mercredi 31 juillet 2013

JEUDIS MUSICAUX ET AUTRES (juillet 2013)

concerts de septembre

Non content d'avoir des belles dispositions de directeur artistique, Yann a aussi, c'est indéniable, de grandes qualités "d'hôte" : il accueille chacun de nous comme un ami proche et attendu... du coup, comment oser rater un concert ??? La file d'attente pour écouter Laloum était à la hauteur du talent de l'artiste !

Je saluais il y a peu le talent de directeur artistique de Jean-Paul Tribout à Sarlat, insistant sur le fait que pour nous, spectateurs lambdas, ni journalistes bobos ni happy few de l'élite intellectuelle qui se pique de modernisme, le "bon goût" des programmateurs est primordial. Et, en la matière, nous devons une fière chandelle à "notre" programmateur des Jeudis Musicaux, qui nous concocte des grilles de concerts aux petits oignons, avec, toujours, des interprètes de talent. Que grâces soient, une fois de plus, rendues ici au "bon goût" de Yann Le Calvé qui nous régale pendant 4 mois !

C'est tout une logistique que ce "petit" Festival : deux sites de concert chaque jeudi, un au "nord", l'autre au "sud" (ça c'est chez nous !) et une équipe très rodée qui y fait merveille.

JEUDIS MUSICAUX DE ROYAN : Jeudi 13 juin
Récital de violon de Pierre Fouchenneret à Vaux-sur-Mer : pour un programme de sonates et partitas de Bach : ce tout jeune homme, né en 1985 à Grasse et qui fit ses études au conservatoire de Nice (qui sait, Martine le connait peut-être !)  débarque sur scène en agitant sa crinière indisciplinée, se concentre sur son instrument et se "jette" dans Bach avec l'ardeur des amoureux ! Un programme exigeant et superbe qu'il a servi avec beaucoup de fougue et d'inspiration.


JEUDIS MUSICAUX DE ROYAN : Jeudi 27 juin à Arvert
Récital de piano d'Adam Laloum : cela avait beau être le tout début de la saison, Laloum à Arvert, il nous fallait arriver assez tôt pour ne pas risquer de nous voir refouler pour cause de jauge de la salle atteinte : dans ces cas-là, les pompiers et autres autorités municipales sont imptoyables : on vous renvoie dans vos foyers sans état d'âme. Donc à 19h30, nous étions devant l'église avec notre pique-nique, ce qui nous a valu de le manger en écoutant la fin de la répétition, puis de voir sortir ce tout modeste pianiste, aussi modeste que son talent est grand. Gros comme une crevette dirait mon amie Madeleine ! Mais quelle énergie et surtout, quel souffle. La musique sort de lui comme une exaltante expression de l'âme. La sienne, et la nôtre par la même occasion. Ecouter Adam Laloum, c'est une méditation, une approche toujours renouvelée des pièces qu'il exécute, surprise et bonheur mêlés. A Arvert, il nous a "donné" un Schumann admirable et un Schubert, pourtant abominablement difficile à interpréter, absolument parfait. J'aimerais un jour l'entendre dans la nouvelle formation en trio qui a fondée avec Mi-sa Yang et Victor Julien-Laférierre : le trio "les Esprits". Nous l'avions découvert à La Roche Posay, (il était tout jeune alors et pas encore connu) en musique de chambre, et il y faisait merveille.

Les "Jeudis", c'est aussi le pot d'après concert ! Mention particulière pour le pot de Chaillevette, avec galette charentaise moelleuse aux abricots et punch bien frais !

JEUDIS MUSICAUX DE ROYAN : Jeudi 18 juillet à Semussac
Récital de piano de Claire-Marie Le Guay : cette jeune et jolie pianiste nous avait concocté un programme un peu déroutant, et paraissant de bric et de broc, sans vraie logique musicale. Et si elle excellait dans certains morceaux (elle a, en particulier, donné une interprétation absolument inoubliable de Saint François de Paule marchant sur les eaux, tellement imagée, tellement colorée qu'on se serait cru au "cinémascope" !! c'était exaltant !), d'autres pièces étaient manifestement peu préparées ou mal choisies (comme les arrangements de Bach par Busoni, pas notre tasse de thé d'ailleurs et, ce soir là presque hésitants). 

FESTIVAL DE SAINTES : Vendredi 19 juillet
Récital de piano de Bertrand Chamayou : pourtant nous sommes des aficionados de Chamayou, mais nous nous sommes ennuyés. Je peux, je crois, me permettre de le dire car j'ai souvent encensé ce pianiste (,  ou )  et je reste une inconditionnelle. Mais ce soir-là, la sauce n'a pas pris pour nous. Certes, la technique était parfaite, au-dessus de tout soupçon. Le jeu était impeccable, il n'a ménagé ni son énergie, ni les nuances de son talent. Mais nous ne l'avons pas trouvé très convaincant dans Schubert, qu'il a abordé avec un peu trop de "muscle". Quant à Wagner, rien à redire en ce qui concerne Chamayou, là c'est le compositeur qui nous laisse de marbre. Du coup, à la sortie, nous n'étions guère au diapason avec Arlette et avec Gérard, totalement enthousiastes. 



JEUDIS MUSICAUX DE ROYAN : Jeudi 25 juillet à Chaillevette
Là encore, nous avions prévu une arrivée très tôt, toujours avec pique-nique, mais bien qu'ayant plus d'une heure d'avance, nous n'étions pas les premiers, loin de là. Il faut dire que le Quatuor Hermès, que nous avons découverts à Saint Roch en parlant de coup de foudre à leur sujet... pas question de les rater donc, et notre enthousiasme s'est confirmé ! Après un quatuor de Schubert joué avec une grande intelligence du texte (on sentait, dans leur interprétation la patte de Miguel da Silva !), nous avons eu une version un peu hispanisante de l'unique quatuor de Verdi. Pleine de vivacité, très fougueuse, quoique pas assez verdienne à mon goût, mais depuis que j'ai entendu les Schumann dans l'exercice, je suis devenue très difficile (désagréable même ! car c'était tout de même très bon).


