lundi 11 février 2013

MORT DE HONTE

Petit retour sur Rome :
 ...Tout n'est pas toujours beau à Rome


En remontant la via del Quirinale vers le carrefour des Quatre Fontaines et en continuant le long de la via XX Settembre, l'amateur d'art baroque ne sait plus où donner de la tête. Il va de chef d’œuvre en émerveillement, de découverte en surprise, de perfection en apothéose. 




Il croise Bernin, Borromini, Maderno et se laisse envoûter par les envolées lyriques de marbres et de pierres que ces virtuoses ont conjuguées pour lui ! C'est la Contre-Réforme triomphante dans tout ce qu'elle a de plus spectaculaire, armée d'une insurmontable certitude qui fait de la beauté une évidence pour la plus grande gloire de Dieu. 


Il marche le nez en l'air pour contempler les frontons qui ondulent sur le ciel toujours complice de Rome, il caresse les marbres, se noie dans les bras des anges, il se laisse prendre aux vertiges et aux illusions de ces poètes de la pierre.


Il oublie, devant l'inénarrable "Extase de Sainte Thérèse" toutes les interprétations psychologico-sexuelles que notre époque, jamais en reste d'un anachronisme, lui a serinées à outrance, pour se laisser aller au seul et simple plaisir de contempler la beauté à l'état pur, sans arrière-pensée et sans redondance.


Ici, tout n'est que souplesse et fluidité, subtilité et délicatesse. L'ange est rieur, léger, aérien, et un rien espiègle. Son bras droit qui tient encore la flèche dont il va transpercer la sainte équilibre harmonieusement la construction en l'ouvrant sur la gauche. La sainte est renversée en arrière, les yeux mi-clos,  éblouie par une visoin radieuse et une douce douleur. Le vêtement de l'un, vaporeux, léger, vibrant, contraste avec la bure de l'autre, lourde, compacte et pourtant élégante. 


Notre visiteur, ébloui, passe de Saint André du Quirinale à Saint Charles des Quatre Fontaines et il comprend un peu mieux l'état d'esprit de ceux, qui au début du XVIIème siècle servirent l'Eglise et ses ambitions réformatrices en traçant dans le marbre l'infini des possibles. Et soudain ...


... Il s'écrase le nez sur une fontaine, sur la place même où se font face Sainte Suzanne et Sainte Marie de la Victoire, élancées, raffinées, chefs d’œuvre d'équilibre et d'harmonie réalisées par Carlo Maderno. Cette fontaine, grande, large et barrant le fond de la place, s'appelle, le nom est charmant, Fontana dell'Acqua Felice. Première désillusion : cette eau n'a rien d'heureuse mais elle porte le prénom du pape qui la fit construire, Felice Peretti. Construite par Domenico Fontana en 1587, elle est alimentée par l'aqueduc que fit construire Sixte Quint depuis les environs de Colonna et qui abreuve toutes les fontaines importantes de la ville. 


Et là, au fond de la niche conçue par Fontana, le visiteur ahuri se demande ce que c'est que cette horreur : une immense statue de Moïse, massif, surmonté de cornes dignes des vendeurs de reliques de l'époque*, semble déséquilibré vers l'arrière. 


Il tend vers le spectateur un doigt impérieux et grotesque, pendant qu'il ajuste tant bien que mal sur sa hanche les Tables de la Loi. L'ensemble est disgracieux, à la limite du ridicule et les plis pesants de la toge finissent l'alourdir cette statue insolite.


Prospero Bresciano venait de réaliser des lions pour soutenir l'obélisque du Vatican quand le Pape lui a commandé une statue pour "sa" fontaine. Une commande d'importance qui devait être son chef d’œuvre : il voulait, grâce à elle, rivaliser avec Michel-Ange. Or voilà que le sculpteur, négligeant les conseils inquiets de ses proches, entreprit de tailler la statue dans le bloc de travertin qu'il avait choisi, posé horizontalement sur le sol. 

 
Quand la figure fut redressée à la verticale, il apparut qu'elle était singulièrement déformée, et que ce malheureux Moïse défiait sans grâce toutes les lois de la perspective. Le dévoilement de la statue fut un désastre : les spectateurs assemblées accablèrent son auteur de rires et de lazzis, tant et si bien que ce dernier en conçut une honte absolue. On dit qu'il en mourut, après être tombé dans une mélancolie dont rien ne le pouvait distraire.
Quand je vous disais que le tourisme n'est pas le monde des bisounours ! On croise parfois de sacrés ratages... Paix aux cendres de Prospero Bresciano, sûr que Michel-Ange lui aura donné quelques cours particuliers dès son arrivée au Paradis ! Car il l'a bien mérité, mourir de honte est une belle preuve d'humilité.

