jeudi 18 juillet 2013

LES MACCHIAIOLI (1) : le café Michelangiolo

Giovanni Fattori : la Rotonde de Palmieri 1866
Galerie d'Art Moderne du Palazzo Pitti

Un mouvement pictural lié pour moi au Risorgimento, porté sur la représentation de scènes bucoliques exaltant la vertu de la vie campagnarde, mêlant jolies lumières et paysannes accortes, y ajoutant parfois une goutte de nostalgie avec la reconstitution d'une Italie mythique, médiévale ou renaissante, voilà ce qu'était pour moi les Macchiaioli. Peintures entrevues dans les "dernières salles" des musées toscans, sans avoir retenu le nom de leurs auteurs, paysages idylliques aux vagues relents d'inspiration classique, teintes dorées et parfois audacieuses, bref une "impression" de poésie engagée et à fort relent d'identité nationale... je n'avais guère plus d'informations sur ce mouvement pictural que je situais vers la fin du XIXème siècle, sans réaliser qu'il était en fait nettement antérieur à celui de nos impressionnistes et, qu'à ce titre, il n'en était que plus passionnant à découvrir.

Silvestro Lega (1826-1895) La Villa Batelli au bord de l'Affrico (détail), 
1863 (Viareggio, Istituto Matteucci)

C'est à cette exploration que nous invite jusqu’au 22 juillet le Musée de l'Orangerie dans une exposition qui, pour attirer du monde, et les italiens en premier, a cru bon de devoir sous-titrer "Les Macchiaioli, des impressionnistes italiens ?". Car, y pas à dire, le mot "impressionnisme" reste magique et reste le sésame pour drainer de nombreux visiteurs, ce que toute exposition rêve de faire. Pour autant je ne suis pas certaine que cette question soit nécessaire tant il est vrai que cette mouvance toscane a sa personnalité propre et mérite largement d'être connue et comprise en tant que telle. Fidèle au principe de ce blog selon lequel j'aime à y développer des sujets peu connus, je crains que vous n'ayez à subir une longue série d'articles sur le sujet, mais, vacances aidant, je me rassure en sachant que nombre d'entre vous sont déjà partis et n'auront guère le temps, au retour de faire de l'archéologie bloguistique ! Je vais donc me lâcher !

Premier épisode donc, le contexte. 
C'est une conjonction particulièrement porteuse qui permit à ce mouvement d'émerger, en Toscane, dans les années 1850-55 à partir de la réunion d'un petit groupe d'artistes qui avaient en commun leur rébellion contre l’académisme sévissant alors à Florence comme ailleurs, leur engagement politique dans une Italie soucieuse de réaliser son unité et leur volonté de faire oeuvre expérimentale en faisant évoluer la technique picturale. Quelques circonstances "pratiques" leur permirent d'évoluer ensemble, de se voir et de se côtoyer beaucoup, et, ainsi, de faire naître un véritable groupe, parfaitement identifiable et idéalement localisable. 


La plaque apposée sur l'immeuble note" Dans cet établissement se trouvait le siège du café Michelangiolo, génial rendez-vous d'un groupe d'artistes libres, qu'une boutade florentine nomma Macchiaioli et dont les oeuvres, nées des luttes politiques et de l'héroïsme guerrier du Risorgimento, perpétuèrent de la tradition picturale italienne, en en renouvelant l'esprit.

Ce fut d'abord l'existence d'un café florentin, le café Michelangiolo où les peintres, très tôt, prirent l'habitude de se réunir. Situé au 21 via Cavour (qui s'appelait à l'époque via Larga) dans un élégant palais du XIXème aux ouvertures soulignées de pietra serena, l'endroit fut fréquenté intensément dès 1848 par les jeunes peintres toscans, au point de devenir leur quartier général et d'être l'étape obligée de tout artiste étranger passant par Florence durant ces années-là.  On y vit Gustave Moreau, James Pissot, John Ruskin, en 1857 Edouard Manet venu copier les fresques d'Andrea del Sarto à la Santissima Annuziata, Degas en 1858 et bien d 'autres. Et la fermeture du café, en 1866, marqua sinon la fin du mouvement, du moins son effilochement.


Les artistes s'y retrouvaient en joyeuse compagnie et la photo qu'on a conservée d'eux montrent que la dive bouteille les captivait au moins autant que les préoccupations picturales. Ce groupe de jeune peintres engagés dans la contestation polémique des canons imposés par l'Académie. Rencontres et débats acharnés opposaient les habitués, tantôt autour de problèmes exclusivement esthétiques, tant à propos de l'engagement civique et politique très ardent chez tous ces jeunes gens. Les uns étaient convaincus de la "nécessité d'avoir un programme bien précis et un drapeau assuré", les autres prônaient l'absence totale de principes. Certains plaidaient pour une forme d'idéalisme esthétique visant à préserver la pureté formelle d'une quattrtocento revisité et modernisé, tandis que d'autres pariaient sur les qualités "impressionnistes" de la peinture et penchaient pour une sorte de naturalisme international.


L'un d'entre eux, Adriano Cacioni, peignit même l'intérieur de ce lieu mythique et prit soin de nommer chacun des personnages dont il peuple l'endroit, tapissé, comme il se doit, de toiles variées. Ce portrait collectif, réalisé a posteriori puisqu'il semble dater de 1867, appartint à Signorini (un des autres peintres du mouvement) qui écrivit à son propos : "Parmi les œuvres d'art que je possède et qui me sont les plus chères, figure une aquarelle d'Adriano Cecioni représentant l'intérieur de notre salle au Caffè Michelangiolo : 24 artistes, atrocement caricaturés, assis à table, discutent, hurlent et rient".

