dimanche 1 septembre 2013

COLETTE ET MÉHEUT



Après tous ces articles sur les droits d'auteur et autres fariboles qui limitent considérablement la possibilité d'illuster un article portant sur deux artistes morts depuis moins de 70 ans, j'ai hésité à publier ce billet mais le livre de Colette et de Mathurin Méheut est tellement beau que je ne résiste pas au plaisir d'en parler. J'ai décidé de l'illustrer de montages photos, en non d'images "pures", pour ne pas avoir les ayants-droits sur le dos, d'autant que, vous vous en doutez, je ne sais où les trouver pour leur demander l'autorisation de publier des clichés des oeuvres de leurs chers disparus. Clichés qui d'ailleurs circulent largement sur la toile, en particulier sur le site Ebay, où l'on trouve (du moins à l'heure où j'écris ce billet) le fameux livre en vente : 4950 euros ! Pas étonnant, car il n'a été tiré qu'à 750 exemplaires numérotés, et celui d'Ebay est accompagné d'une aquarelle originale. Et si quelques ronchons viennent me faire des histoires, et bien j'enlèverai ces illustrations et l'article aussi. Car il se veut informatif et, pour le livre qui l'a inspiré Regarde ! Colette et Mathurin Méheut par Jean-Pierre Montier, incitatif : en effet, si vous aimez ces œuvres, je ne saurais trop vous conseiller de vous l'offrir. C'est une très jolie édition Ouest France, et comme vous risquez de n'avoir guère les moyens ni même l'occasion de trouver l'original, c'est donc une excellente idée de cadeau à vous faire pour compenser. Il comprend de nombreuses illustrations et s'accompagne de la correspondance que les deux artistes ont échangée, lors de la mise en place de cette édition.


Edition pour enfants d'un genre original puisque, contrairement à l'habitude qui veut qu'on demande à un peintre d'illustrer un texte, Jean-Guy Deschamps, le libraire parisien qui eut l'idée du livre, fit la démarche inverse. Il désirait partir des dessins d'animaux marins qui, dès 1913, avaient fait la célébrité de Méheut et demanderait à un écrivain de les accompagner d'un texte. 

Ces dessins avaient, au départ, été commandés en 1910 par Emile Lévy, directeur de la Gazette des Beaux-Arts, au jeune illustrateur en début de carrière. Installé à la station météorologique de Roscoff, Méheut avait travaillé pendant deux ans sur le motif, réalisant un millier de dessins, de croquis et d'aquarelles qui lui valurent en 1913 une importante exposition au pavillon de Marsan, organisée par l'Union Centrale des arts décoratifs, et l'illustration d'un ouvrage en deux tomes, Etude de la mer : faune et flore de la Manche et de l'Océan, écrit par Maurice Pillard-Verneuil et bientôt considéré comme ouvrage de référence en matière. Largement diffusée grâce à un article paru le 20 décembre 1913 dans l'Illustration, l'oeuvre aquarellée de Méheut est, dès lors, connue, appréciée, et débouche sur de nombreuses commandes. Dont celle de Deschamps, qui désirait qu'il parte de ces merveilleux dessins, en les réinterprétant en fonction du texte à venir. 

A Madame Colette, celle qui "pige" si bien les bêtes .. et les hommes.
Respectueux hommage. Mathurin Méheut : dédicace d'Etudes de la Mer, incrustée dans la page "La Flaque"

Méheut avait carte blanche pour la mise en page, le choix du papier, le choix des bestioles aussi... Il ne restait plus qu'à trouver un écrivain. On ne sait pas qui, de Deschamps ou de Méheut, proposa Colette, mais ce dernier la connaissait déjà l'ayant croisée à la Fondation Albert Kahn, mais aussi aux Ballets Russes ou au théâtre, dont il était un ardent amateur. Elle avait l'habitude de travailler avec des artistes pour illustrer ces propres livres et trouva l'idée de se soumettre au dessin, avec le challenge de l'illustrer de ses mots, fort intéressante. Elle aimait la Bretagne, sa faune, sa flore, ses marées qu'elle regrette vivement quand elle va, en 1927, s'installer à Saint-Tropez. C'est d'ailleurs à la Treille Muscade qu'elle travaille à Regarde, travail qui durera jusqu'en 1929 car Méheut rajoute sur la fin le fameux article sur "La Flaque" qui donne du fil à retordre à l'écrivaine. 

