mercredi 22 mai 2013

LA VILLA ET L'ANTI VILLA (1) : LE PRINCIPE DE LA VILLA

Presque toutes les photos qui illustrent cet article sont celles de la villa Pisani à Stra, la "reine des villas vénitiennes"

C'est encore sur un pressant conseil des voyageurs "aux goûts identiques aux nôtres" (vous remarquez combien l'affaire est assez rare pour qu'on s'en étonne encore) que nous avions décidé en ce dernier dimanche de séjour en Vénétie  d'aller faire une petite virée dans les Monts Euganéens pour visiter la villa Olcese à Torreglia. Ce jour-là, il pleuvait un peu mais le temps n'avait rien de désagréable, et nous avons commencé notre périple par Monselice. C'est là que nous avons vu l'affiche annonçant une journée exceptionnelle de réouverture des jardins de la villa, non justement du château del Catajo (à Battaglia).


Vous savez peut-être ce qu'il en est dans cette région riche en demeures patriciennes : on sillonne les routes les sens en alerte, le guide à la main et le GPS en action : car des villas, il y en a absolument partout. Il suffit de les identifier et de les admirer, presque toujours de l'extérieur, car toutes sont plus ou moins privées. Celles qui se visitent se comptent sur les doigts d'une main et, justement, l'affiche indiquait une visite. Alors nous avons mis le cap sur ce fameux château. Et bien nous en prit, car non content d'être passionnant et spectaculaire, il présentait ce caractère hors norme de "château" et non de "villa", qui était comme une exception qui confirme la règle et surtout, la met en valeur !


La villa vénitienne* correspond à une organisation économique et politique liée à l'activité et aux particularités de la Sérénissime. La ville, à l'apogée de sa gloire et de sa puissance maritime, délaisse son commerce avec l'Orient. Elle engage des fortunes considérables pour développer l'arrière-pays par "des investissements fonciers dont la rente atteint des niveaux de plus en plus élevés"**.


Au milieu du XVème siècle, cette fièvre du bâtiment gagne le patriarcat vénitien qui achète à tout va des propriétés rurales, régissant l'ensemble des activités agraires.  Au début du XVIème, sous l'influence de la Renaissance vénitienne (pensez à Bembo !) les fermes se changent en palais, ou au moins en demeures de villégiature, joignant ainsi l'utile à l'agréable. Ce sont des établissements de rapport, mais aussi de détente et parfois, de représentation.

Gravé dans le marbre, le tarif des péages décrétés par le Sénat Vénitien en 1613 (à Moranzano) : les barques pour Padoue devront payer aux portes L.-f.12... barques de Lizzafusina et Marghera L.-f.8...barques avec un chargement L.-f.10... Gondoles L.-f.4...

La noblesse vénitienne en burchiello, élégants et confortables bateaux faisant office de salons flottants, remonte le cours de la Brenta. Partis de la place Saint Marc, ils traversent la lagune puis remontent le Brenta à partir de Fusina, traversent Moranzani, Malcontenta, Oriagi, Mira, Dolo, Fiesso d'Artico, Stra et Noventa avant d'arriver à Padoue. C'est donc tout naturellement autour de cette voie d'eau, fort largement fréquentée par de nombreuses autres embarcations, et doublée d'un réseau terrestre où se croisent chariots, charrettes, carrosses et chevaux de traits, que les grandes propriétés, bientôt embellies de superbes villas, vont se développer.


Du point de vue économique, on peut distinguer deux types essentiels de villas : 
- la "ferme", véritable entreprise agricole autosuffisante qui, ensuit,e commercialise les produits en excès
- la villa, décrite par Leon Battista Alberti comme une demeure de plaisir, lieu de retraite et de repos
... les deux finissant par se rejoindre et se conjuguer au fil du temps. L'attrait pour ces établissements trouve son origine dans la volonté de produire, d'en tirer des profits***, puis par une attirance vers la campagne, naturelle ou sophistiquée, où l'on venait passer l'été (les premières villas vénitiennes n'ont même de cheminée car on n'y venait qu'aux beaux jours), et enfin par le désir d'avoir un lieu prestigieux pour inviter des personnages importants.





Elle prend alors un caractère de "représentation" qui entraîne souvent son agrandissement et son embellissement par des fresques décoratives et allégoriques. Les premières sont en effet, du moins en ce qui concerne la partie "noble" à proprement parler, assez modestes. Les bâtiments agricoles, les granges, greniers, hangars et autres "barchesse" y semblent démesurés par rapport à l'habitation. On sent que ce qui prévaut est le souci de disposer d'une installation agricole complète et riche.


Autour de la ferme, l'idée est de recréer une sorte d'habitation fortifiée, ou au moins, bien fermée sur elle-même dans un but de protection. Mais très vite on abandonne ces impératifs, pour développer les constructions selon un schéma plus inspiré du palais vénitien. Palladio fixera de manière durable le plan avec un salon central passant, en "T", identifiable sur la façade par un péristyle à colonnes ioniques, donnant sur une loggia ouverte, surmonté d'un tympan triangulaire et vers lequel on monte par un majestueux escalier.