Et surtout, leur interprétation du quatuor opus 41 n°3 en la majeur de Schumann était au-dessus de toute critique ! Ce quatuor est composé de quatre personnalités parfaitement complémentaires et très bien accordées : le violoniste, Omer Bouchez, est très virtuose et très concentré, tendu parfois, mais tellement précis ! Le second violon Elise Liu a un vrai caractère et elle apporte une touche de douceur pour détendre "son" premier violon, qui est un excellent liant. J'ai, personnellement, un petit faible pour le violoncelliste, Anthony Kondo qui un son ... ouaou !! un son plein, rond, grave, puissant et surtout, toujours maîtrise. L'altiste, Yung-Hsin Chang, pourrait sembler effacée ou trop en recul : mais il ne faut pas s'y tromper, elle a vraiment quelque chose à dire et n'hésite pas à prendre la parole quand la musique le réclame. Retenez : quatuor Hermès, on va parler d'eux dans les années qui viennent !

Un bis fort original pour le quatuor Hermès : Crisantemi de Puccini, une élégie composée en 1890 pour rendre hommage à la mémoire d'Amédée de Savoie, duc d'Aoste ... moi qui suis en plein dans l'histoire des Savoie avec les Macchiaioli, j'en ai été tout chavirée ! Bien sûr la version que je vous propose n'est pas celle des Hermès.



FESTIVAL DE FONTDOUCE : Vendredi 26 juillet 2013
Pour fêter les 20 ans du Festival et pour en proclamer l'ouverture, un concert, parrainé par Philippe Cassard, tombé "en amour" du lieu, qui symbolisait la particularité de cette manifestation qui offre toujours 12 concerts : 6 de classique et 6 de jazz, le tout à raison de 2 concerts par jour.


Donc pour ce concert d'anniversaire, une première partie de jazz, avec Baptiste Trotignon pour quelques standards, des compositions personnelles et quelques improvisations sur des airs classiques (Valses de Chopin).


Puis Nathalie Dessay, accompagnée par Philippe Cassard pour une sélection très agréable de mélodies françaises : un genre désuet et charmant que j'affectionne particulièrement, c'est tellement rare, car un peu démodé. Debussy, Duparc, Poulen, Chabrier ... Mais la diva était de mauvaise humeur... la chaleur, le public bruyant, la lumière trop vive sur la "salle" (elle a réclamé un "noir salle" en riant un peu jaune puisque nous étions dehors, à 21h !!) et sa voix était fragile. Le concert a été d'une brièveté déconcertante et quelque peu frustrante, et l'on s'est dit, pour la énième fois, qu'il était stupide de notre part de courir les "noms connus", car on sait ce qui nous attend ! Pas d'émotion, juste un concert convenu. Heureusement qu'elle avait choisi des mélodies françaises, cela donnait au moins à son spectacle une authenticité de bon aloi ! On a évité les poncifs musicaux !



lundi 29 juillet 2013

PHOTOS ??? DROIT A L'IMAGE(1)

Montage réalisé à partir d'une photo personnelle et de photos "empruntées" à Autour du Puits

Finalement l'abondance d'une "chose" finit par tuer "la chose" ... mais non, je ne parle ni des haricots ni des courgettes d'Aloïs mais de sa remarque selon laquelle cette année, à Paris Plage, "il est affiché presque partout "photos interdites"". Je fais bien sûr allusion au fameux aphorisme, très "en cour" actuellement, et à l'attribution incertaine, (ou du moins contestée) "trop de communication tue l'information" ... et ce, en l'appliquant aux photos : cette manie d'interdire de photographier tout et n'importe quoi, de Paris Plage aux étals du marché, en passant par les monuments ou les musées, les concerts et les conférences, provient de la " grande peur" engendrée par le net ! Peur d'y retrouver sa photo dans une attitude peu flatteuse, peur d'être reconnu ou raillé sur la place publique. Peur surtout de ne pas maîtriser, car on ne maîtrise pas. D'où ces interdictions qui fleurent la panique et qui sont absurdes : car si les légalistes et autres "obéissants" respectent ces interdictions, ceux-là même qui, ayant quelques qualités civiques, n'auraient pas fait d'usage inconsidéré sur la toile des clichés pris, les autres, ceux dont on a à craindre l'incivisme, ne s'embarrassent pas de respecter l'interdiction. Donc, le serpent se mord la queue et l'interdiction ne sert à rien. Sauf à donner le sentiment d'une société répressive, une impression de dérive autoritaire, de prohibition aveugle... Le seul moyen de ne pas s'insurger serait de renoncer aux photos, en se disant qu'on trouvera sa vie sur le net, en citant ses sources évidemment, ou qu'on accommodera d’anciens clichés accommodés à la sauce requise. J'ai, en la matière, beau jeu de prôner l'abstinence ayant un blog de mots, et non un blog d'images, et vous l'aurez compris, cette proposition est pure provocation !

Bon d'accord je triche, ce n'est pas mon appareil mais celui d'Alter mais que voulez-vous, il fallait bien trouver une illustration pour couper ce texte indigeste et comme on m'a demandé d'enlever mon précédent coucher de soleil (voir dans les commentaires) je réutilise ce dernier à la sauce "image" !! Je voudrais vous y voir à illustrer cet article théorique !

