vendredi 5 avril 2013

LES BRUEGHEL AU CLOITRE DE BRAMANTE




Si vous voulez voir les détails, cliquez sur la photo !! Encadrés de rouge, les Brueghel, en bleu les Teniers et en orange les Van Kessel, tous alliés.

D'Enfer ?? De Velours ?? L'Ancien voire le Vieux ... Le Jeune ... Pierre ... Abraham... Jan et tous les autres, c'est une vraie dynastie de peintres que célèbre jusqu'au 2 juin l'exposition "Merveilles de l'art flamand" au cloître de Bramante à Rome, et ce d'autant que l'exposition montre aussi les maîtres, dont Jérôme Bosch, et les descendants, neveux (comme Jan Van Kessel) et gendres (comme David Téniers le Jeune)... Bref, une vraie leçon de généalogie pour tenter d'apprendre enfin à se repérer dans cette grande famille de peintres flamands actifs de la fin du XVIème à la fin du XVIIème. 


Une des œuvres majeures de l'exposition, prêtée par le Geneva Fine Arts Foundation, développe dans un globe lumineux surmonté d'une Passion rédemptrice, les 7 péchés capitaux. Cette sorte d'écorce terrestre qui dévoile les turpitudes de l'humanité s'abandonnant sans retenue à ses vices, est de Jérôme Bosch, et l'on retrouvera chez Pieter Brueghel une verve semblable à celle du terrible Van Aken, assez "sage" d'ailleurs dans le panneau de Genève.

 

L’orgueil : remarquez combien la femme se contemplant dans un miroir et qu'une chouette observe d'un air atterré, est peu avenante : son auto-satisfaction lui gâte le visage. Quant à la colère, c'est bien connu, elle mène à des excès parfois sanglants !


La luxure, petite scène fort convenable juchée en haut d'un piton rocheux, amène sans nul doute au 7ème ciel, mais la Crucifixion qui la surmonte rappelle au bon chrétien que de tels paradis n'ont rien d'éternel !


La Paresse semble, représentée ainsi, bien douillette, sauf que les feux de l'Enfer brûlent à deux pas de l'inconscient qui s'y adonne... Quant à la Gourmandise, si vous regardez attentivement l'air écœuré et malade, prêt à vomir, de l'homme qui vient d'avaler tout les mets de cette table sur laquelle ne trainent plus que quelques miettes, vous n'aurez définitivement plus envie de vous y abandonner !

L'envie fait faire des folies et la perspective de gagner au bonneteau (on voit le cornet du charlatan posé derrière lui) amène cette mère indigne à se dépouiller de sa belle ceinture, et, qui sait, à priver son enfant de manger : voyez l'air désolé de la gamine qui est derrière elle. Il est vraisemblable que nous ayons ici deux péchés en un, le bonimenteur figurant sans doute, avec son air sournois, l'avarice. Avarice qui est peut-être aussi représentée par la femme au-dessus qui s'admire devant des coffres pleins, alors qu'elle est d'une maigreur peu seyante. Quant au petit replet qu'un moine essaie de relever, il a peut-être succombé au péché de gourmandise, pour avoir une telle panse ... 


Autant dire que tous ces travers sont à éviter et finalement s'induisent les uns aux autres, entrainant le pêcheur inexorablement vers l'abime ...

L'exposition commence ainsi, en soulignant le lien entre Jérôme Bosch (vers 1450- vers 1516) et le premier Brueghel de la lignée, Pierre l'Ancien. Né entre 1525 et 1530, le peintre est le fils d'un peintre moins connu Pieter Coecke Van Aelst (1502-1550). Manifestement en rupture avec la mode du goût italien, fort en vogue dans les Flandres du XVIème, il est encore un homme du Moyen Age, mais son talent narratif lui a permis de nous laisser une image haute en couleur de l'homme de son temps. Certes ses codes figuratifs le rattachent à Bosch, mais on ne retrouve pas chez lui la même leçon morale que chez son illustre ancien, dont l’œuvre inspire une "terreur dévote", puisque, selon Bosch tout n'est ici-bas que tromperie diabolique ou tentations nuisibles. Pierre Brueghel, dont on connait environ 45 panneaux, a retenu du maitre une capacité d'observation et de représentation anecdotique, mais sans l'alourdir d'un message existentiel aussi pesant. Il y a plus de "sociologie" que d’eschatologie dans Brueghel l'Ancien.

