Federico Zuccari est un peintre et architecte maniériste. Originaire des Marches (il est né en 1542 ou 43 à Sant'Angelo in Vado), il fut rapidement appelé à Rome où nombre de ses réalisations firent scandale (1). Volontiers provocateur, il décida en 1590 de s'y construire un palais hors du commun et acheta à cet effet un superbe terrain sur le Pincio, à deux pas de la Trinité des Monts où il avait d'ailleurs travaillé, et disposant d'une position panoramique sur la ville fort enviable. Pour dire, ce terrain se situait sur l’emplacement des anciens jardins de Lucullus (dont les cuisines ont, d'ailleurs, récemment été découvertes sous le couvent de la Trinité des Monts, à 6 mètres de profondeur sous le cloître). Il entrepris alors d'y construire une maison-atelier, en s'inspirant des fameux monstres des jardins de Bomarzo.
Forcément, la bâtisse fit jaser, mais attira rapidement en foule artistes et marginaux, et ce d'autant plus volontiers que Zuccari y transporta dès 1595 le siège de l'Académie Saint-Luc dont il venait d'être élu "Principe". C'est d'ailleurs à cette association qu'il légua sa demeure pour y accueillir les artistes de passage à Rome, mais ses vœux ne furent pas respectés et sa famille racheta le palais à Marc'Antonio Toscanella, qui était devenu le nouveau responsable de l'Académie Saint Luc. De ce fait, la maison resta dans la famille du peintre jusqu'à ce que son descendant Federico Zuccari (avocat, 1843-1913) la vende à Henriette Hertz. Pourtant, entre temps, des occupants fort différents s'y succédèrent.
A compter de 1702, la reine de Marie-Christine de Pologne vint s'y installer, en améliorant l'aménagement et y invitant surtout tout ce que Rome comptait alors de personnages importants. Elle y rajouta en particulier le portique surmonté d'une véranda qui se déploie encore sur le petit côté de l'édifice, juste du côté de la place d'Espagne, ne manquant pas, à l'occasion d'y adjoindre les armes de la Pologne. Elle y fit aussi construire un petit théâtre privé qui fonctionna de 1704 à 1714, Scarlatti y créant même certaines de ses œuvres.
En 1756, après avoir été pendant plusieurs décennies le centre de la vie mondaine à Rome, l'édifice fut occupé par les Frères des Écoles Chrétiennes, qui installèrent là le siège de leur premier établissement romain.
Puis, à la fin du XVIIIème et au début du XIXème, le palais devint une auberge pour les artistes du Grand Tour, et vit séjourner entre ses murs Reynolds, Winckelmann, David et bien d'autres.
Ce n'est qu'après toutes ces occupations variées que l'avocat Zuccari décida en 1904 de se défaire de l'immeuble, immortalisé dans un roman de Gabriele d'Annuzio, Il Piacere.
La nouvelle propriétaire, Henriette Hertz, était une allemande, née à Cologne, mais qui avait élu Rome comme résidence. Collectionneuse et mécène, elle œuvra aussi beaucoup pour mieux faire connaître l'art de la Renaissance et pour la recherche, fondant le premier institut d'histoire de l'art à Rome, la Bibliotheca Hertziana, fondation qu'elle légua par testament à la société Kaiser-Wilhem (KWG). Dans un codicille de son testament, elle légua aussi à la KWG le palais Zuccari et la totalité de sa bibliothèque, ainsi qu'un capital pour financer l'institut et augmenter le fond de livres. Le palais est toujours un centre de recherche en histoire de l'art et accueille les chercheurs allemands et européens. Il vient d'être superbement restauré, ce qui nous vaut le plaisir d'admirer de nouveau sa façade, comme neuve.
Neuve et folle !! Les portes et fenêtres ont l'apparence de gueules monstrueuses, largement ouvertes et inspirées, nous l'avons dit, de Bomarzo : l'architecture maniériste de la fin de XVIIème siècle italien se déploie là avec la plus parfaite liberté. Rien d'étonnant qu'on ait alors qualifié Zuccari, qui avait conçu de telles fantaisies, de "caposcuola di decadenza". De telles divagations horrifiaient le bourgeois, tout en l'attirant irrésistiblement. Comme elles nous fascinent encore par leur audace et leur humour. Nous avions, le jour où nous avons vu le palais, attendu pour une visite au couvent de la Trinité des Monts, mais j'avoue espérer pouvoir visiter l'institut allemand, entièrement restructuré par Juan Navarro Baldeweg, qui semble y avoir fait des merveilles, en particulier au niveau des jardins, lors de notre prochain séjour romain.