Alors pour mieux cerner ces notions complexes, je vous propose une petite série d'articles sur le droit à l'image pour nous remettre en mémoire les notions essentielles* (Michelaise était juriste dans une autre vie !! elle n'a jamais beaucoup pratiqué, mais il lui en reste une certaine "sensibilité" !!) . Car il est fini le temps de la joyeuse insouciance des balbutiements des blogs, nous sommes cernés, traqués, surveillés... En tant que "directeur de publication" du blog dont nous sommes aussi les "éditeur"s, nous sommes tenus à un bon nombre d'obligations ! Éditeur, nous devons décliner nos nom, dénomination sociale, adresse et numéro de téléphone, faut bien qu'on nous retrouve en cas de pépin !! Pour cela, pas de souci, notre fournisseur de blog y a pourvu ! Directeur de publication, nous sommes tenus de respecter la loi sur la presse, pas de contenu diffamatoire ni injurieux, nous devons nous soumettre au droit de réponse (vivent les commentaires... à modérer sérieusement pour ne pas risquer les dérives susdites !), nous devons aussi appliquer les règles concernant les droits d'auteur (pas de citation intempestive, ou après avoir obtenu l'autorisation, c'est la propriété intellectuelle) et surtout, comme tout bon citoyen, nous devons respecter le droit des personnes, le respect de la vie privée et le droit à l'image. Je vous épargne les sanctions possibles, vous les trouverez sur la fiche de Légifrance et partout puisque c'est la loi commune que nul n'est censé ignorer, car je ne veux pas que mon article soit suivi d'une fermeture massive de blogs !! Il suffit, je le crois encore (peut-être pas pour longtemps) de faire preuve de civisme, de bon sens et de bonne éducation, pour éviter les foudres de la loi !! On n'est jamais à l'abri d'erreurs, certes, mais je veux aussi croire qu'à notre niveau de "blogueurs de bonne foi", ces erreurs sont faciles à réparer. Nous ne pouvons invoquer notre ignorance des usages mais par contre, il nous sera, je l'espère, toujours loisible d'alléguer notre intention "pure", d'arguer de notre bonne foi et de notre absence d'intention de nuire.

Il est lourd l'héritage de 68 !

Ceci étant, et avant de se pencher plus avant sur ce fameux droit à l'image, je m'interroge sur la régularité de toutes ces interdictions : qu'on vous interdise de photographier durant un concert, au motif que les clics et les lueurs de mise au point gênent les interprètes, c'est plus que normal... mais qu'on vous saute sur le râble, comme à Bordeaux, comme le font les ouvreuses quand on veut immortaliser les saluts, c'est excessif. D'autant qu'une salle de concert, selon la jurisprudence, est un lieu public ... comme une église, un magasin ou même une plage privée !! Et oui, même donnant lieu à perception d'un droit d'accès, c'est ainsi qu'en ont décidé les tribunaux. Alors Paris Plage, vous pensez ! L'interdiction d'y prendre des photos est carrément abusive et procède plus de la paranoïa ambiante - en partie justifiée par les excès de tous ordres, il faut bien l'admettre - que par un réel souci de protection de la vie privée. La construction de ce droit étant, encore, et fort heureusement, essentiellement jurisprudentielle**, il faut en la matière faire confiance au bon sens des magistrats, et ne pas céder à la tentation de vouloir tout réglementer, normaliser, enfermer dans des cadres que l'évolution des mœurs et des techniques rendent vite trop étroits et rigides. 

A SUIVRE
PHOTOS ??? BÂTIMENTS ET ŒUVRES D'ART 

* avec l'aide du cours de droit à l'image de l'Ecole des Mines de Nantes, très bien fait et à consulter pour avoir une vision synthétique de ces notions (car malgré leur ambition didactique, ces billets restent de simples bavardages), les conseils du ministère de l'Education Nationale pour le respect de la vie privée et du droit à l'image, les  textes règlementaires sur le sujet et les fiches établies par Légifrance (j'ai mis le lien pour l'article 9 mais il y a une fiche par texte). On pourra aussi lire avec profit l'article de Mathieu Croizet sur la difficile conciliation du droit à l'image avec la liberté d'expression.


** la notion de droit à l'image est apparu en 1858, soit plus de 50 ans après la rédaction du Code Civil, à l'occasion de la publication d'une photographie de l'actrice Rachel, prise sur son lit de mort et publiée dans la presse : voir ici. Rachel était une comédienne célèbre, née en 1821. Elle était donc tout jeune au moment de sa mort, 37 ans, et les journaux s'en donnèrent à coeur joie dans le sentimental, jusqu'à publier ce cliché assez morbide. C'est le tribunal civil de la Seine qui condamna cette publication en arguant que "Quelque grande que soit une artiste, quelque historique que soit un grand homme, ils ont leur vie privée distincte de leur vie publique, leur foyer domestique séparé de la scène et du forum. Ils peuvent vouloir mourir dans l'obscurité quand ils ont vécu, ou parce qu'il ont vécu, dans le triomphe". Le tribunal ordonna donc la saisie du cliché incriminé "attendu que nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d'une personne sur son lit de mort, quelle qu'ait été la célébrité de cette personne, et le plus ou moins de publicité qui se soit attaché aux actes de sa vie". (attendus cités par Liverté, Libertés Chéries et par Kay Harpa, site d'où vient aussi la photo).

samedi 27 juillet 2013

LES MACCHIAIOLI (4) : des hommes engagés

Suite de : Suite de MACCHIAIOLI (1) : le café Michelangiolo
LES MACCHIAIOLI (2) : les mécènes
LES MACCHIAIOLI (3) : LA MACCHIA


Silvestro Lega : portrait de Giuseppe Garibaldi - 1861
Le portrait est puissant : le héros est représenté grave, l'épée négligemment glissée sous le bras gauche : sa main est fine, son front, haut, souligne son air énergique. 
Modigliana Pinacoteca Silvestro Lega

C'est au début du XIXème siècle que l'on vit se former en Italie un puissant mouvement national-patriotique dont l'objectif était la création d'un Etat italien et dont l'un des mots d'ordre était "Résurrection, Risorgimento !". Mouvement cependant très divisé puisque certains voulaient une Italie monarchique fondée sur des institutions représentatives élues par un corps électoral restreint, d'autres souhaitaient une Italie fédérale sur le modèle de la Suisse, d'autres penchaient pour une centralisation rigoureuse, d'autres enfin rêvaient, dans le sillage de Mazzini, d'une Italie nouvelle, dotée d'institutions démocratiques et républicaines. La propagande orale battait son plein et le débat faisait rage partout, y compris et surtout dans les cafés. Et des dizaines de milliers de personnes, jeunes et vieux, hommes et femmes, bourgeois et gens du peuple descendaient dans la rue pour manifester, protester, lutter. Tous étaient prêts à se porter volontaires pour combattre, et ils le firent en 1848-49, en 1859 à l'occasion de la guerre franco-piémontaise contre l'Autriche, en 1860 lors de l'expédition de Garibaldi en Sicile et en Italie du Sud et enfin en 1866 lorsque le Royaume d'Italie, allié à la Prusse ferrailla contre l'Autriche pour la conquête de Venise.


