samedi 6 octobre 2012

CORPS ET OMBRES : MONTPELLIER : CARAVAGE

Suite de : 

C'est parfois affligeant de visiter les expos : si l'on se réjouit d'y trouver un public nombreux car c'est à ce prix que ces événements sont organisés, il vaudrait mieux parfois être sourd pour ne pas entendre les commentaires consternants de certains égarés, venus là parce que c'est "l'expo à voir". Entre la brave dame qui déclare à sa copine "Je suis déçue, ils en font toute une histoire, mais y a nettement moins de choses qu'au Louvre... t'es déjà allée au Louvre ?" et celle qui se plaint "Tu te rends compte, y a qu'une salle de Caravage, c'est vraiment pas beaucoup, je trouve qu'ils exagèrent", on a vraiment envie de "chausser" des boules Quiès !!! Et de répondre à la première qu'une pareille manifestation,  c'est presque dix ans de travail, des toiles repérées, empruntées, restaurées, prêtées, transportées, assurées, des échanges comme nous le disait Eimelle dans son commentaire, pour compenser les oeuvres "parties", des analyses faites, un énorme catalogue réalisé, la collaboration exceptionnelle entre 26 musées, une synthèse ensuite qui partira de l'autre côté de l'Atlantique. Bref, un énorme travail que la lecture des cartouches de l'exposition raconte à demis mots : toutes les villes de France, Chicago, San Francisco, Raleigh, Ottawa, Saint-Louis, Florence, Gênes, j'en passe et de plus exotiques ! Au total 140 toiles offertes à notre contemplation et qui méritent mieux que ce jugement expéditif et ces râleries un peu trop "françaises" !


Quant à la seconde il faudrait lui rappeler qu'on ne connait de Caravage que 60 toiles, dont certaines par définition intransportables (celles de Saint Louis des Français ou de Santa Maria del Popolo) et qu'en avoir réuni 10 dans cette exposition c'est déjà un exploit qui mérite d'être salué ! On a rarement connu pareille aubaine en France. Nous avons visité ce printemps une superbe exposition à Rome intitulée "Rome au temps du Caravage" qui n'en présentait qu'une, et encore, de récente attribution et contestée par la critique !!



Car l'exposition de Montpellier présente en effet, dans les deux premières salles, dix toiles du maitre, enfin soyons honnêtes, neuf autographes, la dernière étant une copie de sa Madeleine en extase par Louis Finson, qui vient de Marseille.


Outre les peintures généreusement prêtées par Florence (Jeune homme mordu par un lézard, l'Amour endormi et le Sacrifice d'Isaac), qu'on a déjà vues et qu'on revoit toujours avec plaisir, outre l'admirable Flagellation du Christ du musée de Rouen qui est sans doute un des plus beaux Caravage de province, on a l'insigne chance d'y admirer des peintures américaines de premier ordre.


Si le Reniement de Saint Pierre de Metropolitan de New York n'est pas un de ses chefs d’œuvres, l'Extase de Saint François de Hartford est une peinture inoubliable.


Il se dégage de cette toile une poésie, une indicible douceur, une intensité spirituelle qui, à elles seules, valaient le voyage. La peinture est datée du début de la carrière de l'artiste et il se dégage de cette œuvre qui marque les débuts du maitre dans la peinture religieuse une atmosphère d'une grande spiritualité. Tout est dans le jeu de la lumière dont l'artiste fait une utilisation très inspirée. La scène se déroule sur fond de ciel de nuit, strié des premières lueurs de l'aube. Surnaturelle, et presque mystérieuse, la lumière, qui prend sa source à l'extérieur du tableau, jaillit du haut, à gauche.


