lundi 10 septembre 2012

MAIS OÙ ÉTAIT-CE ?



Petite énigme, avec la solution en fin d'article
On a commencé ici à gribouiller très tôt sur les murs. Témoin cette salle entièrement couverte de scènes religieuses ou de parade, gravées presque en haut relief par un quelconque prisonnier, forcément autorisé à le faire par ses gardiens.


Ludovic Sforza, prisonnier en ces lieux, fut lui aussi autorisé à décorer sa cellule, fort sinistre ma foi. On peut imaginer que, grâce à  ce ciel étoilé il devait s’évader en esprit, pendant que cet homme en heaume lui rappelait avec nostalgie, sa gloire perdue.


Les graffitis s’épanchent partout : dessin de paysages, de guerre, simples noms accompagnés parfois d’une date : 1815, 1841 … mais que vois-je ? 2002... 2010 même ! Et oui, les visiteurs exaltés par ces marques du temps veulent, à leur tour, laisser trace de leur passage et n’hésitent pas à graver leur amour, peut-être déjà éteint, pour l’éternité. 


C’est moins le massacre d’un lieu public et d’un monument historique qui me choque, que cette insupportable fatuité qui fait croire à ceux qui sortent leur clé de voiture, que leur petite histoire personnelle est tellement importante qu’il faut la graver sur des murs déjà bien lourds de témoignages. Au motif que, il y a 3 ou 4 siècles, des prisonniers ont ici gravé leur désespoir, nos contemporains, toujours avide de "pourquoi pas moi ?" s'empressent de laisser leur marque sur la pierre et détruisent allègrement celles des siècles précédents.



Pardonnez mon mouvement d'humeur, mais Axel et Paola sont de sacrés sagouins !!
Pourtant, il me faut bien l’admettre, cet endroit reste celui des messages placardés à tout va, et, même si certains sont de simples pancartes, on y garde, c’est indéniable, le sens de l’humour.




Mais où sommes-nous donc ?
 comme pour les Fiches du cinéma, ne pas lire au-delà de cette limite si vous ne voulez pas connaître la fin !!


Vous l’aviez deviné au nom de Ludovic Sfroza, qui, trahi en 1500 par des mercenaires suisses, est tombé entre les mains de l'armée française et fut livré au général de La Trémoille : nous sommes à Loches. Après diverses geôles, il échoua en 1504 dans celles du château de cette ville, où il termina sa vie en 1508. Le mystère de ses cendres reste entier, bien qu'Alter veuille à tout prix qu'il ait été transféré à Milan où il reposerait aux côtés de Béatrice d'Este.


On sait qu'il existe à la chartreuse de Pavie un cénotaphe, vide par définition, que Sforza commanda de son vivant mais où aucun des deux époux ne repose. Il semblerait que les Milanais, qui ne l'ont jamais reconnu comme duc de leur ville, n'aient pas voulu de son corps et les édiles de Loches prévoient de faire analyser les quelques pierres tombales anonymes de leur église pour tenter d'identifier ces restes disparus. L'idée, menée en collaboration avec la ville Vigevano, la ville natale du Duc, est d'attirer à Loches un public touristique italien, qui aime déjà bien aller à Amboise pour y honorer la mémoire de Vinci !

Comme pour les Caravage, les suspicions sont sérieuses et les arguments ne manquent pas : Sforza est mort à Loches, les milanais ont refusé ses cendres et il faut bien qu'il soit enterré quelque part. Mais l'affaire reste confuse : on parle d'un transfert tardif à Milan, puis en 1564 d'une récupération par les chartreux pour en éviter la destruction. On soupçonne aussi que ces restes puissent avoir été enterrés au couvent des dominicains de Tarascon.... sauf que "Pendant la révolution, le couvent fut partiellement mis en vente. Plusieurs propriétaires devaient se succéder jusqu’en 1825, date à laquelle la Commune, avec l’accord de Charles X, racheta l’église pour en faire un théâtre". Auquel cas la tombe aurait disparu. On avance enfin que les restes de Sforza, enterrés à Loches, auraient été exhumés et détruits par les révolutionnaires. Bref, la municipalité de Loches, pas en veine d'"invention" * de trésor **, a décidé de tenter le tout pour le tout, et nous saurons bientôt si Sforza repose à la Collégiale Saint Ours.