Odoardo Borrani : le 26 avril 1859 - 1861
Cette toile célèbre une date importante pour les florentins : celle du 27 avril 1859, jour d'un grand soulèvement populaire pour exiger le départ du Grand Duc Léopold II.  La veille, l'Autriche avait déclaré la guerre au Royaume de Sardaigne et les florentins voulaient marcher aux côtés des Sabaudi contre l'ennemi juré de l'Italie. Une immense manifestation se déroula alors pour réclamer le départ du Grand Duc et l'instauration du drapeau tricolore. La peinture montre une jeune florentine en train de coudre, la veille de ce jour mémorable, un des étendards que brandiront les manifestants. Le vert et le blanc sont déjà réunis et, attentive, elle enfile une nouvelle aiguillée pour rajouter le rouge, celui des garibaldiens. 


Sur la table, le dé, les ciseaux, le fil rouge et sur un petit coussin quelques épingles pour raccorder les tissus. Dehors, le toit aux tuiles inégales évoque la ville, la rue, la place où l'on sera demain. La lumière pénètre doucement par la fenêtre ouverte, donnant à cette scène intime, presque bourgeoise, un caractère héroïque : au fond, dans l'ombre, une hampe attend le drapeau qui s'achève... demain sera un grand jour !
Viareggio, Istitutuo Matteucci

Tous, et parmi eux nombre de ces jeunes artistes qui animaient le mouvement des Macchiaioli : en 1848, De Tivoli et Silvestro Lega s'enrôlèrent dans le bataillon des volontaires toscans qui participèrent aux batailles de Cirtatone et de Montanara. Giovanni Fattori prit une part active aux événements politiques de Livourne. Costa s'enrôla dans la Legione Romana et combattit à Trévise, à Vicence, puis à Rome. En 1849, De Tivoli se rendit lui aussi à Rome pour y participer à la défense de la République romaine. D'autres partirent à nouveau en 1859, 1860 et 1866 : Telemaco Signorini, Guiseppe Abbati, Adriano Cecioni, Raffaello Sernesi, Diego Martelli, Federico Zandomeneghi, Odoardo Borrani. Je ne vous avais pas cité jusqu'à présent les noms des Macchiaoli mais avec cette liste vous les avez presque tous !! Sernesi n'en revint pas car blessé à la jambe alors qu'il combattait en 1866 près des garibaldiens, il fut fait prisonnier par les autrichiens et mourut à l'hôpital de Bolzano. C'est donc à bon droit que le nom de ces artistes reste lié au souvenir du Risorgimento.


Silvestro Lega : Bersaglieri avec des prisonniers autrichiens - 1861
Florence, Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti

Or, héros de l'Italie nouvelle, ils auraient dû être célébrés comme tels par le nouveau régime.. et pourtant il n'en fut rien et leur nom resta dans l'ombre, tant comme soldats que comme artistes. Sans entrer dans les détails de la subtile récupération du mouvement par une tendance très modérée du Risorgimento, il est bon de savoir que les macchiaioli firent partie des déçus et des aigris de cette "révolution". Beaucoup se sentirent "trahis" par l'issue des batailles auxquelles ils avaient si ardemment participé. Ils rêvaient d'une Italie démocratique, et celle qui s'éleva prit une forme, certes, constitutionnelle mais aussi élitiste et monarchique. Ils avaient le sentiment d'avoir combattu pour rien, et Garibaldi lui-même s'en montra très tôt, dès 1861, inquiet. Il dut même entreprendre des actions patriotiques, certes, mais illégales et fut, à deux reprises, brièvement emprisonné. Ce qui est le comble pour ce héros national, adulé de tous !


Giovanni Fattori : Garibaldi à Palerme - 1860
Viareggio, Istitutuo Matteucci

Mais surtout, il y avait Mazzini, dont tous nos artistes se sentaient fort proches. Mazzini, qui mérite aujourd'hui une place d'honneur au panthéon des pères de la patrie, fut, durant les 20 années qui suivirent l'unification du pays, traité un peu comme un gêneur, voire un paria. On ne savait qu'en faire ou qu'en dire !! Et il passa l'essentiel de sa vie hors d'Italie. L'Italie que ce grand perdant avait qualifié de "mesquine et assassine". Jeté en prison en 1870, il ne dut sa libération qu'à l'amnistie décrétée pour fêter la prise de Rome, survenue le 20 septembre. Et lorsqu'il mourut en mars 1872 à Pise, il était réfugié chez des amis sûrs, partageant ses idées, mais caché sous un nom d'emprunt, le docteur Brown, pour le protéger des services secrets.


Silvestro Lega : les derniers moments de Guiseppe Mazzini -1873
La toile n'était malheureusement pas à l'exposition mais elle est tellement impressionnante et révélatrice de cette déception qui fut celle des macchiaioli, qu'il me fallait la reproduire ici. L'homme, à l'article du trépas, est couché sur le flanc, dans un abandon qui fleure la lassitude et la désillusion. Comme s'il était prêt à se réfugier dans une paix que la vie et ses injustices lui aurait refusée. Il est sublime et pathétique, et le regard plein de tendresse que pose sur lui le peintre n'est pas apitoyé, simplement lucide : c'est le requiem d'une révolution usurpée, le dernier acte d'un idéal trahi. Ce chef d'oeuvre, longtemps passé pour perdu, fut finalement retrouvé après maintes péripéties. Lega lui-même, à l'instar de son illustre héros, fut aussi bien déçu par la vie : accablé de deuils et de maladies, il n'obtint jamais la reconnaissance et la célébrité que son talent aurait dû lui valoir.
Providence, Rhode Island School of Design, Museum of Art.