Elle vient frapper la partie gauche du visage de l'ange, glisse le long du voile léger qui le pare, et ricoche de place en place : l'épaule gauche de l'ange, le visage qui s'éveille d'un long étourdissement du saint, sa main droite, le genou de l'ange et jusqu'à son orteil... elle court comme une eau vive qui ruisselle sur les rochers. Et doucement, presque langoureusement, elle s'écoule vers la gauche, atténuée, assourdie sur la robe de bure du saint patron des franciscains. L'expression de ce dernier, ni souffrante ni extatique, simplement éblouie, relève d'une expérience mystique ineffable, douce et puissante, que le spectateur est invité à partager. Du très grand art !


Un autre Saint François, en méditation celui-là, provient de Crémone. D'une composition audacieuse, resserré sur la partie inférieure de la toile, il illustre le passage de la vie du Saint relaté par Bonaventure : retiré à la fin de sa vie sur La Verna, François entend une voix qui lui révèle que le Ciel lui communiquera la volonté de Dieu quand il ouvrira la Bible. Le Saint tombe alors trois fois sur le passage concernant la Passion du Christ, le confortant dans sa volonté d'imiter Jésus jusqu'à la mort.


Le personnage décrit par Caravage est agenouillé à même le sol, légèrement déporté vers la gauche, le menton appuyé sur ses mains jointes. A ses pieds, un livre, appuyé sur un crâne, est maintenu ouvert par un crucifix : ces objets disent l''idéal de pauvreté et d'humilité auquel s'adonne le saint et auquel le spectateur doit aspirer.


L'Ecce Homo de Gênes n'est convainquant qu'en partie ! autant la partie gauche du tableau semble authentique, autant le personnage de droite, au geste démonstratif et aux rides marquées, trop marquées, Pilate en l'espèce, semble maladroite et peu digne de Merisi. La critique, d'ailleurs, reste divisée sur l'attribution au maître.


La dernière peinture du maître présente à l'exposition est la toile de la National Gallery, Salomé recevant la tête de Saint Jean Baptiste, une oeuvre un peu plus tardive, déjà pétrie d'obscurité et de violence contenue, particulièrement attachante à cause de la trogne obtuse et presque bestiale du bourreau, à laquelle répond en un contrepoint parfait le visage placide et énigmatique de Salomé. Au centre, le visage du Baptiste semble encore vibrant de vie.

A SUIVRE
Corps et Ombres : Montpellier fin

16 commentaires:

  1. Bonsoir Michelaise. C'est le tableau "L'Extase de Saint François" qui me parle le plus. C'est tout simplement superbe et l'ambiance y est emplie de tant de douceur et de respect autant que de mystère que l'on retient son souffle en le découvrant.
    Tu en parles très bien et les mots sont inutiles après les tiens. Merci pour ce beau partage.
    Bonne soirée et bon dimanche à toi.

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    1. Nous avons aussi passé beaucoup de temps devant cette toile, qui était aussi notre préférée, et qu'on n'est pas prêts de revoir !! Tu as raison, on retient son souffle, c'est un tableau très méditatif, très doux, très apaisant.
      Merci de ton passage, tu dois reprendre pied dans le quotidien après de si longues et belles vacances.

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  2. Flûte! J'espère que l'Ecce Homo aura réintégré le musée de Gênes avant la fin novembre car je comptais y passer quelques jours! Je crois d'ailleurs que c'est Roberto Longhi qui l'a identifié comme tel (en même temps que le saint François de Crémone qu'il considérait, dans ses accès de doutes, comme une copie fidèle). Merci en tout cas pour ce reportage enthousiaste et pour cette entrée en matière très drôle où tu t'es fait l'écho impitoyable de ses rombières aigries qui gangrènent presque systématiquement toutes les expos intéressantes!

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    1. Fin de l'expo le 25/10 je crois, donc l'Ecce Homo y sera je pense... Caravage sans Longhi serait encore dans les limbes !!
      Gangrènent, non, ne soyons pas méchants, mais qui seraient manifestement mieux ailleurs, qui s'ennuient et nous ennuient !

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  3. Ah les visiteurs des expos.... c'est parfois très drôle de s'assoir dans un coin et d'observer et d'écouter quelques minutes... enfin drôle.. ou triste...
    Bref, une certitude, cette expo là m'aurait enchantée!

