dimanche 28 octobre 2012

GOYA EN "SON" MUSEE de CASTRES

 Suite de :

Trois peintures de Goya au musée, œuvres offertes par le mécène Briguiboul qui, malgré sa fortune, s'endetta pour les acquérir... Elles sont devenues les fleurons de cet établissement qui, d'ailleurs, prit le nom du maître à la fin des année 40... l'hommage s'imposait.


La première est le portrait de Don Francisco del Mazo, peint en 1815. Il occupait alors le poste de premier comptable du Mont de Pitié des Caballejos Hijosdalgos de Madrid, tout en étant lié à l'Inquisition puisqu'il était aussi huissier principal du Tribunal ecclésiastique de Logroño. Il est possible que le modèle se soit fait portraiturer à l'occasion d'une promotion sociale, peut-être son anoblissement. La palette est restreinte mais les noirs profonds et la touche enlevée en font un portrait plein d'intensité. La mâchoire massive, presque proéminente du personnage, sa bouche à la moue dédaigneuse, ses yeux vifs et son nez épaté rendent avec précision la personnalité forcément énergique et avisée de del Mazo.
C'est grâce à une inscription du billet tenu dans la main droite et aussi en raison de la redingote à col haut dite "à l'anglaise", à la mode en Espagne après la chute de l'Empire Napoléonien, que l’œuvre a pu être datée des alentours de 1815. Une anecdote veut que Goya ait un jour écrit à un ami qu'il fallait payer plus cher lorsque les mains du modèle, morceau de bravoure, devaient être apparentes. Francisco del Mazo n'a pas dû payer le prix le plus élevé puisque ses mains n'apparaissent pas vraiment, l'une étant cachée par le billet et l'autre glissée dans le gilet !!


La seconde œuvre est l'émouvant autoportrait de l'artiste dit "aux lunettes". Le peintre a cinquante-trois ans ; il est au faîte de sa gloire en sa qualité, nouvelle en 1799, de premier peintre de la Chambre. Son regard, par-dessus les lunettes, trahit la presbytie. Goya aurait pu se priver de les représenter par coquetterie. Mais outre le fait qu'il en avait besoin pour peindre, cette disposition relève du regard lucide, dénué de complaisance, qu’il portait sur toute chose, y compris lui-même. La veste, de soie ou de velours vert, est négligemment ouverte sur une cravate blanche qui entoure le cou massif.  La chevelure, encore dense pour son âge, est tirée en arrière et les favoris, longs et fournis, piquetés de quelques cheveux blancs, dévoilent une oreille à peine suggérée. Les joues sont pleines, les lèvres charnues, le front haut, le menton fort et volontaire. Le regard est sombre, Goya n'y a posé aucun éclat blanc dans la prunelle ou l'iris de l’œil ! 
Par contre, des éclats de blanc sur les boutons et le devant de la veste ajoutent à la densité de la composition en jouant avec une grande économie de moyens avec la lumière.


Quand on s’arrête devant la troisième toile de Goya, immense et étrangement dénommée « La junte des Philippines », on se sent un peu accablé, voire écrasé par ce sujet a priori ingrat : l’assemblée générale d’une quelconque compagnie de marchands, présentée frontalement, de façon totalement, voire sinistrement, symétrique, et coupée en fond par une assemblée de fantoches alignés comme les têtes ébahies d’un jeu de massacre. On étouffe un bâillement, et puis on tente de se motiver, enfin diable, c’est un Goya, il faut s’appliquer un peu.
Pourtant, quand on découvre les secrets de cette toile étonnante, on doit bien s’avouer que le génie, fut-il au service d’une cause perdue, reste un élément incontournable.


C’est le 7 mai 1881 que Marcel Briguiboul acquit cette toile, cachée et oubliée depuis un siècle. Fondée en 1785, la Compagnie des Philippines défendait les intérêts mercantiles des négociants espagnols en Extrême Orient et elle tenait chaque année son assemblée générale. Celle du 30 mars 1815 fut particulièrement mémorable puisque le roi Ferdinand VII vint la présider. Parmi les membres du bureau se trouvait le président de la Compagnie, Miguel de Lardizabal, ardent patriote, partisan loyal de Ferdinand durant l’occupation française et, de surcroît ministre des Indes. C’est à lui que la Compagnie demande, 15 jours après ce moment « historique » d’immortaliser l’événement en commandant à Goya un tableau commémoratif. Le 20 avril, Lardizabal donnait son accord et contactait le peintre pour lui passer commande.



Mais il en va des carrières comme du soutien des puissants, Lardizabal déplut et, en septembre de la même année, il fut exilé par son souverain. Du coup, le peintre, sans doute en accord avec ses commanditaires, ne put le représenter aux côtés du roi, et il le plaça, de façon un peu provocatrice, dans l’embrasure d’une porte, sur la gauche du tableau. Dès lors, la toile devint gênante, voire critique, et elle disparut pendant plus d’un siècle. Il faut avouer que Goya, non content d’avoir marqué, par la présence de Lardizabal, une certaine méfiance à l’égard du pouvoir royal, en rajoute dans la critique implicite. Il n’est qu’à contempler ce jeu de sinistres marionnettes, alignées comme pour un jeu de massacre où l’on manierait volontiers la balle pour les faire tomber !