En effet, dans l'Italie enfin réunifiée, on n'avait pas encore réhabilité ce grand utopiste, que le comte de Cavour avait condamné plusieurs à mort, voulant le faire pendre haut et court sur la place publique de Gênes. Le pays apaisé, il n'était plus temps d'évoquer les ardeurs enflammées, un idéal nouveau, des joutes généreuses et les rêves d'égalité. Le temps de la "poésie" était passé, on rentrait dans une période "ordinaire" où l'économie régnait en maître. Et les héros d'hier étaient gênants !


Telemaco Signorini : Scène de hallage dans le parc des Cascine à Florence - 1864
Une vision très réaliste de la dureté du travail des pauvres en ces temps difficiles : harnachés comme des bêtes, ces hommes traînent un bateau qu'on ne voit pas, hors champ, tandis qu'à gauche la haute silhouette d'un bourgeois, accentuée par un immense haut-de-forme noir, pose comme un contre-point ironique à cette scène accablante.  Il leur tourne le dos, les ignore tout simplement, seule sa petite fille, curieuse et encore généreuse, s'inquiète de leur effort.



Tout le génie du peintre réside dans la prise de vue, au ras du sol, presque en contre-plongée : ce point de vue accentue encore la pénibilité de ce travail éreintant, les hommes sont comme enfoncés dans la terre où quelques cailloux brillent doucement. La lumière rasante suggère que la scène se passe en fin d'après-midi et l'on ne peut s'empêcher de penser qu'ils tirent ainsi depuis l''aube. 
Collection particulière

Parmi eux nos macchiaioli dont les œuvres s'étaient fait l'écho de ces chimères sociales, avec une détermination très en avance sur leur temps. Leur regard sur la réalité des campagnes toscanes, des intérieurs bourgeois ou des batailles patriotiques était par trop mélancolique et éloigné de la vogue romantique pour plaire à l'air du temps. Leurs œuvres sont sobres, sévères et presque sèches. Elles dénoncent trop souvent des paysans exténués, des soldats épuisés, des ouvriers accablés et l'hypocrisie sociale. On n'y trouve ni accortes paysannes en liesse, ni scènes champêtres idéalisées, mais plutôt des images âpres, réalistes et dérangeantes.

Giovanni Fattori : Soldat démonté - 1880
Aucune emphase dans ce tableau qui décrit, brutalement, un épisode dramatique de la vie militaire : un cavalier désarçonné est traîné par son cheval en une course forcément mortelle. L'horizon est gris, le paysage dénudé et le chemin poussiéreux s'imbibe du sang du malheureux. Rien de romantique dans cette vision, peinte 20 ans après les combats : on sent que c'est du vécu, et ça dérange !
Florence, Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti

Ayant vécu la guerre, ils ne sacrifiaient pas à la rhétorique émotive, boursouflée, belliciste et machiste très en vogue pour glorifier l'Italie unifiée. Leur regard austère sur les scènes de bataille ou de vie campagnarde semblait désenchanté, et cela leur coûta la renommée. On s'empressa de retourner leurs toiles trop limpides vers le mur et d'entasser leurs œuvres trop "vraies" dans les greniers pour laisser la place à des peintres plus plaisants, plus consensuels !
Ces hommes, courageux, ardents, enthousiastes, étaient encore et toujours "contre" : contre l'art officiel, contre l'Académie, contre les compromissions du pouvoir, contre l'imperfection de l'Italie unifiée. Ils ne devinrent pas des "artistes de cour", et beaucoup finirent leur vie pauvres ou criblés de dettes, méconnus, encombrants et fâcheux. Diego Martelli, devant la fierté jamais prise en défaut de Silvestro Lega, mazzinien de la première heure, fervent et toujours actif, fait chapeau bas "Je t'apprécie beaucoup, et je loue ta fière honnêteté. Mourons donc de faim, mais toujours en crachant à la figure du destin".


A SUIVRE
LES MACCHIAIOLI (5) : ALORS IMPRESSIONNISTES OU NON ??
BREF DICTIONNAIRE DES MACCHIAIOLI

jeudi 25 juillet 2013

SARLAT 62ÈME

En ce temps-là (dans les années 70), la Place de la Liberté s'appelait Place Royale et la plupart des pièces s'y déroulaient, paralysant le tourisme dans la ville pendant près d'un mois.Cette année,  seules deux pièces ont lieu au centre de Sarlat : les autres sont aux Enfeus ou à Sainte Claire.

Vous pensiez en avoir terminé avec le théâtre !? C'était compter sans le Festival des Jeux du Théâtre de Sarlat, 62ème du nom, et qui, pour nous, a des relents de jeunesse !! Pensez donc, Alter, il y a fort longtemps, y fut le deuxième garde de La Reine Morte et le hallebardier d'Henri IV de Pirandello... à moins que ce ne soit le contraire ! C'est aussi là qu'enfant, je découvris (je ne connaissais pourtant pas encore Alter) les plaisirs du théâtre lors de brèves mais mémorables vacances sarladaises. Autant dire que, nostalgie aidant,  nous y allons toujours avec un réel plaisir. La programmation, assurée par Jean-Paul Tribout, y est de qualité, et on y assiste à un "vrai" théâtre, moderne certes, mais sachant respecter les textes et les auteurs. Tribout a des audaces et des courages qui méritent d'être salués : comme celui de faire une "journée des auteurs", qui permet chaque année de découvrir et d'apprécier des textes forts et qui font réfléchir. On a ainsi passé une soirée délicieuse dans la cour de l'Abbaye Sainte Claire : pour commencer ...



MONTAIGNE ET LA BOETIE : L'ENQUÊTE 
de Jean-Claude Idée
Texte lu par Katia Miran, Emmanuel Dechartre et Dominique Rongvaux.
Sarlat se targue, et c'est un des hauts lieux touristiques de la ville, de posséder la maison d'Etienne de la Boétie. Logique alors de consacrer un spectacle à la lecture du récent texte que Jean-Claude Idée, metteur en scène belge, a écrit à propos de l'amitié de ces deux écrivains incontournables. J.C. Idée part de ce paradoxe selon lequel Montaigne, qui a écrit les Essais essentiellement pour promouvoir, tel un "modeste écrin", le Discours de la servitude volontaire, n'a jamais publié ce texte dans ses Essais. Pourquoi cette abstention, Idée parle de "trahison", fort intrigante alors qu'il avait promis à son ami de le faire et proclame à qui veut l'entendre sa passion pour le jeune disparu ? Présentée par l'auteur lors de l'Université Populaire du Théâtre au Centre Culturel d'Uccle, le texte mène l'enquête par l'intermédiaire de Marie de Gournay, sa "fille d'alliance", sa "secrétaire", son dernier amour. Lecture enlevée et pleine de charme qui donne envie d'en savoir plus !

