mercredi 10 octobre 2012

CORPS ET OMBRES : MONTPELLIER FIN !

Suite de : 

Montpellier, dans le cadre de l'exposition "Corps et Ombres, Caravage et les caravagesques en Europe" s'est taillé la part du lion : en effet, outre l'exposition de 10 toiles du maître, on y admire tous les caravagesques italiens, autant dire les proches du maître : Borgiani, Baglione, les compagnons de pinceau et de rixes...
Puis les italiens qui ont Saraceni et sa petite troupe d'élèves ou de porches comme Guy François, Gentileschi père et fille, Manfredi avec sa fameuse "méthode manfredienne" que reprirent en choeur Nicolas Régnier, Nicolas Tournier et Valentin de Boulogne, les français les plus caravagesques. On croise aussi Vouet, qui rapidement perdra tout teinte romaine mais, jeune, est impressionné par l'exemple de Caravage.


A côté des français, on admire aussi les espagnols : Ribera, Zurbaran, et même de façon inattendue Vélasquez... ceux qui, venus se former à Rome dans les années 1600, vont rester ou repartir chargés d'impressions, de goûts nouveaux et contribuer à la diffusion de la vision très particulière de Merisi. Le challenge des organisateurs de l'exposition consiste, très intelligemment, à chercher dans ces toiles, parfois très proches du maître, ou n'ayant gardé de lui qu'un trait qui plaisait ou qui frappait, comment le style impulsé par le Caravage, sans atelier, sans suiveur officiel, toujours en fuite ou caché, a marqué ses contemporains.
Un style qui, nous le savons, se démoda très vite car sans doute trop marqué pour perdurer, et qui disparait très rapidement des toiles de la génération suivante, plus imprégnée de classicisme. On analyse très finement les schémas qui durent, les mises en scène qui se répètent, parfois interprétées de façon totalement nouvelle, les compositions qui sont reprises comme un modèle restant vif dans l'esprit des successeurs.


Plus tard, une section intitulée "la tentation caravagesque" montre comment Asseroto, Cagnacci; Cairo, Caroselli,  Cigoli, Guido Reni, Lanfranco, Spada, Guercino lui-même, ont réinterprété les leçons du maître tout en développant leur propre personnalité. C'est parfois ténu, mais toujours repérable.

Au total une exposition très dense, que, grâce aux sièges portables que le musée met à disposition de ceux qui le demandent, nous avons pu visiter tout à loisir. Une excellente initiative ces sièges : une fois surmontée la honte de faire "papi mamie" trop fatigués pour visiter debout, on traine son siège d'une toile à l'autre, on choisit les peintures devant lesquelles il n'y a pas trop de foule et on peut admirer, commenter, ressentir sans fatigue et sans se soucier du mal aux pieds et aux jambes, qui est la plaie du visiteur de musée !!


Pour finir, l'exposition se termine, en contrepoint à la première section consacrée au Caravage, par une salle dédiée à Georges de la Tour : quoique le lorrain ne puisse être classé parmi les caravagesques, sa présence dans le parcours se justifie par une certaine similitude entre les deux artistes. Tableaux connus peu nombreux (une quarantaine pour La Tour, une soixantaine pour Caravage), intérêt passionné de la part de la critique internationale, reconnaissance par le public... Quatre siècles plus tard, tous deux parlent toujours autant à nos contemporains. Artistes majeurs de leur temps tous deux, ils ont privilégié, grâce à la  simplification des procédés picturaux, la dimension humaine et spirituelle dans leurs tableaux.

Grâce à une collaboration exemplaire entre musées français et américains, on a rassemblé à Montpellier quelques-unes des toiles les plus célèbres de l'artiste appartenant à sa période diurne comme : Saint Jacques le mineur du musée Toulouse Lautrec d’Albi, le couple de Vieillards du Fine Arts Museum de San Francisco, peu vu en Europe, l’extraordinaire Vielleur de Nantes spécialement restauré pour l'occasion, ou encore le fameux Tricheur à l’as de carreau du Louvre dont la thématique replonge immédiatement les visiteurs dans la poétique caravagesque. Pour illustrer la période nocturne qui commence à émerger dans son œuvre à la fin des années 1630, sont présentés La Madeleine à la flamme fumante (Los Angeles County Museum of Art) et Le Nouveau-né (musée des Beaux-Arts de Rennes) dont le thème intrigue toujours les spécialistes.