Cet article en forme de grimace est un pied que certains, dans mon entourage, comprendront !
une dédicace à moi-même en quelque sorte....
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(1) On pense en particulier à son "fameux" tableau de la Calomnie, où, après avoir été accusé auprès du pape, par ses confrères jaloux, de quelques propos outranciers, il représenta ses accusateurs affublés de longues oreilles d'âne. Vous imaginez que ces derniers le prirent fort mal, allèrent se plaindre auprès de Grégoire XIII, qui ne put faire autrement que de chasser Zuccari de Rome. Ce qui lui donna l'occasion de voyager et de multiplier ses sources d'inspirations. Il parcourut ainsi Flandre, Hollande, Angleterre et Venise avant d'être de nouveau admis dans la ville éternelle. Invité en Espagne par Philippe II, ce dernier n'apprécia guère son travail - on l'appela parfois "le chef de la décadence" - et ses fresques furent effacées pour être remplacées par des compositions de Tebaldi.
Voici l'analyse par Martine Vasselin de la toile incriminée, dont il reste heureusement une gravure d'époque :
"La gravure au burin réalisée par Cornelis Cort d’après le dessin de Federico Zuccaro, éditée à Rome en 1572 chez l’éditeur d’estampes d’origine franc-comtoise Antonio Lafréry. Il s’agit d’une adaptation libre du texte de Lucien, avec altération et ajout de personnifications : un roi à oreilles d’âne, allusion à Midas, entouré de la Calomnie et de la Tromperie murmurant à son oreille, dans la pénombre des draperies qui enveloppent son trône. Dans une ombre encore plus marquée, l’Envie au corps décharné, mamelles pendantes et cheveux entortillés de serpents et ses trois chiens agressifs. La Perfidie, devenue le personnage central, mi- homme, mi- serpent, se dresse sur les spires de sa queue pour brandir des serpents emmêlés. Sur la gauche, au premier plan, la Colère enchaînée sur un monceau d’armes et une Harpie aux pattes griffues et aux ailes chitineuses déployées. Imperturbable au milieu de ces vices et fléaux, à l’extrême- gauche et saisissant le bras du souverain déchaîné, la déesse Minerve armée casquée et cuirassée ; à droite, Apollon citharède et Mercure au caducée désignent et protègent la Vérité, une femme nue debout, en lui donnant la main. Tous trois semblent avoir brisé un joug et des fers gisant au sol et s’éloignent, tournant le dos aux vices et aux jugements iniques. La Vérité y est le seul personnage dont la nudité est purement humaine, face à celle des monstres hideux et malfaisants. Comme l’a remarqué Panofsky, elle est sauvée à temps et échappe à sa condamnation injuste. On y a vu aussi un plaidoyer pro domo de F. Zuccari, mis en cause dans ces années par les artistes de l’Académie de Saint Luc de Rome dont il était le Principe."
Zuccari, concepteur de ces encadrements de portes et fenêtres effrayants n'avait-il pas choisi de telles représentations pour faire fuir les importuns ? J'y réfléchirais à deux fois avant de franchir une porte et pas question que je passe par la fenêtre.... Je me demande si cette technique ferait fuir les voleurs de nos jours...
RépondreSupprimerJ'espère que tu as passé une bonne journée Michelaise. Bises à toi :-)
Peut-être plus efficace que les sirènes et autres alarmes en effet Oxy !! Très belle journée Oxy, nettement moins grimaçante que cet article ne pouvait le laisser croire... au contraire même, une journée très plaisante grâce au programme concocté par Alter !
Supprimermerci pour les liens vers les sites d'Orsay et du Louvre!
RépondreSupprimerDes ressources intéressantes n'est-ce pas Miriam !
Supprimerc'est particulier, et pas franchement accueillant...! Bonne soirée!
RépondreSupprimerC'est vrai que c'est d'un goût moyen !! Spectaculaire mais pas franchement beau !
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