Pieter Brueghel le Jeune Les idolâtres , 1592 (Maastricht, collection privée)

Pieter Brueghel le Jeune né fin 1564 ou début 1565 à Bruxelles, a à peine 4 ans quand son père meurt en 1569. On ne peut donc parler de transmission directe mais plutôt de la reprise d'un atelier resté actif après la mort du maitre grâce aux femmes, en particulier grâce à la mère de l'Ancien, Marie de Bessemers. Pieter le Jeune, formé à Anvers, va assurer la célébrité définitive de la maison Brueghel en reprenant les modèles de son père. Longtemps simple imitateur, il reprend les thèmes, voire les mises en scènes de ce dernier pour répondre à la demande des collectionneurs et c'est d'ailleurs par ces copies qu'on connait nombre de peintures disparues de Pierre l'Ancien. Puis il développe son propre vocabulaire pictural et c'est sans doute son thème favori de l'incendie qui lui vaut le surnom de  Brueghel d’Enfer. Il meurt en  1636 laissant un fils, Pieter III (1589- 1639), dont le talent ne sera pas à la hauteur de ses illustres ancêtres.

Jan van Kessel le Vieux (1626-1679), étude de papillons et autres insectes (1657), Collection privée

Jan Brueghel l'Ancien (ou Jan Brueghel l’Aîné),  nait en 1568 à Bruxelles et n'a que quelques mois à la mort du père. C'est sa grand-mère, la veuve de Pieter Coecke van Aelst, qui lui apprend la miniature et l'aquarelle. Il en gardera une fluidité de trait, une délicatesse de coloris, une finesse d'interprétation qui ne sont sans doute pas étrangères à son surnom de Brueghel de Velours. Il excellait dans les peintures de fleurs et de fruits, et, à ce titre, participait à d'autres peintures, religieuses en particulier, en se réservant la partie décorative alors que d'autres peignaient batailles, allégories ou scènes religieuses. Cette mutualisation des talents était monnaie courante dans la Flandre du début du 17ème et montre une organisation bien pensée de la pratique picturale. Il meurt en 1625, laissant une nombreuse descendance parmi laquelle on trouvera Jan Brueghel le Jeune (1601- 1678), une fille Anna qui épousera David Teniers II, dit le jeune, (1610 -1690), et une autre fille Paschasie, mère de Jan van Kessel l'Ancien (1626 - 1679), le spécialiste toutes catégories de la peinture de papillons et d'insectes.


Ambrosius Brueghel (1617-1675), Nature morte aux fleurs (1660-1665), Vermont, collection privée

L'exposition, après avoir égrené tous ces porteurs d'un goût initié par le premier d'entre eux, le grand Pieter, se termine fort opportunément par d'agréables toiles d'Abraham Brueghel, fils de Jan le Jeune. Né à Anvers en 1631, Abraham quitte les Flandres et le giron familail en 1660, pour aller s'installer d'abord à Rome où il prend le surnom de Ryngraaf, puis à Naples où il enseigne l'art du tableau de fleurs, de la nature morte de fruits et du paysage. Mais s'il reste flamand dans ses thèmes, il peindra des fleurs pour des tableaux de Luca Giordano, son style s'adoucit, s'ensoleille, devient plus sensuel, plus méditerranéen, et après cette longue dynastie flamande, on apprécie vraiment cette évolution en visitant la dernière salle qui lui est consacrée.