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    1. Oui, un peu triste, j'avoue que je comprends pas, je ne suis pas fan de tennis et même si les médias en font leurs grands titres, même si un match est "l'événement" où il fallait être, je ne vais pas pour autant me force à y aller pour dire "j'y étais"... or les expos, c'est ça, on y va parfois pour dire "j'y étais" et, forcément, on s'ennuie ! dommage pour tout le monde, sauf que ça "fait" des entrées et ça permet de financer, donc après tout, pourquoi pas !! avec boules quiès...

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  4. "j'emporte" aussi l'extase de Saint Frnaçois !
    merci de nous faire partager cette merveilleuse exposition.
    @ bientôt...
    Josette

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    1. Décidément cette toile possède un "quelque chose" qui emporte l'adhésion.

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  5. De la compassion dans chacune des toiles. Merci Michelaise je vous souhaite à tous les deux un très bon dimanche.

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    1. Une humanité qui nous parle très fort, qu'on comprend bien ce qui est important pour mieux apprécier !

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  6. Quand on a admiré les toiles aux Capucins on a une envie folle de voir celles de Montpellier...Dommage, ce n'est pas prévu au programme de nos très grandes vacances.
    Je me contenterai de ton reportage comme toujours fort intéressant !
    A Toulouse, les toiles de Honthort ont eu ma préférence ! Et toi ?

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    1. Oui, nous avions commencé par Toulouse afin de garder Montpellier pour la bonne bouche ! Mais c'est loin... pourtant nous en avons vraiment profité ! Dommage que tu ne puisses y aller...
      A Toulouse j'ai aussi beaucoup aimé Honthorst... d'où mon article sur les chandelles. Et découvert Matthias Storm avec plaisir...

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  7. Un peu loin pour la parisienne que je suis! on peut entendre aussi ici ces commentaires idiots. L'amour endormi devrait s'appeler le "bébé mort" il me met mal à l'aise (vu autrefois à Capodimonte à Naples)

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    1. Oh tu sais, à propos de commentaires idiots, j'ai aussi entendu des petits malins s'insurger que des expositions d'une telle importance aient eu lieu en province, genre "c'est du beurre aux cochons", et là, j'avoue que mon sang n'a fait qu'un tour !! Certes nous avons l'habitude de nous déplacer de loin pour "venir voir les expos à Paris", mais tout de même, dire que nous ne méritons pas telle chance, c'est excessif non ?? Et puis, désolée, le FRAME ce sont des musées de toute la France, et ce qui est impressionnant c'est la mobilisation que cela a entraîné : sous forme d'échanges, presque tous les musées de province ont participé !! largement...
      L'amour endormi, en effet, met mal à l'aise et on a voulu y voir, parfois, un enfant mort.

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  8. Ah le catalogue quel poids ! tout a fait d'accord l' Ecce homo pause problème ! et ce ponce pilate n'est pas très catholique ! Le tableau aurait souffert pendant je ne sais quel bombardement de Gênes et aurait "subit une restauration" un peu trop forcée.
    Comment ce fait-il que le génie du Caravage fut occulté pendant près de deux siècles ?

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    1. Je crois que c'est un des plus lourds que nous ayons jamais traîné !! Avez-vous utilisé leurs sièges ?? un vrai bonheur ! au début on n'osait pas, un peu de quant à soi, mais une fois franchi la première honte, c'était génial.
      Caravage a été terriblement démodé, vois ceux qui ont suivi et qui ont changé le goût : Poussin et les autres, un classicisme de bon aloi, une vision totalement différente du monde, une approche idéalisée... bref, Caravage et ses suiveurs, ont été affreusement démodés, donc mis au rancart. L'oubli alors n'est pas loin. Il a fallu Longhi et les études forcenées qu'il a menées sur le peintre pour lui rendre de nouveau justice. Et notre époque, qui n'aime pas trop Poussin, adore Caravage !!

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