux alentours des années1500.


On y chemine ainsi entre un gothique tardif et déjà fort disert, et une renaissance qui ne dit pas encore son nom, mais se pare déjà des atours d’une élégance revisitée.
Le Chapitre métropolitain de Saint Gatien était formé de chanoines séculiers, qui trouvaient dans l’enceinte de la cathédrale un lieu de vie leur offrant toutes les commodités propres au recueillement et à l’étude. Pour cette dernière ils disposaient d’une bibliothèque, plutôt appelée librairie, fondée par un érudit et mécène, Raoul Le Segaler, qui entretenait des liens très étroits avec la bibliothèque Sainte Geneviève du Mont à Paris.



Le bâtiment fut entrepris sous le mécénat de Jean Bernard, en 1460, celui-là même qu’on voit agenouillé à droite sur le triptyque de la Passion de Jean Poyer. On y accède par la galerie située à l’étage, auquel on monte par un escalier qui se donne des airs de Chenonceau et qui vous accueille, au sortir des voûtes d’ogive par une porte de la plus belle eau antiquisante.


Belle salle voûtée d’ogives, car elle est dans la partie la plus ancienne du cloître, la librairie est éclairée par six grandes fenêtres à meneaux, dont on sait qu’elles arboraient des papiers huilés en guise de vitres. C’est devant ces fenêtres qu’on disposait les pupitres pour la lecture, alors que les manuscrits étaient rangés sur des lutrins, ou dans des coffres, pour les plus précieux d’entre eux.


Traditionnellement, le scriptorium se trouve près de la libraire. Celui de Tours a été commencé au début des années 1500. Il est, bien sûr, très lumineux, pour faciliter le travail des copistes et orienté plein sud. De plus, et c’est à cet accessoire qu’on reconnaît toujours le scriptorium, il possède une cheminée pour éviter que les doigts engourdis ne puissent tenir la plume. Plume tenue dans la main d’écriture alors que, de l’autre, le moine tient un canif, qui lui sert à gratter les erreurs et à tailler son instrument.


Début XVIème, le support est, pour les ouvrages soit du parchemin, un vélin très fin préparé avec soin, soit du papier qui va peu à peu le supplanter pour des raisons d’économie. On admire d’ailleurs, dans l’exposition Tours 1500, un missel imprimé que se firent fabriquer à plusieurs exemplaires les chanoines de la Cathédrale, copies d’un exemplaire unique sur vélin qui ne pouvait être partagé entre eux tous ! Les couleurs y sont rapportées à la main, avec un soin extrême, faisant de cet ouvrage imprimé une vraie œuvre unique. Avant l’imprimerie, la méthode de reproduction des ouvrages consistait à les recopier, et c’était le travail des copistes. Souvent, en plus, ces derniers commentaient, annotaient et illustraient les textes reproduits.


La bibliothèque de Tours, composée d’un fond fort ancien remontant pour certaines pièces au VII ème siècle, comportait, outre les textes liturgiques (bibles, missels, livres d’heures) de nombreux ouvrages littéraires, scientifiques et musicaux. Les copistes y avaient donc fort à faire ! D’autant qu’en ces années 1500, la ville est en train de prendre un essor artistique qui en fait l’égale de Paris. La présence de Jean Fouquet, l’existence d’une clientèle privilégiée, en partie royale, permet l’essor d’une activité artistique de premier plan. C’est aussi ici que s’établit la chancellerie et que l’on trouve tous les membres de la haute administration royale, une classe de lettrés aisés qui se découvre un goût pour les beaux arts et commande volontiers des ouvrages précieux. Pour eux, les artistes vont se multiplier et rivaliser de créativité, enrichissant les textes d’enluminures qui deviennent de véritables œuvres d’art. Curieux, ils s’ouvrent aux innovations décoratives venues d’Italie ou des Flandres qu’ils s’approprient en leur imprimant leur culture locale, créant un style élégant et tempéré qui a été nommé « École de la Loire ». Ce style original influencera d’ailleurs tout le reste de la France, l’enluminure tourangelle se maintenant comme le chef de file de l’excellence jusque vers 1520.
L’enluminure est, pour ceux qui la crée, plus qu’une simple illustration du texte : elle participe au sens du texte et, historiquement, apporte à l’observateur des renseignements passionnants, sociologiques, religieux, littéraires sur l’époque qu’elle dépeint, même indirectement. Le terme enluminure insiste sur l’importance de l’image et de la lumière, sur son rôle proprement ornemental, alors que le terme plus tardif de miniature renvoie à l’aspect plus technique du travail : il vient du minium, pigment qui donne le rouge utilisé très tôt. Ce n’est que plus tard, vers le XIXème, que le mot a évolué vers le sens de minutie et petite dimension. La séparation des tâches entre copiste et enlumineur s’impose très tôt, vers l’époque carolingienne, mais il faut attendre le XIVème siècle pour voir apparaitre une nouvelle spécialisation : alors que l’enlumineur est chargé des parties décoratives, lettrines et bordures ornées, parfois avec faste et une imagination débridée, le miniaturiste se voit confier les illustrations proprement dites, petites scènes historiées adaptées au textes qu’elles côtoient.


