samedi 12 octobre 2013

ALLWRIGHT A MESCHERS


Bien sûr, Meschers n'est pas un "port de mer" (1) et les événements qu'on y organise sont, forcément, modestes... Pourtant... Il aime à le dire, Graeme Allwright n'hésite pas à "prendre la route, partir encore avec ses amis musiciens... monter sur les planches des p’tits patelins, c'est toute sa vie, sa raison d'être, son destin." (2)

Ce discret voyageur, mal servi par les médias, mais connu de tous malgré son nom difficile à prononcer "A la mairie d'un p'tit village, je rigolais dans mon plastron quand le maire essayait de prononcer mon nom" (3) sillonne le monde et particulièrement la France pour y chanter des Folk-Songs américains, qu'il a eu à cœur de traduire, d'adapter, d'interpréter jusqu'à en faire, pour nous aussi, des standards. Comme il s'est plu à adapter Brassens en anglais pour porter ses rythmes et ses textes Outre-Manche. Car Allwright écrit assez peu, il aime à se glisser dans les mots des autres, à transmettre, faire découvrir et partager ses rencontres.


Ce vieux monsieur au sourire très doux et aux grands yeux étonnés, aura 87 ans dans quelques jours(4), et depuis près de 50 ans, il gratte sa guitare et égrène des textes poétiques qui résonnent pour nous comme autant de repères nostalgiques et fleurant bon la mélancolie.

Quand, à la fin des années 40, il obtient du gouvernement néo-zélandais une petite bourse de trois mois pour venir perfectionner ses talents d'acteur à l’École de l'Old Vic (5) à Londres, il finance son voyage en s'embarquant comme mousse et "(part) changer d’étoiles, sur un navire, (il met) la voile, pour n’être plus qu¹un étranger, ne sachant plus très bien où il allait ..." (6). En tant que futur comédien il se révèle plutôt doué puisqu'au bout de deux ans on lui propose d'entrer au théâtre shakespearien de Stratford on Avon : mais voilà, l'amour est passé par là, et le jeune homme, épris d'une française (7), il n'hésite pas, laisse tout tomber et rejoint sa dulcinée en France.

Et pas pour faire carrière à Paris ! "J't'ai raconté mon mariage, à la mairie d'un p'tit village" (8)... autant dire la France profonde, Pernand-Vergelesses, près de Beaune, au milieu des vignes. Il y fait encore du théâtre mais doit gagner sa vie « J’ai travaillé dur comme ouvrier agricole à monter de la terre sur le dos dans des hottes de vendanges. Ensuite j¹ai construit une trentaine de ruches... Auparavant nous avions rejoint la Comédie de Saint-Etienne, à Rochetaillée. Nous allions tirer l’eau du puits, c'était très sommaire... C¹était bien. Comme j'avais appris à travailler le bois, je fabriquais des décors pour le théâtre je faisais aussi le machiniste et un peu de figuration, mais je parlais à peine français. Mon vocabulaire augmentant, mes passages sur scène devenaient plus intéressants

Il réussit cependant à rencontrer des gens de théâtre et, au cours d'une tournée où il participait à une pièce de Brecht un peu trop courte, il s'offre à chanter quelques chansons de Ferré ou de Brasse, pour allonger la sauce. C'est à cette occasion qu'il est remarqué par Colette Magny qui le lance en lui permettant d'enregistrer son premier 45 tours avec Phonogramm. Dès lors sa carrière va commencer et il va rapidement se faire connaitre et apprécier : il a 40 ans. On est dans les années 68 et la jeunesse, dont nous étions tous hier, se reconnait dans sa quête d'idéal et d'authenticité.