Le donjon, dont Loches est très fier, pompeusement renommé Tour Louis XI, ressemble à s'y méprendre, en plus mauvais état et en plus petit, à celui de Pons (photo de droite !). On y constate, dans l’art tout nouveau de l’architecture militaire, une continuité remarquable, dès lors que ces ouvrages se devaient d’être solides et protecteurs. Mêmes murs raidis par des lésènes, ouvertures rares, hauteur impressionnante... C’est ici que Louis y emprisonna pas mal de monde, tous les graffitis croisés de ci de là étant finalement la trace de leur angoisse et de leur ennui. Les prisonniers les plus célèbres restant le Cardinal Ballue et Philippe de Commynes, cloitrés dans ces cages de haute réputation, dont la description, aggravée d’un imaginaire colporté de siècle en siècle sans trop de rigueur documentaire, a laissé dans nos mémoires des traces indélébiles.


Pensez !! des cages de fer dans lesquels, nous disait-on, il fallait vivre courbé, suspendues au-dessus d'un sol humide et froid. Soigneusement reconstituées à l’aide de documents d’archive, il apparait qu’elles ne sont pas si terrifiantes que cela, d’une taille et d’une hauteur correcte : il s’agit plutôt d’une chambre de bois bardée de fer, pourvue d’un emplacement qui fait office de lieu d’aisance, le tout posé dans la cellule principale, afin sans doute, de rendre l’évasion plus compliquée. Comme si les portes n'étaient pas assez sûres et les murs suffisamment épais ! La trahison ne payait pas sous Louis XI et la légende a fait le reste !
 La cage reconstituée, en bas, d'après des documents anciens, peut-être un peu fantaisistes ??


* au sens "classique" = "Découvrir quelque chose jusqu'alors inconnu (trésor, relique, objet perdu, etc.) : Inventer le tombeau d'un pharaon." selon le Larousse
** « C'est ce genre d'histoire merveilleuse qui fait vivre les pierres, qui rend attractive notre ville aux touristes », s'enthousiasme Jean-Jacques Descamps, le maire. Enthousiasme que tempère l'opposition en proposant d'attendre de prochains travaux, inévitables, pour en profiter pour réaliser ces analyses.

6 commentaires:

  1. Je ne sais pourquoi les graffitis m'ont toujours émue, sans doute parce qu'ils renvoient à des personnes ayant existé. Il y a une semaine j'ai visité, à nouveau, le château de Tarascon, et là aussi les prisonniers ont laissé leur trace. Mais il reste bien moins de l'ancienne prison qu'ici, à part les murs.
    J'aime beaucoup la présentation des photos.

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    1. Merci Françoise pour ce témoignage... oui les graffitis nous renvoient à des gens qui ont vécu, ont été là avant nous, dans le même lieu et ont voulu exprimer leur joie, leur souffrance, leurs doutes, leurs convictions. Mais les graveurs 2012, qui feront cet effet aux visiteurs 2512, sont un peu énervants non ???

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  2. Merci de la decouverte de votre pays,c est vraiment magnifique !

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    1. Merci Nefertiti, c'est surtout marrant toutes ces inscriptions ! voire, comme le dit Françoise, émouvant...

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  3. Toutes ces photos sont très belles. Il y en a deux qui m'amusent c'est le cheminement pour les toilettes. C'est tout de même un drôle d'endroit, j'espère que cette armure est vide ??? Et évidemment la sortie de secours. Pour les témoignages gravés jadis dans la pierre je dis "chapeau et respect" car même si le châtiment était en rapport avec le crime pour certains, pour d'autres ce n'était qu'une façon de neutraliser les gênants. Comment transmettre leurs souffrances aux générations futures sinon de les graver.
    Mais pour les horreurs contemporaines je dis : Non !!! Assez de ce soit disant "art" qui dégrade nos plus beaux monuments et qui parfois les abime à tout jamais. Voilà ça m'énerve aussi. Belle journée quand même.

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  4. Ah... nous sommes bien d accord Mireille
    ... l'amour éternel d axel et paola...???? Éternel va savoir ... ne mérite pas la gravure en ces lieux porteurs de gravité et de souffrances.

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