Sur le support convenablement préparé, la peinture, sans épaisseur et à l’eau, est appliquée par couches successives. Les couleurs en effet se mélangent très mal, voire pas du tout, pas plus lors de leur élaboration que sur le parchemin. L’enlumineur va devoir jouer en ton sur ton, en créant différentes nuances à partir du même pigment de base. Tout le travail se fait en patience et en génie inventif, et la transparence de ces aplats plus ou moins nombreux donne au sujet sa profondeur et sa luminosité. Quant à la pérennité de ces enluminures, elle est impressionnante : le soin apporté à leur réalisation, la nécessité de faire preuve d’une grande patience dans l’exécution, le respect d’un séchage absolu entre chaque couche, la qualité des pigments et des liants utilisés, tout cela a permis de créer de pages qui sont parvenues jusqu’à nous dans un état étonnant de fraîcheur et d’authenticité. Les ouvrages étant précieux et beaux, ils ont souvent été conservés avec beaucoup de précautions. Et la conjonction de cette qualité de production et d’un archivage soigneux nous fait admirer des « peintures » aux teintes révélatrices du vrai goût des anciens en termes de gamme colorée ! Ici pas de vernis qui auraient jauni, pas de poussières intempestives, pas d’offense du temps ou de la lumière qui auraient modifié l’intention de l’artiste en effaçant les nuances ou en fonçant les teintes. Tout est comme Bourdichon ou Fouquet l’ont conçu, et cela accroît l’émotion qu’on éprouve en regardant ces vignettes précieuses.
Mais ces couleurs qui nous subjuguent, d’où viennent-elles ? Les plus anciennes et les plus classiques d’entre elles proviennent de terres, abondantes dans la nature et connues depuis longtemps. Mais très vite s’ajoutent des macérations de fleurs, d’étamines ou de racines (garance, safran) auxquelles on n’hésite pas à ajouter des éléments d’origine animale qui élargissent la gamme. Cochenilles, coquillages pilés, foies d’animaux fournissent de nouvelles couleurs : kermès rouge, pourpre , fiel.
Pour que les poudres soient utilisables, qu’elles s’agglomèrent et adhèrent sur la surface du parchemin, il faut y ajouter un liant, élément neutre pour la couleur mais indispensable. Ce sera du blanc d’œuf, l’albumine présente un pouvoir collant très satisfaisant, de la colle de poisson, ou, plus simplement, de l’eau de gomme arabique, puis de l’eau claire.


4 commentaires:

  1. Je vois avec plaisir qu'il te restait encore des articles en réserve autour de ton séjour dans notre belle Touraine! Et honte à moi, je ne suis pas retournée visiter ce cloître depuis plusieurs années et je vois que les travaux de restauration ont bien avancé, il va falloir que j'aille y faire un tour!
    Bonne journée!

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  2. Et voilà, c'est toujours comme cela... plus on est proche, plus on se dit qu'on va y aller ! et on repousse. C'est magnifiquement restauré et il y a vraiment une ambiance !

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  3. Je repasserai lorsque je disposerai d'un peu plus de temps
    Lorsque je mis en diagonale et laisse un commentaire je me fais toujours prendre!

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    1. Prendre par la garde ??? tu as retrouvé internet toi !!!

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