A la fin des années 70, alors qu'il est un peu en détresse personnelle, le succès lui brouille les idées, et qu'on pense qu'il a arrêté de chanter, il s'évade, prend la route et parcourt le monde. A Madagascar où il est allé « rendre visite à une tante de Catherine (sa femme). Entrée chez les Bénédictines à 18 ans, la seconde fille de Copeau avait fondé un couvent sur les Hauts-Plateaux.» Il rencontre de jeunes malgaches très douté pour la musique, qui lui redonnent goût aux spectacles et au concerts, et qui, depuis jouent avec lui. Erik Manana, excellent guitariste, et Dina Rakotomanga son contrebassiste, le secondent et l'entourent avec une complicité et un respect qui forcent l'admiration. Ils l'accompagnent, certes, font les chœurs aussi, et parfois, il leur passe la parole : ils chantent alors en malgache, donnant au rythme de folk un relief bien particulier. Sa carrière connait alors une seconde et lumineuse existence. Qui dure depuis plusieurs décennies ! A tous ses concerts, on refuse du monde, comme hier soir à Meschers. 



Équipée dès l'entrée des presque mythiques paroles de la marseillaise pacifiste (9) que ce gentil contestataire rêve de donner à son pays d'adoption en lieu et place des vers un peu sanguinaires de Rouget de Lisle, je m'installe au dernier rang et me vois bientôt rejointe par une joyeuse bande de trentenaire rigolards. Ma voisine, hilare, constate que le texte de la Marseillaise façon Allwright est imprimé en gros caractères pour permettre au public, crinières blanches et caboches chenues, de lire même sans lunette. Et pourtant, cette gamine sympathique connait son Graeme sur le bout de la langue : elle accompagnera chaque chanson dans les détails, n'en ignorant ni l'air ni les paroles : une vraie fan ! Certes les jeunes ne sont pas majoritaires dans le public, mais ceux qui sont là sont de vrais amateurs.

David et Bethsabée par Jean Metsys, 1562, musée du Louvre

Ecouter Allwright, c'est entendre Cohen, tous ces merveilleux textes à l'indicible, et parfois étrange, poésie qui nous ont bercés quand nous avions 20 ans .... Suzanne, Tonight will be fine, Halleluya... au verbe à la fois mystique et très charnel :

On m'a dit qu'il existe un accord secret
David jouait et Dieu l'aimait
Mais tu n'aimes pas vraiment la musique
N'est-ce pas ?
C'est très simple la quarte, la quinte
La chute mineur, la majeure qui grimpe
Le Roi dérouté composant.

Halleluya…
Tu voulais des preuves malgré ta foi
Tu l'as vue se baigner sur le toit
Sa beauté, le clair de lune
Te renversaient
A une chaise de cuisine elle t'a attaché
Brisé ton trône, tes cheveux coupés
Et de tes lèvres arraché.

Halleluya…
Tu me dis que j'ai pris ce nom en vain
Je ne connais pas ce nom enfin
Mais si je le connaissais
Qu'est-ce que ça peut te faire ?.
Dans chaque mot un éclat de lumière
Peu importe lequel tu considères
Le Saint ou le brisé.

Halleluya…
J'ai fait de mon mieux, très peu je sais
Je ne sentais rien, je voulais toucher
Je parlais et je ne voulais
Pas te tromper
Et même si tout a mal tourné
Devant le Dieu du Chant je me tiendrai
Plus rien sur ma langue sauf Halleluya…

Des textes parfois plus mystérieux et symboliques qu'une simple écoute pourrait le laisser croire,... ainsi Dance me to the end of love... une belle chanson, très sensuelle, mais, si l'on en croit Cohen lui-même, qui se veut aussi un hommage aux juifs massacrés dans les camps de la mort. Car on installait, nous rappelle-t-il, dans certains camps, à côté des fours crématoires, des petits orchestres, souvent un quatuor à cordes, qui jouaient de la musique classique pendant que leurs co-détenus étaient brûlés. Les mots choisis par le poète prennent alors une tout autre coloration que celle d'une balade voluptueuse. Ils deviennent dramatiques et puissants.


Danse-moi à ta beauté avec un violon en flammes,
Danse-moi dans la panique jusqu’au repos de mon âme,
Lève-moi comme un olivier, sois ma colombe de retour,
Danse-moi vers la fin de l’amour...

Laisse-moi voir ta beauté quand les témoins sont partis
Laisse-moi te sentir bouger comme un Babylone jadis,
Révèle ce dont je vois les limites et le doute,
Danse-moi vers la fin de l’amour...