Le cheminement de l'exposition est trop riche pour tout vous détailler ! Alors je vous propose juste une énigme, non résolue et dont aucun article, je vous le promets, ne viendra détailler une hypothétique solution ! C'est un mystère qui a beaucoup agité les critiques et autres historiens d'art à propos d'une peinture de Juseppe de Ribera qui amusait beaucoup les visiteurs. Il s'agit du "Goût", appartenant à la série des 5 sens réalisée par l'artiste lors de son séjour romain. "La vue" est à Mexico, "le toucher" à Pasadena, "l'odorat" à Madrid et "l'ouïe" dans une collection privée. "Le goût" vient d'Hartfford qui, décidément, a prêté beaucoup de toiles. Bref ! La collection entière est mentionnée par Guilio Mancini qui l'a vue dans la demeure d'un noble espagnol entre 1614 et 1621.


Il faut d'abord savoir qu'il y a une hiérarchie entre les sens : le plus "noble" est la vue que Ribera, du coup, représente avec le plus de sympathie et de dignité. Puis vient l'Ouïe, l'Odorat, le Goût et enfin le Toucher. Le goût donc, n'est pas très estimable et il est normal que l'homme qui le représente soit fruste et presque vulgaire... Quoique ??


Certes le personnage est corpulent, du type sanguin, et il est en train de boire, s’apprêtant à s'empiffrer copieusement. Pourtant, si l'on examine la façon dont il tient son verre, celle-ci n'a rien de populaire puisque cette tenue dérive des codes de bonnes manières de l'aristocratie.


Certes, il porte une chemise tachée et passablement déchirée, manifestement trop petite pour sa corpulence. Et pourtant la tenue arbore un col de dentelle digne d'un homme aisé. Sommes-nous en présence d'un valet qui "termine" les habits de son maitre ? Ou d'un noble déchu qui traverse une période difficile et se console dans la gloutonnerie  et l'ivresse ?


Pourtant, le mystère le plus intense n'est pas celui de la qualité du personnage représenté. Ce qui agite la critique, c'est la nature de ce qu'il s'apprête à engloutir. Le petit cornet d'olives, à gauche, est facile à identifier, autant que le pain et le petit cône de sel, à droite. Mais c'est ce que contient l'assiette remplie à ras bord n'est toujours pas identifié ! Certains prétendent qu'il s'agit de pâtes, plus précisément des strozzapreti alors que d'autres y voient des vermicelli !!


Or, que je sache, les premiers, les strozzapreti, certes, ont la taille requise, mais sont tordus (étranglés comme leur nom l'indique) alors que les seconds sont rarement aussi gros. Certes on peut avoir l'impression que l'ensemble est recouvert d'un fromage râpé qui pourrait jouer en faveur de la pasta !!


Longhi et d'autres, pour dire que le sujet a passionné les plus grands, y a vu des lanières de sèche coupées. Mais coupées particulièrement fines et à ce stade, la seiche devient caoutchouteuse à la cuisson !! Un autre critique a suggéré "le stentenielle" napolitains, autant dire un festin de pauvre fait d'intestins de mouton ou de chèvre ! Beurk... J'avais, quant à moi, cru voir une petite friture d'anguilles... mais il faut bien avouer qu'il n'y a pas trace d'yeux dans ces petits tubes allongés, et l'hypothèse n'est pas crédible. Libre à vous de suggérer d'autres aliments, qui sait, vous aurez peut-être droit, un jour, à la reconnaissance émue de l'histoire de l'art, pour avoir sérieusement fait progressé la recherche !!


Du coup, nous n'avons pas vu grand chose de Montpellier, où nous habitions au centre, dans une petite location kitchissime mais dont l'hôte, adorable, était vraiment accueillant (eau, jus de fruit, café à volonté, thé, et même une bouteille de Saint Chinian nous attendaient à l'arrivée), et qui offrait une terrasse sur les toits de la ville pleine de charme.


Qu'à cela ne tienne, le superbe musée Fabre, entièrement restructuré, aménagé avec goût et disposant d'espaces d'expositions, organisera forcément d'autres expositions : le conservateur semble dynamique, et nous aurons bien l'occasion de retourner à Montpellier, avec un peu plus de temps pour visiter la ville. Et nous retournerons au Welcome Montpellier, chez Gilles, l'hôte le plus souriant que nous ayons jamais eu !


DERNIERE MINUTE
SUGGESTION D'ENITRAM pour résoudre le mystère Ribéra :
des équilles (ou lançons)... imaginez les sans tête et sans queue... on n'est pas loin !!


