jeudi 11 avril 2013

TITEN ROME 2013 - Les paysages



Au début des années 1510, Titien a une petite vingtaine d'années (on ne sait pas exactement car il semble que, vieux, il ait triché sur son âge, se rajeunissant sans doute pour ne pas inquiéter ses commanditaires), et il cherche son style. 


S'inspirant tour à tour de Girgione, de Bellini, de Jérôme Bosch, voire de son confrère Lorenzo Lotto à peine plus âgé que lui, il soigne particulièrement ses paysages, et sacrifie bien volontiers à la mode qui veut qu'on construise de vrais panoramas en toile de fond de ses compositions.


Son baptême du Christ (Rome, pinacothèque capitoline - 1512) transforme gaillardement les bords du Jourdain où est sensée se représenter, la scène en étrange paysage vénitien dans un contrejour brumeux.


La grosse maison au toit très incliné, typique de la lagune, enrichie d'une muraille d'enceinte et d'une tour cylindrique se retrouve d'ailleurs dans Tobie et l'Ange de l'Académie (qui n'est pas à l'exposition) et prouve que Titien réutilisait parfois ses dessins pour ses compositions.



Sous cette bâtisse rassurante, quoiqu'inédite sur les bords du Jourdain, le paysage est animé d'une scène lugubre : complétement affolée une silhouette (peut-être un moine ?) fuit, très agitée, un champ désolé où des vautours sont en train de se partager les restes d'une carcasse animale. Une réflexion sur la renaissance que représente le Baptême, passage à une nouvelle vie dans le Christ*.



Il peut même, comme dans "Jacopo Pesaro présenté à Saint Pierre par le pape Alexandre VI"(Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers - 1512-1513) inclure un scène anecdotique qui explicite les voeux du commanditaire. Jacopo Pesaro fut nommé par le pape Borgia évêque de Pafo dans l'île de Chypre, le 3 juillet 1495. Et en avril 1501, le légat lui confia la responsabilité de commissaire des 20 galères pontificales partant en croisière contre les turcs. La flotte qu'on admire donc en fond de toile est celle du pape, alliée vaisseaux de la Serenissime et de l'Espagne qui, constituée en ligue, vainquit l'ennemi à santa Maura lors de la bataille du 23 août 1502. Le mérite en revint essentiellement à l'intervention des navires de Jacopo Pesaro, commandés par son cousin et rival Benedetto. A qui furent donc attribués fort injustement les mérites de la victoire, irritant considérablement Jacopo qui manifesta sa colère auprès du Collège vénitien. Il tenait donc expressément à ce que ses navires figurent en bonne place sur le tableau qu'il commanda à Titien, tableau où figure en bonne place son casque, symbole de la victoire dont il se considérait comme l'artisan principal.


Mais on a le sentiment, en avançant dans l’œuvre du maître, que le paysage n'est pas sa préoccupation majeure. Sa touche, on le sait, en vieillissant s'élargit, elle devient de plus en plus rapide, parfois presque suggestive. Et ses paysages s'en ressentent : ils n'ont dans la toile qu'une place manifestement secondaire, restent rares et presque toujours esquissés. On dirait plus des aquarelles et n'offrent que très rarement de références particulières. 


Certes on croise parfois Venise ((dans la Vierge en gloire d'Ancône mais elle est datée de 1520) ou les monts du Cadore, une bien excusable nostalgie de septuagénaire (dans Vénus bandant les yeux d'Amour de 1560), mais un vrai paysage, détaillé, complexe, reconnaissable comme dans la Crucifixion de l'Escorial, est rare. 


Même là, le trait est léger, "affusolato", presque transparent. Comme si Titien était plus le peintre de l'âme, des sentiments que celui de la nature. Ses toiles accordent le primat au caractère des personnages, à leurs "idées" rendues palpables par une analyse d'une intense acuité, à leurs idéaux, habilement suggérés par une position, par un accessoire, par une mimique. Et c'est sans doute cette profondeur de l'observation de l'intériorité des sujets qui rend si passionnante la visite d'une exposition Titien. Des paysages nous retiendraient moins longtemps.


Alors que là, on se trouve parfois scotché en face d'un être vieux, laid ou difforme, pas nécessairement sympathique, fasciné non par la disgrâce mais par la personnalité de l'homme portraituré. Et on prend le temps de faire sa connaissance, de le jauger, de l'apprécier.


Quitte à, parfois, laisser glisser le regard vers la trouée suggestive de la fenêtre, comme dans le portrait du doge Venier (Madrid Musée Thyssen, 1555) où s'ouvre "un des plus beaux paysages de Titien" selon Briganti. Une vision fantomatique d'un incendie dans le lointain, sans doute voulue comme une allusion au pouvoir de Venise et à sa réaction contre les turcs. Cela pourrait être une vue de la côte des Pouilles. On propose même Vieste, en relation avec un épisode survenu durant l'été 1554, quand le corsaire Dragut, au service de Soliman, prit d'assaut la ville, provoquant de graves torts aux vénitiens en relations commerciales et financières avec les Pouilles. La politique de la Serenissime étant d'éviter les contacts directs avec, ou plutôt contre, les turcs, il ne restait plus au doge Venier que le recours à la voie diplomatique. Ceci fut efficace puisque, dans l'année qui suivit, Dragut partit continuer ses exactions sur la côte tyrrhénienne et abandonna les côtes adriatiques.

FIN


* Par le baptême, nous rejouons le scénario de notre création : en Genèse 1, nous voyons l'univers et la vie émerger de l'océan primordial, des eaux mortes, figure du néant. Scénario, donc, de notre naissance... Cette seconde naissance s'opère dans la foi, c'est-à-dire dans la confiance en la volonté d'amour du « géniteur », Dieu. Elle réalise donc une renonciation totale à ce qu'il peut y avoir de défiance dans l'accueil de la « première » naissance. Renoncer à « Satan, ses pompes et ses oeuvres », c'est renoncer à la foi en la mort. (ici)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...