samedi 27 juillet 2013

LES MACCHIAIOLI (4) : des hommes engagés

Suite de : Suite de MACCHIAIOLI (1) : le café Michelangiolo
LES MACCHIAIOLI (2) : les mécènes
LES MACCHIAIOLI (3) : LA MACCHIA


Silvestro Lega : portrait de Giuseppe Garibaldi - 1861
Le portrait est puissant : le héros est représenté grave, l'épée négligemment glissée sous le bras gauche : sa main est fine, son front, haut, souligne son air énergique. 
Modigliana Pinacoteca Silvestro Lega

C'est au début du XIXème siècle que l'on vit se former en Italie un puissant mouvement national-patriotique dont l'objectif était la création d'un Etat italien et dont l'un des mots d'ordre était "Résurrection, Risorgimento !". Mouvement cependant très divisé puisque certains voulaient une Italie monarchique fondée sur des institutions représentatives élues par un corps électoral restreint, d'autres souhaitaient une Italie fédérale sur le modèle de la Suisse, d'autres penchaient pour une centralisation rigoureuse, d'autres enfin rêvaient, dans le sillage de Mazzini, d'une Italie nouvelle, dotée d'institutions démocratiques et républicaines. La propagande orale battait son plein et le débat faisait rage partout, y compris et surtout dans les cafés. Et des dizaines de milliers de personnes, jeunes et vieux, hommes et femmes, bourgeois et gens du peuple descendaient dans la rue pour manifester, protester, lutter. Tous étaient prêts à se porter volontaires pour combattre, et ils le firent en 1848-49, en 1859 à l'occasion de la guerre franco-piémontaise contre l'Autriche, en 1860 lors de l'expédition de Garibaldi en Sicile et en Italie du Sud et enfin en 1866 lorsque le Royaume d'Italie, allié à la Prusse ferrailla contre l'Autriche pour la conquête de Venise.


Odoardo Borrani : le 26 avril 1859 - 1861
Cette toile célèbre une date importante pour les florentins : celle du 27 avril 1859, jour d'un grand soulèvement populaire pour exiger le départ du Grand Duc Léopold II.  La veille, l'Autriche avait déclaré la guerre au Royaume de Sardaigne et les florentins voulaient marcher aux côtés des Sabaudi contre l'ennemi juré de l'Italie. Une immense manifestation se déroula alors pour réclamer le départ du Grand Duc et l'instauration du drapeau tricolore. La peinture montre une jeune florentine en train de coudre, la veille de ce jour mémorable, un des étendards que brandiront les manifestants. Le vert et le blanc sont déjà réunis et, attentive, elle enfile une nouvelle aiguillée pour rajouter le rouge, celui des garibaldiens. 


Sur la table, le dé, les ciseaux, le fil rouge et sur un petit coussin quelques épingles pour raccorder les tissus. Dehors, le toit aux tuiles inégales évoque la ville, la rue, la place où l'on sera demain. La lumière pénètre doucement par la fenêtre ouverte, donnant à cette scène intime, presque bourgeoise, un caractère héroïque : au fond, dans l'ombre, une hampe attend le drapeau qui s'achève... demain sera un grand jour !
Viareggio, Istitutuo Matteucci

Tous, et parmi eux nombre de ces jeunes artistes qui animaient le mouvement des Macchiaioli : en 1848, De Tivoli et Silvestro Lega s'enrôlèrent dans le bataillon des volontaires toscans qui participèrent aux batailles de Cirtatone et de Montanara. Giovanni Fattori prit une part active aux événements politiques de Livourne. Costa s'enrôla dans la Legione Romana et combattit à Trévise, à Vicence, puis à Rome. En 1849, De Tivoli se rendit lui aussi à Rome pour y participer à la défense de la République romaine. D'autres partirent à nouveau en 1859, 1860 et 1866 : Telemaco Signorini, Guiseppe Abbati, Adriano Cecioni, Raffaello Sernesi, Diego Martelli, Federico Zandomeneghi, Odoardo Borrani. Je ne vous avais pas cité jusqu'à présent les noms des Macchiaoli mais avec cette liste vous les avez presque tous !! Sernesi n'en revint pas car blessé à la jambe alors qu'il combattait en 1866 près des garibaldiens, il fut fait prisonnier par les autrichiens et mourut à l'hôpital de Bolzano. C'est donc à bon droit que le nom de ces artistes reste lié au souvenir du Risorgimento.