Face au retour d’exil de Ferdinand VII et à la réaction absolutiste de 1815, le peintre, attaché aux idées libérales et aux Lumières, met en scène une véritable assemblée de personnages aussi impersonnelle que le cadre vaguement calamiteux dans lequel il a placé la réunion. Grâce à une palette restreinte d’ocres et de gris diversement colorés, il baigne l’ensemble dans une ambiance de pénombre aux tons étouffés, rendant à la perfection la subtile atmosphère feutrée et éteinte de la piteuse salle d’apparat.


Les obliques du tapis et de la fenêtre convergent vers le roi, pendant que de part et d’autre du tableau, il pose les groupes de courtisans, détaillés avec une acuité extrême. Agités, assoupis, un peu veules, les actionnaires en titre forment une brochette assez désespérante d’humanité flatteuse et  de flagorneurs obséquieux. 


C’est la lumière qui tient ici le premier rôle : jaillissant de l’embrasure blanche de gauche, elle s’écoule vers le sol, caresse le superbe tapis d’Orient (forcément !!) effleure sans concession le roi et les personnages du bureau, et ricoche, faussement innocente, sur le ministre déchu, débout sur la gauche de la composition.

 
Il eut fallu être bien aveugle pour ne pas voir dans cette toile, croquée avec une étonnante modernité, sans détail superflu, la critique à peine déguisée d’un absolutisme imbécile et de la veulerie des courtisans. Seuls les caricaturistes anglais ont osé traiter le pouvoir avec autant d’irrespect.

Le peintre connaît dès lors, une période de plus en plus sombre. Certes, il conserve sa place de Premier peintre de la Chambre, mais s’alarme de la réaction absolutiste qui ne cesse de s’aggraver. Inquiété par l'Inquisition pour avoir peint la La Maja nue, frappé à nouveau par la maladie qui l'avait laissé sourd, écœuré par la politique réactionnaire de son roi, Goya fixe ses angoisses et ses désillusions dans les fameuses Peintures noires dont il décora les parois de la « maison du sourd » (située dans les environs de Madrid et achetée par le peintre en 1819). Et en 1824, il prétexte un voyage de santé et vient définitivement se fixer à Bordeaux où il meurt en 1828. Ville qui se fait une gloire de la présence du maitre en ses murs durant quelques années, au point que je croyais, jeune fille, que Goya était tout simplement bordelais !


Je parlais au début de ce billet du génie de l’artiste, génie au service d’une critique sociale toujours présente, une intense puissance de suggestion étayée par une parfaite maîtrise de la couleur et de l’espace. Son œuvre ne peut jamais laisser indifférent, même dans un tableau aussi peu affriolant !

Pour le reste le musée possède 4 séries gravées complètes du maître : la Tauromachie, les Désastres de la Guerre, les Caprices et les Proverbes. Ces gravures, fragiles, ne sont pourtant pas exposées en permanence, mais par roulement et seulement de manière exceptionnelle. Comme, par exemple, quand nous y sommes passés, étaient exposés les Caprices dans le cadre d'une exposition temporaire "La conquête d'un rêve éveillé : Hybrides et Chimères à Castres"... Mais c'est, encore une fois, une autre histoire.

A SUIVRE
Castres : Francisco Pacheco le maitre de Velasquez
Castres : la conquête d'un rêve éveillé : Hybrides et Chimères

3 commentaires:

  1. Et voilà! Je viens de passer une (petite) heure a lire et relire ton "cours" sur Goya et à m'arracher la vue sur les détails.
    Mais ne t'inquiètes pas je ne t'en veux pas bien au contraire.
    Et tout d'abord chapeau pour le mécène et puis bravo à toi car pour moi Goya était un mystère, je nageais dans un obscurantisme complet à son sujet.
    Grâce à toi mon horizon s'élargit et ton analyse de la troisième œuvre et un petit bijou de précision teinté d'un humour délicieux.
    Le paragraphe présentant le sujet m'a fait éclater de rire et, si tout le monde pouvait parler de l'art comme toi, les musées de province n'auraient plus de soucis de trésorerie.
    Mais tout de même en dehors de l'humour tout est si bien expliqué et documenté que, s'en avoir la prétention d'avoir tout compris j'ai déjà bien avancé.
    Merci Michelaise. Bisous et belle soirée.

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    1. Sans avoir bien sûr et non pas s'en avoir. Mais je pense que ce ne doit pas être la seule faute. Promis la prochaine fois je me relis.

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  2. Oh Mireille ... si tu savais combien ton commentaire me touche. Car c'est EXACTEMENT ce que j essaie de faire : montrer que l'art et les musées ne sont pas une affaire de specialistes et n'ont rien de rebarbatif. Qu'ils demandent juste du temps et de la curiosité ... on est alors certain d'y trouver du plaisir ... et, en la matière cette fichue "compagnie des philippined" est emblématique ... on croise rarement des toiles aussi peu attirantes au premier abord. Et pourtant c'est passionnant

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