Vito d'Ancona (1825-1884) Le Portique vers 1861 (Palazzo Pitti)

En 1867, c'est à dire après la fermeture du café, Signorini, qui lui consacra 5 articles, l'évoque avec un mélange de nostalgie et d'ironie : "Le Caffè Michelangiolo était le rendez-vous de joyeux drilles, des excentriques, des fous en somme, pour reprendre le qualificatif que le bourgeois tranquille et amateur d'art a toujours appliqué aux peintres. De fait, les plaisanteries en tout genre y étaient à l'ordre du jour, les stornelli populaires des campagnes toscanes, chantées avec une admirable harmonie, y retenaient la foule qui, sous la fenêtre de l'établissement, envahissait la rue. Au milieu des nuages formés par la fumée des cigares et des jambes posées sur les tables, certains esquissaient dans un coin un groupe d'amis engagés dans une discussion sérieuse, d'autres, désireux de prouver leur robustesse, levaient d'un seul bras les plaques de marbres retirées de tables et attachées les unes aux autres, d'autres encore, après avoir fabriqué des feuilles de carton et en avoir humidifié le sommet, les lançaient au plafond, où elles restaient collées. Et, au milieu de tout cela, la terrible ironie florentine, la finesse de Machiavel". Et quelques mois plus tard, en juillet 1867, dans un autre article Signorini regrette que le mouvement se soit irrémédiablement dissous l'année précédente lorsque "les artistes se divisèrent et précipitèrent la fin de leur Société par leurs désaccords et leurs volontés contradictoires quant à l'exposition collective de 1865. Le "non" l'emporta, ce qui fut fatal au jeune art, aux artistes du café et à leur composante progressiste, et leur exposition collective n'eut pas lieu cette année-là". La mort de deux personnalités importantes du mouvement, l'un tué en 1866 lors de la troisième guerre d'indépendance (Sernesi) et l'autre décédé des suites de la morsure d'un chien que lui avait offert Martelli (Abati), signa de façon tragique l'épuisement définitif de ces amitiés exceptionnelles et mit un terme à l'expérience des Macchiaioli.

-------
Origine des photos :
Photo de la plaque du café ainsi que du groupe de peintres sur Wikipedia Caffè Michelangiolo
Les photos de peintures sont extraites du catalogue officiel de l'exposition
Photo du palais du 21 via Cavour sur Google Map
Reproduction de la peinture d'Adriano Cecioni sur le site du Caffé Michelangiolo

6 commentaires:

  1. Mais tu fais bien de développer le sujet, un grand merci! Moi qui ne connaissais pas grand chose à ce groupe, tu vas être mon feuilleton de l'été!

    RépondreSupprimer
  2. Ah ah, cela les aurait amusés les Macchiaioli d'être "le feuilleton de l'été" merci Eimelle

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour Michelaise. Remarquant qu'il y avait plusieurs articles dans la série des Macchiaioli, me voilà à la découverte du numéro 1. J'ai ouvert ta page hier soir d'ailleurs, mais, les robes des femmes du premier tableau me rappelant l'allure des dames du Déjeuner sur l'herbe de Monet, me voilà sur internet surfant d'un site à l'autre pour regarder les tableaux du maître et chercher des ressemblances... Tu sais ce que c'est sans doute que s'égarer d'un site à l'autre où l'on pioche des infos, puis d'autres et d'autres encore...
    Me revoilà donc seulement ce matin. J'aime l'ambiance de ce café où les artistes se retrouvent. Cela me fait penser à l'atmosphère (plus sage peut-être ?) qui devait régner aux Deux Magots ou au Café de Flore à Paris où se retrouvaient des écrivains que j'aurais aimé rencontrer....

    J'ai un retard fou dans mes visites ici et ailleurs....

    Je reviendrai te lire ce soir. Bises à toi

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ravie que tu fasses de l'archéologie Oxy !! tu sais ces articles sont touffus, volontairement, et il ne faut pas risquer l'indigestion : tu as raison de folâtrer sur l'herbe !!
      Je pense que l'ambiance au Michelangiolo était un peu agitée !! on devait y débattre d'autant plus fort qu'on était dans une période importante, d'un point de vue politique ! on y refaisait le monde, avec l'enthousiasme qui caractérise la jeunesse et les italiens !!

      Supprimer
  4. PS : hi, hi, hi.... tu as vu, je fais de "l'archéologie bloguistique" ;-)))

    RépondreSupprimer
  5. La librairie du Musée des Beaux-Arts de Montréal présentait un petit ouvrage sur ce groupe, probablement dans la foulée de l'exposition qui a aussi été ton point de départ.

    J'aimerais ouvrir mon cours de courants artistiques sur autre chose que la peinture française, mais je m'aperçois toujours que j'ai trop de matière. Ces Macchiaioli semblent pourtant valoir le temps que tu leur consacres. J'y ferai donc allusion; c'est au moment de l'essor de l'école de Barbizon que ce groupe prend son essor en définitive.

    Je reviens pour la suite après l'autre semaine à l'extérieur de Laval

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...