vendredi 16 août 2013

LE RIRE DANS TOUS SES ÉTATS


Cela arrive parfois au cinéma mais c'est malheureusement plus courant au théâtre ; et à Avignon, c'est une véritable plaie. On est tranquillement  en train de regarder se dérouler devant nos yeux une histoire plus ou moins compliquée. Comme on n'aime pas trop les comédies, on a choisi une pièce supposée sérieuse, voire "dramatique" et, alors qu'un des acteurs parle de ses états d'âme, ou de la mort d'un proche, ou pire, du quotidien, votre voisin éclate d'un rire gras. Cela fait "ha, ha, ha, ha !!" et ça n'en finit plus. En société, cela créerait une gêne, mais là, vous êtes partagé entre l'étonnement et la pitié. Pitié pour lui car il est évident qu'il est venu pour rire et, n'ayant rien à se mettre sous les zygomatiques, il saute à pieds joints, le plus souvent avec un manque total d'à propos, sur n'importe quoi. Et, surtout si les acteurs ont du talent, celui justement de savoir rendre léger ce qui est grave, pour en accentuer la force, cela recommence, au moindre prétexte ça reprend, ça ricoche, ça rigole, ça se bidonne et cela finit par devenir carrément obsessionnel. Vous n'écoutez plus ce qui se dit, vous guettez ces ricanements sans plus entendre le texte, en perdant le fil de l'intrigue, au profit de ces esclaffements qui vous engluent. 


Il arrive souvent, fort heureusement que le rigoleur se lasse, le texte est trop sérieux, alors il s'endort ou parfois, il s'en va. Car si, souvent, le théâtre manie la dérision ou le persiflage, il ne le fait pas pour provoquer le rire gras mais la prise de conscience. L'ironie n'est pas drôle, elle prête à sourire certes, mais c'est un sourire triste. Quant à l'amertume, elle ne prête pas à la gaudriole, elle est sombre, et si les coins de la bouche se soulèvent, c'est avec difficulté, comme à regret. Rien qui caracole ou s’étouffe entre deux hoquets.

 

Pourtant faire rire est un art, d’autant plus nécessaire que le rire est salutaire et volontiers bienfaisant. Rires pour rassurer, rire pour s'amuser, rire pour supporter aussi. Au théâtre le burlesque ou la farce, en tant que tels, sont des moments de détente qui, parfois, se teintent de dérision pour oublier les tristesses de la vie. Le comique de langue ou celui de situation permettent aussi de se moquer de ceux qui nous exploitent, nous oppriment, nous gouvernent ou nous méprisent. C'est alors le miroir de nos défauts ou de ceux de notre société qui nous soulage en nous donnant du recul. La parodie ou la caricature sont des genres salutaires dont il est bon de tâter parfois, même si l'on n'aime pas trop l'aigreur qui les anime. Et l'humour est un bonne médecine. Car le théâtre comique ne connait pas le "quatrième mur", cette convention mise en place à la fin du XVIIème siècle et qui coupe le spectateur de la scène. Au contraire, dans les bouffonneries exigent la connivence et n'ont de sens que si le public réagit. J'avoue que je n'aime pas trop quand la complicité s'émaille de bassesse et que le propos se vautre dans le convenu, dans le consensuel, entachant le propos de cruauté ou, pire, de "politiquement correct". Mais j'admets qu'il est nécessaire que ce type de spectacle fleurisse, ne serait-ce qu'au nom de la liberté d'expression, qui n'a pas obligation de faire dans la dentelle.


Mais ces ricanements hors de propos, ces hurlements de joie aux pires moments, ces entraves à la claire compréhension de faits qui rebondissent d'allée en allée, qui s'amusent de ce qui devrait faire pleurer ou réfléchir, sont devenus la norme en matière de spectacle. On veut rire, et quoique la pièce nous propose, on s'éclate la panse. Et vous, pauvre péquin coincé, vous vous demandez ce que vous venez faire dans cette galère. Vous vous demandez si vous êtes pisse-froid, sinistre ou pire, si vous vous prenez trop au sérieux. Que diable, détendez-vous ! Et plus votre voisin s'esclaffe, et plus vous bouillez d'énervement. Le racisme le fait se gondoler, la machisme excite ses gloussements, l'intolérance l'amuse follement et la bêtise l'égaye au plus au point. Marie Tudor vécue par le public comme une grosse farce, les péripéties de la Guerre Civile en Espagne pliant le public de joie, les noirceurs de la collaboration l’entraînant dans de franches rigolades, le drame israélo-palestinien le faisant s’esclaffer à tous propos, vous vous dites que vous n'avez pas tout compris.



A moins que certains se soient trompés de salle ? Il faut dire qu'à Avignon, le comique fait fortune. Après avoir soigneusement laissé de côté "5 minutes de plaisir, 30 ans d'emmerdes", "La belle et la bière" et "et pendant ce temps Simone veille", vous avez plissé le nez à "le Dalaï et moi" et autre "le con, la cruche et le chaud lapin". Vous avez soigneusement évité les scènes spécialisées dans le "en-dessous de la ceinture", vous avez fui "amour et chipolatas", "faites l'amour avec un belge", vous avez pudiquement détourné les yeux devant "magouilles et conflits de canard" et autre "two bi or not two bi" et préféré vous abstenir de vous approcher de certaines salles qui ont fait leur spécialité, manifestement rentable de ce genre de gaudrioles. Même Montherlant ou Genet seraient suspect au Paris ou au Palace !!



Vous pensiez avoir déjoué les titres aux jeux de mots foireux de "l'émule du pape" à "l'urne de miel" en passant par "l'erreur est cubaine"... et vous voilà coincé dans un Racine vécu par le public comme du burlesque et dans un Tchekhov qui les fait hoqueter comme du boulevard. L'émotion en prend un coup et la lisibilité du propos est obscurcie. Tout le monde ayant le droit de tout faire, selon son bon plaisir, il ne vous reste qu'à subir, comme une épreuve qui n'a rien d’initiatique, ce déversement de bonne humeur qui vous met les nerfs en pelote. Ce qui est étonnant c'est la permanence du phénomène, aucune salle, aucune troupe, aucun auteur, aucun sujet ne sont épargnés par ces dérives de la compréhension. On n'a pas l'habitude de siffler le public, mais souvent, vraiment, cela ferait du bien, et je m'étonne que les acteurs ne le fassent pas parfois ! Ils nous applaudissent bien certains soirs, selon un code dont le sens m'échappe encore !

Article dédié à Roberto

Sites d'origine des photos : Chaplin, Messerchmidt, Dijon pour le sourire de petite fille, et le site du Off d'Avignon pour les affiches.

6 commentaires:

  1. Alter huic "cet autre" cette "insociable sociabilité" selon la formule kantienne...pour lui aussi "l'enfer c'est les autres" ;-)) Bise Mimi

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  2. J'ai eu de la chance, pas trop de mauvaises surprises de ce genre à Avignon, allez, histoire de positiver, peut-être des rires qui peuvent masquer la gêne aussi face à un sujet dur?

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    1. OUi, en effet, tu as raison, cela arrive aussi, parfois ...

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  3. Je ne fais que passer

    " Le rire seul échappe à notre surveillance."
    Natalie Clifford Barney

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    1. S'il n'y avait que le rire qui échappe à notre surveillance !!! Optimiste !

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