Autant dire, ainsi que ma première image, très austère, vous l'annonçait, que cette exposition, passionnante au demeurant mais un peu répétitive dans les thèmes et dans les rendus, se voulait essentiellement didactique. On en ressort un peu plus au parfum avec "tous ces Brueghel" qui, dans tous les musées du monde, vous prennent un peu la tête ... vous voyez "un Brueghel", ça vous en êtes sûr, mais lequel ?? Alors vous vous penchez sur le cartouche, ah, d'Enfer, euh... c'est qui celui-là déjà ?? Vous regardez les dates, et, comme vous n'avez pas une encyclopédie dans la tête, vous vous éloignez l'air pensif, plongé dans une perplexité croissante, "voyons, d'Enfer, c'est pas le Vieux, c'est sûr, c'est pas non plus celui qui fait des fleurs, vu le nom, mais c'est quelle génération ?? faut-il admirer, ou trouver ça moyen, moyen ?". Car l'ennui avec les Brueghel, c'est que plus le temps passe, plus le talent s'affadit, normal à force de reproduire des schémas qui se vendent, on finit par y perdre un peu son âme ! Et en prime, ils ont tous le même prénom, ou presque, Pieter ou Jan ...

6 commentaires:

  1. En décembre, lorsque nous en étions à préparer les fêtes, en cherchant comment illustrer mes billets dans l’esprit du moment, j’ai fait escale sur le net , juste sur l’arbre familial des Brueghel. J’étais bien loin d’imaginer une telle parentèle ! Le premier » tableau », je l’ai vu sur le couvercle d’une boîte à biscuits : noces paysannes !Enfant, j’étais tombée sous le charme, plus tard, j’ai voulu savoir et j’ai beaucoup aimé tout ce que j’ai trouvé. Mais de tous ces peintres dont tu parles, c’est, finalement the Big Bosh qui m’intrigue le plus .Je peux rester une heure devant un tableau à essayer de le décrypter…quel humour noir et quelle connaissance des travers humains !

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    1. J'adore ce premier Brueghel vu sur une boîte à biscuits !! C'est vrai que pour un enfant, les Brueghel sont fascinants, y a tant à voir ... Quant au Big Bosch tu as raison, on peut rester des heures à le contempler et à tenter, avec lui, les méandres de l'âme humaine !! Brueghel est nettement plus soft en la matière (je parle de l'Ancien, les autres, encore plus !!)

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  2. Cela me rappelle une merveilleuse exposition vue à Lille du temps où Mathusalem était jeune homme ,consacrée à Brueghel
    Le musée des Beaux Arts de Lille organise de magnifiques expositions que je manque rarement ,deux heures de route et en plus depuis quelques temps le bonheur de déjeuner avec notre puîné

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    1. Rien que pour le plaisir de déjeuner avec ton fils, Lille, ville par ailleurs fort agréable sous certains aspects, vaut le voyage.

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  3. Michel de Lyon7 avril 2013 à 20:21

    À propos des ‘Idolâtres’ de Pieter Brueghel le Jeune il serait intéressant qu’un Flamand nous donne une traduction… « Om dat door mynen sack…. » il me semble intuiter quelque chose. Je n’ai pu, excusez-moi, m’empêcher de rapprocher ce tableau d’un sonnet du Sire de Chambley, pseudonyme d’Edmond Haraucourt intitulé ‘Sonnet Honteux’ dans le petit volume qui s’appelle ‘La Légende des Sexes’ publié en 1882. Petite citation : « L’anus profond de Dieu s’ouvre sur le néant / Et, noir s’épanouit sous la garde d’un ange. / Assis au bord des cieux…. ». Je ne puis tout citer, le petit livre étant classé au rang des curiosa. Mais en substance, si j’ose dire, l’auteur nous remet à notre vraie place…. Que font-ils ces fous qui cherchent l’or dans la fange. Il est vrai que lorsque le sage montre la lune… le fou regarde le doigt.
    Michel de Lyon

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  4. Superbe amorce d'analyse des "Idolâtres" Michel et je suis ravie que ce soit vous qui l'amorciez !! Ne voulant pas toujours tout expliquer, ou tenter d'expliquer, j'avais laissé la peinture sans commentaire et je suis très contente que vous proposiez cette réflexion que une peinture qui, forcément interpelle !!! Merci pour votre efficace et judicieuse participation !

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