samedi 20 juillet 2013

LES MACCHIAIOLI (2) : les mécènes


La seconde circonstance qui souda cette équipe est la présence active à leurs côtés de trois véritables mécènes qui permirent à cet art de vivre, pendant quelques années, sans trop de souci de la matérielle et donc, de s'affirmer et de s'épanouir. Eux qui se déchaînent volontiers contre la Maison Goupil qui passe des contrats, certes, avec des artistes mais leur impose sujets et thèmes plaisant au public, ont conscience que cette liberté est précieuse.

Giovanni Boldini : portrait de Diego Martelli 1865
L'homme est assis en tailleur dans une chambre pauvre, sur un vieux tapis. Au fond, un poële éteint et un châssis retourné contre le mur. Boldini a peint Martelli alors qu'il était à Paris, en mauvais santé, ce qui peut expliquer qu'il semble amaigri !!
Galerie d'art moderne du Palazzo Pitti

Le premier est le plus connu car il n'est pas peintre et pourtant il s'est enthousiasmé pour cette nouvelle tendance picturale au point de devenir leur appui efficace, voire indispensable. Diego Martelli naît à Florence en 1839 d'une famille toscane aisée, et libérale. C'est en 1856 qu'il commence à fréquenter le Caffè Michelangiolo et, en dépit de son tout jeune âge (il a tout juste 17 ans), il se lie d'amitié avec l'ensemble des habitués du lieu. Enthousiasmé par leur art, il va s'impliquer très fortement auprès d'eux, les aidant dans leur carrière, leur assurant gîte et couvert. En effet, il perd son père en 1861 et hérite alors d'un vaste domaine entre Chioma et Castiglioncello, sur la zone littorale sauvage qui s'étend au sud de Livourne. Il y loge et invite tout au long de l'année ses amis peintres et son exploitation agricole, qu'il s'emploie à gérer selon des méthodes proudhonniennes qui le mèneront rapidement à la ruine, devient un lieu de rencontre artistique où amitié et émulation sont le fer de lance de cette nouvelle "école de Castiglioncello". Car c'est ainsi qu'on finira par nommer ce cénacle, tant le travail y est intense, l'effervescence artistique très forte, et que s'y peint une quantité d’œuvres tellement homogènes tant du point de vue thématique que stylistique que le terme est justifié.

Federico Zandomeneghi : portrait de Diego Martelli au bonnet rouge, 1879
Les teintes sont audacieuses, la nature morte posée sur le coin de la cheminée est ponctuée de taches orangées (la tasse, le décor du peau à tabac) qui rappellent la couleur du fauteil. Martelli, l'oeil pétillant, semble surpris par l'artiste, comme dans un instantané photographique.
Galerie d'art moderne du Palazzo Pitti

En 1867, il n'a pas 30 ans, il fonde avec Signorelli, un des peintres du groupe, le Gazzettino delle Arti del Disegno, un journal dont le but principal est d'affirme le rôle de ces peintres dans le renouveau artistique de l'Italie du Risorgimento. Une deuxième journal verra le jour sur le même thème en 183, le Giornale Artistico. D'ailleurs Martinelli, devenu journaliste, ne se contente pas d'être critique d'art : il écrit aussi des articles politiques et sociaux, et de fait, il soutiendra financièrement les expéditions de Garibaldi, participant en personne à celle de 1866. Il est libre-penseur, volontiers anti-clérical, et au-delà de ses engagements politiques et économiques, il jouera un rôle essentiel dans l'évolution de l'art italien de cette fin de XIXème sicèle. En 1862, en route pour Londres, il passe par Paris où il rencontre Nadar. Il retournera souvent à Paris, en 1869, en 1870 et y passera même une année entière de 1878 à 1879, ayant alors été obligé de quitter sa Toscane à la suite de graves difficultés financières. Durant ce dernier séjour, il sera correspondant à l'Exposition Universelle pour plusieurs quotidiens italiens, et se liera d'amitié avec Zola, Degas, Pissaro, Manet...

Diego Martelli à la fin de sa vie : l'homme n'a pas changé, le regard est le même et seule la barbe, abondante et fière, a blanchi.