Danse-moi à la noce, oh danse-moi tout le temps,
Danse-moi tellement tendrement, danse-moi très longtemps,
Tous les deux, nous sommes en dessous, au-dessus de notre amour,
Danse-moi vers la fin de l’amour...

Danse-moi vers les enfants demandant à naître en paix,
À travers les rideaux que nos baisers ont usés,
Lève une tente pour s’abriter, les fils déchirés toujours,
Danse-moi vers la fin de l’amour...

Danse-moi à ta beauté avec un violon en flammes,
Danse-moi dans la panique jusqu’au repos de mon âme,
Touche-moi avec ta main nue, ou gantée de velours,
Danse-moi vers la fin de l’amour...


Quand la petite silhouette du chanteur apparaît sur la scène, les applaudissements fusent mais on est dans un concert "classique", l'enthousiasme, réel, se manifeste de façon bon enfant, et la qualité technique de ce tour de chant, où les musiciens prennent de longues minutes pour se ré-accorder, en impose : l'ambiance n'a rien de débridé. Allwright est maigre, un peu voûté mais encore très ingambe ! Son énergie est intacte et sa foi en des lendemains meilleurs, toujours lumineuse. Sa voix, grave et discrète, n'a pas changé : ses inflexions, doucement accentuées, sont toujours les mêmes, et la mélodie laisse parfois le silence chanter, avec subtilité. Le courant passe, et le troubadour aux pieds nus nous emporte dans les mélodies que tous fredonnent en chœur, émus ou attendris. A la fin du concert, on dit bravo, certes, mais on lui crie surtout "Merci", merci monsieur Allwright pour ces instants de jouvence, délicatement assaisonnés de réminiscences d'un temps où nous pensions être capables de refaire le monde.  



Notes :
1 - mais je vous le rappelle joliment, un port d'estuaire !! autant dire que la patience y est de mise puis qu'on n'en peut sortir que lors que la marée est haute... et la prudence exige qu'on y revienne avant qu'elle ne soit basse !!

2 - "Comme un vrai gamin"
3 - "Il faut que je m'en aille"
4 - Il est né le 7 novembre 1926 à Wellington, en Nouvelle Zélande... pays qu'il a quitté dans les années 40 pour venir faire du théâtre en Angleterre et dans lequel il était presque inconnu jusqu'en 2005, année où il est retourné au bercail pour une tournée qui a connu un franc succès auprès de ses compatriotes, ravis de le découvrir enfin.
5 - Cette école fut fondée à Londres par Michel Saint Denis, qui avait dirigé à la BBC l'émission "Les français parlent aux français", sous le pseudonyme de Jean Duchêne. Michel Saint Denis était de surcroit, et cela a son importance, le neveu de Jacques Copeau
6 - "Il faut que je m'en aille"
7- Il s'agissait justement de Catherine Copeau, la petite fille de Jacques
8 - "Il faut que je m'en aille"

9 - G.Allwright a imaginé en 2005 de réécrire en paroles de paix les mots très va-t-en guerre de notre hymne national. Le projet de la révision de ce texte aux accents guerriers, où l'appel "aux armes" se mêle aux cris des féroces soldats qui égorgent nos compagnes, tient à coeur au chanteur qui en a même fait un site. Et il aime commencer avec cet hymne relooké chacun de ses concerts sauf, bien sûr, quand quelque "vieux con" (c'est lui-même qui se qualifie de la sorte !!) juge bon de le lui interdire ! Il n'incite pas à la désobéissance civile ou à la Révolution mais désire donner aux enfants de France une perspective d'union nationale plus pacifique, moins "jour de gloire" !!

-------------------- Mes sources : un article de Brunor, 1998
Un article d'Olivier Bailly, 2010
Sa discographie complète
La notice de Wikipedia qui lui est consacrée
Une notice sur Public
Photo ici, avec les deux musiciens, ici et la Danse de Matisse, ici.