Silvestro Lega : Bersaglieri avec des prisonniers autrichiens - 1861
Florence, Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti

Or, héros de l'Italie nouvelle, ils auraient dû être célébrés comme tels par le nouveau régime.. et pourtant il n'en fut rien et leur nom resta dans l'ombre, tant comme soldats que comme artistes. Sans entrer dans les détails de la subtile récupération du mouvement par une tendance très modérée du Risorgimento, il est bon de savoir que les macchiaioli firent partie des déçus et des aigris de cette "révolution". Beaucoup se sentirent "trahis" par l'issue des batailles auxquelles ils avaient si ardemment participé. Ils rêvaient d'une Italie démocratique, et celle qui s'éleva prit une forme, certes, constitutionnelle mais aussi élitiste et monarchique. Ils avaient le sentiment d'avoir combattu pour rien, et Garibaldi lui-même s'en montra très tôt, dès 1861, inquiet. Il dut même entreprendre des actions patriotiques, certes, mais illégales et fut, à deux reprises, brièvement emprisonné. Ce qui est le comble pour ce héros national, adulé de tous !


Giovanni Fattori : Garibaldi à Palerme - 1860
Viareggio, Istitutuo Matteucci

Mais surtout, il y avait Mazzini, dont tous nos artistes se sentaient fort proches. Mazzini, qui mérite aujourd'hui une place d'honneur au panthéon des pères de la patrie, fut, durant les 20 années qui suivirent l'unification du pays, traité un peu comme un gêneur, voire un paria. On ne savait qu'en faire ou qu'en dire !! Et il passa l'essentiel de sa vie hors d'Italie. L'Italie que ce grand perdant avait qualifié de "mesquine et assassine". Jeté en prison en 1870, il ne dut sa libération qu'à l'amnistie décrétée pour fêter la prise de Rome, survenue le 20 septembre. Et lorsqu'il mourut en mars 1872 à Pise, il était réfugié chez des amis sûrs, partageant ses idées, mais caché sous un nom d'emprunt, le docteur Brown, pour le protéger des services secrets.


Silvestro Lega : les derniers moments de Guiseppe Mazzini -1873
La toile n'était malheureusement pas à l'exposition mais elle est tellement impressionnante et révélatrice de cette déception qui fut celle des macchiaioli, qu'il me fallait la reproduire ici. L'homme, à l'article du trépas, est couché sur le flanc, dans un abandon qui fleure la lassitude et la désillusion. Comme s'il était prêt à se réfugier dans une paix que la vie et ses injustices lui aurait refusée. Il est sublime et pathétique, et le regard plein de tendresse que pose sur lui le peintre n'est pas apitoyé, simplement lucide : c'est le requiem d'une révolution usurpée, le dernier acte d'un idéal trahi. Ce chef d'oeuvre, longtemps passé pour perdu, fut finalement retrouvé après maintes péripéties. Lega lui-même, à l'instar de son illustre héros, fut aussi bien déçu par la vie : accablé de deuils et de maladies, il n'obtint jamais la reconnaissance et la célébrité que son talent aurait dû lui valoir.
Providence, Rhode Island School of Design, Museum of Art.

En effet, dans l'Italie enfin réunifiée, on n'avait pas encore réhabilité ce grand utopiste, que le comte de Cavour avait condamné plusieurs à mort, voulant le faire pendre haut et court sur la place publique de Gênes. Le pays apaisé, il n'était plus temps d'évoquer les ardeurs enflammées, un idéal nouveau, des joutes généreuses et les rêves d'égalité. Le temps de la "poésie" était passé, on rentrait dans une période "ordinaire" où l'économie régnait en maître. Et les héros d'hier étaient gênants !