De retour en Italie, il contribuera par ses articles et ses conférences, à faire connaitre les impressionnistes français, qui l'ont impressionné. Quasi ruiné, il doit liquider sa propriété en 1888. Il participe alors plus activement encore à la vie politique italienne. La mort de sa compagne, Teresa, en octobre 1895, lui est un coup fatal, et il ne lui survivra à peine un an, mourant à son tour à Florence le 20 novembre 1896.

Edgar Degas : Diego Martelli 1879, une peinture qui lui a donné du fil à retordre !! Remarquez le joyeux désordre d'estampes et de dessins sur la table basse, les pantoufles rouges à gauche et le siège curule un peu déglingué sur lequel il est assis : Degas a voulu rendre l'ambiance très bohème qui plaisait à Martelli.
Musée national écossais d’Édimbourg

Revenons à l'époque de son mécénat actif et engagé, de 1860 à 1870. Cultivé, affable et curieux, il soutient sans jamais faiblir "ses" artistes. Fattori écrit à son sujet "Par un sentiment d'artiste plein d’enthousiasme pour tout ce qui ressemblait à un progrès, Diego fut à nos côtés ; plus jeune que nous, riche, libre de tout préjugé, nullement pédant, il nous accueillit avec chaleur dans sa propriété. Il nous disait "Travaillez, il y a du linge pour tout le monde". Ce fut une vraie bohème : gais, bien nourris, insouciants, nous nous jetâmes dans l'art de tout notre être et tombâmes amoureux de cette belle nature aux grandes lignes, sérieuse et classique". Il apparaît dans sa correspondance avec eux qu'il les motive, qu'il les pousse à l'introspection et à la réflexion, qu'il leur conseille de se confronter aux autres peintres sans idées préconçues. A son retour de Paris, enthousiasmé par les impressionnistes, il souhaite établir des ponts entre ces deux tendances. Faisant oeuvre de pédagogue, il tient constamment à insérer l'expérience des peintres toscans dans le contexte européen, insistant sur le fait que la plus petite de leurs œuvres "brillait d'une lumière destinée à dissiper les ténèbres de la peinture académique". Il les définit, face aux impressionnistes comme "les courageux pionniers de l'avenir", vaincus par "les héros de la mode" que furent Fortuny et Boldini, et pour tous ceux qui travaillaient pour Goupil en lui vendant des "tableautins eunuques et lisses". En 1877, le groupe a éclaté depuis longtemps, et le temps des franches amitiés artistiques est loin, pourtant Martelli écrit encore, ému "Il fallait donc combattre et, en combattant, frapper ; on avait par conséquent besoin d'une arme et d'un drapeau ; on découvrit la macchia, par opposition à la forme ... et l'on affirma que la forme n'existait pas ; et comme, à la lumière, tout résulte des couleurs et du clair-obscur, on voulut obtenir des effets de réel uniquement à partir de tâches, c'est-à-dire de couleurs, et de tonalités".

Giovanni Boldini : Giovanni Fattori dans son atelier 1866-1867
Fattori aimait les grands formats, c'est un des rares Macchiaoli à avoir choisi d'en faire souvent. Sur le tabouret rouge, au fond à droite, le couvre-chef du soldat rappelle que Fattori  aimait aussi faire des scènes de batailles garibaldiennes.
Milan : collection Intesa Sanpaolo, Gallerie d'Italia, piazza Scala

Réunis chez Martelli, logés, nourris, sans inquiétude pour l'intendance, tout était bon à partager pour ces peintres : le choix de nouveaux sujets, l'invention de procédés techniques innovants, la volonté de désacraliser l'art du passé.

Giovanni Fattori : Madame Martelli à Castiglioncello, 1867
Reposant sur une chaise longue à l'ombre des arbres, la femme du mécène est ici prétexte pour le peintre à un doux jeu de clairs obscurs, d'ombres lumineuses et méridiennes qui font chanter la monochromie apparente du sujet.
Livourne, Museo Civico Giovanni Fattori

Ils travaillaient en plein air, s'"appelant de temps en temps en hurlant pour se faire part de leur enthousiasme envers des motifs vus, se réunissant parfois pour observer le passage d'une charrette sur une route blanche de poussière", s’interpellant pour s'émerveiller des tonalités, des vibrations de la lumière. La blancheur d'une pierre ou d'un linge mis à sécher au soleil les rendait frénétiques et tout leur était prétexte à fête picturale. Emportés par un enthousiasme presqu'enfantin, ils se dédicacent leurs toiles, échangent leur dessins, ont envie de tout réinventer, ensemble.