La ca' Foscari, dite la Malcontenta, à Fusina. Selon la légende la famille Foscari aurait relégué dans cette célèvre villa palladienne une jeune fille "malcontenta", malheureuse d'y habiter. L'allure un peu mélancolique des lieux vient étayer cette histoire. Pourtant il semble bien plus vraisemblable que l'origine du mot provienne du fait qu'au XVème et jusqu'à la date de construction de la villa (1550) les eaux de la Brenta coulaient en cet endroit avec impétuosité et qu'elles étaient difficiles à contenir : "male contempta".

Mais si le modèle palladien fut très en vogue et longtemps copié, toutes les formes de plans s'offrent à nous, tant les villas sont nombreuses, remaniées, interprétées et diverses. L'ensemble est très ouvert, toujours plaisant et invitant à la détente et à la fête.


Les bâtiments annexes, gloriettes, serres, écuries etc se multiplient, les jardins s'enrichissent, on remplace les plantes légumières par des arbustes d'ornement et des parterres de fleurs, toute s'oriente vers une demeure de plaisirs, de fêtes et de réception, souvent fort prestigieuse.


A SUIVRE


* Villa vénitienne qu'on trouve aux environs de Venise, certes, mais aussi de Belluno, de Padoue, de Vicence, de Trévise, de Rovigo, de Vérone voire jusqu'à Udine...

** A.Canova, Ville Venete, Treviso 1984.

*** la difficulté grandissante du commerce maritime, due aux changements de routes à la suite des nouvelles découvertes géographiques et à la conquête de Constantinople par les turcs, la disponibilité de grandes terres amendables, et l'augmentation des prix agricoles au début du XVIème, ont été déterminants.


13 commentaires:

  1. Et bien moi qui m'étais dit que j'allais mettre dorénavant le cap sur le Sud, je me rends compte que j'ai encore beaucoup à faire avec le Nord et la Vénétie! Merci pour cet article, j'ai envie de foncer à Stra! Subito!

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    1. Les villas Vénitiennes, c'est un sujet inépuisable GF, nous n'arrivons pas à en faire le tour exhaustif, c'est très attachant comme "sujet" de vadrouille !! Il faudrait avoir deux vies, bien que tu aies l'avenir devant toi !! Stra se visite, la Malcontenta aussi mais il y a en, heureusement car ce serait du stakhanovisme, il y a en assez peu qui se visitent !! les autres, il faut les traquer à travers les grilles...

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  2. c'était donc l'espagne cette année, mais il va falloir vraiment que je prévois un retour rapide en Italie, cela donne décidément très envie!

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    1. TU es plus "ouverte" que moi Eimelle, je n'arrive pas à aller en Espagne : non que je n'aime pas, mais pour y aller, il faudrait renoncer à l'Italie et là, je n'ai pas le courage, la vie est trop brève !!

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    2. Une de les "co-voyageuses" était elle beaucoup plus attirée par l'Espagne, si j'ai fini par lui faire apprécier l'Italie, elle a également réussi à me convaincre qu'il y avait de belles choses à y découvrir! Alors on alterne (enfin, un peu plus 1 tiers Espagne / deux tiers Italie!)

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    3. Ah que voilà une bonne proportion : certaines personnes ne sont pas attirées par l'Italie, persuadées qu'elles sont que c'est un pays de "ladri"... mais c'est bien de lui faire aimer le berceau de notre Art !!

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    4. Je suis comme toi Michelaise, je n'arrive pas non plus à aller en Espagne. Mais on peut trouver un bon compromis (en tout cas je l'ai trouvé) avec Naples et la présence aragonaise!!!

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    5. Alors là, parfaitement d'accord avec toi, si cela doit donner bonne conscience dans le fait de choisir toujours l'Italie et faire paraître un peu moins "borné" !! Vive Naples et la présence aragonaise

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  3. Comme j'aime découvrir ce magnifique endroit en si bonne compagnie...

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  4. L’année dernière au cours de mon séjour à Venise, des amis m'ont emmenée visiter la villa de la Malcontenta, il n'y avait personne ce jour-là, nous avons sonné à la grille, car la villa était fermée. Cette villa est une des plus belle chose que j'ai pu voir autour de Venise, le décor intérieur est somptueux et subtil, une merveille, j'ai d'ailleurs profité :-)) de l'éloignement du gardien pour prendre beaucoup de photos... Je trouve cette villa encore plus belle que la villa Pisani, incomparable par sa grandeur...

    Bises du jour Michelaise.

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    1. Nous avons aussi dû sonner à la grille, et même téléphoner au gardien, gentil mais peu empressé à venir ouvrir !! Une très belle villa en effet, la villa Pisani à Stra est fort pompeur et ne vaut que pour son gigantisme. Tu aimerais, si tu ne l'as pas vue, la villa Maser, et la villa dei Vescovi, une ambiance incroyable !!Les vraies villas palladiennes sont tout de même les plus belles !!

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  5. Quelle belle découverte que ce palais (villa) qui se mire dans l'eau comme le Taj mahal.... L'Italie semble vraiment être une terre recelant de multiples beautés...
    J'aime beaucoup les courbes de ton avant-dernière photo.
    Je m'en vais de suite découvrir la suite de ton intéressant reportage...

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