Après un petit vin de noix, une assiette périgourdine et une tarte tatin, partagés autour de grandes tables dressées dans la cour de l'abbaye, une deuxième lecture, mais plus "jouée" puisque l'acteur n'avait pas le manuscrit et, accompagné d'un violoncelle, il déclamait le texte avec toute la fougue et les nuances nécessaires pour le rendre vivant. Il s'agissait de ...



LE CONTRAIRE DE L'AMOUR : journal de Mouloud Feraoun
Mise en scène : Dominique Lurcel.   Avec Samuel Churin et Marc Lauras au violoncelle. Compagnie Passeurs de Mémoires
Le premier roman de ce fils de paysans kabyles, né en 1913, devenu élève de l'école normale d’instituteurs d'Alger, à une époque où seuls 5% des enfants algériens étaient scolarisés, est paru en 1954 sous le titre "Fils du pauvre". L'année suivante, il commence un journal, qui reste intime. Mouloud Feraoun devient rapidement directeur d'école, puis inspecteur des centres sociaux à Château Royal. C'est là qu'il est assassiné par l'OAS en 1962, quelques jours seulement avant le cesse-le-feu. Son journal, qu'il a tenu presque jusqu'à la fin, raconte l'évolution du mouvement d'indépendance et, à l'intérieur de ce mouvement, sa propre évolution, son cheminement intérieur, sa conscience déchirée.



C'est ce parcours difficile, intelligent et amer, que l'acteur Samuel Churin joue pour nous, accompagné par un violoncelle qui décrit ses états d'âme changeants, son incompréhension, sa colère, et sa révolte. La violence, la mort et la déchirure sont présents à chacune de ces pages qui vont de 58 à 62 : le journal, écrit en français, dans une langue élégante et précise, s'interroge sur les raisons de l'insurrection, dit, sans emphase, la guerre au jour le jour, la peur, les exactions, dans les deux camps, les petites lâchetés et les tortures... et la mort, qui approche inexorablement.



Cet homme, dont l’administration française avait changé le nom (dans son village natal, Tizi Hibel, il appartenait à la famille Aït Chabaâne), était ami de d'Albert Camus et d'Emmanuel Roblès. Déchiré entre ses racines kabyles et sa culture française, entre la haine de toute violence et son adhésion progressive aux idées nationalistes, il nous offre, à travers ces lignes pures et honnêtes, d'une stupéfiante lucidité, une merveilleuse leçon de courage intellectuel, une superbe réflexion sur l'engagement intellectuel et l'attachement à sa terre. Un superbe spectacle, tout en nuances et en réflexions fondamentales, qui donne envie, là encore, de lire "le fils du pauvre", "La terre et le sang" et, bien sûr, son journal, publié après sa mort.  


UN SONGE D'UNE NUIT D’ÉTÉ d'après Shakespeare, mêlé à The Fairy Queen de Purcell
Mise en scène : Antoine Herbez
Avec Ariane Brousse, Ronan Debois, Jules Dousset, Ivan Herbez, Orianne Moretti, Benjamin Narvey, Alice Picaud, Gaëlle Pinheiro, Marie Salvat et Maxime de Toledo. Compagnie Ah !
"Un" songe au lieu de "Le" songe, nous étions un peu réticents ! Ces "d'après" sont souvent l'occasion pour des metteurs en scène un peu trop égocentriques, plus soucieux de se faire plaisir en réinventant tout que de servir un auteur, et nous avons appris à nous en méfier. Mais avec Antoine Herbez et la Compagnie Ah, pas de souci de cette espèce ! 


Le texte de Shakespeare, certes, est épuré, le Songe en une heure trente, avec des extraits de The Fairy Queen en sus, forcément, tout n'y est pas. Mais l'ensemble est parfaitement lisible, l'esprit de la pièce n'est nullement dénaturé et, en contrepartie, on a un spectacle totalement réjouissant ! 


Les acteurs sont parfaits, certains parlent et font des acrobaties pleines de vie, d'autres chantent (fort bien), font de la magie, jouent de la musique avec beaucoup de précision ... tous "jouent" à merveille, les costumes sont absolument magnifiques, le rythme est enlevé, l'ensemble est gai, drôle, de très bon goût et sans une minute de répit. 


Le public ne s'y est pas trompé qui a fait à la Compagnie Ah un vrai triomphe : alors n’hésitez surtout pas, si cela passe près de chez vous*, allez voir ce Songe, spectacle complet et excellent divertissement. 


Bravo à Jean-Paul Tribout pour cette programmation qui a l'audace d'être simple, le courage d'être intelligente, et l'habileté d'être classique sans être ennuyeuse ni difficile : c'est un talent aussi d'être directeur artistique, et les sarladais peuvent être fiers du leur ! On y donnait aussi "La Guerre de Troie n'aura pas lieu", et je suis persuadée que la version de Sarlat sera plus au point que celle d'Angers, et que la troupe de Francis Huster sera nettement plus à l'aise en Périgord ! Si vous êtes en vacances dans le coin, allez au Jeux du Théâtre 62ème édition, longue vie à ce Festival de qualité. 