Giuseppe Abbati : le peintre Stanislao Pointeau 1862-1863
On trouve dans cette toile l'ambiance campagnarde qui régnait dans la demeure toscane de Maretlli, où les contre-jours fascinaient tous ces peintres. 
Viareggio, Istituto Matteucci

Mais certains trouvent l'ambiance de Castiglioncello trop excitée, trop bruyante, voire trop avinée. Ils vont alors se réfugier chez l'un d'entre eux, Cristiano Banti, plus fortuné, qui les accueille dans ses villas de Montemorli ou de Montemurlo, aux environs de Florence. Il rachète d'ailleurs nombre de leurs toiles, rassemblant ainsi au fil du temps une riche collection d’œuvres importantes des Macchiaoli, collection qui fut ensuite léguée par sa petite-fille au Palazzo Pitti en 1955, et qui constitue une des plus belles suites muséales de cette période.

Silvestro Lega : après le déjeuner, 1868
Una autre ambiance post prandiale qu'à Castiglioncello (voir portrait de Madame Martinelli plus haut) : plus conventionnelle, plus teintée d'ennui "bourgeois" : sur la table de pierre, les tasses pour le café sont prêtes, à droite la servante amène la cafetière pendant que les femmes devisent calmement. Les hommes sont sans doute en train de fumer le cigare plus loin !!
Milan : pinacothèque de Brera

Un autre d'entre eux, Silvestro Lega, regroupera aussi autour de lui les amis du café Michelangiolo. Ayant rencontré Spirito Batelli, héritier d'une grande compagnie de presse, il sympathise avec ce dernier et fréquente la villa de cette famille aisée à Piagentina. Là, il tombe amoureux de leur fille aînée, Virginia et du coup, s'installe à Piagentina où nombre de peintres le rejoignent, formant une deuxième école, dit "école de Piagentina", aux inspirations et aux tonalités légèrement différentes de celles de Castiglioncello. Il y règne un climat d'élégance et d'intimité qui engendrent des œuvres plus intimistes, aux lumières limpides et aux compostions très "quattrocentesques". "Comme ces belles journées passées au milieu de ce petit cénacle fastidieux d'amis furent pleines de passion, d'enthousiasme, d'activité fébrile.... Et quels délicieux moments passés à peindre le long des digues de l'Affrico, ou parmi les peupliers des rives de l'Arno", dit encore Signorini.

Giovanni Boldini : l'Amateur d'art, vers 1866
L'homme, qui a posé sur la table son haut-de-forme, s'est rendu à l'atelier de l'artiste. Ce dernier l'a installé dans son meilleur fauteuil où, bésicles sur le nez, il feuillette un carnet en dessin en devisant avec son auteur. Cadres, toiles et châssis encombrent la pièce, pendant qu'à gauche le matériel du peintre est soigneusement rangé dans une malette en bois. Ici encore, aucune pose apparente : c'est un instant saisi, et le portrait n'en est que plus fin : on croit entendre les commentaires de cet amateur qui se veut éclairé ::
Rome, Galerie nationale d'art moderne et contemporain


A SUIVRE

4 commentaires:

  1. J'apprends depuis le premier épisode des choses formidables sur ce groupe que je connaissais très mal. Deux noms, quelques toiles mais sans plus, le café Michelangiolo .
    Finalement ils méritent vraiment que l'on s'y attarde. Et tu sais très bien nous intéresser.
    J'attends le suite du feuilleton.
    Bises Michelaise. Belle journée

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    1. Que vous êtes gentils mes lecteurs !! Mais c'est vrai qu'ils méritent qu'on s'intéresse à eux ces peintres pleins de fougue et de révolte !!!

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  2. Je trouve ça formidable qu'un seul homme s'intéresse à tout un groupe d'artistes, les aide, les accueille, les incite à travailler.... Se donner ainsi pour une cause artistique m'émeut et l'homme ne manquait pas de charme il faut l'avouer. Il a un look qui me plaît bien... ;-)
    Les tableaux que tu présentes sont très beaux et j'aime le naturel de l'attitude de l'homme dans la dernière toile de Boldini. C'est un véritable instantané, terriblement vivant....

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    1. Je ressens la même émotion oxy : le mécénat m'a toujours fascinée. Quant aux portraits de Boldini ils sont toujours vibrants de vie en effet !!

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