""Regarder, c'est apprendre". D'accord. Mais en général, nous l'accusons de regarder peu et mal, lui, Lui, notre souci, l'abîme, la forteresse inexpugnable, le sauvage, l'inconnu, l'enfant..."
Le trigle, le loup, qui a "selon la région, plus de vingt noms", et la flaque "illuminée, vers l'heure de midi, par une grande épée de soleil qui plonge, verticale, jusqu'à son fond de granit violâtre, tapissé de zostères" ... "pure, immobile, faiblement azurée comme la gemme qu'on nomme aigue-marine"


L'idée de Deschamps est superbe : ouvrir le sens artistique des enfants, en éveillant leur curiosité. Quel bel apprentissage de la lecture que celui des enfants à qui l'on a offert Regarde*, émerveillés par les dessins chatoyants et précis de Méheut, associés à la belle langue de Colette ! Et tout cela pour attirer leur attention sur l'univers qu'ils avaient autour d'eux, à portée de sable, juste là, dans la petite flaque que la marée avait laissée à découvert. Les couleurs, vives et contrastées, sont gaies et agréables à l’œil. Le trait est à la fois "scientifique" et juste mais aussi nerveux, allègre et très original.

Page du tapuscrit de "La Flaque" avec correction manuscrite, non reprise dans l'édition.
Sur fond de la page du Congre "... la petite tête cruelle, à gueule brochet, projetée à gauche, à droite, tête de lui qui est tantôt son mai, tantôt son bourreau, tantôt son indifférent voisin. Un très modeste congre, mince, rubanné, flexible à miracle, mais il deviendra grand, si le homard, grand découpeur, ne le tronçonne avant".

Les deux artistes ont vraiment à cœur de travailler de conserve et ils échangent à ce sujet l'intéressante correspondance sur laquelle s'appuie Jean-Pierre Montier pour écrire son livre. Elle écrit à une amie, en 1927 "Je travaille à des choses en retard ; [...] un mince volume, dont j'écris le texte pour de très beaux dessins de Méheut (qui me) réclame un "rabiot", et il est souvent plus difficile d'enfanter le "rabiot" que l'essentiel"**. A la même époque, Méheut écrit à Yvonne Jean-Haffen "Elle (Colette) est à Saint-Tropez et m'adesse une première série d'article que je fais taper à la machine car elle surcharge, biffe et le sens général est perdu à la lecture. Très modeste, et me demandant si ça va, ou comment faire, c'est vraiment remarquable de modestie de la part d'une femme si calée, il y en aurait surtout dans le genre poétesse qui n'auraient pas cette simplicité". **

Lorsque le livre est publié, ils sont mutuellement très contents l'un de l'autre et Méheut reçoit cette lettre "Cher Méheut ami, le volume est si beau ! Quelles fraîches couleurs, quel beau dessin infaillible ! Cette petite prose, s'en va, aidée par vous, jusqu'au bout de l'horizon marin. Merci de tout cœur  cher Méheut. Votre amie, Colette".** Ils resteront amis et quand, en 1947, Méheut fera pour les éditions Le Minor, les illustrations de Broderies en Bretagne chez les Bigoudens, Colette sera encore sollicitée pour le texte, mais malade, elle sera remplacée par Jean de la Varende. Regarde aura donc été la seule collaboration de ces deux amoureux de la nature et de l'environnement marin.



* Pas des enfants modestes, entendons-nous, mais de jeunes bourgeois car le livre à sa sortie, en décembre 1929, coûte déjà 165 francs, soit dix fois plus qu'un livre pour enfant de l'époque. Et rapidement, on enlève le livre des mains des gosses, car il devient une pièce de collection, dont vous avez lu en début d'article qu'il cote environ 5 000 euros actuellement !

** Les extraits de lettres et les informations proviennent du livre de Jean-Pierre Montier, Regarde ! Colette et Mathurin Méheut, publié par Ouest France.  Les illustrations viennent en partie de la mise aux enchères du livre sur Ebay, remaniées comme je l'ai précisé en introduction, de sites de commissaires priseurs (ici ou chez Ivoire, ou encore ici  chez Drouot), de libraires, de côté maison, et aussi du site de l'exposition du Musée de la Marine. La page de tapuscrit toute gribouillée vient du livre de Montier. La photo de Colette vient d'ici.

Je ne saurais trop, si Méheut vous plait, vous recommander de regarder Sur les traces de Mathurin Méheut, qui explique comment l'exposition fut conçue et menée : on peut regarder le documentaire en entier, ou par chapitre et c'est passionnant. N'hésitez pas, à la même adresse, à regarder aussi "entretiens avec...", "focus" et "l'exposition" tous films vraiment informatifs et fort intéressants si l'on n'a pas pu visiter l'exposition.

18 commentaires:

  1. À regarder Colette écrire dans son lit, on a l'impression que c'est facile ! Illusions et mensonges de la photo, écrire c'est aussi simple que de passer le bac tous les jours...

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    1. Tout à fait une réflexion de matin de rentrée Jeanmi !!! mais le bac, aujourd'hui, qui sait si nous l'aurions ??? Cependant rappelons-nous que 85% de nos jeunes le décrochent alors et qu'on s'emploie très fort à ce que ce pourcentage ne cesse de monter !!! Alors, juste une question d'âge ??
      Pour en revenir à Colette, même ce livre pour enfant ne semble pas, malgré son apparente simplicité, avoir été facile à écrire ! car elle a joué là un jeu rare chez un écrivain, se plier aux images !