* spectacles programmés (en espérant que d'autres scènes le programmeront sous peu):
Jeudi 8 août - 21H45
STE SUZANNE (53) Festival des Nuits de la Mayenne
Dimanche 17 (17H) et lundi 18 (14H) novembre 
BONNEUIL (94) Théâtre Gérard Philippe
Vendredi 22 novembre (20H30)
LE PERREUX (94) Centre des Bords de Marne
Vendredi 13 décembre (20H30)
ARRADON (56) Théâtre La Lucarne

mercredi 24 juillet 2013

LES MACCHIAIOLI (3) : LA MACCHIA


Vincenzo Cabianca : les Jeunes Moniales 1861
Une des toiles les plus évocatrices de l'exposition : le trait de génie de l'artiste a consisté à choisir cette composition strictement horizontale, impitoyablement coupée en son milieu par ce mur qui enclos les moniales et ne laisse deviner qu'une bande lointaine de mer. Celles de gauche, le visage protégé par leurs cornettes immaculées, regardent cet horizon avec une nostalgie paisible, tandis que leurs autres sœurs s'enfoncent vers le portail sombre de l'église en contrebas, se dirigeant vers l'office du soir. La lumière ricoche, poudroie, scintille sur les herbes et les pierres, marquant d'ombres profondes cette scène vespérale.
Viareggio, Istituto Matteucci

Le mot "macchia", que l'on traduit communément par "tache" est, en italien, polysémique et susceptible de connotations différentes selon le sens qu'on lui choisit. Il sert à désigner bien sûr une macule de couleur de taille ou de forme diverse mais aussi, une esquisse anecdotique, demeurée à l'état d'ébauche et justement, ne pouvant pas encore être qualifiée d’œuvre d'art. On imagine combien ce sens, vaguement péjoratif, plut aux détracteurs de cette nouvelle forme artistique !!
Mais macchia a un autre sens, qui séduisit sans doute les peintres de ce mouvement car il correspondait parfaitement à leur état d'esprit frondeur : macchia désigne aussi les broussailles qui poussent sur les terrains arides, et "darsi alla macchia" signifie "prendre le maquis. Perspective qui ne pouvait que réjouir ces joyeux drilles du pinceau.

La macchia telle que la présente Wikipédia sur la page de sa définition en italien : ici sur l'île d'Elbe

Pour finir, au sens figuré, macchia désigne au figuré une erreur commise, une action laide et moche, autant dire une tache morale indélébile qui salit une réputation ! Et celle des Macchiaoli était, pour les bons bourgeois amateurs d'art classique, fort sulfureuse !
Mais les Macchiaoli sont nés en Toscane et il est intéressant d'ajouter à ces sens généraux les significations du mot en patois toscan : un macchiolo, en Toscane, indique un type de limier pour la chasse au sanglier, habiles à pénétrer dans les buissons les plus épais pour y débusquer la bête sauvage. Et la race des bovins de la Maremme est quant à elle, qualifiée de macchiola. Enfin, dans la région de Florence exclusivement, le mot macchia correspond à un individu étrange, excentrique, proche de la caricature. Autant dire pas mal de sens plutôt péjoratifs !!

Giovanni Fattori (1825-1908) soldats français en 1859 - 
Quelques taches suggèrent, avec brio, les uniformes des soldats, leurs silhouettes à la manœuvre, et tout est dit !
Viareggio Istituto Matteucci

Ce fut Adriano Cecioni, un des représentants du mouvement, qui en fut le théoricien le plus lucide et bien sûr, il se réfère à l'acception la plus noble du terme : "l'art, dit-il, doit être une surprise faite à la nature dans ses moments normaux et anormaux, dans ses effets plus ou moins étranges". On remplace l'idéal de pureté et de perfection formelles qui dominent alors dans l'esthétique italienne, pour adopter une nouvelle référence, le Vrai, et l'art ne doit plus résider "dans la recherche de la forme, mais dans la manière de prendre les impressions qu'on reçoit de la vérité, au moyen de taches de couleur, de zones claires et de zones sombres, et par exemple : une seule tache de couleur pour le visage, une autre pour les cheveux, une autre, mettons, pour le fichu, ne autre pour la jaquette ou la robe, une autre pour le jupon, une autre pour les mains ou les pieds, et ainsi de suite pour le sol et le ciel".

Giovanni Fattori : la Rotonde de Palmieri 1866
Tout est ici, précisément, comme Cecioni le préconise : les crinolines suggérées dans l'ombre éclatante du tivoli sous lequel ces élégantes s'abritent ne sont qu'éclaboussures de couleur dans l'ardeur de l'été.
Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti

On ne peut être plus clair !! Il ajoute, pour faire bon poids "le crayon ou le fusain ne devraient jamais intervenir, ne fut-ce que de manière embryonnaire, dans les parties qui forment le tableau; avec la trace qu'ils laissent, le pinceau commence à travailler autrement qu'il ne le ferait si cette trace n'existait pas. Le pinceau devient alors l'esclave de cette préparation alors qu'il doit déflorer la toile et tout faire, dans la mesure du possible, du premier coup ou en une seule fois". Voici posés les principes de cette nouvelle école qui se veut spontanée et le plus proche possible du réel.
Mais, et c'est intéressant de le noter, ces peintres aimèrent aussi peindre des gardians et des bouviers, des ânes et des vaches, des scènes de chasse et des bourgs, tout ce qui les entouraient et dont ils aimaient à rendre l'ambiance, telle qu'ils la percevaient, atemporelle. Opposants et rebelles à l'Art officiel, ils vécurent longtemps dans une semi-clandestinité, une sorte de maquis, où ils étaient perçus par les paysans et autres contemporains comme des individus bizarres, voire louches !! Et "la tache" dont on se plut à les salir finit par les immortaliser, eux et leur mouvement pictural. 