FIN 

 



15 commentaires:

  1. Si ce sont des calmars il s'agit des tentacules !!! et pourquoi pas de pibales ?
    mais surement pas de pâtes.
    As tu vu les Soulage ?

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  2. J'ai pensé immédiatement à des pibales comme toi Robert, mais qu'a-t-on alors mis dessus ?? de l'ail écrasé ? pourquoi pas... Une visiteuse de l'exposition y voyait, elle aussi, des pibales. C'était la peinture devant laquelle les échanges étaient les plus convaincus. Tout pour la bouffe dans notre beau pays !

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    1. Tu verras dans le catalogue, puisque tu l'as, qu'il n'envisage pas le bébé anguille ! Mes informations viennent de là !!
      Non, nous n'avons pas vu les Soulage... nous avons eu juste une journée à Montpellier (arrivés un soir et repartis le surlendemain très tôt) et avons passé notre temps devant l'expo ! un peu dommage mais nous n'avons rien vu d'autre ! C'est ballot qu'on n'ait pas un tour dans la salle des Soulage...

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  3. c'est a voir car ces noirs si lumineux sont sans doute l'aboutissement extrème du caravagisme.
    Ce matin 'ai acheté des calmars... je vais faire des photos !!!! et si le peintre n'avait cherché que l'effet pictural par l'utilisation des mêmes couleurs que la chemise ?

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  4. J'ai aussi pensé à de petits poissons frits et salés abondamment. J'aurais tendance à imaginer qu'il s'agit d'un symbole, mais lequel?

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    1. Siu, ma spécialiste italienne, pense que ce sont des calmars avec, en effet, du sel ! Quant au symbole, je ne vois pas lequel... il est possible qu'il n'y en ai pas car ce n'est "qu'une" une scène de genre !

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  5. j'aurais plutôt pensé aussi à de la friture, encore un détail en tout cas que je n'aurais pas remarqué sans toi!

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    1. Un détail certes Eimelle, mais toujours pas résolu !

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  6. Oui, des équilles ou lançons auxquels on aurait couper la tête ?????
    Regrets de ne pas avoir vu cette exposition...

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    1. Ah oui, Enitram, c'est très convaincant comme hypothèse !! on leur aurait coupé la tête et la queue, ce qui expliquerait qu'un bout soit plus aplati que l'autre, plus sphérique !! allons pour les équilles...

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    2. Preuve à l'appui, j'ai ajouté une photo Enitram pour montrer combien ta suggestion mérite d'être retenue, et que les sites italiens qui reprennent en boucle "Il mangiatore di Ribera è un oste intento a consumare un piatto di pesce, seppie e calamari..." (l'art du copié collé marche aussi très bien là-bas !!) publié par Tavole d'autore de Carretta en prennent de la graine !! Ce n'est pas sur google book qu'il faut chercher ses infos ! mais bien sur Bon Sens et Déraison, où les lecteurs sont tout de même plus perspicaces que Roberto Carretta...

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    3. Par contre, et pour finir, il est intéressant que noter que l'homme serait "un oste", c'est à dire le patron d'une "osteria", taverne plus qu'auberge... définition " locale pubblico ove si mesce il vino e si servono pasti frugali"... ce qui expliquerait sa faconde, sa gourmandise et son aisance négligée, voire dépenaillée !! Et ce plat assez peu raffiné mais sans doute excellent ! (Vous reconnaissez ici ma source triestine, Siù)

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  7. Adjugé Enitram ! Mais oui, sans aucun doute... Et c'est curieux, mais j'ai eu du mal à chercher qu'est-ce que ça donne en italien, le Larousse online en ignorant par exemple totalement l'existence (aussi bien des lançons que des équilles). Mais finalement quelque part j'ai trouvé, ça s'appelle "cicerelli" (de "Gymnammodytes cicerellus") : on y évoque justemet les "cicerelli fritti", et j'avoue que je n'avais jamais entendu ce terme avant, ni vu ou mangé ces peits poissons ; alors que pour donner satisfaction à Michelaise et à sa première hypothèse, j'ai lu qu'on les appelle aussi "anguilles de sable", voilà...
    Pour finir je signe, et souligne trois fois, qu'il faut venir se documenter sur Bon Sens et Déraison, au nez et à la barbe des "experts en histoire de l'art" !

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  8. Superbes peintures, ombres et textures, merci aussi de l'atmosphère que tu nous raconte.

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    1. Merci Julie de cette visite, je suis ravie que cela vous ait plu !!

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