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  2. Merci pour cet article. L'expo Méheut du musée de la Marine est terminée depuis hier, je n'ai pu y aller faute de temps. Mais des articles comme le vôtre nous permettent de nous replonger (si je peux me permettre) dans le monde de ces amoureux de la mer
    Bien à vous
    François

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    1. Merci Monsieur musée !! je suis ravie que vous ayez apprécié ce bain rafraîchissant !

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  3. Ces pages sont une véritable joie pour les yeux !

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    1. Oh oui, on rêve d'avoir ce charmant livre pour enfants !

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  4. Trés intéressant ton article ! Si ce livre est vraiment écrit pour les enfants, je pense que j'en suis resté un quelquepart ;)

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    1. Il semble qu'à peine publié, le livre ait soigneusement été ôté des mains des enfants pour devenir une pièce de collection !!! pour adultes bien sûr !

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  5. Superbe post, le commentaire de Jeanmi est tout à fait juste.

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    1. Merci Cathy, oui vous avez raison, c'est insolent cette décontraction apparente !!!

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  6. Les illustrations sont magnifiques en effet! Et cela donne envie d'acheter le livre. Quant aux droits sur la production graphique de Méheut, c'est l'ADAGP qui les gère : http://www.adagp.fr/identities/mathurin-meheut-33766

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    1. Merci GF, devrais-je les contacter pour leur demander si mes illustrations sont licites ou non ?? j'avoue avoir tout oublié des articles écrits à ce sujet ;-)
      On aimerait trouver au moins un fac simile du livre pour le contempler à loisir !

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  7. Non, je pense que ce n'est pas nécessaire. Tu ne fais aucune utilisation commerciale des images de Méheut, personne ne peut venir après toi les utiliser puisque tu as procédé à des montages tout à fait personnels. Et comme tu le disais dans tes précédents articles, c'est une simple question de bon sens, personne ne peut te soupçonner de quoi que ce soit de malhonnête dans ta démarche. On verra si ta marâtre de l'autre jour, qui avait exigé excuses et pater noster pour le simple détourage de son logo, sortira de ses fagots pour brandir à nouveau son Code de la propriété intellectuelle!!! Elle était à gifler, non? En tout cas, je t'ai trouvé très polie avec elle!

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    1. Tu sais GF, j'ai quelques années de plus que toi et un bon apprentissage de la patience à l'égard de mes semblables !! j'ai laissé de côté mes fureurs adolescentes il y a en environ 40 ans et je me marre en répondant gentiment quand on me dit des bêtises. Il était vraiment banal son logo avec droits d'auteur supposés !!
      Et là, tu l'as remarqué, j'ai détouré à mort, et je me suis amusée à faire des montages qui n'ont plus rien à voir avec les originaux... Merci de ton soutien plein de verve et de spontanéité !!

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  8. Oh ! Mathurin ! suis allée à LAMBALLE voir son musée dans la maison du bourreau ! mais très déçue.... toutes les oeuvres à PARIS, me suis lancée dans une copie (à l'huile) normal pour les filets à sardines !
    merci pour ce billet que je découvre et rendez-vous chez PRUNIER !!!
    Monica

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    1. Monica, tu me fais trop rire avec tes sardines à l'huile. En tout cas, forte de ton invitation je suis allée voir si Prunier utilise toujours les assiettes de Méheut... j'ai pâli au passage au prix de l’addition et j'ai constaté que, oui, nous dînerons dans les assiettes en question !!

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  9. Voilà! Je me gardais cet article pour un moment de récréation, car j'adore Colette, mais je ne connaissais pas cet ouvrage.

    Tu m'as suffisamment convaincue pour que je commande le petit livre de correspondance à défaut de pouvoir m'offrir un original du duo Colette/Méheut.

    Ce fut en tout cas une très jolie découverte de fin de dimanche, et je suivrai certainement ton conseil en ce qui concerne le visionnement du film documentaire à propos de Méheut.

    En commandant sur Amazon, j'ai vu qu'il y avait aussi un petit ouvrage où l'on a rassemblé ses œuvres sur le Japon... En as-tu entendu parler? Vaut-il le détour?

    P. S. Excuse le délai pour les commentaires...

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  10. Quelle découverte!!! Alors que je venais de chercher des bestiaires de poissons pour en faire des réproductions en aquérelle.
    Italienne à Brest depuis un an....je me demande s'il ne s'agit pas d'une coïncidence, car je me rappelle plus quel était le mot clé de ma recherche.
    Je vais récuperer une copie à la bibliothèque. Puis, j'aimerai m'en offrir un! Gros merci!

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