* oui, oui, on a fait grand commerce de reliques aux 16 et 17 ème siècles et  on a proposé aux croyants des choses "incroyables" : le souffle du Christ, les poils de la barbe de Noe, l'ombilic ou le prépuce de Jésus, les présents des Rois Mages, et les cornes de Moïse.
Le plus grand collectionneur de reliques fut Frédéric III de Saxe (1463-1525) qui se procura au total 21 441 reliques dont 42 corps de saints entièrement préservés. Avec cette collection, il calcula qu'il avait totalisé 39 924 120 ans et 220 jours d'indulgences. Mais le plus drôle c'est qu'il était proche de Luther qu'il soutint, protégea et finalement, sous l'influence duquel il abandonna le culte des reliques en 1523. 

13 commentaires:

  1. Tu nous parles à nouveau de Rome le jour où toute l'attention de la chrétienté vient de se porter vers le Pape qui, lui, n'a pas eu honte de s'avouer trop vieux pour porter le faix de son lourd ministère!

    Dis, c'est vrai qu'il est hideux ce Moïse! On pourrait presque le recycler en gargouille pour éloigner les mauvais esprits!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et on nous parle d'un papabile canadien ! qui sait ?? En tout cas ce pauvre Moïse en gargouille ce ne serait pas une mauvaise idée, paix aux cendres de son auteur

      Supprimer
    2. Au Québec, on ne tient pas du tout à ce que ce soit le cardinal Marc Ouellet qui soit désigné comme prochain pape, car nous avons expérimenté son conservatisme, et ce serait encore pire que Benoît XVI!

      Supprimer
    3. Allons bon, va savoir pourquoi je me disais qu'il devait être progressiste ce cardinal canadien ... bon, on verra bien ce que nous réservera le Conclave.

      Supprimer
  2. sa tête me fait penser à Astérix ...(je me couvre de cendre)
    bonne journée Michelaise

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas de problème Josette, le sculpteur lui-même a admis sa défaite !!

      Supprimer
  3. Oui c'est vrai, il a la tete d'Astérix !! Heureusement qu'il ne l'a pas su, ça l'aurait fait mourir sur le coup...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et le pire c'est qu'il a du mal à tenir debout, sculpté couché, cela lui donne une drôle de contenance. Mais bon, ceci étant, il faut bien de la pugnacité pour trouver quelque chose de vraiment moche à Rome, tant la beauté y règne en maître

      Supprimer
  4. Rome... ses trésors, et ses surprises!
    Une belle balade en ta compagnie en tout cas!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Rome où même les horreurs sont "belles" ou en tout cas dignes d'intérêt ! Rome où l'on rêve de retourner sans cesse

      Supprimer
  5. N'est pas Michel-Ange qui veut... Et le Moïse au doigt accusateur en est la preuve vivante si j'ose dire. Ce qui m'a plus intrigué dans votre article c'est la référence aux reliques. Je passe sur les journées d'indulgence (110000 années - son crédit est encore ouvert) mais combien de Saints Prépuces trainent dans la chrétienté. Ou bien il y en a beaucoup (moins un) de faux ou bien, miracle supplémentaire il a repoussé. De plus certains on dû faire des miracles ! Merveilles de la psychologie humaine !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est l'effet placebo, effet parfaitement reconnu et admis par la science, qui implique confiance et donc sérénité !! Et quoi de plus important que la confiance ? qu'on peut, dans certains cas, qualifier de crédulité, mais qui est, toujours, bénéfique.
      Quant aux reliques, on a calculé pour certaines qu'elles permettaient de reconstituer plusieurs corps de saints. De biens innocents refuges que ces croyances... sauf bien sûr quand des margoulins en faisaient commerce. Mais là encore, rien de bien nouveau sous le soleil, l'escroquerie est sans doute un des plus vieux métiers du monde. Et elle suppose des gogos... c'est là que la confiance blesse !

      Supprimer
  6. Et nous voilà avec une toute neuve escroquerie, qui touche l'Europe. Rien à voir avec une sculpture de travers. C'est le monde avec la religion du fric qui va mal, comme tu dis chère Michelaise, ce n'est pas nouveau. Comment chasser les marchants du temple quand ils sont disséminés dans des centaines de temples é bouf.

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...