8 commentaires:

  1. Bonsoir ; merci pour ce splendide partage ..j'ai aussi eu la chance de le rencontrer il y a deux ou trois ans ..J'ai adoré sa prestation !!!!
    Et en Plus Meschers j'avoue que cet endroit me rappelle énormément de souvenirs !!
    Tout est bien ici ce soir ...merci
    Bonne soirée

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    1. Je suis toujours étonnée car Meschers est finalement très connue : ce n'est pas rare qu'on me dise, sur le blog, au téléphone quand je donne mon adresse, ou ailleurs "cet endroit me rappelle énormément de souvenirs !!" : une petite ville de vacances qui a laissé, chez beaucoup, des souvenirs agréables !!
      Merci pour ce commentaire !

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  2. Graeme Allwright est également passé dans ma ville il y a un an environ...j'ai failli aller l'écouter...et puis, le pensant un peu trop âgé, j'y ai renoncé. J'ai regretté car c'était formidable, m'a-t-on dit.

    J'avais évoqué, sur mon blog, sa "Marseillaise", que je trouve très belle.

    Et puis merci, Michelaise, de nous faire ré-écouter "Suzanne"...cela me ramène immédiatement trente-cinq ans en arrière...Nostalgie !

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    1. Et voilà, nous en sommes tous là : si tu avais entendu le soupir d'aise de la salle quand il a commencé Suzanne !! J'ai failli avoir la même réaction que toi, un peu méfiante sur ces tournées de fin de carrière dont bénéficient les petits patelins... j'aurais eu tort car non seulement monsieur Allwright est très "pro" et si sa voix est un peu cassée, elle est toujours là, identique, pour nous faire vibrer... et en plus, il a TOUJOURS aimé les petits patelins, donc il ne vient pas nous voir par défaut mais parce qu'il aime cela !!

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  3. Eh bien voilà un article drôlement bien documenté !
    Il y a quelques années de cela mon épouse m'offrait le 33 t "De passage" ah nostalgie, nostalgie...

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    1. Et oui Mr Philff, beaucoup de bonheur à évoquer ces temps de nos enthousiasmes soixante-huitard !!

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  4. Je tombe sur ton site en essayant de trouver des informations qui me permettraient de comprendre le texte, magnifique et quasi surréaliste, de Leonard Cohen "Dance me..." Je connais pas mal de chansons de Cohen qui a bercé ma jeunesse (j'ai 65 ans) mais je ne connaissais pas celui-là. Je l'ai entendu pour la première fois à la fin du générique de la comédie de Valérie Lemercier "100 % Cachemire", tant démoli par la critique (moi, je me suis plutôt amusé et pas que... et je pense qu'il méritait mieux que les critiques que j'en ai lues). Bref, j'ai bien entendu reconnu la voix de Leonard Cohen et j'ai ensuite cherché sur Internet le titre et les paroles de la chanson. Et là, quel choc quand j'ai lu le commentaire de Cohen lui-même (que tu cites) dans lequel il dit de quoi l'inspiration de cette chanson lui est venue. J'ai essayé en vain d'en traduire les paroles pour mettre sur mon blog (http://audeladesreves.blogspot.fr/) et je croyais bien renoncer jusqu'à ce que je tombe sur la traduction qu'en a faite Graeme Allwright. Merci pour cet article et ce que tu dis de lui. Je l'avais entendu en live lorsque j'étais étudiant à Grenoble en 1968 ou 69 ? J'ai toujours le disque que j'avais acheté à cette occasion... A bientôt peut-être.

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    1. Ravie d'avoir pu t'être utile Roland ! Je n'ai pas vu 100%Cachemire et ne peux donc échanger sur ce sujet ! Pour sourire, ce brave Graeme a quelque peu vieilli depuis 68, et nous aussi par la même occasion !! Mais le coeur y est toujours, et le coeur, lui, il ne vieillit pas. Pour l'anecdote, alors que pour le réveillon de la Saint Sylvestre, le ton commençait à monter, mes invités ayant abordé "un sujet qui fâche", en bonne maîtresse de maison j'ai décidé qu'il était temps de calmer le jeu... que faire, que dire ?? et j'ai entonné "Petit Garçon il est l'heure d'aller te coucher".... tout le monde a repris en chœur et dans la plus parfaite harmonie !! Peace and love !!!! Génial Graeme Allwright...

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