Giovanni Fattori : la Sentinelle 1871
Cette toile de Fattori est presque un manifeste : le mur blanc, la déclinaison des teintes claires et aveuglantes, la simplicité de la mise en place, l'anecdotique réduit à l'essentiel, tout est limpide et fulgurant : c'est cette efficacité que revendiquaient avec lui ceux de la macchia !
Collection particulière

Tout commença pour eux par un engagement politique puisque tous rêvaient d'une nouvelle Italie, et, proches de Mazzini, ils partageaient aussi ses convictions sociales, selon lesquelles la culture constituait un élément essentiel de la nouvelle nation à construire. Mazzini prônait, certes, l'emploi du poignard et de la carabine pour arriver à ses fins, mais il était persuadé que son combat devait plonger ses racines dans l'immense tradition du pays, à commencer par Dante, revenant à une époque glorieuse que la misère des temps avait amoindrie. Et Mazzini idéalisait enfin la jeunesse, pour balayer plus efficacement tous les vieux systèmes politiques, éducatifs et militaires : dans la Giovine Italia (limite d'age 30 ans) comme plus tard dans la Giovine Europa, les meilleures intelligences démocratiques devaient se rassembler pour renverser le statu quoi et aboutir à une révoltion internationale. Engagés politiquement les jeunes artistes, qui fuyaient l'Académie Flornetine des Beaux Arts, l'étaient aussi culturellement et rêvaient d'une révolution artistique. Et cette révolution, ils la firent ! A leurs dépens malheureusement, car ceux qui ne tentèrent pas l'aventure parisienne et restèrent enracinés dans leur sol natal vécurent et moururent pauvres et décriés. Certes ils restèrent des esprits libres mais durent se contenter d'emplois subalternes, de places de second plan et reçurent fort peu de commandes prestigieuses.

Guiseppe Abbati : le Cloître de Santa Croce à Florence, 1861-1862
Quelques à-plats, fort et vigoureux et l'essentiel est posé : les blocs de pierre blanche s'entassent le long de la galerie sombre, le jeune homme est suggéré par quelques touches précises et efficaces, et l'accent de son bonnet bleu est décisif, il fait vibrer l'ensemble de cette composition minérale d'une inflexion essentielle et géniale.
Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti

Mais nous parlerons de leurs engagements et de leur fierté plus tard, revenons pour l'instant à leur théorie picturale. Ils aimaient discourir et palabrer sans cesse, ils le faisaient au café Michelangiolo, mais aussi dans la propriété de Diego Martelli à Castiglioncello où il se forma, à partir de 1861, un véritable cénacle. Au cours de ces excursions, de ces séjours à la campagne, on pouvait échanger sur le choix des sujets, les trouvailles expressives les plus originales, les nouveaux procédés techniques, la désacralisation de l'art du passé, la volonté d'inventer un nouveau style. Diego Martelli en parle en ces termes, presque héroïques : "Après 1861, on vit s'affirmer et prendre forme un mouvement de  véritable nihilisme artistique, qui réunit autour d'un projet commun de rébellion contre toutes les autorités constituées un groupe choisi de martyrs de l'idée nouvelle ; ils détruisirent peu à peu tout ce qui s'était fait et se faisait encore de faux, et transformèrent de fond en comble le sentiment et l'aspect de l'art moderne. Ce travail se fit en suivant un chemin semé d’embûches et d'épines, dans la mesure où le public était habitué aux grandes toiles miraculeuses où le mélodrame hurle l'amour de la patrie et égorge tous les tyrans. Et il ne pouvait pas comprendre ces tableaux trop modestes qui n'étaient pas des tableaux mais des études d'après nature. De son côté, le nihiliste qui s'était voué corps et âme à recherche la clé des rapports et des valeurs ne pouvait que trop eu, et même pas du tout, se préoccuper de la scène et de la bonne trouvaille pour rendre une ombre de cyprès sur un terrain éclairé par le soleil".

Guiseppe Abbati : Route toscane, après 1862
L'invention ici, ce sont ces fortes ombres portées qui strient la route : ce ne sont pas celles des arbres de la composition mais d'autres arbres, qui sont en dehors du tableau. L'ombre devient sujet à part entière.
Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti


La transparence de l'air, les points de vue toujours ouverts, souvent inattendus, les teintes franches et pourtant sourdes des paysages, des collines, tout est novateur dans cette peinture qui transcende la Toscane "leur terre heureuse, élue, douée entre toutes par la nature". Plus que le paysage c'est l'esprit des lieux qu'ils aiment à traduire. Adeptes du plein air et de la couleur claire pour mieux saisir l'instant, les macchiaoli n'éprouvent pas le besoin de fragmenter la touche pour faire vibrer la lumière : leur palette est transparente, éclatante et révèle des formes aux découpures franches. Leur temps est suspendu et, par là, éternel comme la beauté des lieux qu'ils transcrivent. Ils aiment les formations très allongées, d'une horizontalité proche du format panoramique : elles permettent d'ouvrir largement les vues et offrent la vision de vastes étendues qui invitent à la rêverie. Ils privilégient les petits formats, plus économiques et surtout plus faciles à transporter pour peindre sur le motif : leurs paysages y sont construits en notations rapides, en contrastes où alternent couleurs sombres et claires, laissant parfois par transparence le fond en réserve.

 Odoardo Borrani : charrette rouge à Castelgliocello - 1865-1866
La transparence de l'air, la mer d'un azur profond qui se découvre au loin, mettent en valeur les bœufs blancs sous le joug : dans ce détail (la peinture mesure 12.6 x 66 cm, elle est donc deux fois plus longue) de la toile de Borrani se manifeste clairement la théorie des Macchiaoli : un air sec, sans voile et sans vapeurs, qui découpe la silhouette des choses d'une façon âpre, crue et terriblement efficace ...
Viareggio Istituto Matteucci

Mais comment se fait-il que ce mouvement, théorisé par ses adeptes qui écrivirent nombres d'articles et prononcèrent à son sujet maints discours, ne connut pas de postérité et, pire, tomba quasiment dans l'oubli ?? Certains macchiaoli, à la suite des compte-rendus enthousiaste de Diego Martelli se rendirent de plus en plus souvent à Paris, d'autres, Zandomeneghi, Boldini, s'y installèrent même, aux côtés de De Nittis qui faisait alors fortune ! Ils y obtinrent une célébrité et des honneurs bien plus encourageants que ceux qu'on leur avait réservés dans leur patrie, car, alors que l'Italie oubliait ses patriotes et ses artistes, la France célébrait les siens. Peu à peu la macchia s'éteignit et commença pour ces artistes un purgatoire qui, malgré quelques expositions phares dont celle de l'Orangerie, continue encore. Beaucoup moururent sans avoir connu la gloire et dans le dénuement.

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