Telemaco Signorini : Scène de hallage dans le parc des Cascine à Florence - 1864
Une vision très réaliste de la dureté du travail des pauvres en ces temps difficiles : harnachés comme des bêtes, ces hommes traînent un bateau qu'on ne voit pas, hors champ, tandis qu'à gauche la haute silhouette d'un bourgeois, accentuée par un immense haut-de-forme noir, pose comme un contre-point ironique à cette scène accablante.  Il leur tourne le dos, les ignore tout simplement, seule sa petite fille, curieuse et encore généreuse, s'inquiète de leur effort.



Tout le génie du peintre réside dans la prise de vue, au ras du sol, presque en contre-plongée : ce point de vue accentue encore la pénibilité de ce travail éreintant, les hommes sont comme enfoncés dans la terre où quelques cailloux brillent doucement. La lumière rasante suggère que la scène se passe en fin d'après-midi et l'on ne peut s'empêcher de penser qu'ils tirent ainsi depuis l''aube. 
Collection particulière

Parmi eux nos macchiaioli dont les œuvres s'étaient fait l'écho de ces chimères sociales, avec une détermination très en avance sur leur temps. Leur regard sur la réalité des campagnes toscanes, des intérieurs bourgeois ou des batailles patriotiques était par trop mélancolique et éloigné de la vogue romantique pour plaire à l'air du temps. Leurs œuvres sont sobres, sévères et presque sèches. Elles dénoncent trop souvent des paysans exténués, des soldats épuisés, des ouvriers accablés et l'hypocrisie sociale. On n'y trouve ni accortes paysannes en liesse, ni scènes champêtres idéalisées, mais plutôt des images âpres, réalistes et dérangeantes.

Giovanni Fattori : Soldat démonté - 1880
Aucune emphase dans ce tableau qui décrit, brutalement, un épisode dramatique de la vie militaire : un cavalier désarçonné est traîné par son cheval en une course forcément mortelle. L'horizon est gris, le paysage dénudé et le chemin poussiéreux s'imbibe du sang du malheureux. Rien de romantique dans cette vision, peinte 20 ans après les combats : on sent que c'est du vécu, et ça dérange !
Florence, Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti

Ayant vécu la guerre, ils ne sacrifiaient pas à la rhétorique émotive, boursouflée, belliciste et machiste très en vogue pour glorifier l'Italie unifiée. Leur regard austère sur les scènes de bataille ou de vie campagnarde semblait désenchanté, et cela leur coûta la renommée. On s'empressa de retourner leurs toiles trop limpides vers le mur et d'entasser leurs œuvres trop "vraies" dans les greniers pour laisser la place à des peintres plus plaisants, plus consensuels !
Ces hommes, courageux, ardents, enthousiastes, étaient encore et toujours "contre" : contre l'art officiel, contre l'Académie, contre les compromissions du pouvoir, contre l'imperfection de l'Italie unifiée. Ils ne devinrent pas des "artistes de cour", et beaucoup finirent leur vie pauvres ou criblés de dettes, méconnus, encombrants et fâcheux. Diego Martelli, devant la fierté jamais prise en défaut de Silvestro Lega, mazzinien de la première heure, fervent et toujours actif, fait chapeau bas "Je t'apprécie beaucoup, et je loue ta fière honnêteté. Mourons donc de faim, mais toujours en crachant à la figure du destin".


A SUIVRE
LES MACCHIAIOLI (5) : ALORS IMPRESSIONNISTES OU NON ??
BREF DICTIONNAIRE DES MACCHIAIOLI

3 commentaires:

  1. ça y est, j'ai rattrapé mon retard de lecture! Cette série est passionnante, merci!

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    Réponses
    1. Merci à toi Eimelle de la lire et de me dire que cela t'intéresse !!

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  2. Bonsoir Michelaise.
    Tu as écrit exactement ce que je pensais après avoir vu les oeuvres que tu nous présentes : "oeuvres vraies". C'est tout à fait ça et c'est ce qui me subjugue : le côté si réaliste, si vivant des scènes , comme des instantanés fixés par une pellicule photographique... C'est impressionnant si ce n'est peut-être impressionniste... ?
    Mais tu nous en diras plus une prochaine fois et je sais déjà que ce sera très intéressant.
    Bonne fin de journée à toi

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